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IV

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Pourquoi, une fois encore, les nuages qui assombrissaient le front du vieux Claude se retrouvent-ils sur celui de Pierre? Est-ce parce qu’une place est vide désormais à la table de famille?

Ils étaient quatre, en effet, jadis à la Jolinette: Pierre Lambriquet, Geneviève Collinot, Thérèse et le petit Guillaume.

Mais ils n’avaient été quatre que pour bien peu de temps, hélas! Geneviève n’avait pas vu le premier sourire du petit garçon.

Elle était morte en bénissant le nouveau-né, et en disant à la bonne Thérèse, qui n’avait alors que huit ans à peine:

— Je te donne ton petit frère, ma fille... Sois une mère pour l’orphelin.

Et Thérèse avait promis, avait juré, et elle était véritablement mère.

Mais la tristesse de Pierre Lambriquet n’avait point été causée par la mort de Geneviève, puisque Pierre Lambriquet était triste dès avant son veuvage.

Si nous interrogeons Thérèse, elle nous dira:

J’étais bien petite fille, mais je me rappelle que pauvre chère maman répétait sans cesse: Voyez un peu comme mon homme a l’air triste, comme il est sombre et taciturne. On dirait vraiment que nous avons les plus grands chagrins du monde, et pourtant nous sommes bien les enfants gâtés de la Providence: que nous manque-t-il? nous avons la santé, un bel héritage, une fille qui sera bonne comme mon Pierre, et l’espérance... C’est pourtant depuis la mort du vieux Claude qu’il est comme cela boudeur, mon pauvre homme! Il faut bien cependant se faire une raison, on ne peut pas durer toujours, et le bon vieux avait bien fait son temps, puisqu’il avait quatre-vingt-quatre ans, sept mois et dix-huit jours. Ah bien! s’il est comme cela pour le père, que sera-t-il donc quand je m’en irai? car quelque chose me dit au cœur que je partirai la première... Et que serait-il, si la fille... Mon Dieu! s’il lui fallait voir mourir son enfant...

Geneviève était morte, et bien des gens qui avaient entendu ces paroles, et qui avaient fait sur l’homme de Geneviève les mêmes réflexions que la bonne femme, avaient tremblé pour Pierre; mais Pierre, au grand étonnement de tous, avait, après quelques jours de véritable désespoir, murmuré en pleurs à deux genoux sur la tombe de la compagne tant aimée:

«La Providence a permis qu’elle partît la première; elle est si grande et si bonne, la Providence du bon Dieu! Oh! oui, on a beau dire, tout ce que Dieu fait est bien fait!»

Après cette parole, tout désespoir avait disparu, nous dirions presque tout chagrin, et Pierre avait repris avec plus d’ardeur la culture de l’héritage: il avait deux enfants...

Mais chose qui surprit tous les habitants du village plus encore que la résignation de Pierre, après le coup affreux qui l’avait frappé, ce fut la vente du champ qui dépendait de la Jolinette.

Le champ le faisait pourtant vivre, dit-on de toutes parts, car au village on s’occupe plus volontiers des affaires d’autrui que de ses propres affaires; et puis, dans le champ, c’était l’héritage de ses enfants. C’est pas bien, tout de même. Il n’avait osé faire un tel coup du vivant de cette pauvre Geneviève; maintenant qu’elle n’est plus... Toucher à l’héritage de ses enfants! Le bon Dieu ne le bénira pas... Mais pourquoi? La paresse peut-être... nous nous étions bien laissé dire qu’il avait un brin les côtes en long... Il a peur de l’ouvrage... Et maintenant qu’il n’aura plus que son petit coin de clos, comment passera-t-il ses journées? Couché au soleil sans doute et bâillant aux corneilles...

Mais Pierre ne passa pas ses journées couché au soleil et bâillant aux corneilles... On apprit bientôt qu’il s’était engagé comme ouvrier chez un maître carrier.

Pierre Lambriquet, le fils de l’orgueilleux Claude, carrier! le pire des métiers, le plus dur des ouvrages, le plus pénible des travaux, le dernier, le dernier des états!...

Il est à demi ruiné, dit-on dans le village; c’est pour cela qu’il disait sur la tombe qu’heureusement Geneviève était morte la première. Pauvre Geneviève! si elle avait vu une telle chose... C’est décidément bien vrai, tout ce que le bon Dieu fait est bien fait 1

L'héritage de Thérèse

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