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IV

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Table des matières

Un jour pâle blanchissait la blanche campagne, lorsque le pasteur arriva aux Dastres et frappa à la porte du père Lecointre.

Une vieille femme, ridée et grise comme une pomme cuite, vint lui ouvrir.

—Oh! c'est vous, Monsieur le Ministre, s'exclama-t-elle. Je ne comptais pas vous voir ce matin. La nuit a été terrible; comment avez-vous fait pour trouver votre chemin?

—Est-ce que j'arrive à temps? Votre mari...

—Il est beaucoup mieux à c't'heure.

—C'était-il véritablement une attaque?

—Ma foi... non, Monsieur le Pasteur, dit-elle avec confusion en le faisant entrer. Faut que je vous dise. Nous l'avons cru perdu, d'abord. Il avait été au cabaret où il avait bu un coup de trop, suivant sa mauvaise habitude. En sortant, le froid l'aura saisi. Il est tombé raide sur le chemin. Il était sans connaissance, et pâle comme un mort; il est resté ainsi quatre heures durant. C'est alors que j'ai prié le voisin Leblanc d'aller vous quérir. J'avais si tellement peur que mon pauvre homme trépassât comme cela, comme un chien vautré dans son vomissement! Mais, quand j'ai vu chuter la neige, j'ai pensé: «Pour sûr, Monsieur Malprat ne viendra pas.» Et vous êtes là! Comment avez-vous fait pour arriver jusqu'ici?

—J'ai eu assez de peine, en effet, mais j'avais mon fidèle cheval pour me tenir compagnie. C'est une brave bête. A propos, faites-le soigner, il en a bien besoin. Je vais auprès du malade.

Un rude combat se livrait dans l'âme du ministre, une heure après, tandis que, réchauffé auprès d'un grand feu, réconforté par un bon déjeuner, il songeait à la nuit affreuse qu'il venait de passer... pour rien. Car le père Lecointre avait seulement ce qu'il appelait grossièrement, en riant, «une double cuite». De repentir, il n'en avait guère manifesté tout à l'heure, quand le jeune pasteur croyait de son devoir de lui dire quelques paroles sévères.

Il était là, au fond de la pièce unique, béatement couché dans le lit-armoire enchâssé au mur. Son visage rouge et tuméfié sortait à moitié, sournois, de dessous les couvertures. Des mèches de cheveux, d'un blanc jaune, passaient sous son bonnet de coton noir. Dans ses petits yeux, luisants et ronds, qui prenaient un air dévot dès que le pasteur le regardait, une petite flamme malicieuse brillait.

—Heureusement, songeait-il, on ne le paye pas comme le médecin, ce grand nigaud-là. Autrement, ça coûterait chaud! Le voilà tout capot à c'te heure. Eh! eh! y venait pour me voir passer, et y me trouve guilleret, prêt à recommencer. Y ne m'enterrera pas de cette fois-ci encore!

—Le malheureux! pensait Monsieur Malprat. Il ne m'a pas même écouté! Et c'est pour lui que nous avons risqué nos vies, moi, père de famille, et Ali, qui est mille fois moins brute que lui! C'est pour ce misérable ivrogne qu'on a passé au presbytère une affreuse nuit de Noël, pour lui que la fête, si impatiemment attendue par les enfants, a été manquée!

Et une folle envie lui venait de crier à cet homme son infamie.

La femme s'empressait, honteuse, attendrie, ne sachant comment témoigner à M. Malprat sa reconnaissance et son regret d'être cause qu'il avait exposé sa vie pour rien. Comme il repartait sur Ali, restauré et allègre:

—Monsieur le Ministre, dit-elle, il n'y aura pas de culte aujourd'hui, à cause de la neige, n'est-ce pas?

—Non, ma brave femme, je crois que je prêcherais devant des bancs vides.

—Eh bien! m'est avis que vous avez fait cette nuit un sermon de Noël que vos paroissiens n'oublieront pas de si tôt. Tout le monde le comprendra, celui-là: les ignorants comme les savants, les simples comme les intelligents. Que le bon Dieu vous bénisse pour votre bonté!

Le jeune homme partit, joyeux. La neige ne tombait plus. Un gai soleil transformait le paysage. Montagnes et vallées, bois et plateaux étaient encore tout blancs, mais ce n'était plus le funèbre linceul de la nuit, c'était un manteau royal, d'une pureté immaculée, étincelant. Des cristaux brillaient à toutes les branches des arbres, aux toits de toutes les maisons. Le petit cheval marchait d'un bon pas.

—Eh bien! Ali, lui dit son maître, cela va mieux que tout à l'heure, hein? Quel magicien que ce soleil! Qui croirait que nous avons tant souffert, il y a quelques heures à peine, dans cette merveilleuse campagne! Mais vois donc comme tout est gai, comme tout est beau, maintenant, alors que tout était si mortellement triste, si lugubre, cette nuit! Nous passons, sans transition, du cauchemar au rêve enchanteur. Le soleil, n'est-ce pas, la lumière, c'est la moitié de la vie. Oui, oui, tu me comprends, tu sens comme moi!... Quel malheur que tu ne puisses pas me répondre!

La route, si longue, la veille, pour les égarés, fut vite franchie. Vers midi, suivant sa promesse, M. Malprat frappait à la porte du presbytère. Aussitôt des cris de joie retentirent; et, dans l'encadrement de la porte, péniblement ouverte, il vit le groupe charmant de sa jeune femme, de ses beaux enfants, et de la grand'mère qu'il avait cru ne jamais revoir. Jusqu'à Mariette, qui riait d'aise, derrière les autres.

—Bon Noël à tous! cria-t-il du seuil.

—Papa, s'écria Odet, j'ai dit au bon Dieu de t'envoyer un de ses anges pour te garder. L'a-t-il fait?

—Oui, mon garçon.

—Ah! j'en étais sûr! Et tu l'as vu?

—Oui, mon petit.

—Comment était-il? Avait-il de grandes ailes et une longue robe blanche?

—Je te raconterai cela plus tard, ce soir.

—Oh! Fred, tu ne sais pas! s'écria la jeune femme. Aubert, le facteur, a été trouvé mort, enseveli dans la neige! N'est-ce pas horrible? Il a dû perdre son chemin et a été pris par le sommeil. Le chien du garde-forestier l'a découvert ce matin, vers sept heures, non loin de la ferme des Lambert. Nous avons été mortellement inquiets pour toi. Quelle nuit atroce!

—Eh bien! comment avez-vous trouvé le père Lecointre, demanda grand'mère, se hâtant de débarrasser son gendre de sa pelisse, et lui faisant passer des habits secs et chauds.

—Il était guéri. Il s'est enivré un peu plus qu'à l'ordinaire, voilà tout.

—Je le pensais bien, reprit-elle gravement.

—C'est indigne! s'écria Madame Malprat. T'avoir exposé à mourir gelé, nous avoir fait passer cette nuit d'angoisses, et tout cela pour rien! J'aurai de la peine à le lui pardonner, par exemple!

—Et notre veillée de Noël, qui a été gâtée, c'est une honte! s'écria François, exaspéré.

—Et le pudding que nous n'avons pas mangé! ajouta Odet.

—Silence, mes chéris!—dit sévèrement le pasteur, tandis qu'un frisson d'horreur le parcourait tout entier. Comment, vous vous plaignez et je suis là, auprès de vous! Mais, comme lui, j'aurais pu rester en chemin! Si Ali pouvait parler, il vous le dirait bien. Nous avons dû, même, passer près de ce malheureux sans le voir, sans lui porter secours! Ah! c'est abominable, mourir ainsi, dans ce froid, dans cette nuit, tout seul... Pourtant lui aussi faisait son devoir! Dieu l'a recueilli! Mais sa pauvre femme, ses petits enfants qui l'ont attendu, et qui ne le reverront jamais!... C'est affreux!

—Son petit garçon n'aura pas prié Dieu de lui envoyer un de ses anges, n'est-ce pas? demanda Odet.

—Je ne sais. Dieu seul sait pourquoi il m'a conservé, alors qu'il a pris ce pauvre homme. Il a, pour agir, des raisons, toujours supérieures, que nous ne connaissons pas. Allons vite déjeuner, maintenant: j'ai hâte d'aller voir sa veuve et ses orphelins. Ce soir, à la veillée, je vous raconterai mon inoubliable nuit de Noël. Sachez seulement que j'ai entendu des cloches, un merveilleux choeur de cloches; c'était une musique comme on n'en entend pas sur la terre. Et savez-vous ce qu'elles chantaient toutes ensemble, les grandes, les petites, les lourdes, les légères, les graves, les claires, en une harmonie infinie?

—Non.

—«Paix sur la terre, bonne volonté parmi les hommes!»

Décembre 1899.



A Suzanne.


Dans le vaste salon aux panneaux boisés, peints en blanc, le grand arbre de Noël se dresse, éblouissant. Sa flèche aiguë touche le haut plafond. Les petites bougies qui, chacune à part, donneraient une flamme pâle et tremblante, font, ensemble, une lumière très intense, d'une gaîté incomparable. Elle court, cette lumière, le long des fils d'or et d'argent jetés parmi les branches; elle éclate sur les objets brillants pendus à tous les rameaux, elle avive le vermillon des pommes d'api et l'or des oranges. Puis, rayonnant autour du sapin, elle anime, là-haut, les visages des vieux portraits; les uns, frivoles et parés dans leurs costumes d'autrefois, ont l'air de sourire à la fête; d'autres, pensifs, regardant de leurs cadres dédorés comme d'une fenêtre ouverte sur le présent, paraissent rêver mélancoliquement aux choses d'autrefois, aux Noëls passés. Enfin, plus bas, la belle lumière éclaire les jeunes têtes vivantes qui se pressent autour de l'arbre, blondes et brunes, têtes de jeunes gens rieurs, de jeunes filles vêtues de fraîches toilettes, dont les yeux, illuminés par le plaisir, semblent concentrer en eux toutes ces lumières, toutes ces joies. Au milieu d'eux, une mince silhouette de femme, jeune encore, vêtue de velours noir, se détache, élégante et souple. Elle va et vient de l'un à l'autre, empressée, vive: c'est la maîtresse de maison, la mère de ces deux grandes fillettes si blondes, si roses, aux candides figures épanouies, qui sont le centre d'un petit groupe, à droite. Elle est blonde aussi, mais d'un blond plus atténué, doucement cendré. Ses traits menus, à peine touchés par la vie, paraîtraient enfantins à un observateur superficiel, sans deux grands yeux profonds, couleur de fleur de lin, deux yeux qui ont déjà vu bien des choses, qui ont pleuré et souri, des yeux qui comprennent et qui parlent.

Une odeur particulière, rappelant la forêt, le magasin de jouets, la fruiterie, «l'odeur de Noël», comme disent les petits, flotte dans l'air et met dans les coeurs cette allégresse très particulière, faite de souvenirs et d'espérance, de pardon et d'amour:«la joie de Noël».

Sur la mousse qui cache le pied de l'arbre, de nombreux paquets blancs, attachés avec des faveurs, sont posés. La distribution des cadeaux a commencé. Pour donner plus de gaîté à la fête, Mme Noguel a imaginé de mettre les objets qu'elle offre dans plusieurs enveloppes portant une adresse différente chacune. Ils circulent ainsi, de main en main, au milieu des cris de surprise, des rires, des exclamations, avant de s'arrêter à ceux auxquels ils sont destinés. Une litière de papier jonche le tapis. Le choix a été fait avec tant d'intelligence et de tact que tout le monde est content. Les jeunes visages rayonnent. La mère, heureuse de la gaîté qu'elle voit autour d'elle, rayonne aussi, dans la splendeur de sa beauté faite de bonté, modelée et comme refondue à l'image de son âme sereine. Elle pense qu'elle est mille fois plus heureuse aujourd'hui qu'au temps joyeux de son enfance, car son bonheur est décuplé par celui qu'elle donne à ses chéries, à toute cette belle jeunesse en fleur. Ses yeux clairs cherchent les regards pour y cueillir la joie du plaisir qu'elle y a mis et qui est la récompense d'un long et fatigant travail. Partout elle aperçoit la gaîté la plus franche et la plus vraie. A la fin, pourtant, elle tressaille: un regard a tremblé sous le sien et s'est dérobé.

Cachée derrière un groupe, une jeune fille, toute frêle et pâle dans sa sévère robe noire, regardait et s'efforçait de paraître gaie. D'épais cheveux châtains, partagés par une fine raie, encadraient de leurs bandeaux un peu raides son front pur. Sa jeunesse, qui aurait dû éclater dans ses vifs yeux noirs, semblait languir comme une plante privée de soleil; son teint, d'un blanc maladif, ses traits réguliers, lui donnaient l'air d'une petite statue triste. Pourquoi était-elle là, et qu'y faisait-elle? Sa place n'était pas au milieu de toutes ces lumières et de toutes ces gaîtés; sa robe sombre faisait tache, choquait comme une fausse note dans un air mélodieux. Quoi qu'elle fît pour la retenir, sa pensée s'échappait du salon brillant, elle courait le long d'une allée de platanes jusqu'à une large dalle de pierre grise où un nom très simple était gravé. C'était la première fois qu'elle assistait à une fête, depuis le jour cruel où sa jeunesse insouciante avait rencontré l'atroce réalité. Pour la première fois, ses vêtements de deuil s'éclairaient au cou et aux manches d'une étroite bande blanche. Ses soeurs lui avaient dit: «Voyons, vas-y, cela te fera du bien». Elle avait résisté, d'abord: non elle n'irait pas, elle resterait dans sa petite chambre solitaire; là, devant le portrait de la chère morte, elle revivrait les heureux Noëls d'autrefois. Elle penserait tant à sa mère, elle la chercherait si avidement dans cet infini où elle avait disparu que, peut-être, elle la trouverait, et que leurs deux âmes, détachées des liens de la chair, se rencontreraient encore dans une de ces extases de tendresse d'où elle sortait brisée, pourtant moins triste.

Pourquoi donc avait-elle cédé? Quelque chose qu'elle ne s'expliquait pas l'avait attirée en dépit d'elle-même, triomphant de sa résistance. Elle s'était laissé parer par ses soeurs, elle était venue. Et maintenant, dans cette réunion si gaie, parmi cette jeunesse ignorant la douleur, elle se sentait dépaysée, perdue: telle une hirondelle sauvage au milieu de brillants oiseaux des Iles.

Heureusement personne ne songeait à elle: ses compagnes et ses camarades causaient avec tant d'entrain qu'ils ne s'apercevraient pas de son absence. Toute tremblante, elle réussit à gagner, sans être vue, un coin sombre derrière un paravent, et, enfonçant son mouchoir sur ses yeux, elle força ses méchantes larmes à rentrer. Ah! quand donc saurait-elle porter sa peine? Allait-elle l'afficher au milieu de ces indifférents? Quel ennui si on la surprenait! On s'étonnerait. N'y avait-il pas deux ans, déjà? Son chagrin ne devait-il pas être allégé comme son deuil? C'était si loin pour les autres, deux ans! La sympathie, qu'on lui prodiguait bruyamment, les premiers temps, était usée depuis longtemps. Elle entendait celles qu'on appelait ses «amies» lui demander de nouveau: «—Pourquoi pleures-tu?»

Rien que deux ans, pourtant! Les années lui avaient semblé à la fois bien longues et bien courtes: n'est-ce pas hier que cela avait lieu? Mais que de nombreuses et ternes journées ont passé depuis!

Elle aussi se sentait jeune certes, elle aimait la vie, seulement elle n'avait plus tout-à-fait confiance en elle. Ne savait-elle pas, non par ouï-dire maintenant, mais par expérience, que nos joies les plus pures, les plus légitimes, sont instables et courtes, et qu'en face de cette vie mystérieuse et tentante, il y a la mort? L'appui naturel de son coeur, l'amie toujours bienveillante, inépuisablement indulgente et bonne, celle avec qui l'on ne compte pas et qui ne compte jamais avec vous, celle, enfin, qui était comme le fond même de son existence, comme sa raison d'être, était partie, et elle ne reviendrait pas...

Pour les autres, rien n'était changé, tout avait encore le charme enivrant d'une belle aurore sans nuage. Comment auraient-elles compris! Elles iraient, en rentrant, tout conter à leur mère, qui se réjouirait de leur joie, tandis qu'elle... Ah! comme sa chambre lui apparaît froide, silencieuse, triste!

Cependant Mme Noguel, qui observait la jeune fille, l'avait suivie des yeux dans sa retraite. Elle ne la connaissait pas beaucoup, mais sa jeunesse attristée avait attiré sa sympathie. C'était pour tâcher de l'égayer, pour la faire sortir de sa studieuse solitude, qu'elle l'avait invitée. Se serait-elle trompée? Ce coeur aimant n'était-il pas encore trop meurtri pour supporter la gaïté bruyante d'une fête?

Eh quoi! le mal était fait; comment l'atténuer maintenant? Devait-elle, respectant sa douleur, la laisser reprendre possession d'elle-même, ou bien irait-elle la trouver pour essayer de lui dire sa sympathie? Une tendre pitié emplissait son cour: elle aussi avait perdu sa mère toute jeune, elle aussi avait connu l'infinie détresse des orphelins. Elle pensait à ce que seraient les futurs Noëls de ses filles, si elle s'en allait.

Comme elle hésitait encore, Lucie retournait auprès de ses compagnes. Elle avait triomphé de sa violente envie de pleurer et revenait au milieu d'elles avec cet air calme qui leur faisait dire: «Elle est consolée.» Mme Noguel l'arrêta au passage; mais, au lieu des douces paroles qu'elle pensait, retenue par une étrange pudeur, elle lui dit: «Avez-vous été contente de votre cadeau, mon enfant?»... Seulement, sa voix avait des intonations délicates, comme pour parler à une malade; ses yeux traduisaient si bien sa pensée que la jeune fille se sentit touchée jusqu'au fond de l'être. Ah! ce regard maternel, comme il la remuait! C'était pour le retrouver, elle le comprenait, qu'elle était venue; c'était lui, l'aimant tout-puissant, qui avait vaincu ses résistances. Et, à présent, il pénétrait en elle, la réchauffant, la vivifiant, lui mettant au coeur une force, une espérance, une joie. Il était bleu ce regard, d'un bleu éteint comme celui qui lui manquait tant, profond et tendre; lui aussi savait, comprenait, devinait.

—Merci Madame,—fit-elle, levant vers la jeune femme un visage où courait une flamme inaccoutumée, «j'ai eu ce que je désirais le plus. Grâce à vous, moi aussi, j'ai mon Noël».

Décembre 1899.



A Henri.


Contes de Noël

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