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ОглавлениеCHAPITRE I
Le Testament.
«Vous dites, monsieur le notaire?
–Que le testament est en règle; oui, monsieur le baron.
–Ah!
–Feu monsieur Régis de Nanjac, votre unique neveu, vous a laissé par codicille en bonne forme....
–Pauvre Régis! Je n’ai que faire de sa fortune, et je la donnerais volontiers, en y joignant la mienne propre, pour avoir le plaisir de lui serrer encore une fois la main, au cher garçon.... Maître Laportalière, savez-vous que je suis prodigieusement riche?
–Tant mieux, monsieur le baron, tant mieux! car ils sont cinq.
–Ils sont cinq!... Que me chantez-vous là? Ils sont cinq!... Cinq quoi? je vous prie. Expliquez-vous, mon cher notaire.»
Pour toute réponse, le notaire tendit au baron un pli scellé aux armes des Nanjac.
Le baron prit ce pli et murmura:
«Pauvre Régis! pauvre cher garçon!»
Puis il en rompit le cachet.
Alors, il lut à haute voix ces mots écrits d’une main ferme:
«Ceci est mon testament et l’expression de ma volonté dernière: »
«Pauvre Régis! s’exclama-t-il pour la troisième fois. Qui m’aurait dit que ce gaillard de trente-cinq ans à peine, un enfant que j’ai fait sauter sur mes genoux, mon maître, répondrait à l’appel avant moi! Enfin!...»
Et le baron s’absorba dans la lecture du testament de son neveu Régis.
Le baron Boniface de Nanjac (par abréviation on disait Boni) était un homme de cinquante-huit à soixante ans, bien qu’il en parût davantage.
Il portait la tête un peu haute, et avait l’air distingué. Sa parole était brève, son geste impérieux, sa voix dure; mais, chose étrange! son regard savait être tendre, et son sourire était très doux.
Plus jeune que son client, le notaire avait une physionomie ouverte, des manières aisées, un langage facile; avec cela, une voix sympathique, et des yeux bleus, profonds, un peu mélancoliques.
A T..., son pays, il était fort aimé. Il avait l’estime de tous et la confiance de chacun.
«Nom d’un cœur! s’écria tout à coup le baron en se levant d’un bond; c’est une mystification. Monsieur le notaire, vous me le payerez cher.
–Monsieur le baron, voulut protester Maître Laportalière, croyez bien que....
–C’est une mystification! vous dis-je, interrompit le baron d’une voix éclatante.
«Sur votre invitation, monsieur, je quitte les Grandes Indes où m’avaient appelé d’assez gros intérêts. Il s’agissait pour moi, me disiez-vous, d’un très important héritage, l’héritage de mon neveu.
«Votre missive était pressante. J’accours en toute hâte, et c’est pour me voir jeter à la face les sottises de mon neveu....
«Oui, monsieur, continua le baron, dont la colère allait croissant, mon neveu Régis a fait trois énormes sottises:
«Primo. Il s’est marié!... (Dieu me pardonne! j’avais fini par l’oublier.)
«Secundo. Il s’est ruiné!.... (J’aurais dû le prévoir, connaissant, comme je les connaissais, ses goûts de dépense et de luxe.)
«Tertio. Il est mort!.... (sottise dépassant les deux autres), me laissant sur les bras sa femme et ses enfants.
«Et vous, monsieur le notaire, vous avez été son conseil....
«Vous me paierez cela; entendez-vous, monsieur?»
Et, en disant ces mots, le baron de Nanjac passait du rouge au cramoisi et du cramoisi au violet.
«C’est un tempérament apoplectique,» pensa le digne notaire, qui s’empressa d’ouvrir les fenôtres.
L’air frais du soir, le frappant au visage, calma subitement le baron de Nanjac.
Il passa la main sur son front:
«Régis marié! murmura-t-il, Régis ruiné! Régis père de cinq enfants!»
Puis, s’animant de nouveau:
«Et c’est moi, ajouta-t-il, qu’il institue son légataire universel! C’est moi qu’il charge de.... Ah! ah! nous verrons bien.
–Monsieur le baron, fit observer Maître Laportalière, vous êtes son seul parent, et à ce titre....
–A ce titre! Qu’est-ce à dire, monsieur? A ce titre, je payerai ses dettes; c’est entendu. A ce titre, je pensionnerai sa veuve, je ferai élever son fils, je doterai ses filles; c’est encore entendu. Mais c’est tout, je vous le jure; car pour adopter sa famille, je n’y con.... sen.... ti.... rai.... ja.... mais.»
Et le baron scanda ces derniers mots, comme pour démontrer au notaire que, sur ce point, sa volonté était inébranlable.
Cependant le notaire insista.
«Monsieur le baron, dit-il, madame votre nièce est fort intéressante; ses enfants sont de beaux et bons enfants, et....
–Assez, monsieur, interrompit sèchement le baron. Mon parti est irrévocable.
«Et croyez-vous, ajouta-t-il, marchant de long en large dans le cabinet du notaire, croyez-vous que je sois resté vieux garçon pour m’embarrasser aujourd’hui d’une veuve éplorée, dont hier encore j’avais oublié l’existence, et de cinq enfants en bas âge?
«Non, non: j’ai peu de goût pour l’emploi de mentor, et je déteste la marmaille.
«Tenez-vous-le pour dit, monsieur.»
Maître Laportalière ne savait que répondre; voilà pourquoi il se taisait.
Tout à coup, une idée heureuse lui vint: il se pencha en avant, et prit le testament que le baron de Nanjac avait laissé ouvert sur son bureau.
«Si je le lui lisais, pensa-t-il, ce serait le meilleur argument.»
Nous l’avons déjà dit, Maître Laportalière avait une voix sympathique, une voix qui, lorsqu’il était ému, savait trouver des accents émouvants, une voix, en un mot, qui allait droit au cœur.
Il lut donc tout haut:
«Ceci est mon testament et l’expression de ma volonté dernière:
«Moi, François-Régis de Nanjac, jouissant de toutes mes facultés, j’institue mon oncle, le baron Boniface de Nanjac, mon légataire universel.
Il lut donc tout haut: «Ceci est mon testament et l’expression de ma volonté dernière: »
«Je lui lègue mes seules richesses en ce monde: ma femme et mes cinq enfants!
«Je lui lègue ce précieux héritage, le suppliant, à cette heure suprême, d’être un père pour les enfants que je laisse orphelins, un soutien pour la veuve que je laisse sans appui en ce monde.
«Je meurs complètement ruiné......
«Que mon oncle Boni veuille prendre en pitié la chère compagne de ma vie; qu’il lui permette de vivre auprès de lui; que lui-même élève mon fils; qu’il soit le guide de mes filles.
«Et ma mort sera calme et douce, sachant que, derrière moi, un autre moi-même veillera sur mes chers trésors.
«Fait à Paris, le6février1878, en mon domicile, boulevard Malesberbes, no...., et en présence de Maître Laportalière, notaire, mon ami, venu de T..., sur ma demande.
«François-Régis DE NANJAC.»
Cette lecture terminée, Maître Laportalière reposa le testament sur son bureau, puis attendit.
Le baron se mouchait à outrance pour cacher son émotion. Il s’avança enfin vers le digne notaire:
«Votre main, cher maître, lui-dit-il; oubliez mes paroles trop vives. Vous étiez l’ami du neveu, soyez l’ami de l’oncle. »
Maître Laportalière pressa très affectueusement la main que lui tendait le baron de Nanjac.
«Vous êtes un brave cœur, monsieur le notaire, reprit aussitôt ce dernier. Mais, où diable avez-vous su trouver des accents si émus en me lisant ce testament?... Régis lui-même, le pauvre cher garçon, ne l’aurait pas lu autrement.
–Je suis père, monsieur le baron,» répondit Maître Laportalière.
Et, en disant ces mots, son regard se voila.
Au même instant, deux coups discrets furent frappés à la porte.
«Entrez,» dit le notaire.
La porte s’ouvrit.
Une toute jeune fille parut aussitôt sur le seuil, et une voix d’une douceur infinie demanda:
«Es-tu seul, père?»
Le notaire allait répondre négativement quand, tout à coup, il songea:
«C’est Dieu lui-même qui me l’envoie!»
Alors, il marcha vers l’enfant, qu’il embrassa avec tendresse; puis, la prenant par la main, il l’amena devant le baron de Nanjac.
«Monsieur le baron, dit-il, c’est Régina, c’est ma fille.»
Le baron regarda l’enfant:
«Qu’elle est jolie!» pensa-t-il.
Et le baron avait raison.
Rien de plus charmant, en effet, que cette mignonne créature qui se tenait là, debout, la tête légèrement inclinée, les yeux baissés, les lèvres souriantes.
Elle avait tout près de quinze ans, bien qu’elle n’en accusàt que douze ou treize à peine. Sans avoir l’aspect maladif, elle paraissait très délicate, et ses cheveux d’un brun cuivré tombant en boucles naturelles sur son cou de satin prêtaient à son gracieux visage un attrait tout particulier.
Il se pencha vers elle et la baisa au front.
Instinctivement, l’enfant leva les yeux, des yeux d’un bleu céleste, mais, hélas! des yeux sans regard.
Le baron en fut péniblement frappé.
«Aveugle!» murmura le notaire à son oreille.
Et ce mot fut suivi d’un long et douloureux soupir.
«Oh! père, s’écria la fillette, pourquoi soupires-tu ainsi? Ne suis-je pas heureuse! Tu vois, toi, et cela me suffit.»
Et Régina, se haussant sur la pointe des pieds, appuya sa jolie tête d’ange contre la joue du bon notaire sur laquelle roulait une larme.
Le baron se mouchait de nouveau, tout en arpentant à grands pas le cabinet de Maître Laportalière.
«Nom d’un cœur! murmurait-il, dans quel guêpier me suis-je donc fourré?... Depuis tantôt un demi-siècle, je fuis le sentiment, et voilà qu’aujourd’hui je le trouve partout: dans le testament d’un neveu! dans la voix d’un notaire! dans les yeux de cette pauvre enfant!...
«Nom d’un cœur! C’est à repartir à l’instant pour quelque tribu de sauvages!»
Pendant cet aparté du baron de Nanjac, Maître Laportalière n’avait pas perdu son temps. Il avait, en très peu de paroles, mis sa fille au courant de la situation:
«C’est l’oncle de feu monsieur Régis de Nanjac, notre regretté bienfaiteur, lui avait-il dit. Aide-moi à tenir ma promesse.
–Oui, père,» avait répondu l’enfant.
Puis, étendant les deux mains en avant, comme font les malheureux frappés de cécité, elle avait couru au baron.
«Que me veux-tu, petite? lui demanda ce dernier, en s’efforçant d’adoucir sa voix.
–Vous parler de vos petits-neveux.»
Le baron fronça le sourcil. L’enfant continua:
«Vous supplier de les faire venir près de vous, à Nanjac.
–Tu voudrais donc les voir?» demanda encore le baron, sans trop songer à ce qu’il disait.
Régina secoua ses boucles épaisses; une larme brilla dans ses yeux éteints.
«Les voir! Non... je ne le pourrais pas, répondit-elle simplement. Je voudrais les aimer.»
Le baron se mordit les lèvres: il était furieux contre lui.
«Petite, reprit-il, t’ai-je fait de la peine? Je suis un vieux barbon, vois-tu, et je n’entends rien aux enfants; cependant, il ne sera pas dit que j’aurai rejeté ta première prière:
«Mes neveux viendront à Nanjac, puisque tu le désires, et non-seulement tu pourras les aimer à ton aise, mais encore, à moins qu’ils ne soient de vrais monstres, tu seras adorée par eux.
–Ils viendront à Nanjac! Oh! merci! s’écria la fillette, saisissant la main du baron, et, malgré lui, la portant à ses lèvres; ils y viendront! et vous, vous y resterez avec eux?
–Hum! hum! C’est beaucoup demander, petite,»
Et s’apercevant que l’enfant prenait un air tout affligé:
«Allons, allons, pas de sensiblerie, Régina, lui dit-il. Il faut être raisonnable, que diable! Je passerai quinze jours à Nanjac, juste le temps de te gâter un peu, de régler avec ton père mes affaires d’intérêt, et enfin d’installer chez moi ma nièce et mes petits-neveux.
«Après cela, quoi qu’il arrive, je repartirai pour quelque coin des Indes ou du Nouveau Monde: l’air et l’espace manquent ici!
–Quoi qu’il arrive! pensa la jeune aveugle dont le front s’assombrit davantage.
–Mon ami, ajouta le baron, s’adressant cette fois à Maître Laportalière, veuillez me donner ce qu’il faut pour écrire. Ma résolution étant maintenant prise, je dois, sans plus tarder, la faire connaître à ma nièce, la veuve de mon neveu Régis; je le dois d’autant mieux que je pars demain pour Bordeaux où m’appellent quelques affaires. Je prendrai le train du matin.»
«Père, dit Régina, lorsque vers onze heures le baron quitta le notaire, père, aie confiance, nous avons quinze jours devant nous!»