Читать книгу L'Oncle Boni - Mademoiselle de Martignat - Страница 6

Оглавление

CHAPITRE III
Le Chardonneret de Gabiche.

Table des matières

Selon l’ordre exprès de l’oncle Boni, Mme de Nanjac avait fait diligence: aussi la semaine n’était point écoulée que déjà tout était prêt pour son départ et pour celui de ses enfants.

Elle avait congédié ses nombreux domestiques. Grand-Jacques seul était resté.

Ce Grand-Jacques, ou plutôt ce long Jacques, que les enfants nommaient ainsi à cause de l’élévation de sa taille (il mesurait cinq pieds huit pouces), avait blanchi au service de M. de Nanjac, qui l’avait comblé de bienfaits.

Grand-Jacques était reconnaissant. Quitter sa chère maîtresse au moment où celle-ci perdait son opulence lui parut monstrueux.

«Je resterai, avait dit le vieillard, et si l’oncle de défunt mon bon maître refuse de donner à Grand-Jacques un petit coin dans son château, je m’établirai tout auprès, au village. De là, du moins encore, je verrai nos enfants.»

Brave cœur que ce Grand-Jacques!

Il eût donné bien volontiers ses économies, ses deux bras, sa vie même pour la famille de son maître.

Mme de Nanjac finit par accepter le dévouement de ce serviteur modèle, et le vieillard trouva sa récompense dans la joie que manifestèrent les enfants en apprenant que Grand-Jacques serait, lui aussi, du voyage.

Une dépêche de l’oncle Boni fixa le moment du départ.

«C’est fini! dit Gabiche à Lucette, l’oncle Boni ne nous répondra pas!»

Et les pauvres fillettes prirent bien tristement le chemin de la gare.

Jusqu’au dernier instant, elles avaient espéré, au prix de leur propre chagrin, épargner un chagrin à leur mère.

Du boulevard Malesherbes (où l’hôtel de Nanjac était situé) jusqu’à la gare d’Orléans, le trajet est de trois quarts d’heure environ.

Le premier quart d’heure fut consacré par les enfants aux larmes, le second aux consolations, le troisième aux projets; si bien qu’en arrivant au chemin de fer, tous ces jeunes fronts étaient sereins, tous ces jeunes yeux brillants, toutes ces jeunes bouches souriantes.

Seule, la douleur de Mme de Nanjac ne s’était pas calmée, et, sans l’assistance de Grand-Jacques, je ne sais trop si la pauvre femme eût pu se soutenir.

«C’est le train de Bordeaux! disait le petit Daniel en courant sur le quai de la gare. Montons dans ce compartiment; nous y serons très bien.

–Non pas, s’empressait de répondre Lucette: il est trop près de la locomotive.

–Alors ici, reprenait Daniel.

–Non, disait cette fois Gabiche: il y a déjà une dame, et nous tenons à être seuls.

–En voiture! messieurs, en voiture!» criait pendant ce temps le conducteur du train.

Grand-Jacques indiqua un wagon, y déposa les deux petites, aida Mme de Nanjac à monter, et resta auprès de la portière ouverte, tandis que Daniel, Lucie et Gabrielle (cette dernière tenant à la main la cage renfermant son oiseau), rejoignaient leur mère et leurs sœurs.

La famille de Nanjac était ainsi placée:

Madame de Nanjac, au fond, au coin de droite, ayant Daniel à sa gauche et France et Paule vis-à-vis; les jumelles, du même côté que les petites. En face d’elles, restaient deux places libres.

«Montez ici, dit Gabiche à Grand-Jacques. Avec vous, nous serons sept, et personne autre ne viendra.

–En voiture! messieurs et mesdames, en voiture!» répéta le conducteur du train.

Grand-Jacques hésita un instant: il attendait un ordre de sa maîtresse.

Gabiche devina la pensée de Grand-Jacques:

«Maman, fit-elle, s’adressant à sa mère, dites-lui de rester avec nous.»

Mme de Nanjac n’entendit pas sa fille, absorbée qu’elle était par ses propres pensées.

«En voiture! messieurs et mesdames, en voiture!» cria pour la dixième fois le conducteur du train.

Grand-Jacques s’inclina, ferma vivement la portière, et monta dans le compartiment de gauche.

«C’est contrariant, dit Gabiche à sa sœur. A sept, nous avions le droit de garder tout le compartiment pour nous. Grand-Jacques est ennuyeux avec ses mille cérémonies.»

Elle finissait à peine ces mots, qu’un employé rouvrait la portière du wagon.–

«Oui, monsieur, c’est bien pour Bordeaux, disait-il à un vieux monsieur qui, tout en s’excusant, avec beaucoup de politesse, du dérangement qu’il causait peut-être, prit une des places restées libres vis-à-vis de nos deux jumelles.

–Là! je l’avais bien dit! fit Gabiche avec un mouvement d’humeur. Ce Grand-Jacques est insupportable!

–Tu sais bien que du temps de papa, répondit Lucette à voix basse, il ne montait pas avec nous.

–Oh! du temps de papa, ma chère, c’était tout différent. D’abord, nous étions sept, et puis, nous pouvions prendre un compartiment réservé.

–Ah! oui, dit Daniel, qui, à l’entrée du voyageur, avait quitté sa mère pour se rapprocher des jumelles, papa, alors, tenait la bourse, et non pas notre oncle Boni.

«Vous savez.... je crois, moi, que notre oncle Boni est avare.

–Chut! Nielo, fit doucement Lucette. Maman nous a bien défendu de jamais nommer personne quand nous ne sommes pas entre nous.

–Boni n’est pas un nom, répliqua aussitôt Daniel. Si j’avais dit monsieur le baron Boniface de Nanjac, à la bonne heure; ton observation aurait le sens commun.»

Gabiche lui marcha sur le pied.

«Aïe! fit l’enfant, comprenant enfin sa sottise, tu es injuste, Gabrielle. C’est ma langue au lieu de mon pied qu’il aurait fallu écraser. Tiens, la voilà; je te la livre.»

Et Nielo tira une langue d’une aune.

Les jumelles éclatèrent de rire, les petites se mirent de la partie, et, pendant un instant, ce fut un tel tapage, que madame de Nanjac, brusquement tirée de sa rêverie, aperçut enfin l’étranger. Elle parut contrariée, mais n’en répondit pas moins avec une grâce touchante au salut très respectueux que lui fit l’inconnu.

France et Paule se rapprochèrent alors de leur mère, tandis que Daniel resta auprès des deux jumelles avec lesquelles il voulait babiller.

Il sembla bientôt à Gabiche que son vis-à-vis était fort curieux: il écoutait, fi donc! la conversation des enfants...

Elle se tut tout à coup et se mit à l’examiner.

C’était un homme de haute taille, de grand air et de fière mine, maigre, chauve, au teint basané, ayant une longue barbe blanche, des sourcils noirs, et portant des lunettes bleues.

En ce moment, la timide Lucette disait à son frère Nielo:

«Oh! j’ai peur de l’oncle Boni!

–Peur! se récriait le bambin. Peur! et pourquoi?

–Papa disait qu’il était bien sévère, et maman n’en parle qu’en tremblant.

–Bah! répliquait aussitôt Daniel, quand on s’appelle Boni, on doit être très bon, Lucette.

«D’ailleurs, moi, je suis sûr qu’il m’aimera beaucoup.

–Tu en es sûr?

–Oui. Papa assurait que je lui rappelais notre oncle, et nos parents, ma chère, .nous aiment plus encore quand nous leur ressemblons.

–Tu crois?

–Certainement. Maman a un faible pour toi: tu es blonde comme elle. Papa te préférait Gabiche qui est tout son portrait; et moi qui ressemble à notre oncle, je serai son bichon, son chéri.»

Et, là-dessus, l’enfant fit trois ou quatre cabrioles, et vint tomber entre les jambes du voyageur.

«Pardon, monsieur! dit-il en se relevant tout honteux; je vous ai fait mal, peut-être?

–Nullement, mon petit ami,» répondit l’étranger avec un bon et fin sourire.

Gabiche fit un «ah!» de surprise: il lui sembla que l’inconnu avait souri comme souriait son frère.

Mais le vieillard avait pris un journal; Daniel avait rejoint sa mère. Gabiche pensa à autre chose et s’occupa de son oiseau.

La première partie d’un voyage se passe en général, pour les enfants, d’une manière assez agréable. Ils s’intéressent à tout, ils remarquent des sites nouveaux, ils admirent le paysage; puis, ils lisent, ils jacassent et ils jouent. Toutefois, quand survient la fatigue, ils perdent leur joyeuse humeur, et deviennent nerveux.

Nos jeunes héros avaient subi la loi commune. Partis à8heures45minutes du matin, à2heures de l’après-midi, ils étaient fatigués du voyage.

Les petites se montraient maussades. Les jumelles ne causaient plus. Daniel était insupportable.

Il allait et venait de sa mère à ses sœurs, et faisait enrager Grand-Jacques.

Depuis Tours, Grand-Jacques était monté dans le compartiment où se trouvait la famille de Nanjac.

L’étranger qui, auparavant, occupait la septième place, avait compris, sans doute, qu’il était indiscret, et avait changé de wagon.

A3heures46minutes, l’express atteignit A..

L'Oncle Boni

Подняться наверх