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CHAPITRE II
Deux Lettres.
ОглавлениеLe lendemain du jour où, dans le cabinet de Maître Laportalière, notaire à T..., avait été lu le testament de M. Régis de Nanjac, sa veuve une femme de vingt-huit à trente ans, d’une beauté aristocratique, se trouvait dans son élégante chambre du boulevard Malesherbes.
Il était neuf heures du matin. Un enfant entra brusquement.
«Maman, maman, cria-t-il, voici un gros paquet de lettres. Voyez, elles sont toutes pour vous. Que vous êtes heureuse! il y en a beaucoup aujourd’hui.»
Et il jeta sur une table la demi-douzaine de lettres qu’il tenait dans ses mains; après quoi, courant à sa mère, il l’embrassa de tout son cœur.
Mme de Nanjac, occupée à vérifier quelques comptes de ménage, releva aussitôt la tête, et, fixant sur son fils un regard qu’elle s’efforçait, en vain, de rendre bien sévère:
«Daniel, lui dit-elle, vous me peinez beaucoup, en commençant votre journée par une désobéissance.
–Maman.... «voulut objecter l’enfant.
Mme de Nanjac lui imposa silence, et continua ainsi:
«Ne vous avais-je pas défendu de descendre à l’office pour y attendre l’arrivée du facteur? Ce soin regarde Jacques, et non vous, mon enfant, et Jacques sera réprimandé pour avoir négligé son service.
–Oh! maman! s’écria Daniel, ne grondez pas Grand-Jacques: il n’était point à l’office, il ne m’a pas vu prendre les lettres.
–Où était-il?»
L’enfant rougit, et ne répondit pas.
«Où était-il? redemanda sa mère.
–Je l’avais envoyé chez mes sœurs.
–Pourquoi?
Daniel cacha sa tète brune sur l’épaule de sa mère, et répondit à demi-voix:
«Maman, ne le devinez-vous pas?
–Oui, je le devine, Daniel, reprit Mme de Nanjac, et j’en suis mécontente et chagrine. Vous avez trompé Jacques, afin d’être seul à l’office, et de pouvoir, seul aussi, recevoir le courrier.
–Oh! maman, quel mal y a-t-il à cela?
–Il y a d’abord un mensonge: vos sœurs ne demandaient pas Jacques. Il y a ensuite une désobéissance: à cette heure-ci, vous deviez, non courir et de droite et de gauche dans toute la maison, mais faire vos devoirs.
«Vous ne sortirez pas aujourd’hui avec moi, Daniel; ce sera votre punition.»
Daniel se mit à pleurer.
«Depuis que papa n’y est plus, vous devenez bien sévère pour votre petit Nielo, gémit-il. On dirait que vous ne l’aimez plus.
–Méchant enfant! peux-tu parler ainsi! s’écria Mme de Nanjac, les yeux remplis de larmes.
–Vous me grondez chaque jour, insista le petit garçon.
–C’est que mon Nielo a dix ans maintenant, répondit la trop faible mère, en le baisant au front; c’est qu’il est temps pour lui d’être très raisonnable; c’est enfin que, bientôt peut-être, il faudra me séparer de lui, et alors....
–Moi, vous quitter! répliqua Daniel, oh! jamais, ma bonne petite maman. Dites-moi que non, je vous en prie.
–Hélas! mon pauvre enfant, je ne puis te tromper; je crains bien que l’oncle Boni.... »
Et, pâlissant soudain, Mme de Nanjac s’empara du paquet de lettres qui étaient restées sur la table, les examina vivement, en prit une au milieu des autres:
«La voilà! murmura-t-elle, pâlissant plus encore; Maître Laportalière me l’a annoncée hier. Je vais connaître la destinée de mes enfants! O mon Dieu! donnez-moi du courage.»
Puis, elle l’ouvrit en tremblant, et lut:
«Ma chère nièce,
«Le testament de feu mon neveu Régis, dont je viens, à l’instant, de prendre connaissance, m’impose deux obligations:
«Liquider votre situation financière, et assurer votre avenir et celui de vos enfants.
«Tranquillisez-vous, je ferai l’un et l’autre.
«En retour, voici ce que j’exige de vous, ma nièce:
«Au reçu de cette missive, vous vous occuperez sans tarder de vos préparatifs de départ et de ceux de vos enfants. Ils devront durer tout au plus une semaine. Une fois ce délai expiré, vous quitterez Paris, et viendrez me rejoindre en mon château de Nanjac, où vous; habiterez désormais.
«N’amenez aucun de vos gens: les miens suffiront à votre service.
«Vous et vos enfants partis, et vos domestiques congédiés, M. Richebourg, mon homme d’affaires à Paris, prendra vos intérêts. Il vendra votre hôtel, votre mobilier, vos chevaux, vos diamants.... Il le faut pour payer vos dettes.
«Si l’argent provenant de ces ventes ne suffit pas, je fournirai le reste, et, au besoin, j’aliénerai mes terres, ne voulant pas que mon nom, le nom de feu votre mari, le nom de vos enfants, soit entaché d’aucune manière.
«Remerciez Dieu, ma nièce, du secours que, par mes mains, il vous accorde, et songez qu’en échange des sacrifices que je suis prêt à m’imposer pour vos enfants j’ai droit à votre complète obéissance et’soumission
«Votre oncle,
«Baron Boniface DE NANJAC.»
Depuis dix minutes déjà qu’elle avait terminé la lecture de cette lettre, Mme de Nanjac pleurait en silence.
«Rien! rien! murmura-t-elle enfin, pas un mot de consolation pour moi, pas une bonne parole! Sera-t-il aussi dur pour l’infortunée veuve que pour l’épouse heureuse et enviée?
«Oh! ajouta-t-elle bientôt, qu’importent mes souffrances, si mes enfants ne souffrent pas!»
Cette pensée lui rendit son courage.
Alors, se levant, elle chercha Daniel. Ne l’apercevant plus, elle sonna Grand-Jacques, lui donna quelques ordres, et, après avoir pris connaissance des autres lettres laissées par elle sur la table, elle commença, sans perdre un instant, ses préparatifs de départ.
Ne devait-elle pas désormais à son oncle obéissance et soumission!
Penché sur l’épaule de sa mère, Daniel avait lu, lui aussi (et sans que celle-ci s’en doutât), la missive de l’oncle Boni.
Il l’avait lue à sa manière, sautant tous les passages qu’il ne comprenait pas très bien, et, en réalité, n’y voyant qu’une chose, leur très prochain départ.
«Tiens! tiens! se dit-il, nous allons chez l’oncle Boni!... Si je l’apprenais à mes grandes sœurs?»
Et, sortant sans bruit de la chambre de sa mère, il courut à leur appartement.
«Hé! les jumelles, cria-t-il en entrant, je vous apporte une nouvelle.
–Quelle nouvelle? demandèrent les deux sœurs, interrompant aussitôt leur étude.
–C’est encore un secret. Vous ne me vendrez pas, au moins?
–Non. Dis vile ton fameux secret.
–Vous y tenez beaucoup?
–Mais oui.
–En ce cas, je fais mes conditions: mon bouvreuil est mort cette nuit, cédez-moi votre chardonneret.
–En échange de ta nouvelle?
–Oui.
–Je veux bien, si Gabiche le veut, hasarda timidement Lu cette.
–Et moi, je ne veux pas, déclara vivement sa sœur. Je tiens à mon oiseau.»
Lucette et Gabiche, ou plutôt Lucie et Gabrielle, les sœurs ainées de Daniel, étaient de charmantes fillettes d’un peu plus de douze ans.
Contrairement à ce qui arrive d’ordinaire, ces deux jumelles (car Lucette et Gabiche étaient jumelles, Daniel nous l’a déjà appris) offraient entre elles le contraste le plus frappant:
La chevelure de Lucette était d’un blond doré, ses yeux bleu pâle, son teint éclatant de blancheur et sa bouche mignonne.
Gabiche était une franche brunette au regard vif, aux cheveux légèrement crépus, au teint de pêche, à la bouche moqueuse.
Tout en elle respirait la force et la santé, nous pourrions ajouter la malice.
Au moral, même dissemblance:
Lucette était douce et timide, parfois réfléchie et souvent indécise. Gabiche, légère et emportée, suivait toujours l’impulsion du moment.
Lucette se plaisait à obéir. Gabiche préférait commander.
Et si Gabiche gouvernait Lucette, Lucette se laissait volontiers gouverner par Gabiche.
Malgré ces contrastes et ces dissemblances, ou peut-être en raison de cela, les deux sœurs s’aimaient tendrement.
Gabiche avait dit à son frère: «Je tiens à mon oiseau.
–Et moi aussi, je tiens à mon oiseau, répéta bien vite Lucette.
–Alors, tant pis pour vous! s’écria Daniel. Gardez votre chardonneret; je garde ma nouvelle.»
Et le jeune garçon fit mine de s’éloigner.
Par trois fois, il ouvrit la porte; par trois fois aussi, il la referma. Son secret lui brûlait les lèvres, et, plutôt que de ne pas le dire, il eût été capable, comme le barbier du roi Midas, de le confier à des roseaux.
Toutefois, et pour l’honneur du sexe fort, il ne voulait pas, de lui-même, revenir sur la condition qu’il avait imposée à ses sœurs.
Quelle honte!C’eût été céder à des filles!
Il valait mieux se faire prier.
Il s’approcha des deux jumelles, qui s’étaient remises au travail, et commença alors mille taquineries, fermant leurs livres, leur arrachant leurs plumes, leur cachant leurs crayons leurs règles, leur papier.
«Laisse-nous, Daniel, dit mollement Lucette, tandis que Gabiche criait:
–Finiras-tu, Nielo l’insupportable! C’est demain notre cours, et nous sommes en retard pour tout.
–Oh! repartit finement Daniel, voilà qui vous serait égal, si vous connaissiez ma nouvelle!
«Demain, pas de cours, très probablement; grand congé, remue-ménage, malles, paquets, etc.»
Lucette regarda son frère:
«En quel honneur? demanda-t-elle.
–Ah! voilà... »
Gabiche frappa du pied avec impatience.
«Oh! l’ennuyeux garçon! dit-elle. Allons, Nielo, parle ou va-t’en.»
Parler, c’était ce que désirait Daniel. Il s’empressa de s’écrier:
«Nous partons tous dans une semaine.
–Nous partons! redit après lui Lucette.
–La bonne farce! fit observer Gabiche.
–Non pas, non pas, répliqua Daniel. L’oncle Boni a écrit à maman de venir.
–Qui te l’a dit?
–J’ai lu sa lettre.
–Vrai?
–Vrai.»
Les deux jumelles hochèrent la tête; ni l’une ni l’autre ne paraissaient très convaincues.
«C’est pourtant vrai, insista Daniel; ma parole d’honneur, c’est bien vrai.»
Gabiche et Lucette rejetèrent loin d’elles leurs cahiers et leurs livres. Elles ne doutaient plus maintenant.
Alors, ce furent des exclamations de surprise, des trépignements de bonheur: l’enfance aime le changement.
Daniel fut caressé, embrassé et choyé pour cette excellente nouvelle.
Mais aussi, quelle agréable perspective! Plus de cours... plus de travail... un voyage très long... et après..., après une vie en plein air... des parties de campagne..., etc., etc.
Gabiche surtout ne se possédait plus de joie. Elle disait: «Mon bon petit Nielo», par ci; «mon gentil Nielo», par là, puis, allant à Lucette, la prenait par la taille, et dansait avec elle.
Très fier de ses succès, Nielo, cependant, ne perdait pas la tête. Il voulait le chardonneret de ses sœurs pour prix de sa nouvelle, et le redemanda.
Gabiche lui rit au nez, et refusa tout net.
«Nous ne te devons rien, fit-elle. Tu n’avais qu’à garder ta nouvelle.»
Daniel, furieux, se fâcha.
Gabiche rit plus fort. Daniel se fâcha plus encore.
«Je le tuerai! s’écria-t-il; oui, je tuerai ton oiseau.»
Gabiche saisit son frère par le bras, et le regardant bien en face:
«Si tu le tues, Nielo, dit-elle, gare à toi!»
La porte s’ouvrit en ce moment, et donna cette fois passage à deux petites filles, dont la cadette avait cinq ans à peine, et l’aînée, sept ans, tout au plus.
L’aînée se nommait France, et la cadette Paule.
Daniel oublia sa querelle pour courir à ses petites sœurs.
«Que nous voulez-vous, les petites? dit-il.
–Maman vous demande tous, répondirent les deux enfants.
–Où est-elle?
–Dans le petit salon.
–En avant! cria Daniel; j’ouvre la marche avec les petites. Venez-vous, les jumelles?
–Allez toujours, méchant garçon, nous vous suivrons, si bon nous semble,» répondit Gabiche en colère.
Daniel lui fit un pied de nez, et sortit en courant, avec France et Paule.
«Gabiche, proposa Lucette à sa sœur, si nous lui cédions notre oiseau. Il nous reste cinq francs: nous en achèterions un autre.
–Non,» dit Gabiche.
Lucette n’osa pas insister.
Peu d’instants après, les jumelles entraient dans le petit salon, où Daniel, France et Paule, les avaient précédées.
«Chers enfants, commença Mme de Nanjac, lorsque son fils et ses filles furent groupés autour d’elle, j’ai aujourd’hui deux graves nouvelles à vous apprendre.
–Deux nouvelles! s’écria étourdiment Daniel, je croyais bien qu’il n’y en avait qu’une!
–Que veux-tu dire, Daniel? lui demanda sa mère.
–Rien, maman, absolument rien, répondit le jeune garçon tout rougissant de sa sottise.
–Ah! le nigaud!» murmura Gabrielle.
Trop absorbée par son chagrin pour remarquer l’embarras de son fils, Mme de Nanjac reprit fort tristement:
«L’oncle Boni m’a écrit ce matin.
–L’oncle Boni de papa! s’écria la petite Paule.
–Oui, mon enfant, l’oncle Boni de votre cher papa; le vôtre aussi.
–Oh! dit France, je ne l’aime pas du tout: il a fait de la peine à papa.
–C’est un vilain méchant! «ajouta la petite Paule.
Mme de Nanjac posa ses belles mains blanches sur les lèvres roses des petites:
«Chut! mes chéries, dit-elle. Ne parlez pas ainsi. Vous aimerez l’oncle Boni. Je le veux, et, par ma voix, votre cher papa vous l’ordonne.
–Nous l’aimerons bien, maman,» firent les deux sœurs à la fois.
Mme de Nanjac les embrassa, et se tournant vers ses aînés:
«Et vous, mes enfants, demanda-t-elle, l’aimerez-vous aussi?
–Je l’aime déjà! s’écria Daniel, rien que parce qu’il nous appelle à Nanjac, où je suis si content d’aller.»
Sa mère le regarda toute surprise.
«Comment avez-vous pu savoir, Nielo? demanda-t-elle.
–Ah! maman, avoua l’enfant très confus, ne me grondez pas, et je vais tout vous dire: j’ai lu la lettre de l’oncle Boni.
–Encore!» fit Mme de Nanjac d’une voix si chagrine, d’un accent si peiné, que le jeune garçon (un peu trop coutumier du fait), se jetant à son cou, promit que jamais, oh! non plus jamais, il ne lirait ni les lettres de sa mère, ni même les lettres de ses sœurs.
Et, comme toujours, Daniel était sincère. A sa louange, ajoutons que, cette fois, il tint sa promesse.
Les enfants accueillirent différemment la révélation de la ruine de leur mère et de leur propre ruine à eux. (C’était là la seconde nouvelle!)
France et Paule, en apprenant que les diamants de leur chère maman allaient être vendus, offrirent de faire vendre, à leur place, leur plus belle poupée; aprèsquoi, ellesreprirentleurs jeux.
Daniel dit que, lorsqu’il serait grand, il rachèterait à sa mère un superbe hôtel et beaucoup de chevaux; puis.... fit des plans pour l’avenir.
Lucette pleura tout bas, en songeant au chagrin de sa mère.
Et Gabiche, après s’être violemment emportée contre ce qu’elle appelait «la dureté de l’oncle Boni», se calma tout à coup et regagna sa chambre, entraînant Lucette après elle.
«Ne pleure pas, ma Lucette chérie, dit-elle alors à sa jumelle. Nous allons écrire à l’oncle Boni.
–Pourquoi faire? lui demanda sa sœur.
–Pour le supplier de ne rien vendre ici.
––Tu tiens donc beaucoup à cet hôtel?
–Moi? pas du tout. Pourvu que je sois avec toi, je vivrais n’importe où. C’est pour maman.
–Et tu crois que l’oncle Boni.
–Je ne crois pas; j’espère.
«Allons, Lucette, continua Gabrielle, ton écriture vaut quinze fois la mienne; prends du joli papier et ta meilleure plume; tu vas écrire, moi, je vais te dicter.»
La fillette obéit à sa sœur.
Gabiche dicta donc, et Lucette écrivit:
«Cher oncle Boni,
«Nous ne vous avons jamais vu; mais notre pauvre papa nous parlait souvent de vous. Il nous disait que, bien que très sévère, l’oncle Boni était la bonté même.
«Papa se serait-il trompé?... Non, non, cela ne se peut pas, et, malgré votre lettre si froide, qui nous a fait beaucoup de peine, nouspensons que vous serez bon pour nous tous, surtout pour maman.
«Oh! nous vous en supplions, mon cher oncle, laissez-lui son hôtel, ses bijoux, ses chevaux... Depuis la mort de papa, elle a tant de chagrin! Voulez-vous qu’elle en ait plus encore?
«On assure que vous êtes très riche: ne pourriez-vous pas acheter vous-même tout ce qui doit être vendu, et permettre à maman de demeurer dans votre hôtel?... de se servir de vos chevaux?...
«Si vous faisiez cela, comme nous vous aimerions!
«Maman ne se plaint pas; mais elle pleure souvent. Elle est si triste maintenant notre jolie maman! Puis, elle déteste la campagne, et peut-être s’ennuiera-t-elle beaucoup dans votre vieux château que l’on dit si sombre et si froid?
«Laissez-la à Paris, mon cher oncle, et si vous voulez absolument n’être plus seul désormais, prenez-nous toutes deux avec vous.
«Lucette veut ce que je veux, et moi, je ne demande pas mieux, pour rendre maman heureuse, que de passer ma vie entière à Nanjac.
«Maman ne se doute pas que nous vous écrivons, mon cher oncle. Si elle le savait, elle nous gronderait; c’est pourquoi nous vous prions de vouloir bien adresser votre réponse, non à nous (maman lit nos lettres avant nous), mais à Grand-Jacques, notre vieux domestique.
«Nous serons pour vous, cher oncle Boni, des petites-nièces très reconnaissantes et tout à fait soumises.
«Les jumelles,
«GABICHE et LUCETTE. »
Cette lettre, que Grand-Jacques se chargea de mettre à la poste, partit le jour même de Paris, et arriva le lendemain, vers six heures du soir, au château de Nanjac.
Le baron était encore à Bordeaux. C’est là que, par les soins de son valet de chambre, qui, depuis treize longues années, attendait au château le retour de son maître, elle lui fut aussitôt retournée.
Il la reçut au moment même où il allait quitter l’hôtel pour prendre le train de T..., et de T..., se rendre à Nanjac.
«Nom d’un cœur! s’écria-t-il, dès qu’il en eut pris connaissance, voilà qui, de nouveau, renverse tous mes plans.
«A coup sûr, ces jumelles, comme elles se plaisent à se nommer, sont de bien excellentes petites filles: elles demandent à se dévouer pour le bon plaisir de leur mère! Mais leur mère... leur mère doit être une enragée coquette! une mondaine! une écervelée! Autrement, comment tiendrait-elle tant à ses chevaux, à son hôtel, à son Paris?...
«Dans ce cas, mon devoir est d’éloigner ses filles d’elle, et de les mettre au couvent.
«En arrivant à T..., je consulterai le notaire.»
Alors, sonnant à tour de bras, le baron demanda une voiture, et se lit conduire à la gare.
«Boni, Boni, murmurait-il, tandis qu’il traversait les rues silencieuses de Bordeaux, tu n’es qu’un parfait imbécile!
«A quoi te sert jusqu’ici d’être resté garçon, si tu prends maintenant l’accablant souci d’une famille... d’une famille qu’on t’a leguée par testament!... »
Quel conseil le baron de Nanjac reçut-il chez le notaire? Je l’ignore; mais ce que je sais bien, c’est que, après avoir conféré longuement avec son nouvel ami, il disait en se frottant les mains:
«Nom d’un cœur! ce plan est merveilleux; de plus, il est original. Décidément, Laportalière est un homme de sens, et Régina, sa fille, un ange ou une fée. »
Quant à Gabiche et à Lucette, elles attendirent en vain une réponse. L’oncle Boni ne leur en donna pas.