Читать книгу L'Oncle Boni - Mademoiselle de Martignat - Страница 7

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Là, on eut cinq minutes d’arrêt.

Debout, tout près de la portière, les enfants regardaient les nombreux voyageurs parcourant le quai de la gare.

Gabiche avait suspendu sa cage à l’une des mailles du filet; l’oiseau chantait son plus bel air, et Daniel, tout en prenant part à la conversation de ses sœurs, lui lançait, de temps à autre, un coup d’œil d’envie.

Les cinq minutes étant passées, l’employé referma les portières, et le train lentement s’ébranla.

En ce moment, Gabiche poussa un cri, se pencha en avant, enleva le crochet retenant la portière, et se précipita hors du wagon, répétant:

«Mon oiseau! mon oiseau!»

Tout aussitôt, le train se mit en marche, et, lancé à toute vapeur, ne permit plus bientôt de distinguer la fillette poursuivant son chardonneret.

Dans le compartiment qu’elle venait de quitter, ce fut une émotion indescriptible.

Mme de Nanjac s’était évanouie, Grand-Jacques avait perdu la tête, Lucette sanglotait, appelant sa jumelle, les petites jetaient des cris perçants, Daniel, à genoux, et les yeux pleins de larmes, s’accusait tout haut de sa faute et demandait pardon.

Voici ce qui s’était passé:

Depuis plus de huit jours. Nielo (nous l’avons vu) convoitait le chardonneret de ses sœurs, et songeait à se l’approprier. C’était bien difficile, car Gabiche faisait bonne garde auprès de son oiseau chéri.

Un seul instant, la surveillance de la fillette se trouva en défaut: ce fut durant l’arrêt du train à A....

Le rusé Daniel voulut en profiter.

Il grimpa sur la banquette, comme pour examiner l’oiseau, tendit la main, puis, devant le larcin qu’il était tout prêt à commettre, demeura hésitant, inquiet.

Le chardonneret faisait entendre alors sa plus jolie roulade.

La tentation était trop forte. Nielo devait y succomber.

Il entr’ouvrit la porte de la cage, et parvint à saisir l’oiseau.

O malheur! Le gentil prisonnier, après avoir lutté pendant une demi-seconde, lui échappa, et prit son vol.

Gabiche l’aperçut fuyant à tire-d’ailes, et, sans réflexion, sans prudence, se mit à courir après lui.

Elle fut bientôt arrêtée dans sa course par un employé réclamant son billet.

«Mon billet!» répéta Gabrielle interdite.

Et, regardant autour d’elle, elle se vit toute seule.

L’express était déjà bien loin.

Seule!.... La fillette se trompait: un vieux monsieur accourait vers elle.

C’était ce même monsieur qui, pendant quelques heures, avait occupé dans le wagon la septième place qu’occupait maintenant Grand-Jacques.

Dès que Gabrielle le vit:

«Monsieur! monsieur! s’écria-t-elle, le reconnaissant aussitôt, aidez-moi à rejoindre maman. Lucette, mes petites sœurs et Grand-Jacques.

–Et votre jeune frère aussi? demanda l’inconnu.

–Non, répondit l’enfant, dont la voix tremblait de colère. Nielo est un méchant! Je le déteste: c’est lui qui a laissé échapper mon oiseau!»

Et Gabiche, fondant en larmes, raconta son double malheur:

Son chardonneret était perdu pour elle, comme elle était perdue pour sa mère et ses sœurs.

«Pauvre maman! surtout pauvre Lucette! ajouta tristement la fillette, elle doit avoir tant de chagrin!

«Nous nous aimons beaucoup, monsieur, car nous sommes jumelles.»

Puis, changeant brusquement de sujet, Gabiche songea alors à demander au voyageur comment il se faisait qu’il se trouvât là.

«Je croyais, monsieur, lui dit-elle, que vous alliez jusqu’à Bordeaux?

–Je vais plus loin encore, affirma le vieillard.

–Ah! et vous vous arrêtez à A... ?»

Cette fois, le voyageur ne lui répondit pas.

S’il avait répondu, la fillette eût appris une chose qui l’eût très fort surprise: le dévouement de son nouvel ami.

En effet, cet homme, cet inconnu, entendant le cri de Gabiche, voyant l’enfant descendre du wagon voisin, s’était, lui aussi, penché à la portière, l’avait ouverte prestement, et, bien que le train commençât à se mettre en marche, au risque de se rompre les os, s’était élancé à sa suite.

A quel mobile avait-il obéi, en accomplissant cet acte de courage et de témérité?

Céda-t-il à un mouvement subit de sympathie et de tendresse pour une enfant qu’il n’avait qu’entrevue? Eut-il pour en agir ainsi un grave et tout-puissant motif? Fut-il poussé tout simplement par un sentiment généreux?

Quoi qu’il en fût, et grâce à son extrême adresse, il était retombé sur ses pieds.

Ce vieux monsieur, sans aucun doute, n’aimait pas les remerciements, car il ne souffla mot à la fillette de ce qu’il avait fait pour elle.

Elle, Gabiche, elle était déjà à moitié consolée. Ce voyageur lui plaisait. Il l’attirait, il la fascinait presque. D’ailleurs, n’avait-il pas promis de la rendre à sa chère Lucette!

«Menez-moi,» lui avait-elle dit.

Puis, elle avait placé sa petite main brune dans la main de son compagnon.

Très touché de cette confiance que lui témoignait la fillette, celui-ci avait aussitôt répondu:

«Venez, ma chère enfant.»

Et il l’avait conduite chez le chef de gare de A...

Le chef de gare de A..., un homme affable et bienveillant, écouta tout d’abord le récit que lui fit Gabiche. Il lui demanda ensuite quelques explications, s’enquit des nom et prénom de l’enfant et du nom de sa mère; puis, après s’être entretenu quelques instants, et à voix basse, avec le voyageur, il décida qu’il allait envoyer un télégramme à son collègue de Coutras.

Coutras était la première station où le train renfermant la famille de Nanjac dût s’arrêter.

La dépêche du chef de gare de A... était ainsi conçue:

«A l’arrivée de l’express à Coutras, rassurez Mme de Nanjac (voyageant avec quatre enfants et un domestique) sur sa fille Gabrielle. L’enfant sera conduite à Bordeaux, et sous ma responsabilité, par train suivant. Arrivera à Bordeaux Saint-Jean à Il heures10, soir. Aucune inquiétude à avoir.

«Chef de gare de A... »

Ce télégramme fut communiqué à Gabiche. Elle le lut attentivement, et alors sa physionomie mobile exprima une légère inquiétude.

«Qui me conduira? demanda-t-elle.

–Moi,» répondit le voyageur.

L’enfant était rassérénée.

«Vous êtes bon, merci! monsieur,» dit-elle.

Et, soulignant de son index quelques mots de la dépêche:

«Que veut dire cela: «Sous ma responsabilité»? demanda-t-elle au chef de gare.

Le chef de gare sourit.

«Ces mots n’ont d’autre but, expliqua-t-il, que de tranquilliser madame votre mère sur votre sort, mademoiselle.

«Madame votre mère ne connaît pas Monsieur, ajouta-t-il en désignant le voyageur, mais, moi qui le connais, je me fais de grand cœur sa caution auprès d’elle.»

La dépêche une fois partie, Gabiche retrouva son enjouement et sa gaieté,

En attendant le prochain train, elle passa son temps d’une manière agréable, tant chez le chef de gare de A..., qui l’avait prise en amitié, qu’avec son compagnon, au bras duquel elle parcourut la ville.

En moins de quelques heures, le vieillard eut gagné son entière confiance.

Elle lui raconta l’histoire de sa famille, la mort de son père, le désespoir de sa mère, l’affection profonde qu’elle avait pour Lucette, les sottises de son frère Daniel, les gentillesses des petites, etc., etc. Elle lui parla surtout de son oncle Boni.

«Lucette et moi, nous lui avons écrit, dit-elle. Maman avait tant de chagrin de quitter notre hôtel du boulevard Malesherbes!

«Croiriez-vous, monsieur, qu’il ne nous a pas répondu? Qu’auriez-vous fait à sa place, dites? Vous auriez consenti, j’en suis sûre, à laisser maman à Paris, et vous vous seriez contenté de la société des jumelles. D’ailleurs, l’oncle Boni n’eût pas été bien malheureux: Lucette et moi, nous l’aurions tant aimé! Il ne l’a pas voulu; ma foi, tant pis pour lui! Pourrons-nous l’aimer maintenant? Hum! je ne sais pas trop. Il fait du chagrin à maman... maman qui est si bonne! et si douce! et si jolie! et.... enfin, elle a toutes les qualités.

«Papa disait toujours qu’elle n’avait qu’un défaut: c’était de préférer la ville à la campagne. Il disait cela pour rire, n’est-ce pas? car se déplaire à la campagne n’a jamais été un défaut.

«Qu’en pensez-vous, monsieur?

–Je pense là-dessus ce qu’en pensait votre père, répondit l’inconnu.

–Ah! vous aussi! C’est étonnant. Quand vous verrez maman, ne le lui dites pas: vous lui feriez de la peine.»

L’heure du départ interrompit ces confidences.

Gabiche, alors, prit congé du chef de gare de A..., lui promit de ne pas oublier ses bontés, et, toujours suivie de son guide, monta dans le train qui devait la conduire à Bordeaux.

Il était7heures51minutes du soir.

La fillette était lasse et tombait de fatigue; elle s’endormit profondément.

Son sommeil très calme fut peuplé d’heureux rêves: elle se voyait à Nanjac, choyée par son oncle Boni.

Chose étrange! l’oncle Boni avait les traits du voyageur qui la ramenait à sa mère. Il était aussi bon que lui. Il lui avait donné une jolie volière renfermant cinquante beaux oiseaux.

A11heures10minutes, le train entrait en gare, et Gabiche dormait toujours.

«Bordeaux Saint-Jean! cria un employé.

–Bordeaux Saint-Jean!» redit le guide de Gabiche, en l’éveillant bien doucement.

Gabiche se frotta les yeux.

–Bordeaux Saint-Jean!» répéta-t-elle.

Puis, elle poussa un cri de joie, s’élança du wagon, et se jeta au cou de sa jumelle qui accourait au-devant d’elle.

«Gabiche! Lucette!» dirent à la fois les deux enfants.

Et elles se regardaient, s’embrassaient, se regardaient encore.

Gabiche passa ensuite dans les bras de sa mère qui la couvrit de ses baisers.

«Chère maman, lui dit la fillette en l’entraînant vers l’inconnu, remerciez Monsieur: il a été si bon pour moi à A...»

Le vieillard fit un pas en avant, et, s’inclinant devant la jeune veuve, assura qu’il avait été très heureux de servir de mentor et de guide à une aussi charmante fillette que l’était Mlle Gabiche.

Mme de Nanjac lui exprima alors toute sa reconnaissance. Elle le fit en termes si touchants, d’un accent si ému, qu’ému lui-même le voyageur simula une quinte de toux.

Quant à Lucette, elle embrassa de tout son cœur le protecteur de sa jumelle, lui affirmant qu’elle l’aimerait toujours.

Un cinquième personnage assistait en silence à cette scène de famille. C’était notre ami Daniel.

Le pauvre enfant se faisait tout petit; il se tenait obstinément à l’ombre, et Gabiche ne l’avait pas vu.

Elle l’aperçut enfin, rouge, confus, les yeux gonflés de larmes.

«Ah! mon Nielo, s’écria-t-elle en courant aussitôt à lui, que je suis aise de te revoir!

–Bien, très bien, mon enfant, fit une voix tout près de son oreille. (C’était la voix du voyageur.)

–Oh! monsieur, dit Gabiche rougissant à son tour, je l’aime bien, allez, quoi que j’aie pu vous dire.

«Et mes petites sœurs? demanda-t-elle bientôt, s’adressant à sa mère.

–Elles sont restées à l’hôtel, sous la garde de Jacques, répondit Mme de Nanjac.

–Allons les retrouver, maman, voulez-vous? proposa la fillette.

–Volontiers, mon enfant.»

Le voyageur fit ses adieux. Malgré les prières de Mme de Nanjac, malgré les supplications de Nielo et des jumelles, il ne voulut pas consentir à passer quelques heures à Bordeaux.

«Une affaire pressante l’appelait, disait-il, à T...»

Mme de Nanj ac n’osa point insister. Elle tendit la main à cet ami si dévoué, bien qu’il fût un ami d’un jour, et lui exprima son désir de le revoir au plus tôt chez son oncle.

Le voyageur promit que, ses affaires terminées, il aurait l’honneur de se présenter au château de Nanjac.

Les enfants–surtout Gabrielle–accueillirent cette promesse par des transports de joie, et l’inconnu reprit le train de11heures35minutes devant le conduire à T....

Quant à Mme de Nanjac, elle ne tarda pas à rejoindre en voiture, avec ses enfants, l’hôtel de la Paix, où l’attendaient les petites et Grand-Jacques.

Le lendemain, et après un repos nécessaire, nos héros reprirent la route de Nanjac.

Ils y arrivèrent, cette fois, sans encombre et sans accident.


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