Читать книгу Mémorial du bienheureux Pierre Lefèvre, premier compagnon de S. Ignace de Loyola - Marcel Bouix - Страница 4

AVANT-PROPOS

Оглавление

Table des matières

Exposé sommaire des principaux événements de la vie du Bienheureux et des faveurs spirituelles qu’il a reçues depuis sa naissance, en 1506, jusqu’à la trente-sixième année de son âge.

O mon âme, bénis le Seigneur, et n’oublie pas tous les bienfaits que tu as reçus de lui: il rachète ta vie des mains de la mort; il te couronne de ses miséricordes et de sa clémence; il te remplit de saints désirs après qu’il t’a pardonné toutes tes iniquités et qu’il continue de te les pardonner chaque jour; enfin il guérit toutes tes infirmités, te donnant une ferme espérance que ta jeunesse sera renouvelée comme celle de l’aigle.

Confesse toujours, ô mon âme, et garde-toi de jamais oublier les nombreux bienfaits que Notre-Seigneur Jésus-Christ t’a accordés et qu’il t’accorde encore à tous les moments par l’intercession de sa Mère bénie, notre Souveraine, de tous les saints et de toutes les saintes, ainsi que de tous ceux qui prient pour toi dans l’Église catholique.

Adore, ô mon âme, le Père céleste, l’honorant toujours, le servant de toutes tes forces, de toute ta sagesse et de toute ta volonté ; reconnais cet amour digne d’être à jamais béni, avec lequel il te soutient et te corrobore. Adore ton Rédempteur Jésus-Christ, notre divin Maître, qui, étant la voie, la vérité et la vie, par sa seule grâce t’enseigne et t’illumine. Adore la personne de ton glorificateur le Saint-Esprit, notre Paraclet, qui, par sa bénigne communication, dispose et règle ton corps, toutes tes facultés, et ton esprit, afin qu’il soit pur, droit et bon en toutes choses.

En l’année 1542, dans l’octave de la fête du corps de Notre-Seigneur, je ressentis un notable désir de faire dans la suite ce que j’avais omis de faire jusque-là par pure négligence et paresse: je veux dire de noter, pour m’en souvenir, certaines lumières spirituelles qu’il plairait au Seigneur de me donner, soit pour mon avancement dans les voies de l’oraison et de la contemplation, soit pour me communiquer une plus grande intelligence de ses vérités.

Mais, avant de parler de ce qui suit l’époque que je viens d’indiquer, il m’a semblé bon de noter brièvement certains points de ma vie passée, depuis ma naissance jusqu’à ce jour, les exposant comme ils se présentent maintenant à ma mémoire, et disant les sentiments que je me rappelle avoir éprouvés à ces époques, soit d’actions de grâces, ou de contrition, ou de compassion, ou de quelque autre mouvement intérieur venant du Saint-Esprit ou de l’avertissement de mon bon ange.

Le premier bienfait que j’ai remarqué avec action de grâces est l’insigne miséricorde par laquelle il plut à Notre-Seigneur, en l’année 1506, durant les fêtes de Pâques, de m’introduire dans ce monde, de m’accorder la grâce du saint baptême, et de me faire élever par des parents vertueux, catholiques et d’une sincère piété. Ils étaient cultivateurs; ils possédaient assez de biens temporels pour fournir aux frais nécessaires de mon éducation et m’aider ainsi à atteindre la fin pour laquelle j’ai été créé, je veux dire le salut de mon âme. Ils mirent un tel soin à m’élever dans la crainte du Seigneur, que, n’étant encore que petit enfant, j’avais conscience de mes actes; et ce qui est un signe d’une plus grande grâce prévenante de la part de Dieu, c’est que, vers l’âge de sept ans, je sentais de temps en temps des touches spéciales de dévotion; en sorte qu’à partir de cette époque le Seigneur se montra l’époux de mon âme et voulut la posséder à ce titre. Que ne m’a-t-il été donné de comprendre une telle faveur! Que n’ai-je su introduire cet époux dans mon âme, le suivre et ne jamais me séparer de lui!

Vers l’âge de dix ans, je sentis s’allumer en moi le désir d’étudier. Comme j’étais occupé de la garde des troupeaux et destiné au monde par mes parents, je ne pouvais goûter aucun repos, et je pleurais par le désir d’aller à l’école. Ainsi, mes parents, contre leur intention, se virent forcés de m’envoyer aux études ou aux écoles. Témoins du fruit et du progrès notable que je faisais dans les études, du développement de mon intelligence et de la fermeté de ma mémoire, ils ne purent s’empêcher de me laisser suivre la carrière des lettres. De son côté, le divin Maître permettait qu’il n’y eût rien à quoi j’eusse moins d’aptitude et de capacité qu’aux affaires du siècle.

J’étudiai sous un maître appelé Pierre Veillard. Il brillait par sa doctrine, non-seulement catholique, mais sainte, et par la sainteté d’une vie très-fervente. Tous les poëtes et tous les orateurs qu’il interprétait, il avait l’art de les rendre évangéliques; car il appliquait tout à l’édification de la jeunesse, la formant dans la crainte juste et chaste du Seigneur. Il fut enseveli à Korse, à trois lieues de Villaret, lieu de ma naissance, dans le Grand-Bornand, et dans l’évêché de Genève, qui alors était encore assez catholique.

La doctrine et les exemples de la vie d’un tel maître produisaient une merveilleuse impression sur tous ses disciples; nous faisions tous des progrès dans la crainte du Seigneur. Pour moi, vers l’âge de douze ans, je me sentis intérieurement porté à m’offrir au service de Dieu. Un jour, c’était pendant les vacances et tandis que j’exerçais l’office de berger, ce que je faisais encore parfois, étant arrivé dans un certain champ, je sentais la joie surabonder dans mon âme; et comme j’éprouvais un ardent désir de la pureté, je promis à Dieu de garder la chasteté pour l’éternité. O miséricorde de Dieu qui étiez avec moi et qui vouliez dès cette époque me prendre, que ne vous ai-je bien connue! O Esprit-Saint, pourquoi n’ai-je pas su, dès ce temps, me séparer de toutes choses, pour vous chercher et pour entrer dans votre école, puisque vous m’y invitiez et que vous me préveniez de pareilles faveurs! Vous vous êtes néanmoins emparé de moi; vous avez imprimé en moi le caractère indélébile de votre crainte; et si vous aviez permis que ce caractère me fût enlevé, ainsi que les autres dons gratuits, pourquoi ne m’eût-il pas été fait comme à Sodome et à Gomorrhe?

J’allai neuf ans à l’école, croissant en âge et en science, sans croître néanmoins jusqu’à la fin de cette époque dans la sagesse de la vertu et de la garde de mes yeux. J’ai donc sur ce point beaucoup à reconnaître, avec d’immenses actions de grâces, comme aussi dans la douleur et la contrition du cœur, à cause des péchés que je commettais chaque jour contre mon Dieu, en commettant quelques-uns pour la première fois, et y persévérant ensuite. Et j’en aurais commis un nombre beaucoup plus grand, si la divine Bonté, tout en me retenant par le frein de sa crainte, n’eût permis dans mon âme un certain désir désordonné de la science et des lettres. Par cette impulsion, le Seigneur me conduisit hors de ma patrie, où je ne pouvais plus être tout entier à son service, ni le servir comme je le devais durant le reste de ma vie. Soyez éternellement béni, ô mon Dieu, du bienfait insigne qu’il vous plut de m’accorder alors, en voulant me retirer de ma chair si portée à la corruption, si contraire à l’esprit, et si infirme pour entrer dans la connaissance et le sentiment de votre majesté, comme pour comprendre les tristes excès dont elle est capable!

En l’année 1525, étant âgé de dix-neuf ans, je m’éloignai de ma patrie, et je vins à Paris. Souviens-toi, ô mon âme, des aiguillons spirituels par lesquels le Seigneur te stimulait déjà pour te retenir dans sa crainte, je veux dire de certains scrupules et remords de conscience par lesquels le démon commençait à te tourmenter, afin que de cette manière tu cherchasses ton Créateur si tu écoutais la voix de la sagesse. Sans ces scrupules et sans ces remords, Ignace n’eût peut-être pu te pénétrer, et toi tu n’aurais pas cherché secours auprès de lui, comme cela arriva dans la suite.

En 1529, âgé de vingt-trois ans, je reçus, le 10 janvier, le degré de bachelier ès arts, et après Pâques celui de licencié, sous le maître Jean Pegna, homme des plus distingués par son savoir.

Daigne la divine Bonté me donner grâce et mémoire pour reconnaître les bienfaits pour l’âme et pour le corps que je reçus d’elle, par tant de moyens divers, durant ces trois années et demie! Qu’elle soit à jamais bénie de m’avoir donné un tel maître, et une société telle que je la trouvai dans la chambre même de ce maître; je parle surtout ici de maître François Xavier, qui est de la Compagnie de Jésus.

Cette même année, Ignace de Loyola vint au collège de Sainte-Barbe, pour y habiter et partager la chambre où nous étions, se proposant de commencer avec nous le cours des arts ou la philosophie le jour de saint Remy suivant. C’était maître François Xavier, dont je viens de parler, qui devait occuper cette chaire. Bénie soit pour toute l’éternité la divine Providence, qui régla ainsi les choses pour mon bien et pour mon salut! Car, ayant été chargé par maître Xavier de donner des leçons de philosophie à ce saint homme que je viens de nommer, j’eus d’abord le bonheur de jouir de sa conversation extérieure, et ensuite de sa conversation intérieure. Comme nous vivions dans la même chambre, que nous avions même table et même bourse, il fut mon maître dans les choses spirituelles, me donnant le moyen de m’élever à la connaissance de la volonté divine et de ma propre volonté. Enfin l’union entre lui et moi devint si grande, que nous n’étions plus qu’un dans les désirs et dans la volonté, ainsi que dans le dessein de choisir le genre de vie que nous avons maintenant, et que suivront tous ceux qui dans la suite des siècles entreront dans cette Compagnie, dont je ne suis pas digne. Plaise à la divine Clémence de me donner grâce pour graver dans mon souvenir et pour apprécier dignement les bienfaits dont Notre-Seigneur me combla à cette époque par l’intermédiaire de cet homme, mais principalement de ce que par lui il me fit la grâce de comprendre d’abord ma conscience, les tentations et les scrupules où j’étais comme détenu depuis si longtemps, sans connaître, ni comprendre, ni trouver le moyen de posséder la paix! Mes scrupules venaient de la crainte de ne m’être pas depuis longtemps bien confessé de mes péchés. J’en étais tellement tourmenté que volontiers, pour m’en délivrer, j’aurais choisi d’aller habiter un désert, n’y vivant que d’herbes et de racines jusqu’à la fin de mes jours. Quant aux tentations, elles venaient des images charnelles et déshonnêtes suggérées par l’esprit de fornication, que la science du discernement des esprits ne m’avait pas encore appris à connaître. Mais Ignace me conseilla de faire d’abord une confession générale au docteur Castro, et ensuite de me confesser et de communier chaque semaine, me donnant à cette fin l’examen quotidien de conscience; car il ne voulait pas encore m’admettre aux autres Exercices, quoique Notre - Seigneur m’en donnât un très-grand désir.

Ainsi se passèrent pour nous environ quatre années, dans les rapports et l’esprit que je viens de dire. Nous conversions aussi et nous avions des rapports intimes avec d’autres. Pour moi, je croissais chaque jour en esprit, et par la grâce qui était dans les autres, et par celle que je recevais moi-même. Durant plusieurs années, je fus éprouvé dans mon âme, et par les feux et par les eaux des tentations, ce qui dura presque jusqu’à mon départ de Paris. J’eus à combattre contre la vaine gloire; et, par cette tentation, le Seigneur me donna une grande connaissance de moi-même et de mes défauts, permettant que ces défauts fussent difficiles à corriger et qu’ils me fissent beaucoup souffrir, afin de me guérir de la vaine gloire. Et ainsi, par sa seule grâce, il me donna sur cette matière une très-grande paix. Relativement à la tempérance, je fus aussi éprouvé de bien des manières, et tous mes efforts pour trouver la paix demeurèrent infructueux jusqu’ à l’époque où je fis les Exercices spirituels. Je passai alors six jours sans prendre aucune nourriture ni d’autre boisson que celle que l’on a coutume de donner à la communion, c’est-à-dire un peu de vin, et je ne communiai qu’une fois pendant ces six jours. J’eus en outre plusieurs autres tentations de troubles, causées par la vue des défauts du prochain, par des soupçons, par des jugements. Mais en cela la grâce du Dieu qui console ne me manqua point, ni le secours du maître qu’il m’avait donné pour m’élever aux premiers degrés; car la charité du prochain le disposait à venir ainsi en aide à mon âme. Enfin, durant cette époque, j’eus des scrupules à propos de tout, à la vue d’innombrables imperfections qui m’étaient alors inconnues. Cette épreuve dura jusqu’à mon départ de Paris.

Ainsi donc le Seigneur m’éclaira de diverses manières, appliquant lui-même le remède contre les nombreuses tristesses qui provenaient de ces épreuves, en sorte que je ne saurai jamais en garder un digne souvenir. Mais ce que je puis dire, c’est que jamais je ne me suis trouvé dans une angoisse, une anxiété, un scrupule, un doute, une crainte, ou quelque autre tentation du mauvais esprit, sans qu’en même temps et peu de jours après j’aie trouvé le vrai remède en Notre-Seigneur, qui me donnait la grâce de demander, de frapper, de chercher, et qui, par une autre faveur qui enferme d’innombrables grâces, me donnait la connaissance des affections et des divers esprits, connaissance où je faisais de jour en jour de nouveaux progrès. Car le Seigneur m’avait laissé certains aiguillons qui ne me permettaient jamais d’être tiède. Ainsi, dans ce qui est du jugement et du discernement des mauvais esprits, comme dans ce qui est du sentiment des choses qui regardent Dieu, le prochain ou mon âme, jamais, comme je l’ai dit, le Seigneur n’a permis que je fusse trompé, autant que je puis en juger. Mais en toutes choses, soit par les lumières des bons anges, soit par celles du Saint-Esprit, il venait à mon secours en temps opportun.

Vers la fin de ces quatre années, grâce à Notre-Seigneur seul, je me trouvai affermi dans le dessein formé depuis plus de deux ans de suivre Ignace dans le genre de vie pauvre qu’il avait embrassé. Je n’attendais pour en venir à l’exécution que la fin des études d’Ignace lui-même, de maître Xavier et des autres compagnons qui partageaient le même dessein et la même résolution. Ce fut à cette époque que je partis de Paris pour aller visiter mes parents. Je ne trouvai plus ma mère: Dieu l’avait appelée à lui. Mon père vivait encore, et nous passâmes ensemble sept mois.

En 1534, étant dans ma vingt-huitième année, je revins à Paris pour y terminer mes études théologiques. Je fis les Exercices spirituels sous la direction d’Ignace.

Je reçus ensuite les ordres sacrés, bien que. la lettre de mon titre ne fût pas encore venue.

J’offris pour la première fois le saint Sacrifice le jour de sainte Marie-Magdeleine, mon avocate et celle de tous les pécheurs et de toutes les pécheresses. Dans le caractère sacerdotal sont renfermés d’innombrables bienfaits que Dieu accorda à mon âme, en m’appelant à un degré si élevé et en me donnant des grâces abondantes pour que tout tût rapporté par moi à la gloire du Fils de Dieu, sans aucune ombre d’intention humaine d’acquérir des honneurs ou des biens temporels. Auparavant, je dois l’avouer, c’est-à-dire avant que je fusse fermement déterminé à suivre le genre de vie que le Seigneur m’a donné par Ignace, ces pensées des honneurs ou des biens du monde étaient comme un vent qui me troublait et m’agitait sans cesse. Sans pouvoir me fixer à rien, je voulais être tantôt médecin, tantôt avocat, tantôt régent, tantôt docteur en théologie, tantôt simple prêtre sans degré, tantôt religieux dans un cloître. J’étais plus ou moins agité, selon l’élément qui prédominait plus ou moins en moi, c’est-à-dire selon que tel ou tel désir de l’âme m’entraînait avec plus ou moins d’empire. Mais le Seigneur, comme je l’ai dit, me délivra de toutes ces aspirations terrestres, et il me rendit si fort par les consolations de son Esprit, que je pris l’irrévocable résolution d’être prêtre. Je m’estimais trop heureux de me consacrer entièrement à lui dans cette vocation si élevée et si parfaite, que je ne serai jamais digne de le servir dans cet état. Jamais non plus je ne serai digne du choix qu’il a fait de moi pour être prêtre dans la Compagnie, choix si précieux, qu’il exige de ma part une perpétuelle reconnaissance, et de constants efforts pour y répondre par toutes les œuvres de l’âme et du corps dont je serai capable.

Cette même année 15 34, le jour de l’Assomption de la très-sainte Vierge, tous ceux d’entre nous qui partageaient alors le dessein d’Ignace, et qui tous avaient déjà fait les Exercices spirituels, sauf maître Xavier, qui ne les avait pas encore reçus, nous nous rendîmes à Notre-Dame de Montmartre; et là nous fîmes vœu de servir Dieu et de partir au jour assigné pour Jérusalem, et d’abandonner parents et tout le reste, n’emportant que le viatique. En outre, nous prîmes la résolution d’aller, après notre retour de la Terre sainte, nous mettre sous l’obéissance du Pontife romain. Or, ceux qui se trouvèrent à cette première réunion, à Notre-Dame de Montmartre, étaient Ignace, maître François Xavier, moi Le Fèvre, maître Bobadilla, maître Laynez, maître Salmeron, maître Simon Rodriguez. Car Le Jay, venu à Paris, n’était pas encore déterminé à nous suivre; et maître Jean Codurc ainsi que maître Paschase Broët n’étaient pas encore pris. Les deux années suivantes, c’est-à-dire 1535 et 1536, nous nous rendîmes tous, le même jour, au même sanctuaire, pour confirmer la détermination que nous avions prise; et chaque fois nous y trouvions un grand accroissement de vie spirituelle. En ces deux dernières années, maître Le Jay, maître Jean Codurc et maître Paschase Broët étaient déjà avec nous.

En 1536, le 15 novembre, nous partîmes tous de Paris pour l’Italie, sauf Ignace, qui un an et demi auparavant était parti pour l’Espagne, et qui de là s’était rendu à Venise, où il nous attendait. Nous y arrivâmes après les fêtes de Noël. Durant ce voyage, le Seigneur nous combla de tant de bienfaits, que jamais on ne pourra les décrire. Nous allions à pied; nous traversâmes la Lorraine et l’Allemagne, où plusieurs villes étaient déjà luthériennes ou zwingliennes, parmi lesquelles Bâle, Constance, etc. C’était en plein hiver, et le temps était très-froid. De plus, la France et l’Espagne se trouvaient alors en guerre. Mais le Seigneur nous délivra et nous préserva de tous les périls. Etant donc arrivés à Venise sains et saufs, nous allâmes, le cœur plein de joie, nous loger dans les hôpitaux, quatre dans l’hôpital de Saint-Jean et de Saint-Paul, et cinq dans celui des Incurables. Là, nous devions attendre le carême, pour aller alors à Rome demander au Souverain Pontife, le Pape Paul III, la permission de nous rendre à Jérusalem.

Cette permission nous ayant été accordée en 1537 après Pâques, nous nous disposions à partir pour la Terre sainte; mais, des obstacles invincibles s’opposant à notre dessein, nous nous dispersâmes en divers lieux, voulant vivre trois mois dans la solitude, libres de tout soin et de toute sollicitude. C’était aussi afin que ceux qui n’étaient pas encore prêtres eussent plus de facilité pour se préparer à bien recevoir ce saint caractère. Voici comment nous fûmes distribués: Ignace, moi et maître Laynez, à Vicence; maître François Xavier et maître Salmeron, à douze milles de là ; maître Jean Codurc et le bachelier Hosès, à Trévise; maître Le Jay et maître Rodriguez, à Bassano; Bobadilla et Paschase Broët, à Vérone. Ce temps écoulé, nous fûmes appelés à Rome, et les trois d’entre nous qui étaient à Vicence s’y rendirent. C’était au mois d’octobre.

En 1538, tous les nôtres étaient réunis à Rome. Mais nous vîmes que le chemin de la Terre sainte nous était fermé. Nous reçûmes alors du Saint-Siège une faculté ou autorisation en vertu de laquelle nous pouvions, comme prédicateurs apostoliques, prêcher partout et entendre les confessions. Ce fut le cardinal de Naples, alors légat à Rome, qui fit le diplôme et qui nous le délivra au mois de mai. Plaise au Seigneur que je sache lui témoigner ma part de reconnaissance pour tant de bienfaits dont il nous combla en commun toute cette année, pendant laquelle nous éprouvâmes tant de contradictions dans nos bons desseins! Je ne saurais dire par combien de feux de persécutions il nous fallut marcher, surtout en ce qui regarde l’enquête judiciaire qui, sur notre demande, fut faite concernant notre Institut et notre genre de vie. Enfin le jugement fut porté, malgré des oppositions très-puissantes, et il était en notre faveur.

Cette même année fut marquée par un autre mémorable bienfait qui est comme le fondement de toute notre Compagnie. Après que l’on eut porté la sentence qui nous justifiait de toutes les accusations intentées contre nous, nous allâmes nous présenter en holocauste au Souverain Pontife, le Pape Paul III, afin qu’il vît en quoi nous pouvions servir Jésus-Christ pour l’édification de tous ceux qui sont sous l’autorité du Siège apostolique, en gardant une pauvreté perpétuelle et en nous tenant toujours prêts à aller partout où il plairait au Pontife romain de nous envoyer, fût-ce aux extrémités des Indes. Or le Seigneur voulut que le Pape nous acceptât et qu’il se réjouît de nos desseins. C’est pourquoi je serai toujours obligé, comme tout autre membre de la Compagnie, à rendre des actions de grâces au Maître lui-même de la moisson, c’est-à-dire de toute l’Eglise catholique, à Jésus-Christ Notre-Seigneur, qui daigna déclarer son bon plaisir par l’organe de son Vicaire sur la terre, ce qui est une très-manifeste vocation, et qui voulut nous indiquer à nous-mêmes qu’il agréait nos services et qu’il voulait se servir de nous à jamais.

En 1539, au mois de mai, maître Laynez et moi, par l’ordre du Pontife romain, partîmes pour Parme, dans la compagnie du cardinal Saint-Ange. Nous y restâmes jusqu’au mois de septembre de l’année 1540.

Souviens-toi, ô mon âme, des bienfaits que tu reçus de Dieu dans cette ville, des fruits qu’il daigna opérer par notre ministère et par celui de Jérôme Domenech, je veux dire par les confessions, les prédications et les Exercices spirituels. Souviens-toi encore de tout ce qui se fit à Sissa. Rappelle-toi, en particulier, cette maladie qui dura près de trois mois, à partir du 25 avril de la même année 1540. Non, tu ne pourras jamais oublier les ardents désirs que tu avais de faire de grands fruits dans les âmes, les lumières que le Seigneur t’envoyait dans ce but, et la force spirituelle qu’il te communiquait. Songe à l’éternelle reconnaissance que tu dois au seigneur Laurent et au seigneur Maxime, dans la maison desquels tu étais, et spécialement à l’occasion qui naquit de là. Rappelle-toi bien, de manière à n’en perdre jamais le souvenir, la fête de saint Pierre et de saint Paul, et principalement celles de saint Jean-Baptiste et de la Visitation de la très-sainte Vierge, à qui tu es si redevable. Que de si grands bienfaits ne tombent jamais de ta mémoire!

Cette même année 1540, par ordre du Souverain Pontife, je partis pour l’Espagne, avec le seigneur Ortiz; celui-ci, appelé ensuite par l’Empereur, m’amena avec lui en Allemagne, au colloque de Worms. Nous y arrivâmes le 24 octobre.

Mais souviens-toi toute ta vie, ô mon âme, d’une mémorable dévotion que Notre-Seigneur te donna ce jour même, tandis que tu commençais à réciter les heures canoniques. Elle regardait la vie de Jésus-Christ, mon divin Maître: elle consistait à rappeler à ma mémoire tous les jours de la vie de cet adorable Sauveur, depuis l’Incarnation jusqu’à l’Ascension, et à me rappeler de même tous les jours de la vie de la très-sainte Vierge, depuis sa Conception jusqu’à sa mort. Souviens-toi aussi de la grande espérance que tu conçus de mettre en pratique avant ta mort une dévotion si salutaire.

Souviens-toi encore des mémorables consolations spirituelles que le Seigneur te donna dans tes oraisons à Worms, ainsi que des vives lumières dont il t’éclaira pour des modes de prier, de remercier Dieu et de lui demander diverses grâces, pour toi, pour les vivants et pour les morts. Garde aussi un précieux souvenir des prières qui t’étaient alors suggérées par le Saint-Esprit pour le salut de l’Allemagne.

Ce fut en cette même année que notre Compagnie fut instituée et confirmée par une bulle du Souverain Pontife, sous le titre de Compagnie de Jésus.

En 1541, en janvier, nous partîmes pour Ratisbonne, où se tint la diète impériale. Durant ce voyage, Dieu te consola grandement dans diverses oraisons et contemplations. A ton esprit s’offraient des modes nombreux et nouveaux de prier en voyage, ainsi que la matière de l’oraison. Par exemple, en approchant d’un endroit, dès que tu le voyais ou qu’on le nommait, tu reçus ce mode de prier qui consistait à demander à Notre-Seigneur la grâce que l’archange qui avait cette région sous sa puissance nous fût propice, ainsi que tous les anges gardiens de tous ceux qui habitaient là, et que le véritable gardien et pasteur, Jésus-Christ, qui était dans l’église du lieu, nous vînt en aide et qu’il pourvût à toutes les nécessités des personnes de cet endroit, par exemple aux besoins de ceux qui étaient à l’article de la mort, aux besoins des âmes des défunts, et de ceux qui étaient désolés ou sous le poids de quelque autre tribulation.

De même, quand tu traversais des montagnes, des champs, des vignes, divers modes d’oraison se présentaient à ton esprit, pour demander la multiplication et l’accroissement de ces biens; tu rendais grâces à Dieu au nom du possesseur; tu demandais pardon pour ceux qui ne savent pas reconnaître en esprit ces biens, ni Celui de qui ces biens émanent. J’invoquais également les saints qui protègent ces contrées, les priant de faire ce que ne savent pas faire leurs habitants, c’est-à-dire de demander la grâce, la sainteté pour eux, de bénir et remercier Dieu pour eux et de demander tout ce qui leur est nécessaire.

Cette même année 1541, je reçus à Ratisbonne d’autres grâces sans nombre. Et d’abord Dieu m’accorda de recueillir pour son service une grande moisson, principalement en recevant les confessions des nobles de la cour de l’Empereur, et de mon prince le duc de Savoie, qui me choisit pour son directeur. Il se fit un très-grand fruit par ces confessions; et l’on peut dire qu’elles furent la semence d’autres biens plus grands qui en sont sortis. La moisson résulta encore des Exercices spirituels que firent sous ma direction les grands d’Espagne, d’Italie et d’Allemagne: de ces saints Exercices est provenu presque tout le bien qui s’est fait ensuite en Allemagne.

Je reçus aussi de la main du Saint-Esprit d’autres bienfaits notables pour mon propre progrès spirituel: c’était en m’enseignant de nouveaux modes de prier ou de contempler pour l’avenir, ou bien en me confirmant, mais avec plus de lumière et un sentiment plus profond, dans les modes accoutumés d’oraison, comme par exemple dans les litanies, les mystères de Jésus-Christ et la doctrine chrétienne, dans la demande de diverses grâces, conformément à chacun de ces trois modes de prier, ou bien dans la demande du pardon, ou bien dans les actions de grâces rendues à Dieu par ces trois voies. Je faisais encore la même chose en discourant sur les trois puissances de l’âme, sur les cinq sens, sur les principaux organes du corps et sur les biens temporels reçus. Et de même que je puis faire cela pour moi, je puis aussi le faire pour quelque personne vivante ou morte, en appliquant ensuite la messe, afin que tout ce que je viens de dire ait mieux son effet.

J’avais également trouvé à Ratisbonne un livre de sainte Gertrude où cette vierge consigne d’autres dévotions spirituelles qu’elle avait toujours senti croître en son âme tant qu’elle vécut. Je pris de ce livre divers modes de prier et j’y puisai un grand secours pour ce saint exercice.

Cette même année, le Seigneur m’accorda un insigne bienfait: ce fut de faire, le jour de l’octave de la Visitation de la très-sainte Vierge, les vœux solennels de ma profession et de l’envoyer à maître Ignace, qui était alors élu général de la Compagnie. Je fis cette profession à Ratisbonne, à l’autel majeur de l’église de Notre-Dame, dite de l’Ancienne-Chapelle, avec une grande consolation spirituelle et un grand accroissement de force pour mon âme, renonçant aux biens temporels, auxquels j’avais déjà renoncé, et aux voluptés de la chair déjà délaissées, embrassant avec une entière abnégation de moi-même et une pleine soumission de ma volonté tout ce que commande l’Institut. Je reçus, je Je répète, une nouvelle force, de nouvelles lumières et de très-grands accroissements de bonne volonté. Les vœux que je fis sont les vœux de chasteté, de pauvreté et d’obéissance au Préposé de la Compagnie; à ces vœux j’en ajoutai un autre d’obéissance au Souverain Pontife relativement aux missions. Je fis ces promesses solennelles devant le très-saint Sacrement, avant de recevoir la communion. Voici la teneur de cette profession:

«Moi Pierre Le Fèvre promets et voue à

«Notre-Seigneur, à la très-sainte Vierge et à

«tous les saints du ciel, de garder, avec leur

«secours, une chasteté perpétuelle, une pau-

«vreté perpétuelle et une perpétuelle obéis-

«sance au Préposé de la Compagnie de Jésus;

«je promets et voue de même de garder une

«perpétuelle obéissance au Souverain Pontife

«pour les missions, et je promets de faire tout

«cela conformément aux constitutions et à la

«règle de ladite Compagnie. C’est ainsi que

«j’ai fait cette profession, et parce que c’est

«vrai, je la fais de nouveau à Notre-Seigneur,

«à Notre-Dame et à vous, maître Ignace de

«Loyola, comme me tenant lieu de Jésus-

«Christ, en qualité de Préposé de ladite Com-

«pagnie; et je l’ai signée de ma main le

«9 juillet 1541.

«PIERRE LE FÈVRE.»

Cette même année, le 27 juillet, le seigneur Ortiz et moi nous partîmes de Ratisbonne; tout le personnel de sa maison était du voyage. Nous traversâmes ma patrie et la France, où nous fûmes arrêtés et mis en prison pendant sept jours. O mon âme, n’oublie jamais les grands bienfaits de Notre-Seigneur, qui nous délivra de la captivité, qui nous donna grâce pour traiter avec ceux qui nous avaient faits prisonniers et pour produire du fruit dans leurs âmes, de telle sorte que le chef même voulut se confesser à moi. Ainsi les biens spirituels que Notre-Seigneur nous avait donnés pour en faire part au monde entier ne furent ni enchaînés, ni gênés, ni troublés auprès d’eux. J’eus néanmoins quelques tentations de défiance et de crainte, pensant que nous ne sortirions pas de sitôt de prison et que ce ne serait pas sans de grandes dépenses pour le seigneur Ortiz. Mais Dieu m’envoya une consolation intérieure qui m’enleva ces sentiments, et il me donna l’espérance que nous serions bientôt heureusement délivrés, comme la chose arriva.

Le jour de sainte Elisabeth, reine de Hongrie, j’éprouvai une grande dévotion, et sept personnes s’étant alors présentées à ma pensée, je sentis un ardent désir de prier pour elles, sans faire attention à leurs défauts. Ces personnes étaient le Souverain Pontife, l’Empereur, le roi d’Angleterre, Luther, le Grand Turc, Bucer et Philippe Mélanchthon. Ce qui m’inspira cet intérêt pour eux, c’est la peine que je ressentais de les voir jugés par plusieurs; de là naissait en moi une sainte compassion provenant du bon esprit.

En ce même jour, je promis à Jésus-Christ et je fis vœu de ne jamais rien recevoir pour les confessions, les messes ou les prédications, et de ne pas vivre de revenus, à moins qu’ils ne me fussent offerts de telle manière qu’il ne fût pas en mon pouvoir de les refuser en bonne conscience. O mon âme, tu dois garder un fidèle souvenir de ce vœu, comme d’un insigne bienfait de Notre-Seigneur, qui m’aide de cette manière à mieux garderie vœu de pauvreté.

Le jour de la Présentation de la très-sainte Vierge, je reçus cette grâce: par l’opération de l’Esprit de toute sainteté et de toute chasteté parfaite, Dieu me donna un sentiment de révérence spirituelle pour cette Enfant très-pure, notre Souveraine et notre Mère. Comme témoignage et souvenir de ce profond respect, je résolus de m’abstenir à jamais et de bien prendre garde qu’il ne m’arrivât jamais d’approcher ma figure de celle d’aucun petit enfant ou petite fille, quelque légitime intention que je pusse avoir pour cela. Et à plus forte raison cela ne devait-il jamais m’arriver avec des personnes d’un âge plus avancé.

Cette même année, en entrant en Espagne, j’eus une dévotion notable et de grands sentiments spirituels pour invoquer les principaux archanges, les anges gardiens et les saints de ce royaume; je me sentais spécialement porté d’un grand amour pour saint Narcisse qui est à Gérone, pour sainte Eulalie qui est à Barcelone, pour Notre-Dame de Montserrat, pour Notre-Dame del Pilar, pour saint Jacques, saint Isidore, saint Ildefonse, les saints martyrs Juste et Pastor, pour Notre-Dame de la Guadeloupe, pour sainte Encratide à Saragosse; les suppliant tous de vouloir accepter mon voyage en Espagne et de m’aider par leurs prières à faire quelque bon fruit, ainsi que cela a eu lieu, plus par leurs intercessions que par mes efforts. Je pris la détermination de garder cette même pratique dans tous les royaumes et les principautés, c’est-à-dire de me recommander aux principaux anges et archanges, aux anges gardiens, et aux saints que je saurais être principalement honorés dans telle province ou tel royaume. Je sentis en outre s’affermir et s’accroître en moi la dévotion envers quelques saints particulièrement honorés en Italie, et dont j’ai la liste dans mon bréviaire romain; envers quelques autres du culte desquels j’avais été témoin en Allemagne, spécialement les trois Rois et les onze mille Vierges, mais particulièrement sainte Ursule et sainte Pinnosa, dont j’ai vu de mes yeux, dans un couvent de Bénédictins, la sainte tête, avec la flèche qui l’avait transpercée. A ces saints, je dois ajouter saint Helvetus dans le Moremberg, et saint Maximin à Trèves. En France, j’eus également une dévotion particulière pour sainte Geneviève et pour saint Marcel, évêque de Paris, dont les corps sont une grande sauvegarde pour la ville; pour saint Denys l’Aréopagite, dont le corps repose dans l’église de Saint-Denys en France; de même à Narbonne, pour saint Paul Serge; à Marseille, pour sainte Marie-Magdeleine, pour sainte Marthe, sa sœur, et pour saint Lazare. En Savoie, j’eus également une dévotion spéciale, et que je ne dois pas omettre, envers saint Bruno, fondateur de la Chartreuse; envers saint Amédée, qui est à Nantua, ville près de laquelle nous fûmes incarcérés; de même, envers Jean de Parcio, envers le Frère Jean Bourgeois et envers mon précepteur, maître Pierre Veillard, que j’estime être du nombre des saints, bien qu’ils ne soient pas canonisés.

Je notais, à cette époque, plusieurs autres saints, les prenant pour avocats auprès de Dieu, et me proposant de ne jamais les oublier, mais de les invoquer fidèlement pour moi, pour les vivants et pour les morts; de les invoquer surtout pour ceux qui vivent ou sont morts dans les endroits et les pays où ces saints sont morts, ou sont nés, ou ont exercé leur zèle, tant en Europe, en Afrique, en Asie, que dans quelques îles du monde que ce soit. Je sentais un grand désir et une grande ferveur d’esprit pour continuer ces dévotions. pour les enraciner et les dilater de plus en plus dans mon âme.

J’invoquais aussi, de temps en temps, les apôtres et les autres saints qui avaient fait du fruit dans les diverses parties du monde, afin qu’ils prissent un soin spirituel de notre Compagnie et de tous les membres de cette Compagnie travaillant dans les contrées ou les provinces qui avaient été autrefois le théâtre de leur charité et de leur zèle. C’est là ma pratique ordinaire, lorsque je veux prier spécialement pour quelque pays ou royaume: j’invoque les saints et les anges qui ont eu ou qui ont encore un soin spécial des âmes des habitants de ce pays ou royaume, vivants ou décédés.

Vers ce temps, je commençai une dévotion que Notre-Seigneur m’inspira pour mieux réciter les heures canoniques. Elle consistait à dire entre chaque psaume, pour renouveler la ferveur de l’esprit, cette petite prière que j’avais prise de l’Évangile: «Pater cœlestis,

«da mihi spiritum bonum: Père céleste,

«donnez-moi un bon esprit.» Je sentis que cela m’était utile à divers points de vue.

Je reçus une autre dévotion pour le commencement de chacune des sept heures canoniques, appliquant chacune d’entre elles à une intention particulière et à une fin importante. Cette dévotion consiste à dire dix fois: Jesus, Maria, au commencement de chaque heure, afin que, par là, j’aie occasion de rappeler à mon esprit ces dix choses: 1° l’honneur de Notre-Seigneur; 2° la gloire de ses saints; 3° le souvenir des bons, afin qu’ils se fortifient dans toute bonne intention qu’ils pourront avoir à cette heure; 4° le souvenir de ceux qui, durant cette heure, se trouveraient en état de péché mortel, afin que cet office, récité, leur serve pour qu’ils ne persévèrent pas dans le péché, mais qu’ils se convertissent; 5° le souvenir de l’Église catholique, afin qu’elle s’étende et s’accroisse de jour en jour; 6° le souvenir de la paix universelle entre les princes chrétiens et catholiques; 7° le souvenir de ceux qui, durant cette heure, seraient dans quelque tribulation corporelle; 8° le souvenir de ceux qui seraient dans quelque tribulation ou affliction spirituelle; 9° le souvenir de ceux qui seraient à l’article de la mort; 10° enfin le souvenir de ceux qui sont en Purgatoire, afin que, durant cette heure et celle qui correspond à l’office que je récite actuellement, ils reçoivent quelque soulagement de leurs peines et de leurs souffrances.

Remarque ici, ô mon âme, de quelle manière il plut à Notre-Seigneur de te délivrer de tant et de si grands troubles d’esprit, des angoisses et des tentations que tu avais à soute-tenir, à cause de tes défauts, à cause des troubles dont l’esprit de fornication t’agitait, et à cause de tes négligences à faire du fruit. Rappelle-toi quelles claires connaissances tu as reçues à l’occasion de ces tentations. Ce qui doit encore ajouter à ta reconnaissance, c’est que tu n’as presque jamais éprouvé une tentation notable, que tu n’aies été consolée non-seulement par une claire connaissance que tu recevais, mais encore par un esprit contraire aux tristesses, aux craintes, aux pusillanimités ou aux affections déréglées des prospérités. Le Seigneur te donnait alors une grande charité et des sentiments très-purs comme. remèdes contre l’esprit ennemi de la pureté, comme moyens d’arriver à une pureté et chasteté parfaites de la chair, et aussi comme remèdes et moyens contre le monde et son esprit, et contre l’esprit de ténèbres.

Tu reçus aussi du Seigneur un grand désir, avec l’espérance de le voir accompli: tu souhaitais avec un indicible ardeur d’être la demeure du Saint-Esprit, et que les esprits malins n’habitassent pas dans les esprits vitaux ou animaux de ton corps. Dans ce but, j’avais coutûme de faire différentes considérations sur les puissances de mon âme, sur les sens et sur les principaux membres du corps, suppliant le Seigneur qu’il daignât me purifier entièrement.

Concernant la sobriété, la chasteté et la diligence dans le service de Dieu, comme aussi concernant l’humilité, la patience et la charité, je reçus plusieurs dons, soit de lumière, soit de sentiment: car le Seigneur m’inspirait quantité de prières relativement à ces vertus, avec de nombreuses affections de foi et d’espérance. Qu’il soit béni dans les siècles des siècles! Amen.

Je ne saurais dire les innombrables lumières que j’ai eues sur la doctrine catholique, conformément à l’Église romaine; sur les constitutions et les cérémonies de cette Église; sur les pieux pèlerinages; sur les voeux, le jeûne, le culte des saints et des saintes, sur les âmes du Purgatoire, etc., sentant en toutes ces choses une grande ferveur d’esprit et une grande dévotion, à les approuver.

En 1542, au mois de janvier, je partis d’Espagne et je revins en Allemagne, par l’ordre du Souverain Pontife. Dans ce voyage, le Seigneur me combla de bienfaits. D’abord, il exauça le principal désir que j’avais formé, qui était d’avoir, durant la route, une société qui m’animât à son service, et il me donna maître Jean d’Aragon et Alphonse Alvarez. Ensuite, dans un si long et périlleux voyage, il nous préserva de tous les maux temporels, contre toute espérance humaine. Ainsi, en Catalogne, il nous délivra des voleurs et des prisons; en France, des soldats; à notre entrée en Suisse, dans les frontières de la Savoie, des hérétiques; en Allemagne, des contagions et des maladies; et, ce qui est plus que tout le reste, il nous délivra des tentations divisives, c’est-à-dire de l’esprit de division.

Durant ce voyage, le Seigneur me donna, ainsi qu’il l’avait déjà fait auparavant, plusieurs sentiments d’amour et d’espérance pour les hérétiques et pour le monde entier. Il m’inspira en particulier une dévotion que je continuerai jusqu’à la mort, avec foi, espérance et charité, et qui concerne le bien spirituel de ces sept villes: Wittemberg, en Saxe; la capitale de la Sarmatie, dont j’ignore le nom; Genève, dans le duché de Savoie; Constantinople, en Grèce; Antioche; Jérusalem; Alexandrie, en Afrique. J’ai résolu d’avoir toujours cette cause présente à ma mémoire, et j’ai l’espérance qu’il me sera donné un jour, où bien à quelque autre membre de la Compagnie de Jésus, d’offrir le saint Sacrifice dans toutes les villes que je viens de nommer.

Mémorial du bienheureux Pierre Lefèvre, premier compagnon de S. Ignace de Loyola

Подняться наверх