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ANNÉE 1542. - MOIS DE JUILLET

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Table des matières

Le jour de la Visitation de la très-sainte Vierge, en méditant sur l’humilité que nous devons à nos supérieurs et qu’il convient d’avoir envers toutes les créatures, pour l’amour de Notre-Seigneur, j’eus un sentiment précieux sur l’humilité de la très-sainte Vierge, qui se mit en route pour aller servir sa parente, sainte Élisabeth, et qui s’humilia devant elle, parce qu’elle était la mère du précurseur de Notre-Seigneur Jésus-Christ. J’éprouvai, à cette vue, un grand désir dans mon esprit que tous ceux qui vivent, de quelque manière que ce soit, sous l’obéissance, ne cessassent d’être exercés, jusqu’à ce qu’ils eussent acquis une humilité, une patience et une charité parfaites, parce qu’alors ils supporteraient et honoreraient leurs supérieurs, bons et mauvais, ne regardant et n’aimant que ce qui est bon et non ce qui est mauvais. Alors aussi, plus un supérieur paraîtrait manquer de bonté dans son degré, plus l’inférieur s’efforcerait d’être parfait dans le sien, qui est de se montrer un serviteur obéissant, diligent et fidèle, par crainte et amour de Notre-Seigneur; car ceux qui se sont ainsi montrés des serviteurs agréables à Dieu méritent d’avoir enfin de bons supérieurs. Mais il n’en est pas de même de ceux qui tiennent une conduite contraire, c’est-à-dire qui cessent d’être des sujets soumis; car alors ni le mauvais supérieur ne mérite que Notre-Seigneur lui donne d’autres inférieurs plus vertueux et plus obéissants, ni les sujets qui ont déjà abandonné l’obéissance ne méritent d’avoir de meilleurs supérieurs.

Un jour, dans l’octave de la Visitation de la très-sainte Vierge, je sentis des désirs intimes, au milieu desquels je demandais à Dieu le Père qu’il fût pour moi, quoique indigne, père d’une manière spéciale, de telle sorte qu’il me rendît son fils obéissant et reconnaissant. Au Fils Notre-Seigneur, je demandais qu’il daignât être mon Souverain et Seigneur, et faire, par sa grâce, que je fusse dans la suite son serviteur en toute crainte. Au Saint-Esprit, je demandais qu’il fût mon maître, m’enseignant à être son disciple. Pour obtenir ces grâces, j’implorais avec grande dévotion le secours et l’intercession de la fille choisie de Dieu le Père, de la servante et mère de Jésus-Christ, de la disciple du Saint-Esprit, qui fut la Vierge Marie, à laquelle il est facile, par son crédit auprès de Dieu, d’obtenir tout ce que je viens de dire.

Je désirais aussi que cette divine Mère m’enseignât la véritable manière d’être fils, serviteur et disciple, à son propre exemple et comme elle l’est elle-même; qu’elle m’enseignât aussi à être fils, serviteur et disciple, comme Jésus-Christ l’avait été ; enfin, à être humble comme lui, et tel qu’il convient d’être dans chacune des trois manières que je viens de dire.

De plus, en portant plus loin mes considérations sur ce sujet, je reconnus qu’il était nécessaire qu’on le prêchât. En effet, dès que les inférieurs seraient parvenus au degré de la véritable obéissance, humilité, soumission et respect envers leurs supérieurs, Notre-Seigneur s’unirait à eux et leur donnerait des supérieurs selon son cœur. Mais on peut dire, au contraire, que celui qui n’est pas disposé à reconnaître le bien mérite d’en être privé, et que celui qui ne s’est pas encore fait serviteur ne mérite pas qu’on lui donne un supérieur de la bonté duquel il puisse ou il sache jouir. Ainsi on doit espérer que, lorsque les sujets ou du moins l’élite d’entre eux auront acquis une humilité, une patience et une charité telles qu’elles suffisent pour leur faire honorer, servir et supporter un supérieur, quel qu’il soit et quelque mauvais qu’il soit, ne perdant pas leur bonne volonté, mais plutôt s’y fortifiant de jour en jour, avec la ferme résolution de persévérer ainsi jusqu’à la mort; alors, je le répète, on peut espérer que le Seigneur sera porté à donner d’autres supérieurs; mais non pas dans le cas contraire, c’est-à-dire si nous voyons les mauvais empirer de jour en jour, relativement à l’obéissance.

Honorez, révérez, respectez ceux qui sont au-dessus de vous, et principalement les supérieurs; et non-seulement ceux qui sont au-dessus de vous, mais encore tous ceux qui, soit par la puissance, soit par l’autorité, soit par la doctrine, ou la vertu, ou l’âge, l’emportent sur vous. Il s’en rencontre encore plusieurs qui aiment leurs parents et leurs supérieurs, qui, en outre, leur obéissent et les secourent dans leurs nécessités; mais de ceux qui les honorent du fond du cœur et les révèrent, il s’en rencontre peu.

Quant à vous, aimez tous vos prochains et faites du bien à tous, autant que vous le pourrez, mais ayez spécialement envers ceux qui sont au-dessus de vous par l’autorité des sentiments de révérence, d’honneur, de réserve, de modestie, et tous les autres sentiments qui établissent les inférieurs dans un ordre parfait vis-à-vis de leurs supérieurs. A l’égard de vos égaux, ayez des sentiments d’une dilection toute fraternelle; à l’égard de ceux qui sont au-dessous de vous, soyez bienveillant, bon et facile, comme l’ami de leur condition; à l’égard des moindres et des derniers, montrez - vous leur partisan et recherchez-les. De cette manière, il arrivera que vous les attirerez tous à descendre, en descendant vous-même jusqu’au dernier des hommes, qui fut Jésus-Christ crucifié.

Souhaitez d’être repris par toutes sortes de personnes, soit qu’elles aient autorité sur vous ou que vous ayez autorité sur elles, soit à droite, soit à gauche, et cela en tout temps, que vous soyez joyeux ou triste, fervent ou froid; souhaitez d’être repris pour quelque imperfection que ce soit ou pour quelque défaut vrai ou apparent qui se trouverait en vous. Ne mettez pas de limite à la liberté de celui qui vous reprend, mais souhaitez que dans la réprimande il garde la manière qui peut le plus vous affliger.

Quelqu’un m’a témoigné qu’il désirait d’être repris par moi aussi clairement qu’il me reprend lui-même, m’assurant qu’il me saurait gré d’un tel service. Voici ce que je me suis proposé de lui répondre:

«Comme les répréhensions entre nous ne se font pas sur des choses qui déplaisent directement à Dieu, mais sur des manières de parler ou de traiter, ou sur d’autres manières de se conduire dans les rapports avec les hommes, il m’est difficile, à moi qui suis étranger à tout, de reprendre sur de telles choses ceux qui ne regardent pas ma manière de juger et mon sentiment comme leur règle de conduite. Il me sera facile de dire: Telle chose n’est pas de mon goût, ou me déplaît, ou n’a pas mon approbation. Mais on répondra que mon jugement et ma volonté ne sont pas une bonne règle; ils voudront plutôt suivre les sentiments et manières de voir de leur patrie, et ils craindront plus de déplaire au grand nombre, ainsi qu’il leur semble qu’ils le feraient, que de déplaire à moi seul. Il résultera de cela que je serai gêné et que je n’aurai ni le pouvoir ni peut-être le courage de reprendre de tels hommes. Il en est autrement de mes inférieurs, qui tiennent ma volonté et mon jugement pour règle dans les choses qui sont bonnes ou indifférentes; qui sont prêts à obéir à leur supérieur, quelque imparfait qu’il soit, voulant se renoncer eux-mêmes en toutes choses. C’est là ce que je n’ai pas fait plus d’une fois, lorsque j’étais à Paris et que le Père Ignace me commandait certaines choses: j’avais coutume de lui répondre que l’usage commun ne supportait pas certaines choses qui lui paraissaient opportunes.»

Voilà ce que je me proposais de répondre à celui de mes frères dont j’ai parlé ; je ne l’ai pourtant pas fait, comprenant qu’il y avait de la tentation et de l’infirmité d’esprit dans de telles paroles.

Ainsi donc, si quelqu’un veut, en véritable obéissant, militer sous l’autorité d’un autre, qu’il se soumette tout entier, sa personne et tous ses actes, et toute sa manière de voir ou d’agir, au bon plaisir et au jugement de son supérieur; qu’il se mesure selon la forme de celui auquel il s’est livré pour être jugé et instruit, et que ce soit peu pour lui de plaire à tous les autres hommes ou d’être quelque chose à leurs yeux, si, par son jugement et par son libre arbitre, il ne plaît pas en Jésus-Christ Notre-Seigneur.

C’est ici que l’on peut connaître ce que je suis et ce que j’ai été jusqu’ici, c’est-à-dire un homme faible à supporter les répréhensions; car les réprimandes des supérieurs ne m’ont que trop souvent inspiré l’orgueil de récalcitrer, parce que je n’étais ni assez humble ni assez soumis. Quant aux corrections de mes inférieurs ou de mes égaux, elles m’ont trop abattu. Daigne mon Dieu me faire la grâce de garder en toutes choses la mesure et mon degré, de telle sorte que l’inférieur ne me cause pas un abattement répréhensible, ni le supérieur un orgueil coupable! Plaise à Dieu que je sois plus attentif à mon amendement qu’à la manière et aux paroles de celui qui me corrige! Celui qui n’a pas en lui-même ou qui ne trouve pas de quoi se consoler succombe facilement sous le poids de la répré - hension; celui, au contraire, qui a en lui-même ou croit avoir de quoi se consoler se console promptement des répréhensions. Il résulte de là que tu dois reprendre avec prudence ceux qui se déplaisent à eux-mêmes; car l’admonition, si elle n’est bien faite, leur cause trop d’abattement. Quant à ceux qui se plaisent à eux-mêmes, ils supportent plus facilement les répréhensions. Par conséquent, autre doit être ta conduite envers un mélancolique ou un flegmatique, et autre envers celui qui est d’un tempérament colère ou sanguin; mais, pour ce qui te regarde, aie bien soin de n’être ni colérique ni sanguin, quant au consentement; de n’être ni flegmatique ni mélancolique, te souvenant de ces paroles: «L’homme sage dominera les astres: Vir sapiens dominabitur astris.» Cela se fait par la grâce de Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui perfectionne nos natures ou nos caractères en lui-même, par lui-même et de lui-même.

Un autre jour, après la fête de la Visitation, en commençant ma méditation accoutumée sur les mystères de la vie de Jésus-Christ, et en considérant comment, dans le mystère de l’Annonciation, la très-sainte Vierge s’offrait tout entière pour être la servante du Rédempteur, je sentis s’allumer en moi de grands et d’excellents désirs, souhaitant que tout ce que je ferais désormais fût à l’avance, par la grâce d’une certaine annonciation, dirigé et rapporté par moi à la plus grande gloire de Dieu. Je souhaitais également que toutes les femmes engagées dans les liens sacrés du mariage eussent, avant de devenir mères, l’intention d’accomplir toutes les bonnes œuvres que le Seigneur exigera d’elles pour l’éducation de leurs fils ou de leurs filles. Je formais les mêmes désirs, tant pour les pères de ces enfants selon la chair, que pour leurs pères selon l’esprit, qui ont la mission de les diriger dans la voie du salut. De plus, considérant tout ce dont je retire maintenant de l’utilité, comme mes bonnes œuvres, mes travaux ou mes études passées, je souhaitais que tout cela eût la même valeur aux yeux de Dieu que si je le lui avais offert, dès le commencement de ma vie, pour le bien spirituel de cette Allemagne.

En méditant le mystère de la Visitation et en considérant la grâce de la très-sainte Vierge, qui était si agréable au Très-Haut, qu’elle eût pu même obtenir la sanctification de Jean-Baptiste, je désirais que cette divine Vierge daignât elle-même visiter mon âme et mon corps, et tout ce qui serait en eux, et m’obtenir que tout fût sanctifié et devînt agréable à Dieu, et que s’il y avait quelque chose d’impur, cela fût purifié.

En méditant le mystère de l’Adoration des bergers, venant se prosterner aux pieds de l’Enfant-Dieu, je demandais cette grâce: que le Seigneur daignât me corriger tout entier, ainsi qu’il corrigea les bergers, qui désiraient des choses basses et dont l’esprit ne s’élevait pas au-dessus de ces choses. Avec les Mages, je souhaitais d’être abaissé, d’être humilié de cœur et de désirs, comme je souhaitais de m’élever d’esprit avec les pasteurs.

Le même jour, à la sainte messe, considérant que Dieu est clément, plein de miséricorde, qu’il est touché de nos souffrances et de nos afflictions; considérant, en outre, que toutes choses sont présentes à ses yeux, je lui demandais qu’il daignât traiter en sa miséricorde cette Allemagne, et lui porter la même compassion que si elle souffrait déjà tous les maux qui lui arriveront, si elle ne retourne à la foi catholique et à l’amour de l’Eglise romaine.

Le jour de l’octave de la Visitation, considérant que c’était le jour où, un an auparavant, j’avais fait ma profession, j’éprouvai une grande dévotion au sujet de mes vœux. Je demandais à Dieu le Père la grâce de la persévérance et d’un continuel accroissement de la chasteté, par laquelle ma chair doit être réédifiée et corroborée contre ses fragilités, que ses propres concupiscences charnelles lui font surtout connaître. Je confiais à Dieu le Fils le soin de mon obéissance, attendu qu’il s’est fait obéissant jusqu’à la mort. Au Saint-Esprit, je confiais la pauvreté, le suppliant de vouloir constamment me conserver dans l’amour de la pauvreté, en sorte que mon cœur ne cessât jamais de l’aimer. Je demandais aussi que les trois puissances de mon âme fissent toujours des progrès dans la connaissance, le souvenir et les affections, conformément aux trois vœux; et que, pour cela, le Père influât la puissance dans chacune de mes facultés, prenant soin principalement de ma mémoire; que le Fils y influât également la sagesse et la lumière, et qu’il prît soin de mon entendement; et que le Saint-Esprit inspirât tous les dons, et qu’il prît soin de la volonté. Je suppliais aussi la très-sainte Trinité, qui est une par essence, qu’elle daignât résider dans mon cœur en sa bonté, répandant les attributs personnels dans les trois puissances de mon âme. Quant à la très-sainte Vierge, je la conjurais d’être mon avocate pour tout ce que je demandais, vu qu’elle est elle-même un si véritable modèle de virginité, d’obéissance et de pauvreté. En cette divine Vierge, la chair est souverainement pure, l’âme souverainement nette et l’esprit souverainement saint. Chacune de ces grâces a été produite en elle avec une si grande puissance de la vertu de Dieu, avec tant de sagesse et de bonté, que chacune d’elles suffirait par elle-même pour conserver les deux autres dans leur pureté ; c’est-à-dire que sa chair est tellement pure, qu’elle suffirait pour qu’aucune souillure ou tache ne pût ni ne sût jamais arriver soit jusqu’à l’âme, soit jusqu’à l’esprit. Et de même, l’esprit est tellement rempli de dons, qu’il suffirait, pour abstraire et garder tellement l’âme, que jamais rien qui ne fût très-pur ne pût entrer ni en elle ni dans sa chair. De même, à son tour, l’âme possède une si grande perfection, qu’elle suffirait, à elle seule, pour éclairer l’esprit et la chair.

Le jour de la dispersion des Apôtres dans le monde, je sentis un ardent désir que cette fête fût en grande vénération et qu’elle devînt universelle. J’éprouvais de grandes consolations spirituelles dans mes oraisons, et je souhaitais d’un très-vif désir que les apôtres suivissent Notre-Seigneur dans ma maison, attendu qu’ils savaient mieux l’honorer, le servir, comprendre sa volonté, ses entretiens et ses paroles, et qu’ils excuseraient mon ignorance en de pareils offices. Il se présentait aussi à mon esprit différentes recommandations pour mes frères dispersés.

Le jour de saint Alexis, tandis que j’étais occupé à méditer les mystères de Notre-Seigneur, je reçus une certaine lumière. Méditant sur les Rois mages, je sentis un vif désir que le pèlerinage de don Jean d’Aragon se fît pour reconnaître et honorer celui des trois Rois venant adorer Notre-Seigneur. Je voyais combien il serait convenable que ces Rois fussent visités dans le sanctuaire où reposent leurs reliques, à cause du grand honneur qu’ils ont rendu à Jésus-Christ. En ce moment s’offraient aussi à moi certains souvenirs sur les pérégrinations de saint Alexis, de saint Jacques, de saint Roch, de Notre-Seigneur Jésus-Christ, de la bienheureuse Marie Notre-Dame, des saints Apôtres; et de tous ces souvenirs naissait en moi l’espérance que ces pèlerinages des catholiques en divers sanctuaires seraient très-agréables à Notre-Seigneur et à tous les saints, principalement dans ces temps et dans ces régions où les pèlerinages sont déjà si rares, parce que les hérésies enlèvent à des œuvres d’un si grand prix l’estime que les peuples doivent en faire.

Un jour, tandis que je pensais à l’Annonciation de la très-sainte Vierge et que je souhaitais avoir quelques bonnes nouvelles de mes compagnons, me soumettant néanmoins en cela au bon plaisir de Notre-Seigneur, je sentis mon âme sous le poids de certaines tristesses et amertumes, provenant de trois causes ou au moins de quelques-unes d’entre elles: la première était l’impuissance de connaître si je n’étais pas désagréable à Dieu et à ses saints, à cause de mes imperfections et de mes défauts, et la crainte que j’avais sur ce point; la seconde, la pensée d’être éloigné du Seigneur; la troisième était la crainte que j’éprouvais en voyant que j’étais infructueux, et en considérant le peu de fruit que l’homme produit ici-bas. Delà me venait un très-ardent désir que la Vierge Marie elle-même, premièrement, me rendît agréable à Dieu, attendu qu’elle est pleine de grâce; secondement, qu’ayant toujours joui de la présence de Jésus-Christ, elle me tînt rapproché et voisin de cet adorable Maître; troisièmement, qu’étant bénie entre toutes les femmes, elle me préservât du malheur d’être maudit parmi les hommes; quatrièmement, qu’en considération de ce que son fruit est béni, elle m’accordât la grâce de faire quelque fruit dans le service de Jésus-Christ Notre-Seigneur.

A l’époque où don Jean d’Aragon voulait faire son pèlerinage à Cologne, je sentis en moi un désir extraordinaire que son pèlerinage fût grandement agréable à Dieu et à la très-sainte Vierge, Mère de Notre-Seigneur, ainsi qu’à tous les anges et à tous les saints, mais principalement aux trois Rois, à sainte Ursule et à ses compagnes. Je souhaitais tout cela, pour le bien spirituel de don Jean, pour la pacification des peuples en guerre et pour la sérénité d’une époque agitée par tant de troubles. Je le demandais instamment à Dieu, comme compensation du bien reçu de l’Espagne, et à cause des pèlerinages si agréables au Seigneur que les Allemands avaient faits autrefois dans ce royaume, visitant saint Jacques, Notre-Dame de Monserrat, Notre-Dame de la Guadeloupe. Je demandais encore ces grâces à Dieu, pour obtenir dans les voyages la sécurité contre les voleurs et les périls des étrangers. Je les demandais, en outre, pour apaiser Dieu et ses saints, si souvent offensés, depuis quelques années, par le mépris manifeste que l’on fait des voyages sur mer, des pèlerinages et d’autres œuvres pieuses et saintes entreprises dans un but de pénitence et pour l’honneur de Dieu et de ses saints, enfin de toutes les bonnes œuvres, quelles qu’elles soient.

Je recevais, en même temps, des lumières et des mouvements de ferveur, pour exalter le mérite de toute œuvre pie faite uniquement pour Dieu et Notre-Seigneur et pour la gloire de ses saints. Je me sentais aussi percé d’un glaive de douleur de voir que les œuvres des saints n’étaient point méditées et que les actes mêmes de la vie de Jésus-Christ n’étaient ni approfondis ni estimés à leur valeur. Je m’affligeais, en particulier, de ce que l’on ne considérait pas de plus près les douleurs et les tourments endurés parles martyrs, qui furent si chers et si agréables à Dieu.

C’est pourquoi j’ai noté quatre choses dont il est facile de reconnaître l’importance, et sur lesquelles il faut le plus insister dans la pratique. La première est de considérer l’action que l’on fait; de voir, par exemple, si cette action tourne à l’honneur de Dieu, à la gloire des saints, ou à la pénitence pour l’utilité propre de l’âme, ou à l’utilité du prochain, etc. La seconde est de considérer pour qui on fait une telle œuvre, et quel est le but que se propose celui qui la fait; la troisième est de considérer l’esprit qui fait agir: si c’est la crainte servile ou filiale de Dieu, ou bien l’amour de Dieu ou du prochain, ou quelque affection pieuse et droite qui meut la volonté, ou bien encore la lumière naturelle de la raison à laquelle la volonté obéit. La quatrième est de considérer que la bonne œuvre que l’on fait est acceptée par la Majesté divine, qui est si libérale, si bonne et miséricordieuse, qui considère le travail et la peine, qui doit honorer d’un tel comble de gloire ceux qui ont servi Jésus-Christ son Fils Notre-Seigneur, qu’elle veut que Jésus-Christ soit lui-même le grand Ange ayant en main l’encensoir d’or dans lequel il présente et fait valoir toutes nos bonnes œuvres.

Le jour de sainte Praxède, tandis que je scrutais dans l’oraison les mystères de la vie de Jésus-Christ, il me vint à la pensée de demander certaines grâces, et qu’il fallait les demander à Dieu même par les mérites des mystères de l’Annonciation, de l’Incarnation, de la Visitation: c’était qu’il daignât m’inspirer le mode et le rite de le louer lui-même, de l’honorer, de penser en lui et à lui, de le connaître, de me souvenir de lui, de l’aimer et de le désirer, de le servir, de le vouloir, de le voir, de l’entendre, de le sentir, de le goûter, de le toucher en quelque sorte de mes mains; qu’il m’accordât en outre par les intercessions de Jésus-Christ de penser et de sentir d’une manière entièrement conforme à la règle des ordinations et des méthodes de sa sainte Église, sur tous ces points: la doctrine vraie et catholique, les sacrements, les prières et les invocations des saints, et les bonnes œuvres en souvenir des âmes retenues dans le Purgatoire.

A la messe, il m’arriva un autre désir: pensant aux bonnes œuvres, quelque excellentes qu’elles dussent être, qu’il me serait donné de faire dans le cours de ma vie, je souhaitais ardemment de les faire par l’indication du bon et saint ange. De là me venait la pensée qu’il n’était pas agréable à Dieu de réformer certaines choses de la sainte Eglise, sur la demande des hérétiques; car quoique les hérétiques, de même que les démons, confessent beaucoup de vérités, ils ne parlent pas cependant par l’esprit de vérité, lequel esprit de vérité est le Saint-Esprit.

Enfin, après la messe, ne sentant pas en moi le même goût spirituel que je sentais auparavant et dont j’avais un ardent désir, il me survint un autre désir qui n’est pas à dédaigner: c’était que Notre-Seigneur Jésus-Christ me fît faire la visite intime et secrète de mes défauts les plus cachés, tant de la mémoire que de la volonté et des sens, et qu’il daignât lui-même m’en guérir par sa grâce; de même, qu’il me fît connaître et pratiquer toutes les vertus et dons secrets, sur lesquels je n’avais jamais médité, et dont, néanmoins, j’étais bien plus dépourvu que de ceux dont je sens en moi le défaut.

J’avais eu auparavant un autre désir: c’était que Notre-Seigneur daignât en tout et toujours diriger selon son bon plaisir les sentiments que, par l’inspiration sainte du bon esprit, j’éprouverais tant par rapport à moi qu’aux autres. Car j’ai coutume de dire, d’écrire et de faire plusieurs choses sans conserver l’esprit dans lequel je les avais commencées. Par exemple, il m’arrive quelquefois d’exprimer avec un esprit paisible et joyeux et avec grâce extérieure certaines choses que j’avais auparavant senties avec un esprit de componction et avec certains gémissements spirituels. Il en résulte que ce que je dis est moins profitable à l’auditeur, parce que cela ne lui est pas donné dans un esprit aussi bon que l’était celui dans lequel je l’avais reçu. Je demandais donc à Notre-Seigneur de m’accorder la grâce que, dans le commencement et le progrès de l’œuvre, soit dans mes paroles, soit dans mes écrits, je fusse soutenu par le même esprit qui m’avait soutenu dès la première pensée de l’œuvre: ce qui arrivera lorsque le même esprit sera dans le cœur, dans la pensée, dans la parole et dans l’œuvre. De là me vint une certaine intelligence et une connaissance spéciale de ce passage de l’Ecriture: «Jésus-Christ fut conduit par l’Esprit dans le désert: Ductus est Jesus a Spiritu in desertum;» et de cet autre: «Il vint en Esprit au temple: Venit in Spiritu in templum.» Ces paroles nous font concevoir une certaine opération spéciale de l’esprit, qui meut la personne à agir ou à parler, mais qui ne la laisse pas dans son mode humain et propre de sentir.

Le jour de la fête de saint Jacques, à la messe, dès l’Introit, me sentant lié par mes défauts et mes imperfections, et ayant récité le verset: «Pourquoi m’avancé-je triste. tandis que l’ennemi m’afflige: Quare tristis incedo dum affligit me inimicus?» j’eus cette lumière, et j’entendis ces paroles dans mon esprit: «Pourquoi es-tu triste à cause de tes

«afflictions et des suggestions de l’ennemi,

«attendu qu’il ne s’efforce de te rendre triste

«que parce que tu n’acquiesces pas à sa vo-

«lonté ? Tu t’attristerais à bon droit si Notre-

«Seigneur Jésus-Christ lui-même t’affligeait.»

Ce même jour, je m’arrêtai à une considération qui déjà m’avait bien souvent frappé, à savoir: que pour trouver une meilleure préparation de l’esprit il fallait d’abord que l’homme eût son intention élevée aux choses qui sont de Dieu, et que c’est par ce moyen qu’il fait des progrès et non en portant principalement le regard, comme je l’ai souvent fait jusqu’ici, sur le trouble de la tentation et sur le remède de la tristesse. Car celui qui cherche Notre-Seigneur et ce qui est de son service, seulement et principalement pour repousser les tentations et la tristesse, ne rechercherait pas immédiatement la dévotion pour elle-même. Il agirait donc d’une manière déraisonnable et ferait peu de cas de la dévotion, s’il n’était affligé. Et c’est là chercher l’amour par la crainte de l’imperfection et de la misère, dans un sens bon et spirituel, c’est-à-dire pour éviter le mal. C’est pourquoi Dieu, dans des vues de justice et de miséricorde, envoie, pour un temps, aux siens, ces sortes de troubles. Je me disais donc à moi-même: C’est parce que ton cœur ne soupirait pas avec assez d’amour vers les biens de Dieu, et c’est aussi afin que tu ne deviennes pas tiède et oisif, que Dieu t’envoie de tels aiguillons, ces sortes de tristesses, et qu’il te pique par ces éperons, pour te faire entrer et avancer dans la voie du Seigneur, sans repos, jusqu’à ce que tu te reposes en Dieu lui-même, en Jésus-Christ Notre-Seigneur. Et comprends bien que tu ne devrais pas rester dans le repos, alors même que tu n’éprouverais de la part de l’ennemi ni troubles, ni tentations, ni sentiments de malice, ni vanités ou imperfections, ainsi que le font les tièdes et les oisifs, et tous ceux qui ne s’appliquent qu’à ne pas tomber, négligeant le progrès dans la voie du Seigneur. Pour contenter l’ambition spirtuelle de tels hommes, il suffirait de la sécurité de ne pas tomber, bien qu’ils aient devant eux mille moyens d’avancer dans la perfection. Ne mets donc pas ton contentement en ce que tu ne descends pas, tu n’es pas vaincu par l’ennemi, tu ne recules pas; mais établis dans ton cœur des ascensions, des accroissements et des progrès dans les voies intérieures, non point par la crainte de descendre, de reculer ou de tomber, mais à cause de l’amour de la sainteté, et non pas seulement parce que de telles pensées peuvent te défendre des mauvaises pensées. Désire et aie soif de sentir les choses spirituelles, non pas tant parce qu’elles sont des remèdes contre les affections mauvaises ou vaines, qu’à cause de ce qu’elles renferment en elles-mêmes. Il résultera de là que tu arriveras enfin à aimer Dieu pour Dieu seul. Par conséquent, rejette et éloigne de toi tout ce qui est vain, toute oisiveté, et à plus forte raison les péchés, comme étant des obstacles qui empêchent l’accès de Dieu, la vue de Dieu, le repos et la conversation en lui.

Le jour de sainte Marthe, vierge et hôtesse de Notre-Seigneur, tandis que je priais pour une personne de France dont je venais d’apprendre la mort, ainsi que pour le repos de l’âme de Mme Antoinette, qui avait été attachée à la personne de la marquise de Postura, je trouvai une grande dévotion et des considérations spirituelles en m’occupant de ces deux âmes. Je lus ensuite les oraisons que l’on a coutume de dire dans l’Eglise pour les défunts, et dans lesquelles on recommande aussi à notre vénération et à notre culte les corps de ceux qui sont dans le tombeau. Or, en lisant ces oraisons de l’Eglise, je ressentis une grande ferveur d’esprit pour ces pieuses recommandations des corps des défunts. Je sentais dans mon cœur une sainte tendresse pour les morts, qui m’était inspirée par la grandeur de ma foi; et il se présentait à mon esprit d’autres salutaires considérations que je voudrais voir aujourd’hui plus populaires que jamais, sur les sépultures des fidèles catholiques; et alors même qu’il serait certain que leurs âmes sont au ciel, ces considérations n’auraient pas moins d’utilité. Je sentais que les prières qu’on fait pour la résurrection de ces corps sont agréables à Dieu. De la vue de ces tombeaux et de la méditation de ces sépultures, on peut s’élever à la considération de cette Sagesse souveraine par laquelle doit se faire un jour la miraculeuse résurrection des morts. La foi nous assure que cette poussière qui est maintenant sous nos yeux doit devenir un corps resplendissant de beauté, pour la gloire de chacun d’entre nous. Quand on voit les reliques de ces corps, on peut rendre des actions de grâces à Dieu, qui a opéré tant de bonnes œuvres par ces instruments qui maintenant sont comme rien dans les sépulcres. Ces considérations et d’autres semblables ont un double résultat: elles portent les chrétiens à penser aux âmes des défunts, à rendre grâces à Dieu si elles sont au ciel, et à demander miséricorde et pardon pour elles si elles sont en purgatoire. Mais, de plus, elles enracinent et corroborent dans les âmes cet article fondamental de notre foi, la résurrection de la chair.

Mémorial du bienheureux Pierre Lefèvre, premier compagnon de S. Ignace de Loyola

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