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CHAPITRE PREMIER

Table des matières

Comment je connus Rodin.

Je n’avais pas vingt ans lorsque mon ami, le Peintre Martin, m’emmena visiter le Pavillon Rodin, à l’Exposition de 1900. Devant les figures qui semblaient vouloir s’évader du bloc de marbre, comme «La Pensée», je ne me tenais pas d’admiration:

— Rodin, me dit mon ami, a une mauvaise réputation d’homme, mais c’est un artiste incomparable. Il faut l’aimer.

Je ne me doutais pas alors que je passerais à côté de lui les dernières années de sa vie.

Ce fut vers 1906 que j’eus la première fois l’occasion de lui parler.

Une de mes parentes était entrée en qualité de couturière, à Versailles, chez Mme la marquise de Ch..., plus tard duchesse, autrement dite «La Muse». Je vins l’y voir un jour. Rodin se trouvait là. La marquise lui ayant dit qui j’étais, il voulut me voir.

— Je vous connais depuis longtemps, Maître, lui dis-je; vous êtes l’artiste qui m’a le plus émue.

Il me fit asseoir près de lui, me demanda en quel sens ses œuvres m’émouvaient, et si réellement j’étais franche.

— Je vous aurais aussi bien dit le contraire si je le pensais, répondis-je, car je n’ai pas encore l’éducation du mensonge.

Il fut si ravi de ma réponse, qu’il me questionna sur ma vie, mon travail, ma situation. Je lui expliquai tout ce qu’il me demandait avec une grande franchise, pendant qu’il examinait ma figure.

— Est-ce que vous poseriez pour moi? dit-il, j’ai des modèles dont je ne suis jamais sûr...

— Non, maître. Je n’ai jamais posé et je ne poserai certes pas devant vous. Vous avez une trop mauvaise réputation.

La marquise éclata de rire. Rodin resta silencieux quelques secondes, puis il se mit à rire, lui aussi, très fort.

— Je n’ai pas de secrétaire, reprit-il. Il me faudrait quelqu’un qui me dise tout. Vous paraissez intelligente. Si vous vouliez, vous viendriez chez moi, à Meudon. J’ai beaucoup à faire. Tout est en désordre. Personne ne m’écoute... On ne m’obéit pas, et on me ment tout le temps. Pouvez-vous venir demain?

— Avec plaisir, maître. C’est un bien grand honneur pour moi.

Plus j’ai connu Rodin, plus j’ai eu d’affection Pour lui. Il était d’une totale ignorance des choses de la vie. Seul son art le touchait. Rien n’était plus intéressant que de le voir travailler. Il était rarement satisfait de lui, doutait, était sensible aux compliments même des plus simples, je dirai même: surtout des plus simples.

De 1906 à 1908, cela marcha bien. Rodin faisait des bustes: Mmes K. Simpson, Lady Sacwille, la comtesse de Warwick, Harriman. Puis des œuvres: des torses, des baigneuses, etc. On demeurait plus a Meudon qu’à Paris.

J’avais vite compris que le jeudi était le jour voué à Vénus, car, ce jour-là, Rodin déjeunait avec son amie au Café de la gare d’Orsay. «Au Palais d’Orsay», me disait-elle. Mais un jeudi que Rodin avait oublié son portefeuille dans la chambre et sa Muse un objet de toilette, on m’envoya chercher le tout, et la femme de chambre qui les servait me conta le reste.

Rodin entreprit de visiter les cathédrales de France. Il faisait ses excursions d’habitude avec Mme de Ch... Mais un jour il eut la fantaisie d’emmener sa femme. Quand ils revinrent à Meudon, Mme Rodin me conta son aventure. Ils arrivaient de Laon.

— Figurez-vous qu’à l’hôtel tout le monde me regardait curieusement. M. Rodin avait inscrit sur le livre: «M. et Mme Durand». Je lui demandai pourquoi il faisait ça, M. Rodin se mit en colère. Il a fallu que je me laisse appeler Mme Durand tout le temps. Vous comprenez ça?

— Bah! c’est un caprice d’artiste, ça n’a pas d’importance, disai-je. Et après, il a été gentil?...

— Il ne sortait pas de l’église. A toute heure il y était et il écrivait sur des cahiers. Tenez, madame Martin, en voilà qu’il avait oubliés et que j’ai rapportés.

En revenant de ces études, il était fatigué, et nous demeurions à Meudon. En travaillant il me racontait sa jeunesse. C’est ainsi que j’ai appris une biographie de Rodin qui doit être exacte. Elle diffère en tout cas de celles que j’ai lues.


Rodin intime : ou l'Envers d'une gloire

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