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CHAPITRE II

Table des matières

Un peu de la vie de Rodin telle qu’il me l’a racontée.

— Je suis né rue de l’Arbalète, me dit-il, dans le quartier Mouffetard. Je faisais beaucoup l’école buissonnière. Quand j’arrivai aux mathématiques, Je ne pus pas résister. Je n’y comprenais rien. J’étudiais avec plaisir les feuilles, les arbres, l’architecture. Papa ne voulait pas que je devinsse un artiste. «C’est des fainéants et des propre-à-rien», disait-il. Papa était Normand, d’Yvetot, dans la Basse-Normandie. Ma mère était Lorraine. Papa était inspecteur de police détaché à la maison de répression Boudeau à Saint-Denis.

— Tu n’as pas connu ça, toi, Rose? continuait-il, s’adressant à sa femme. C’était en face du marché en bois. Elle n’existe plus depuis longtemps. En 1871 papa perdit complètement la vue.

— Je me souviens, disait Rose. C’est deux ans après la mort de ta mère... Auguste avait trois ans.

Puis ils parlaient de leurs amours.

En débarquant de sa Champagne, elle, Marie-Rose Beuret, était entrée en qualité de confectionneuse chez une Mme Paul, dans le quartier des Gobelins. Rodin travaillait en ce temps à la décoration du Théâtre des Gobelins; les deux cariatides de la porte sont de lui. Ils se rencontrèrent. Amours de midinette et de rapin qui ont duré cinquante-quatre ans. Un an après, en 1866, Auguste vint au monde à la Maternité. Les parents de Rodin prirent la jeune femme et l’enfant rue de la Tombe-Issoire.

— Moi, j’étais à Sèvres? interrompait Rodin.

— Auguste avait cinq ans quand tu travaillais à Sèvres, rétorquait Rose.

Ils discutaient. Conciliant, Rodin cherchait dans sa mémoire.

— Tu as raison, mon chat. M. Loth était directeur de la manufacture et j’y travaillais pour M. Jannus.

— Avez-vous été soldat, maître? demandai-je.

— Oui et non. En 71 nous demeurions sur la Butte-Montmartre, rue des Saules. J’étais garde national. On m’appelait dans le quartier: «Le grave caporal en sabots». Ce métier ne me plaisait pas. Rose, te souviens-tu? C’est alors que je repartis Pour la Belgique avec de grands projets et pas le sou.

— Et moi, je gagnais vingt-cinq sous par jour en confectionnant des chemises pour les soldats. Auguste et moi vivions avec ça. Tu nous laissas des mois sans nouvelles. Ah! je m’en suis fait du mauvais sang pour toi, ma vieille!

— Je travaillais à l’Hôtel-de-Ville de Bruxelles avec Paul Van Rasbourg. J’ai fait aussi le d’Alembert de l’Hôtel-de-Ville de Paris.

— Quand je vins te rejoindre, tu faisais l’Age d’Airain que le soldat du génie posait.

A cette évocation, Rodin devint soucieux. Ironique, il dit:

— J’appelais ça «l’homme qui s’éveille à la Nature»... On me le refusa au Salon. Les imbéciles!... Ils m’accusèrent d’avoir moulé un cadavre! C’est depuis que je hais l’Ecole et l’Institut. Ma haine ne s’affaiblira jamais pour ces grotesques institutions.

Après la Commune, Rodin voyagea. En Belgique, à Marseille, à Cannes, à Strasbourg, en Italie, etc. En 1878, il collabora à la décoration du Trocadéro. Puis il loua au numéro 36 de la rue des Fourneaux un atelier où se trouvaient déjà Escoula, l’auteur de la Piété Filiale, Millet de Marcilly, Fourquet, la baronne de Lonlay, qui s’initiait à la céramique avec L. Gouillhet, Mengue, Mathet, et d’autres dont je ne me souviens plus. De son atelier sortirent: Bellonne, Mignon, la Création qu’a posée un athlète forain nommé Caillou et surnommé «l’homme à la mâchoire de fer». Un paysan des Abbruzzes, Pignatelli, beau comme un Dieu, a posé le «Saint-Jean-Baptiste». Un concierge, qu’on appelait Bibi, «l’Homme au nez cassé ».

— Cette figure aurait dû me porter la gloire, me disait Rodin. Mais on ne l’a pas comprise. De la rue des Fourneaux, je m’en vins rue d’Assas. Là, je Pris une élève, Mlle Camille C..... . Elle était très belle. Elle arrivait de Villeneuve-Saint-Pair. Son père était avocat à C......-T...... Elle l’avait quitté pour suivre sa vocation. Elle eut tout de suite du talent et obtint une troisième médaille avec «Grand’-Mère », une vieille femme en bonnet tuyauté.

Mme Rodin, interrompant ces souvenirs, lui rappela les scènes et la vie atroce qu’il menait avec ses deux faux ménages. Elle trépignait encore de fureur et de jalousie, cependant que Rodin, fort calme, continuait à dessiner.

— Tu as été la plus aimée, puisque c’est toi qui es là, Rose!

C’était son acte de contrition.

Dans les derniers jours de sa vie, Rodin, se provenant au bras du sculpteur Paulin qui faisait son buste, s’arrêta devant une terre cuite représentant Mlle C..... M. Paulin dit:

Elle est enfermée à Ville-Evrard...

— Vous ne pouviez pas me rappeler un plus mauvais souvenir, répliqua vivement Rodin, qui retrouvait presque toujours une parcelle de lucidité quand on parlait du passé.

Ils demeuraient faubourg Saint-Jacques, près de l’hôpital Cochin, quand son père mourut en 1883. Rodin s’exprimait toujours sur son père avec un grand respect, et il restait longtemps silencieux quand il venait d’en parler. Auguste les quitta en 1885 et, un an après, il partait au régiment, à Nancy.

— Surtout, imbécile, tâche au moins de gagner des galons, puisque tu n’es bon à rien, avait dit Rodin, à son fils, en guise d’adieu.

Il lui envoyait vingt francs tous les mois. Rodin et sa femme vinrent demeurer alors au n° 71 de la rue de Bourgogne. De 1887 à 1891, Rodin fit le Sphinx, Homme et Serpent, le groupe du Sphinx, le Printemps, Faune et Femme, Tête de Femme, Femme se tenant le pied, la Faunesse, Faunesse à genoux, Luxure et Avarice, Femme et Enfant dans une coquille, le Baiser, Homme au Rocher, Trois Muses, Ugolin et ses enfants, Victor Hugo, la République Ailée, etc... Beaucoup de ses œuvres sont rebaptisées aujourd’hui avec fantaisie.

Rodin intime : ou l'Envers d'une gloire

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