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II

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Sous les ombrages du Gigot venaient de s’arrêter deux voitures, attelées chacune d’un solide cheval percheron et portant un chargement aussi bizarre que disparate.

De longs madriers peints de toutes les couleurs s’y entassaient sous des ballots de grosse toile; des caisses de toutes formes et de toutes dimensions faisaient pyramides et des chaises, des tables, des escabeaux peints en blanc s’accrochaient un peu partout. Deux autres voitures, de cette sorte qu’on appelle roulottes, stationnaient à quelques pas plus loin.

L’une d’elles attirait les regards des passants, non seulement par sa fraîcheur et son élégance, mais par le charmant coup d’œil qu’offrait sa galerie à balustrade de bois tourné. — Des stores d’andrinople rouge baissés du côté du soleil y tamisaient une lueur chaude, sous laquelle dormait paisiblement, en compagnie d’un joli caniche tout blanc, une ravissante fillette de six à sept ans.

Elle était étendue sur le petit banc adossé à la paroi du devant. Sa tête avait pris comme oreiller la fourrure de son ami, et sa figure, à demi voilée par des boucles noires, ses paupières frangées de longs cils, son teint d’ambre et de rose comme disent les poètes, auraient pu tenter le génie d’un grand peintre.

A côté de la roulotte, une femme d’âge moyen, de tournure convenable et de mise décente, étendait du linge sur une corde tendue d’un tronc d’arbre à l’autre. Un bébé blond, joli, mais un peu frêle, accroché à son tablier, la suivait en trottinant.

Cependant le déchargement des grandes voitures venait de commencer, Trois hommes s’en occupaient avec une activité remarquable, les deux premiers du moins, le troisième, un adolescent, efflanqué, aux joues creuses, à l’œil terne, se ménageait beaucoup plus.

Celui qui paraissait le chef de l’entreprise, Jos Viguier, déjà présenté à nos lecteurs comme le mari de Victoire, était un vigoureux gaillard dans la force de l’âge, admirablement découplé et d’une physionomie ouverte et cordiale qui faisait plaisir à voir. Son compagnon, au contraire, sorte d’hercule brutal et sournois, n’excitait l’intérêt que par sa force vraiment prodigieuse et son. adresse égale à sa force. — A lui seul, il enlevait d’un tour de main des poids qui eussent semblé lourds à deux hommes; il maniait une caisse pleine et la jetait sur son épaule comme si c’eût été une botte de paille; il prenait à grandes brassées les solives, les poutrelles, les transportait à l’endroit où devait s’élever la baraque, puis venait en rechercher d’autres, sans avoir l’air fatigué le moins du monde. — Son gilet de tricot rouge se tendait sur son torse puissant, les muscles de ses bras, laissés à nus par ses manches retroussées, se raidissaient en grosses cordes; c’étaient là les seules marques d’effort que l’on pût apercevoir, tant Marius-Isidore Margasse était bien doué sous le rapport du développement physique.

Une fillette dormait près d’un caniche.


Son fils, Achille Margasse, malgré son glorieux prénom, ne lui ressemblait guère. Toujours geignant, toujours grognant, il s’en allait, tirant la jambe, traînant les pieds, laissant tomber les bras, avec un certain air de prétention sur son visage blafard. Il se rendait, après tout, fort utile dans la baraque, grâce à une dislocation des membres qui lui valait de nombreux succès auprès des amateurs. Sa mine lamentable et semiahurie faisait de lui un assez bon Gugusse; il triomphait surtout dans les rôles de Pierrot, et sa stupéfiante mémoire lui fournissait toujours un boniment, une chansonnette ou une romance à point nommé.

Sa mère, inscrite sur les programmes du théâtre sous le nom de la belle Léocadie, était la femme de l’hercule, et la sœur de la première Mme Jos Viguier; elle était par conséquent tante de Rita. — Elle avait pu passer pour une beauté dans sa jeunesse: une beauté blonde, froide, régulière, placide. Son mari, l’hercule, lui faisait grand’peur; pourtant il la ménageait, par un reste d’affection d’abord, et puis parce qu’il avait besoin d’elle.

Sa nature douce et paisible convenait tout particulièrement au dressage des animaux; elle y apportait une extraordinaire patience, et les chats, chiens, chèvres, singes, sortis de ses mains faisaient merveille. — Elle en tirait même un profit assez notable, car, plus d’une fois, elle avait vendu ses élèves à prix élevé.

Sa roulotte, où régnaient d’ailleurs en tout temps le désordre et la malpropreté, était une véritable arche de Noé. Dans tous les coins, on entendait piauler, miauler, aboyer, crier, grincer. Les bêtes mangeaient et couchaient avec les gens, et, sur la galerie extérieure, aussi sale que le reste, deux singes se chamaillaient sans cesse avec des cris stridents et amusaient de leurs ébats un gros perroquet gris, à l’œil narquois, qui, tout en se balançant sur un cercle de fil de fer, nasillait vingt fois par heure: — Achille! vaurien! — Achille! feignant! — Rita! sucre à Coco! —Léocadie! combien de recette?

Cette question, il l’avait apprise de lui-même à force de l’avoir entendu répéter chaque soir à l’hercule. — Mme Margasse en effet était la caissière. — Les jours de représentation, vêtue d’une robe de velours, jadis rouge, le front couronné de diamants à cinquante centimes pièce, elle trônait devant le petit comptoir drapé d’andrinople et festonné de dentelles blanches, sous un bec de gaz qui éclairait, dans le miroir placé derrière elle, le reflet de ses tresses blondes, encore opulentes. — Elle recevait l’argent, rendait la monnaie, correctement, de sa main potelée, et ajoutait d’une voix un peu grasseyante: «Messieurs! Mesdames! les prrrremières sont à droite!» Vers neuf heures, quand la salle était pleine, elle emportait la caisse en lieu sûr, puis s’armant d’une baguette enrubannée, venait présenter la chèvre Milka, ou le chien Baroco, ou quelque autre de ses pensionnaires. Ils lui faisaient toujours honneur, et, satisfaite des applaudissements bien nourris qui éclataient à chaque prouesse, elle se retirait avec majesté, puis revenait surveiller la sortie et allait enfin se débarrasser de ses atours, pour ne les reprendre que le lendemain soir, car le reste du temps, en savates, en jupon mal attaché, sans corset, les cheveux mal peignés, elle vaquait avec l’aide du gémissant Achille aux divers soins que réclamaient ses acteurs à quatre pattes.

Mme Margasse à son comptoir.


C’était d’ailleurs une fort honnête femme, elle vivait en bons termes avec son beau-frère et même sa nouvelle belle-sœur, Mme Victoire.

Dans la roulotte Viguier, les choses se passaient tout différemment. — Jos, qui avait été marin de l’Etat, avait appris à tirer le meilleur parti possible d’un emplacement restreint. Ingénieux et adroit au possible, il avait imaginé une foule de systèmes, bien conçus pour embellir ou aménager commodément son modeste intérieur. — La roulotte, le jour, formait un vrai petit salon que ne déparait pas le lit caché dans une alcôve sous des rideaux de guipure artistement drapés. Dans les coffres qui servaient de sièges, s’entassaient les vêtements d’une part, la vaisselle de l’autre; le lit de Rita, suspendu la nuit comme un hamac, disparaissait dans la journée; aussitôt que les repas étaient terminés, tout ce qui avait servi à la cuisine ou à la table était lavé, remis en place dans des coins mystérieux dissimulés par des draperies, et Mme Viguier, la figure épanouie d’un bonheur rarement troublé, s’installait sur sa galerie, ou, si le temps était mauvais, près de sa petite fenêtre à quatre vitres, et faisait courir son aiguille aussi activement que jamais. — Sa corbeille à ouvrage se remplissait d’étranges chiffons. Elle avait assumé la tâche d’entretenir en bon état les hardes de la troupe et elle s’en acquittait de façon à mériter l’estime de tous; même de Margasse, qui appréciait l’avantage des remmaillages artistiques remplaçant sur ses maillots les restoupages de Léocadie. Celle-ci s’émerveillait aussi de voir la robe de velours rouge reconquérir sans cesse une nouvelle jeunesse grâce aux industries de Victoire, et les garnitures de dentelles de sa robe de soie violette reprisées avec autant de soin que si elles eussent été du point d’Alençon.

Quant à Jos, il était profondément heureux de ne point déchoir de son rang de clown distingué. — 11 avait longtemps servi dans un cirque de haute volée, y avait pris le goût des beaux costumes et de la tenue soignée, et tout en faisant les sacrifices exigés par la modestie de ses débuts comme chef de baraque foraine, il aurait été peiné de ressembler à ces pauvres diables de saltimbanques, loqueteux et chétifs. — Victoire faisait donc des prodiges de goût, d’invention, de travail pour que tous les acteurs fussent convenablement vêtus. — Achille lui-même avait des costumes de Pierrot d’une blancheur irréprochable, et quand Rita paraissait pour faire le petit amour sur la tête de l’Hercule, ou jouer une scène avec Baroco, ses jupes de tarlatane rose, ses petits souliers de satin semblaient sortir d’une boîte.

Le théâtre Viguier faisait de très bonnes affaires. Il était bien vu partout, car on y pouvait conduire les enfants en toute sécurité. Jos n’aurait pas permis qu’on chantât des chansons grossières ou qu’on débitât des plaisanteries risquées; aussi faisait-il la joie des familles dans toute la région du Sud-Est où ses tournées le ramenaient invariablement.

— Les Viguier sont arrivés! — C’était un cri général par tout le pays, et Jos ne manquait pas d’ouvriers amateurs pour l’aider à édifier sa jolie baraque, en forme de maison, recouverte de toile rayée gris et rouge, avec une marquise à lambrequins bordés de galon rouge. Sur le devant, deux portières en cretonne à grosses fleurs tombaient à droite et à gauche de la petite estrade d’entrée, et, au milieu trônait le fauteuil royal de «la belle Léocadie». — Quatre mâts vénitiens, avec de longues banderoles flottantes, un grand écriteau sur lequel on lisait en lettres d’un pied: Théâtre des Variétés amusantes, complétaient le décor. Sur l’estrade, les soirs de représentation, la musique composée d’une grosse caisse, d’un chapeau chinois confiés à l’hercule, et d’un cornet à piston dévolu aux soins d’Achille, était bien un peu maigre; mais quand Jos, excellent musicien, la renforçait, la foule s’amassait devant le théâtre. M. Viguier jouait également bien du cor anglais, du cor et du violon, il ne plaisantait pas quand il s’agissait de musique et Achille était tenu de marcher droit.

Dans la baraque, il y avait un piano tenu par... Victoire!! Au prix d’un travail surhumain, elle avait appris une douzaine d’airs de valse et de polka très faciles, mais bien rythmés. A force de les répéter, elle avait fini par arriver à un résultat très passable et les pantomimes pouvaient, sans trop de peine, se régler sur ses accords.

Les Filles du Clown

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