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PRÉFACE

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Quand la grande Guerre militaire actuelle sera terminée par la victoire des nations alliées pour la défense de la liberté des peuples, de la civilisation et de l’humanité, contre la barbarie et le despotisme germaniques, une Guerre nouvelle commencera, la Guerre artistique industrielle et commerciale, dans des conditions qui la feront également terrible et implacable.

La préparation parfaite de cette guerre est une des plus sérieuses et des plus instantes préoccupations de l’Entente. Personne ne veut s’exposer à se retrouver dans la situation tragique où nous étions tous, Français, Anglais et Russes, au moment de l’Invasion teutonne: les cruelles leçons de1914 ont porté leurs fruits.

L’Allemagne, de son côté, prend déjà toutes les dispositions et mesures imaginables pour essayer de compenser, dans la mesure des possibilités humaines, par les succès de ses artistes, de ses industriels et de ses commerçants, les défaites de ses généraux et de ses soldats. Et, dans cette tentative désespérée de revanche, elle apportera les méthodes supérieures d’organisation militaire, qui auraient amené notre écrasement, si l’idéal sublime et l’inébranlable héroïsme de nos armées n’avaient brisé sa ruée, et rendu ses crimes, ses horreurs et ses monstruosités stériles,–sinon pour elle d’une honte éternelle.

L’expression: «la Guerre artistique de demain» n’est pas une simple figure de rhétorique, employée dans la circonstance pour frapper l’imagination au moyen d’un titre sensationnel; elle détermine exactement la situation. C’est bel et bien une guerre, une guerre à mort, où ne peuvent espérer remporter une victoire définitive et décisive que les belligérants possédant les plus forts contingents de troupes, les plus puissamment armés, les mieux pourvus de munitions pour ainsi dire inépuisables, les plus résolument décidés à vaincre par leur vaillance, leur audace, leur esprit de sacrifice, leur endurance et leur ténacité.

Il ne saurait plus être question aujourd’hui de la concurrence artistique, industrielle et commerciale, telle qu’elle existait, il y a encore un demi-siècle, entre les nations civilisées, qui avaient établi, par la tradition et par l’usage, une sorte de code d’honneur, de loyauté et de courtoisie, ayant toute la valeur d’une convention internationale, universellement respectée. Les Allemands ont traité ce code-là comme un autre «chiffon de papier»; et, dans ce domaine nouveau de leur activité nationale, ils ont instinctivement apporté les principes, les idées, les habitudes et les mœurs de leur militarisme scientifiquement barbare.

Cette transformation de la concurrence traditionnelle en guerre moderne doit entraîner pour nos artistes et nos industriels d’art une transformation radicale de leur mentalité d’hier, où il semble bien qu’il entrait moins d’esprit de solidarité corporative que d’égoïsme individuel, plus de timidité que de hardiesse dans la lutte contre l’étranger, et surtout une trop grande confiance, souvent illimitée, dans la Tutelle de l’État, à qui l’on s’en remettait du soin d’aplanir toutes les difficultés, de résoudre tous les problèmes, et de faire la vie facile, agréable, douce, et fructueuse en bénéfices, honneurs et décorations.

L’opération sera d’autant plus aisée qu’en somme elle consistera dans la continuation pure et simple de la mentalité, autrement supérieure, acquise au cours de l’existence guerrière des tranchées.

Le titre de ce volume est ainsi parfaitement expliqué et hautement justifié.

Dans cette guerre nouvelle avec l’Allemagne, la Guerre artistique, il y aura aussi de la place et de la besogne pour tout le monde: sur le front, dans les tranchées, en seconde ligne, et à l’arrière. Chacun aura le devoir patriotique de faire tout ce qu’il pourra, de tout son cœur, de toute son âme, pour aider à la victoire finale et décisive. Personne, pour des raisons quelconques, à moins d’une invalidité complète, intellectuelle et physique, ne saurait s’y soustraire, sans être inculpé de désertion devant l’ennemi.

Depuis l’année1878, je me suis adonné spécialement à l’étude des questions concernant les Industries d’art. Pendant dix-huit ans, j’ai fait, pour le ministère de l’Instruction publique et des Beaux-Arts, des missions d’enquêtes en France et dans tous les pays d’Europe, sur les institutions diverses créées pour le développement et la propagation de ces industries: écoles, musées et associations. A la suite de ces missions, ne me contentant point de la publication officielle–hélas! souvent platonique– des rapports de ces missions, j’en ai voulu faire connaître les principaux documents et informations, au moyen de conférences publiques, de meetings populaires, et d’entretiens particuliers avec les municipalités, les chambres de commerce, les chambres syndicales, les associations artistiques, et les bourses du travail, dans tous les grands centres industriels. Et, en même temps, je tentais d’appliquer, ici et là, dans des écoles et dans des musées de ces mêmes centres, les innovations et les progrès réalisés à l’étranger.

Il m’a semblé que, dans les graves circonstances présentes, j’avais le devoir de mettre au service de ceux qui préparent, et qui vont faire la Guerre artistique de demain avec l’Allemagne, l’expérience que j’ai pu acquérir, pendant plus d’un quart de siècle de travaux, qui ont tout au moins le mérite de l’indépendance la plus complète d’idées, d’opinions et de buts.

Dans ce livre, j’ai analysé, avec autant de précision que possible, le puissant organisme d’enseignement et de propagande pour les Industries d’art créé par les Allemands dès1881, et qui leur a servi à battre en brèche, pendant trente ans, la suprématie artistique séculaire de la France, et qui leur servira encore dans la Guerre nouvelle de demain, sans aucun doute renforcé, intensifié et perfectionné. Je me suis efforcé de détruire les légendes, les erreurs et les préjugés qui ont cours en France A ce propos, et que les défenseurs de la centralisation administrative et de la Tutelle de l’État omnipotent mettent machiavéliquement à profit pour étayer leurs désastreuses théories sociales. Il ne s’agit point, ici, de faire admirer béatement les institutions particulières de nos ennemis, non plus que de les proposer sottement en exemples à suivre, en toute hâte, sans se préoccuper des différences d’idéals, de tempéraments et de caractères, qui existent entre les deux races si dissemblables. L’unique objectif poursuivi,–et atteint, je l’espère,–a été de savoir, et faire connaître, avec le plus de précision possible, quels sont les éléments de cet organisme d’enseignement et de propagande, afin d’y découvrir ce qui peut être utilisé opportunément, par une adaptation intelligente à nos besoins, à nos mœurs, à nos idées, et à nos traditions.

Les Romains avaient un axiome politique et administratif, exprimé en leur style lapidaire: «Etsi ab hoste doceri» (Il y a apprendre même d’un ennemi). Certes, on ne peut suspecter ceux qui ont créé l’âme latine, dont nous avons hérité, d’avoir témoigné de la moindre vénération pour la mentalité germanique, définie si terriblement par Tacite, non plus que d’avoir jamais manqué d’orgueil national: Pourtant, ils n’ont jamais hésité à prendre chez l’ennemi traditionnel les idées, les inventions, les innovations, etc., qu’ils estimaient pouvoir leur être de quelque utilité.

Pour employer encore une comparaison d’ordre militaire, du fait que les Allemands avaient créé pour la Guerre actuelle une formidable artillerie lourde et à longue portée, devions-nous renoncer à leur en opposer une plus puissante encore ou tout au moins équivalente? Non, assurément. Pour l’avoir ignoré, sinon méconnu, nous nous sommes laissé devancer; et nous n’en n’avons pas moins dû en faire autant et avec précipitation, par conséquent dans de très mauvaises conditions. Il n’en serait pas différemment en matière d’organisation de nos Industries d’art.

Parallèlement j’ai fait un exposé impartial, mais non impassible, de la situation dangereuse d’infériorité de combat, faute de plans d’ensemble, de chefs, de soldats et de munitions, où nous nous sommes trouvés souvent vis-à-vis de l’ennemi. Ce double travail a été douloureux, mais il était nécessaire, indispensable. Avant de livrer une bataille, l’on doit connaître aussi exactement que possible le fort et le faible de l’adversaire, savoir quel est le chiffre des soldats qu’il peut mettre en ligne, la quantité de munitions dont il dispose, ses ressources financières, etc.; afin de pouvoir lui opposer des forces égales sinon supérieures.

De la comparaison que le lecteur fera instinctivement entre les deux méthodes de préparation et d’organisation, et entre les deux tactiques, employées dans la Guerre artistique, industrielle et commerciale, que nous déclarait, en1881, le Kronprinz, lors de l’inauguration du Musée impérial des Arts décoratifs de Berlin,–dont la Guerre de demain ne sera que la continuation formidable–, sortira la conclusion, naturelle et logique, des viriles et décisives résolutions à prendre pour organiser sûrement la victoire.

S’il était encore de mode de mettre des épigraphes aux livres, je choisirais volontiers, de nouveau, cette belle pensée de Guillaume le Taciturne: «Point n’est besoin d’espérer pour entreprendre, ni de réussir pour persévérer!»; ou bien encore cette autre du même personnage: «Il faut agir «comme si on pouvait tout, et se résigner comme «si on ne pouvait rien!»

La guerre artistique avec l'Allemagne : l'organisation de la victoire

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