Читать книгу La guerre artistique avec l'Allemagne : l'organisation de la victoire - Marius 1850-1928 Vachon - Страница 5
I
AU LENDEMAIN DE LA GUERRE DE1870.
ОглавлениеAprès le traité de Francfort, qui arrache à la France l’Alsace et la Lorraine, qui lui impose une rançon de cinq millards, et la clause désastreuse de l’octroi perpétuel à l’Allemagne du traitement de la nation la plus favorisée dans tous les traités de commerce; après la Commune, qui est venue ajouter aux hécatombes des champs de bataille de la guerre celles des Journées de mai1871, vidant Paris et les grandes villes de milliers et milliers l’artistes du plus grand talent, nos ennemis, grisés par la gloire militaire et par l’orgueil de la victoire, avaient bien cru que nous ne nous relèverions jamais, sinon avant un très long temps, de nos défaites, de nos ruines et de nos pertes. Lorsqu’ils virent qu’en moins de trois ans s’était accomplie la libération du territoire, qu’il se manifestait, dans tous les domaines de l’activité nationale, une véritable Renaissance, leur colère égala leur stupéfaction: ils s’étaient trompés grossièrement dans leurs calculs, dans leurs prévisions et dans leurs espérances. Une nouvelle guerre leur apparut de toute nécessité pour nous réduire, et nous écraser définitivement. Hésitant à employer les armes, en présence des dispositions diplomatiques de l’Europe favorables à la France, ils décidèrent de nous faire une guerre industrielle et commerciale, qui ne serait ni moins bien organisée, ni menée avec plus de ménagements que ne l’aurait été la guerre militaire.
L’Exposition universelle de Philadelphie, en 1876, avait démontré à l’Allemagne qu’elle n’était pas en mesure de lutter avec des chances de succès contre la France, immédiatement, dans les conditions de son organisation économique. Le commissaire général allemand avait envoyé à son Gouvernement un rapport dans lequel, avec une franchise brutale mais saisissante, il déclarait évidente et lamentable l’infériorité de la section allemande sur toutes les autres sections étrangères. Etait-ce vrai? Y avait-il là un coup monté entre le Gouvernement et le commissaire, à la façon de la fameuse Dépêche d’Ems en1870, pour surexciter, et pousser aux manifestations extrêmes l’amour-propre germanique? Cette seconde hypothèse paraît très vraisemblable: elle est dans la tradition. Toujours est-il que le Gouvernement, bien loin de désavouer et de casser aux gages le commissaire–comme on l’aurait fait chez nous– s’empressa de donner au rapport la plus grande publicité, au rapporteur un avancement extraadministratif, qui fut considéré comme une récompense exceptionnelle de son ardent patriotisme, et le la justesse de son jugement, quelque douloureux qu’il ait pu être pour l’amour-propre germanique.
Et l’organisation de la nouvelle guerre contre la France, la guerre artistique industrielle et commerciale, fut aussitôt entreprise, avec toute la méthode, toute l’énergie, toute la ténacité et toute la rapidité que l’Allemagne aurait pu apporter à l’organisation d’une guerre militaire. Quand on fut prêt, en1881, à l’inauguration solennelle du Musée impérial des Arts décoratifs de Berlin, le Kronprinz, qui s’était consacré corps et âme à cette organisation, avec la collaboration précieuse de la princesse impériale pour la partie des Industries d’art, déclarait officiellement la guerre à la France en ces termes catégoriques: «Nous avons vaincu la France en1870sur les champs de bataille, nous voulons la vaincre désormais sur le terrain de l’industrie et du commerce».
Et, c’était bien, en effet, une guerre nouvelle qui allait commencer contre la France, guerre merveilleusement organisée, sous forme d’une invasion formidable, ayant toute la physionomie de la ruée teutonne traditionnelle, commandée par un puissant et énergique état-major, menée par une gigantesque armée d’industriels, d’artistes et d’ouvriers, éclairée par une nuée d’espions de tous sexes et de tous grades.
Cette déclaration de guerre ne fut pas entendue en France; à peine si deux ou trois journaux économiques la signalèrent incidemment. Le Gouvernement n’en fit aucune communication officielle aux chambres de commerce, aux associations corporatives, non plus qu’au Parlement, comme il semble pourtant que c’eût été son devoir le plus élémentaire.