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III

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Le faible a donc raison quand, cherchant à rentrer dans ses possessions usurpées, il attaque à dessein le fort et l’oblige à restitution; le seul tort qu’il puisse avoir, c’est de sortir du caractère de faiblesse que lui imprima la nature: elle le créa pour être esclave et pauvre, il ne veut pas s’y soumettre, voilà son tort; et le fort, avec ce tort-là de moins, puisqu’il conserve son caractère et n’agit que d’après lui, a donc également raison quand il cherche à dépouiller le faible et à jouir à ses dépens. Que l’un et l’autre maintenant descendent un moment dans leurs cœurs: le faible, en se décidant à attaquer le fort, quels que puissent être ses droits, éprouvera un petit combat; et cette résistance à se satisfaire vient de ce qu’il veut outrepasser les lois de la nature en se revêtant d’un caractère qui n’est pas le sien; le fort, au contraire, en dépouillant le faible, c’est-à-dire en jouissant de tous les droits qu’il a reçus de la nature, en leur donnant toute l’extension possible, jouit en raison du plus ou moins de cette extension. Plus la lésion qu’il fait au faible est atroce, plus il est voluptueusement ébranlé; l’injustice le délecte, il jouit des larmes que son oppression arrache à l’infortuné; plus il l’accable, plus il l’opprime, et plus il est heureux, parce qu’il fait alors un plus grand usage des dons qu’il a reçus de la nature, que l’usage de ces dons devient un besoin et, par conséquent, de la volupté. D’ailleurs, cette jouissance nécessaire, qui naît de la comparaison que l’homme heureux fait du malheureux à lui, cette jouissance vraiment délicieuse ne s’établit jamais mieux aux regards de l’homme fortuné que quand le malheur qu’il produit est complet. Plus il écrase ce malheureux, plus il rehausse le prix de la comparaison, et plus, par conséquent, il alimente sa volupté. Il a donc deux plaisirs bien réels dans ces concussions sur le faible: et l’augmentation qu’il fait de ses fonds physiques, et la jouissance morale des comparaisons, qu’il rend d’autant plus voluptueuses que ses lésions affaiblissent l’infortune. Qu’il pille donc, qu’il brûle, qu’il ravage, qu’il ne laisse plus à ce malheureux que le souffle qui doit prolonger une vie dont l’existence est nécessaire à l’oppresseur pour établir ses lois de comparaison: tout ce qu’il fera sera dans la nature, tout ce qu’il inventera ne sera que l’usage des forces actives qu’il en a reçues, et plus il exercera ses forces, plus il constatera son plaisir, mieux il usera de ses facultés, et mieux, par conséquent, il aura servi la nature.

Permettez, chères filles, poursuivit Dorval, que j’appuie mes raisonnements de quelques exemples; vous avez reçu l’une et l’autre une sorte d’éducation qui ne vous les rendra pas étrangers.

Le vol est tellement autorisé en Abyssinie, que le chef des voleurs achète sa charge et le droit d’en jouir tranquillement.

Cette même action est recommandable chez les Koriaques; on ne s’honore chez eux que par elle.

Chez les Tohoukichi, une fille ne peut se marier sans avoir fait ses preuves en ce métier.

Chez les Mingreliens, le vol est une marque d’adresse et de courage; on se vante publiquement de ses belles actions dans ce genre.

Nos voyageurs modernes le trouvèrent en vigueur dans l’île d’Otaïti.

C’est un métier honorable en Sicile que celui de brigand.

La France n’était qu’un vaste repaire de voleurs sous le régime féodal: il n’y a que la forme de changée, les effets sont les mêmes. Ce ne sont plus les grands vassaux qui volent, ce sont eux que l’on pille; et la noblesse, en perdant ses droits, est devenue l’esclave des rois qui la subjuguaient[13].

Le célèbre voleur sir Edwin Cameron résista longtemps à Cromwell.

L’illustre Mac Gregor fit une science du vol; il envoyait ses sujets sur les terres voisines, il extorquait la rente due par les fermiers et leur donnait quittance au nom des propriétaires.

Il n’y a, soyez-en certaines, aucune sorte de façon de s’approprier le bien d’autrui qui ne soit légitime. La ruse, l’adresse ou la force, ne sont que des moyens sages d’arriver à un but permis; l’objet du faible est d’égaliser la fortune; celui du fort est d’obtenir et de dépouiller, n’importe comment, n’importe aux dépens de qui. Quand les lois de la nature exigent un bouleversement, prennent-elles garde à ce qu’elles enveloppent? Toutes les actions de l’homme imitent les lois de la nature, parce que toutes les actions humaines ne sont que les résultats des lois de la nature, ce qui doit bien rassurer l’homme et l’engager à ne frémir d’aucune… à se livrer pacifiquement à toutes, de quelque genre et de quelque espèce qu’elles puissent être. Rien ne se fait sans nécessité, tout est nécessaire dans le monde; or, la nécessité excuse tout; et dès qu’une action est démontrée nécessaire, de ce moment elle ne peut plus être regardée comme infâme.

Un fils du célèbre Cameron, dont je viens de vous parler, perfectionna le système du vol: le chef donnait ses ordres, on lui obéissait aveuglément, et tous les vols étaient déposés dans des magasins généraux, pour être ensuite partagés avec la plus extrême justice.

Les grands exploits de vols passaient autrefois pour de l’héroïsme; ils obtenaient des marques honorables.

Deux fameux voleurs prirent le Prétendant sous leur protection; ils allaient voler pour l’entretenir.

Quand un Illinois fait un vol, il l’acquitte en donnant au juge la moitié de la somme dérobée, et l’on n’imagine jamais de le punir différemment.

Il y a des pays où l’on punit le vol par la loi du talion, on dépouille le voleur, et on le laisse aller. Quelque douce que paraisse cette loi dans ce cas-ci, comme il en est d’autres où ses effets sont atroces, je veux vous en faire voir l’iniquité. Cette petite démonstration ne sera point hors d’œuvre: une seule réflexion bien simple va vous faire voir l’injustice du talion. Nous reprendrons ensuite notre dissertation.

Pierre, je suppose, insulte et maltraite Paul; en raison de cela, on rend, par la loi du talion, à Pierre tout ce qu’il a fait à Paul. C’est une injustice criante; car lorsque Pierre a fait à Paul l’injure dont il est question, il avait des motifs qui, suivant toutes les lois de l’équité naturelle, diminuent en quelque façon l’atrocité de son crime; mais lorsque vous le punissez du même genre de traitement qu’il a fait éprouver à Paul, vous n’avez pas la même raison que lui, et cependant vous le traitez aussi mal. Ainsi, voilà une grande différence entre lui et vous: lui, a fait une atrocité fondée sur des motifs; et vous, vous commettez la même atrocité sans motif. Ce seul exposé suffit à vous faire voir toute l’injustice d’une loi que les sots trouvent si belle. Poursuivons[14].

Il fut un temps où les seigneurs allemands comptaient, parmi leurs droite, celui de voler sur les grands chemins. Ce droit remonte aux premières institutions des sociétés, où l’homme libre ou vagabond se nourrissait, comme les oiseaux, de tout ce qu’il pouvait dérober; il était alors l’élève de la nature, il est aujourd’hui l’esclave des préjugés absurdes, des lois atroces et des religions imbéciles. Tous les biens, dit le faible, furent également répartis sur la surface de la terre. Soit: mais la nature, en créant des forts et des faibles, indiqua suffisamment qu’elle ne destinait ses biens qu’au plus fort, et que l’autre n’en pourrait jouir qu’en s’assujettissant au despotisme et au caprice du plus puissant. Elle inspire à celui-ci de voler le faible pour s’enrichir; et au faible, de voler le fort, pour égaliser; et cela, de la même manière qu’elle conseille à l’oiseau de voler la semence du laboureur; au loup, de dévorer l’agneau; à l’araignée, de tendre ses fileta. Tout est vol, tout est concussion dans la nature; le désir de s’emparer du bien d’autrui est la première… la plus légitime passion que nous ayons reçue d’elle. Ce sont les premières lois que sa main grave en nous, c’est le premier penchant de tous les êtres et, sans doute, le plus agréable.

Le vol était en honneur à Lacédémone. Lycurgue en avait fait une loi; il rendait, disait ce grand homme, les Spartiates souples, adroits, courageux et agiles. Il est encore en honneur aux Philippines.

Les Germains le regardaient comme un exercice qui convenait à la jeunesse; il y avait des fêtes où les Romains le permettaient; les Égyptiens le faisaient entrer dans l’éducation; les Américains y sont tous adonnés; en Afrique, il est général; au-delà des Alpes, à peine est-il puni.

Néron sortait de son palais toutes les nuits pour voler; on vendait le lendemain, sur les places publiques, et à son profit, les effets qu’il avait dérobés la veille.

Le président Rieux, fils de Samuel Bernard et père de Boulainvilliers, volait par inclination et dans les mêmes vues que nous; il attaquait les passants sur le Pont-Neuf et les volait le pistolet à la main. Envieux d’une montre qu’il vit à un ami de son père, il fut l’attendre un soir, au moment où cet ami venait de souper chez Samuel; il le vole; l’ami revient chez le père, se plaint, nomme le coupable; Samuel assure que cela est impossible, il jure que son fils est couché; on vérifie: Rieux n’est point chez lui. Il rentre peu après; on l’attendait, on le convainc, il est accablé de reproches, il avoue tous ses autres vols, promet de se corriger, et l’exécute: Rieux devient, depuis, un fort grand magistrat[15].

Rien de plus simple à concevoir que le vol comme débauche: il occasionne un choc nécessaire sur le genre nerveux et, de là, naît l’inflammation qui détermine à la lubricité. Tous ceux qui, comme moi et sans aucun besoin, ont volé par libertinage, connaissent ce plaisir secret; on peut l’éprouver de même en friponnant au jeu. Le comte de *** y éprouvait une irritation décidée: je l’ai vu dans l’obligation d’escroquer cent louis à un jeune homme, au piquet, parce qu’il avait envie de le foutre et qu’il ne pouvait obtenir d’érection qu’en volant. La partie s’engage, le comte vole, il bande, il encule le jeune homme, mais il se garde bien de rendre l’argent.

Argafond vole, dans les mêmes principes, indifféremment tout ce qu’il trouve sous sa main. Il avait établi une maison de débauche où il faisait effrontément dépouiller, à son profit, tous ceux que pouvaient attirer dans son sérail les charmantes créatures dont il l’avait rempli.

Qui volait plus que nos financiers! En voulez-vous un exemple pris dans le dernier siècle?

La France contient neuf cents millions d’espèces; sur la fin du règne de Louis XIV, le peuple payait sept cent cinquante millions d’impôts par an, et il n’en entrait que deux cent cinquante millions dans les coffres du roi: voilà donc cinq cents millions de volés! Croyez-vous que la conscience de ces grands voleurs-là fût très alarmée de ce vol?

— Eh bien! répondis-je à Dorval, je me pénètre de tous vos modèles, je goûte tous vos raisonnements, mais j’avoue que je ne comprends cependant point qu’un homme riche comme vous, par exemple, puisse trouver du plaisir au vol.

— Parce que le choc voluptueux de cette lésion sur la masse des nerfs, d’où je vous ai prouvé que l’érection se déterminait, me répondit Dorval, n’en est pas moins la même sur moi, quoique je sois riche; parce que, riche ou non, je n’en suis pas moins construit comme les autres hommes. D’ailleurs, je n’ai, selon moi, que le nécessaire, et ce n’est pas le nécessaire qui rend riche, c’est le superflu; on n’est riche, on n’est heureux que de ce superflu; et mes vols me le donnent. Ce n’est point par la satisfaction des besoins de première nécessité que nous sommes heureux, c’est par le pouvoir de contenter toutes nos fantaisies; celui qui n’a que ce qu’il faut à ses besoins ne peut se dire heureux, il est pauvre.

La nuit approchait; Dorval avait encore besoin de nous; il avait de nouveaux détails lubriques à nous faire subir, qui demandaient du repos, du silence et de la tranquillité.

— Qu’on emballe ces deux Allemands dans une voiture, dit-il à un de ses gens, accoutumé à le servir en pareille circonstance; ils ne se réveilleront pas, j’en suis sûr; qu’on les dépose nus dans quelque rue détournée, et qu’on les laisse là: ils deviendront ce qu’il plaira à Dieu.

— Oh! monsieur, dis-je, quelle cruauté!

— Et qu’importe? ils m’ont satisfait, c’est tout ce que j’attendais d’eux; je n’en ai plus besoin, qu’ils deviennent tout ce qu’ils pourront; il y a une Providence pour tout cela: si la nature a besoin d’eux, elle les conservera; si elle n’en a que faire, ils périront.

— Mais c’est vous qui les exposez.

— Je remplis la première partie des vues de la nature, sa main puissante accomplira le reste; qu’ils partent, ils sont bien heureux que je ne fasse pas pis; je le devrais peut-être.

L’ordre fut ponctuellement exécuté; les deux Allemands ne se réveillèrent pas plus que s’ils eussent été morts, et, pour ne plus revenir sur leur compte, nous apprîmes qu’ils avaient été déposés dans une rue borgne, près du boulevard neuf, et conduits le lendemain chez un commissaire de police, des mains duquel ils sortirent aussitôt qu’on vit qu’il leur devenait impossible de jeter aucune lumière sur la bizarrerie de leurs aventures.

Dès qu’ils furent partis, Dorval nous remit exactement le quart qui nous revenait des prises que nous avions faites sur ces deux individus, et sortit. Nous restâmes seules un instant, pendant lequel Fatime me prévint qu’il y avait encore une terrible scène de luxure à éprouver, qu’elle ne savait pas positivement en quoi elle consistait, mais qu’elle était bien sûre, au moins, qu’il ne nous arriverait rien de malheureux… Elle avait à peine fini qu’une vieille femme parut et nous ordonna brusquement de la suivre; nous obéîmes; après quelques détours dans les corridors les plus élevés de la maison, elle nous jeta dans une chambre obscure où il nous fut impossible de rien apercevoir jusqu’à l’arrivée de Dorval.

Il parut presque sur-le-champ, suivi de deux grands coquins à moustaches dont le seul aspect me faisait frémir; les bougies qu’ils portaient nous montrèrent tout de suite la singularité des meubles de la chambre où nous étions enfermées: au fond de cette pièce se voyait un échafaud, sur lequel était deux potences et tous les apprêts nécessaires à l’exécution du supplice de la corde.

— Vous allez, mesdemoiselles, nous dit brusquement Dorval, recevoir ici la punition de vos crimes.

Et, se plaçant dans un grand fauteuil, il ordonne à ses deux acolytes de nous déshabiller depuis les pieds jusqu’à la tête, sans nous laisser même ni bas, ni souliers, ni coiffes. On apporte tous ces vêtements à ses pieds, il les fouille, il en dérobe tout l’argent qu’il y trouve; puis, ayant fait un paquet du total, il le jette par une fenêtre.

— Ces coquines, dit-il d’un ton flegmatique, n’ont plus besoin de ces hardes. Une bière sera bientôt le seul habit qu’il leur faudra, et j’en ai deux toutes prêtes.

Un des agents de Dorval les tire effectivement de dessous l’échafaud, et nous les fait voir.

— Quoique vous soyez bien et dûment atteintes et convaincues toutes deux, dit Dorval, d’avoir ce matin, chez moi, méchamment, dépouillé deux honnêtes gens de leurs bijoux et de leur or, je ne vous en somme pas moins de me déclarer la vérité: êtes-vous coupables ou non de cette atrocité?

— Nous en sommes coupables, monsieur, répondit Fatime; car, pour moi, véritablement émue, je commençais à perdre la tête.

— Puisque vous avouez votre crime, reprit Dorval, toute formalité devient inutile; cependant il m’en faut l’aveu tout entier. N’est-il pas vrai, Juliette, poursuivit le traître, en me contraignant, par ce moyen, à répondre, n’est-il pas vrai que vous les avez fait mourir en les jetant inhumainement la nuit dans le milieu de la rue?

— Monsieur, c’est vous…

Puis, me reprenant:

— Oui, monsieur, c’est nous qui sommes aussi coupables de ce crime.

— Allons! dit brusquement Dorval, il ne me reste plus qu’à prononcer; écoutez toutes deux votre arrêt à genoux.

Nous nous y mîmes; ce fut alors que je m’aperçus de l’effet que cette scène d’horreur produisait sur ce libertin. Obligé de donner l’essor à un membre qu’il ne pouvait plus contenir dans sa culotte, il nous fit naître, en le laissant s’élancer dans l’air, l’idée de ces jeunes arbustes dégagés du lien qui courbe un instant leur cime, sur le sol.

— Allons, putains! dit-il en se branlant, vous allez être pendues… vous allez être étranglées! Rose Fatime et Claudine Juliette sont condamnées à la mort, pour avoir vilainement… odieusement volé et dépouillé, puis exposé à mourir dans le milieu de la rue, deux particuliers dans la maison de M. Dorval: la justice ordonne en conséquence que l’arrêt soit exécuté sur-le-champ.

Nous nous relevâmes, et, sur le signe d’un de ses alguazils, nous l’approchâmes chacune à notre tour. Il était en feu; nous prîmes son vit; il jura et nous menaça; ses mains s’égarèrent indifféremment sur toutes les parties de notre corps et il entremêlait ses menaces de persiflage.

— Qu’il est cruel à moi, disait-il, de livrer d’aussi belles chairs à la pourriture! Mais il n’y a plus de grâce à espérer, l’arrêt est prononcé, il faut le subir; ces cons affreux deviendront la proie des vers… Oh! double Dieu, que de plaisirs!

Et, sur un geste, les deux sbires qu’il avait à ses ordres s’emparèrent aussitôt de Fatime, pendant que je continuais de le branler. En une minute, les deux scélérats l’accrochent; mais tout était disposé de façon que la victime, retombant aussitôt sur un matelas par terre, ne restait pas pendue l’intervalle d’une seconde. On vint me prendre; je frémissais, la peur empêche de voir: je n’avais aperçu du supplice de Fatime que ce qui devait m’effrayer; le reste m’était échappé, et ce ne fut qu’après ma propre expérience que je reconnus le peu de risques que l’on courait à subir cette singulière fantaisie. Je me rejetai donc, tout effrayée, dans les bras de Dorval quand on vint me saisir: cette résistance l’enflamma; il me mordit au flanc d’une telle force, que ses dents y restèrent plus de deux mois empreintes. Cependant on m’entraîne, et me voilà bientôt dans la même situation que Fatime. Dorval s’approche. Dès que je suis à terre:

— Oh! sacré nom d’un Dieu! s’écrie-t-il, est-ce que les garces ne sont pas mortes?

— Pardonnez-moi, monsieur, répond un de ses gens, c’est fait, elles ne respirent plus.

Telle est l’époque du dénouement de la ténébreuse passion de Dorval; il s’élance sur Fatime, qui se garde bien de remuer, l’enconne d’un vit furieux, et, après quelques bonds, il retombe sur moi, qu’il trouve dans la même immobilité; il engloutit, en jurant, son membre au fond de mon vagin, et y décharge avec des symptômes de plaisir qui tiennent plus de la fureur que de la volupté.

Soit honte, soit dégoût, nous ne revîmes plus Dorval. Quant aux valets, ils avaient disparu aussitôt que leur maître s’était élancé sur l’échafaud pour nous soumettre à sa frénésie. La même vieille qui nous avait introduites revint nous dégager; elle nous soigna, mais nous annonça, qu’il ne nous serait absolument rien rendu de tout ce qui nous avait été pris.

— C’est toutes nues, continua la vieille, que je vais vous ramener chez Mme Duvergier; vous lui ferez vos plaintes, elle y pourvoira: partons, il est tard, il faut que j’arrive avant le jour.

Piquée du procédé, je demande à parler à Dorval: on me le refuse, quoiqu’il fût bien certain que le drôle nous examinait par un trou. Il fallut donc s’évader au plus vite; une voiture nous attend, nous y montons et, dans moins de cinq quarts d’heure, nous voilà nues chez notre matrone.

Mme Duvergier n’était pas levée. Nous nous retirâmes dans nos chambres, où nous trouvâmes chacune dix louis et un déshabillé complet, très au-dessus de la valeur de ceux que nous avions perdus.

— Ne parlons de rien, me dit Fatime; nous voilà contentes, il est inutile que la Duvergier soit instruite. Je te l’ai dit, Juliette, tout cela s’est fait à son insu, et dès que nous n’avons rien à partager avec elle, il n’est pas nécessaire de lui parler de ce qui s’est fait. Ma bonne, continua Fatime, tu viens d’éprouver un très petit mal et de recevoir une très grande leçon: que l’une te console de l’autre. Avec ce que tu viens d’apprendre chez Dorval, tu es en fonds maintenant pour que toutes les parties que tu feras te rapportent, par ton adresse, le triple et le quadruple de ce qu’elles vaudraient à une autre.

— En vérité, dis-je à ma compagne, je ne sais si j’oserai lorsque personne ne me soutiendra.

— Tu serais bien dupe de ne pas le faire, répondit Fatime; que la morale et les conseils de Dorval ne te sortent jamais de l’esprit; l’égalité, ma chère, voilà ma seule loi; et partout où la fortune ne l’établit pas, c’est à notre adresse à y suppléer.

— Juliette, me dit Mme Duvergier trois ou quatre jours après cette aventure, voilà vos déflorations naturelles à peu près faites: il faut maintenant, ma fille, que vous me rapportiez deux ou trois fois plus par-derrière que vous m’avez rapporté par-devant. J’espère que vous ne serez pas scrupuleuse sur cet article, et qu’à l’exemple de quelques petites imbéciles que j’ai eues chez moi, vous ne direz pas que le crime que vous supposez à cette manière de vous prêter aux hommes vous empêche de me satisfaire. Apprenez, mon enfant, que c’est la même chose: une femme est femme partout; elle ne fait pas plus de mal à prêter son cul que son con, sa bouche que sa main, ses cuisses que ses aisselles; tout cela est indifférent, mon ange; l’essentiel est de gagner de l’or, n’importe comment. De quelle extravagance sont atteints ceux qui osent dire que la sodomie est un crime qui nuit à la population! Ce fait est absolument faux: il y aura toujours assez d’hommes sur la terre, quels que puissent être les progrès de la sodomie. Mais à supposer une minute que la population s’en ressentît, ne serait-ce pas à la nature qu’il faudrait s’en prendre, puisque c’est d’elle seule que les hommes enclins à cette passion ont reçu non seulement le goût et le penchant qui les y entraînent, mais même le défaut d’organisation ou de constitution qui les rend inhabiles aux plaisirs ordinaires de notre sexe! N’est-ce pas elle encore qui nous met hors d’état de pouvoir procurer de vrais plaisirs aux hommes, quand nous avons longtemps satisfait à cette prétendue loi de population! Or, si sa main met à la fois, d’un côté, dans l’homme l’impossibilité de goûter des plaisirs légitimes, et que, de l’autre, elle constitue la femme d’une façon absolument opposée à celle qui serait nécessaire pour les goûter, il est bien clair, ce me semble, que les ridicules outrages que les sots prétendent qu’on lui fait en cherchant des plaisirs ailleurs qu’avec les femmes, ou avec elles en sens contraire, ne sont plus que des inspirations de cette même nature, bien aise d’accorder un peu de dédommagement aux peines imposées par ses premières lois, ou contrainte peut-être elle-même à mettre un frein à une population dont la trop grande abondance ne pourrait que lui nuire. Et cette seconde idée nous est encore mieux indiquée dans le terme qu’elle a prescrit aux femmes pour engendrer. Pourquoi des freins, si cette population perpétuelle était si nécessaire qu’on le pense? et si elle a posé ses bornes dans ce sens-là, pourquoi n’en aurait-elle pas placé dans l’autre, en inspirant à l’homme ou des passions différentes ou des dégoûts certains, qui, le devoir rempli, l’obligent à se débarrasser ailleurs d’un germe dont la nature n’a plus que faire? Eh! sans autant de raisonnements, contentons-nous d’en appeler à la sensation même, et soyons bien certaines que là où elle est la plus sensuelle, c’est là même où la nature veut être servie. Or, sois bien assurée, Juliette (et à qui disait-elle cela!) sois bien certaine, ma fille, qu’il y a infiniment plus de plaisir à se livrer de cette manière que de l’autre; les femmes voluptueuses qui en ont goûté ne peuvent plus prendre la voie ordinaire: toutes te le diront comme moi. Essaye donc, mon enfant, pour les intérêts de ta bourse et pour ceux de la volupté; car tu dois être bien sûre que les hommes payent cette fantaisie bien autrement que les jouissances communes et, si j’ai trente mille livres de rente aujourd’hui, je puis bien dire que j’en ai gagné les trois quarts à livrer des culs. Les cons ne valent plus rien, ma fille, on en est las, personne n’en veut, et je renoncerais tout à l’heure au métier, si je ne trouvais plus de femmes disposées à cette essentielle complaisance.

Demain matin, mon cœur, poursuivit l’insigne maquerelle, je livre ton pucelage masculin au vieil archevêque de Lyon, qui me les paye cinquante louis. Garde-toi d’opposer aucune résistance aux désirs énervés de ce bon prélat: ils s’évanouiraient bientôt si tu t’avisais de les combattre. Ce sera bien plus à ta soumission qu’à tes charmes que tu devras les preuves de sa virilité, et si le vieux despote ne trouve pas un esclave en toi, tu n’auras dans lui qu’un automate.

Parfaitement instruite du rôle que je dois remplir, j’arrive le lendemain, sur les neuf heures du matin, à l’abbaye de Saint-Victor, où logeait le prélat lors de ses voyages à Paris; le saint homme m’attendait au lit.

— Madame Lacroix, dit-il à une femme fort belle, d’environ trente ans, et qui me parut n’être là que pour servir de tiers dans les scènes lubriques du prélat, approchez-moi cette petite fille, que je la voie… Pas mal, en vérité: et quel âge avez-vous, mon petit ange?

— Quinze ans et demi, monseigneur.

— Allons, madame Lacroix, déshabillez et ne négligez surtout aucune des précautions que vous savez.

Je ne fus pas plus tôt nue qu’il me fut facile de deviner quel était le but de ces précautions. Le dévot sectateur de Sodome, dans la terrible appréhension où il était que les attraits antérieurs d’une femme ne troublassent son illusion, exigeait qu’on voilât ces attraits avec une telle sévérité qu’il lui devînt même impossible de les soupçonner. Effectivement, Mme Lacroix les empaqueta si bien, qu’on n’en apercevait pas la plus légère trace. Ce devoir rempli, la complaisante créature me rapproche du lit de monseigneur.

— Le cul, madame, dit-il à la Lacroix, le cul, et pas autre chose que le cul, je vous en conjure… prenez-y bien garde. Avez-vous eu soin?…

— Oui, oui, monseigneur, et Votre Éminence voit bien qu’en ne lui exposant que la partie qu’il désire, j’offre à son libertin hommage le plus joli cul vierge qu’il soit possible d’embrasser.

— Mais oui, effectivement, dit Monseigneur, il est assez bien tourné; voyons, que je le caresse.

Et contenue par son amie dans l’élévation où il faut que je sois pour que le cher évêque puisse amplement baiser mes fesses, il les manie et les dévore partout pendant plus d’un quart d’heure. La caresse favorite des gens de ce goût, je veux dire l’introduction de la langue au plus profond de l’anus, comme vous le croyez bien, n’est pas oubliée, et l’éloignement le plus marqué pour le voisin est caractéristique, au point que le con s’étant entr’ouvert, il me rejeta avec un air de dédain et de dégoût si prodigieux, que je me fusse enfuie à vingt lieues si j’eusse été ma maîtresse. Pendant ce premier examen, la Lacroix s’était déshabillée. Dès qu’elle est nue, Monseigneur se lève.

— Mon enfant, me dit-il en me posant sur le lit dans l’attitude nécessaire à ses plaisirs, on vous a bien recommandé, j’espère, d’être docile et complaisante.

— J’ose vous assurer, monseigneur, répondis-je avec innocence, qu’on n’aura rien à me reprocher sur cela.

— Ah! bon, bon! c’est que le moindre refus me déplairait infiniment; et, à la peine extrême que l’on a de me mettre en train, vous jugez où j’en serais si, par quelque défaut de soumission, on venait à déranger l’ouvrage. Allons, madame Lacroix, humectez la route et tâchez d’y conduire mon vit avec une telle adresse, qu’une fois dedans, rien ne l’en puisse sortir que la défaillance où le réduira bientôt ma décharge.

Rien ne fut négligé par l’aimable tiers. Monseigneur n’était pas trop fourni; une parfaite résignation de ma part, jointe à tous les soins pris pour faire réussir l’entreprise, la fit promptement arriver à bien.

— M’y voilà, dit le saint pasteur; il y a, ma foi, longtemps que je n’ai foutu plus à l’étroit: oh! pour celle-ci, je la garantis vierge, j’en jurerai quand on voudra… Allons, placez-vous, Lacroix, placez-vous, car je sens que mon sperme éjaculera bientôt dans ce beau cul.

A ce signal, Mme Lacroix sonne; une seconde femme, que je n’eus pas trop le temps d’examiner, arrive; le bras nu, armée d’une forte poignée de verges, elle se met à travailler d’importance le cul pontifical, pendant que la Lacroix, s’élançant sur mes reins, vient offrir son postérieur aux lubriques baisers du sodomite qui, promptement vaincu par ce concours d’actions libidineuses, répand à foison, dans mon anus, un baume dont il ne doit l’éjaculation qu’aux vigoureux coups de verges dont on lui déchire le derrière.

Tout est dit: monseigneur, énervé, se recouche; on lui prépare son chocolat; et la gouvernante, rhabillée, me remet bientôt entre les mains de la fouetteuse, qui, m’ayant donné deux louis pour moi, indépendamment des cinquante que je rapportais, m’embarque dans un fiacre, auquel elle donne l’ordre de me ramener chez la Duvergier.

Le lendemain, on me fit voir à la maison un homme d’environ cinquante ans, d’une physionomie sombre et pâle qui ne m’annonçait rien de bon.

— Prends garde de rien refuser à celui-ci, me dit la Duvergier en m’introduisant dans l’appartement où on l’avait reçu; c’est une de mes meilleures pratiques, et le tort que tu me ferais en le rebutant serait irréparable.

Après quelques préliminaires, toujours dirigés par les goûts de prédilection de ce sectateur de Sodome, il me renverse à plat ventre sur le lit et se prépare à m’enculer. Déjà ses mains écartent mes deux fesses, déjà le bougre s’extasie devant le trou mignon, lorsque, surprise de l’extrême soin qu’il met à se cacher, et comme saisie par une espèce de pressentiment, je me retourne avec vivacité… Qu’aperçois-je, grand Dieu!… Un engin absolument couvert de pustules… de verrues… de chancres, etc…, symptômes abominables, et malheureusement trop réels, de la maladie vénérienne dont est rongé ce vilain homme.

— Oh! monsieur! m’écriai-je, êtes-vous fou de vouloir jouir d’une femme dans l’état où vous êtes? Voulez-vous donc me perdre pour la vie!

— Comment! dit le paillard en essayant de me prendre de force; mais mon arrangement est fait en conséquence; ta maîtresse sait bien mon état; payerais-je les femmes aussi cher, si ce n’était pour le plaisir de leur communiquer mon venin! C’est là mon unique passion, la seule cause qui fait que je ne me fais point guérir.

— Oh! monsieur! c’est une infamie dont on s’est bien gardé de me faire part.

Et volant appeler madame, vous jugez de la vivacité des reproches que je lui adressai. Je vis, aux signes qu’elle faisait à cet homme, le désir qu’elle avait que je ne susse rien; mais il n’était plus temps.

— Vous ne raccommoderez point tout cela, madame, dis-je très en colère; je suis au fait de tout; il est affreux à vous d’avoir voulu me sacrifier. N’importe, je ne vous compromettrai point; pressez-vous seulement de me remplacer, et trouvez bon que je me retire.

La maquerelle n’osa s’y opposer; mais l’homme qui me dévorait déjà ne pouvait se résoudre au troc: le vilain avait juré ma perte; et ce ne fut qu’avec peine qu’il se décidait à en empoisonner une autre. Tout s’arrangea cependant: une autre fille parut; je sortis. C’était une petite novice de treize ans que ce libertin trouva propre à le dédommager. On lui banda les yeux; elle ne se douta de rien, et, huit jours après, il fallut l’envoyer à l’hôpital, où ce scélérat s’en fut la voir souffrir. Telle était toute sa jouissance: il n’en connaissait pas, me dit la Duvergier, de plus délicieuse au monde.

Quinze ou seize autres du même goût, mais sains et bien portants, me passèrent sur le corps en un mois, avec plus ou moins d’épisodes singuliers, lorsque je fus envoyée chez un homme dont les détails dans l’acte de la sodomie sont assez bizarres pour devoir vous être racontés. Quel intérêt n’y prendrez-vous pas, d’ailleurs, quand vous saurez que cet homme est Noirceuil, qui vient de nous quitter pendant le peu de jours que doit durer la narration que j’ai à vous faire d’aventures trop connues de lui pour qu’il ait besoin de les entendre encore.

Par un excès de débauche inconcevable, et bien digne de l’homme charmant dont j’ai à vous entretenir, Noirceuil voulait que sa femme fût le témoin de son libertinage, qu’elle le servît, et s’y prêtât ensuite à son tour. Remarquez bien ici qu’on me croyait toujours pucelle, et que ce n’était qu’à des filles vierges, au moins dans cette partie de leurs corps, que Noirceuil voulait avoir affaire.

Mme de Noirceuil était une très jolie femme de vingt ans au plus. Livrée très jeune à son époux, âgé déjà d’environ quarante ans et d’un libertinage effréné, je vous laisse à penser tout ce que cette intéressante créature avait souffert depuis qu’elle était l’esclave de ce roué. Tous deux étaient dans le boudoir où l’on me reçut. A peine fus-je entrée que l’on sonna, et deux garçons de dix-sept à dix-huit ans parurent aussitôt presque nus.

— On prétend, mon cœur, que vous avez le plus beau cul du monde, me dit Noirceuil, dès que sa société fut réunie. Madame, continua-t-il, en s’adressant à son épouse, faites-moi voir cela, je vous conjure.

— En vérité, monsieur, répondit cette pauvre petite femme toute honteuse, vous exigez des choses…

— Bien simples, madame; et depuis le temps que vous les faites, vous devriez y être accoutumée: je donne à vos devoirs envers moi la plus noble extension, et je suis bien surpris que vous ne vous soyez pas encore fait une raison sur cela.

— Oh! je ne me la ferai jamais!

— Ma foi, tant pis pour vous; quand une chose est d’obligation, il vaut cent fois mieux s’y prêter de bonne grâce, que de s’en composer chaque jour un supplice. Allons, madame, déshabillez donc cette petite!

Rougissant pour cette pauvre dame, j’allais, en ôtant moi-même mes vêtements, lui épargner la peine qu’on voulait lui donner, lorsque Noirceuil, m’en empêchant, brusqua tellement son épouse, qu’elle n’eut plus d’autre parti que l’obéissance. Pendant ces préliminaires, Noirceuil, se faisant baiser par ses gitons, les excitait tous deux de chacune de ses mains; l’un lui branlait le trou du cul, l’autre le vit. Dès que je fus nue, Mme de Noirceuil, par les ordres de son mari, lui présenta mes fesses à baiser, ce que le coquin fit avec les plus lubriques détails; et par une suite de ses ordres, les deux gitons sont bientôt mis dans le même état que moi… toujours par les mains de la docile épouse, qui, ayant fini toutes ces toilettes, travaille enfin à se mettre aussi nue que nous. Noirceuil, également déshabillé, se trouve donc, par ce moyen, au milieu de deux jolies femmes et de deux beaux garçons. Indifférent d’abord à tous les sexes, l’autel qu’il chérit reçoit, également chez tous, les premiers hommages de sa luxure; et je crois que jamais derrières ne furent aussi lubriquement baisés. Le coquin nous entremêlait et mettait quelquefois un garçon au-dessus d’une femme, pour mieux établir ses comparaisons. Suffisamment excité enfin, il ordonne à son épouse de m’étendre à plat ventre sur le canapé du boudoir et de diriger elle-même son vit dans mon derrière, après avoir pris la précaution de le sucer pour faciliter l’introduction. Noirceuil a, comme vous le savez, un engin de sept pouces de tour sur onze de long; et ce ne fut point, par conséquent, sans des douleurs inouïes que je parvins à le recevoir: il s’y enfonça cependant jusqu’aux couilles et toujours par les soins de sa triste victime. Un des vits de nos acolytes disparaissait alternativement dans son cul. Le libertin, plaçant alors sa femme près de moi, et dans la même attitude où j’étais, exigea qu’elle fût soumise aux mêmes lubricités qu’il se permettait sur mon corps. Il restait un vit de vacant: Noirceuil s’en saisit et, tout en m’enculant, il l’introduit dans l’anus délicat de s’a tendre moitié. Un moment elle veut résister, mais son cruel époux, la courbant d’un bras ferme, sait bientôt la contraindre à ce qu’il en attend.

— Me voilà satisfait, dit-il, dès que tout est en train; je suis foutu, j’encule une pucelle, je fais sodomiser ma femme: il ne manque plus rien à mes fougueux plaisirs.

— Oh! monsieur! dit en gémissant l’honnête épouse de ce libertin, vous en prenez donc à me désespérer?

— Beaucoup, madame, infiniment, en vérité; et je vous avoue, avec la franchise que vous me connaissez, que je jouirais bien moins si vous vous prêtiez un peu mieux.

— Homme sans mœurs!

— Oh! sans foi, sans Dieu, sans principes, sans religion, homme effroyable, enfin! Continuez, continuez, madame, continuez de m’invectiver: vous n’imaginez pas comme les injures féminines ont l’art de précipiter ma décharge. Ah! Juliette, tenez-vous bien, elle coule!

Et le coquin, foutant, foutu, regardant foutre, me lance, au fond des entrailles, un clystère dont j’étais loin de deviner l’emploi. Comme tous avaient déchargé, les attitudes se rompirent; mais Noirceuil, toujours tyran de son épouse, Noirceuil qui, pour s’exciter à de nouveaux plaisirs, éprouve déjà le besoin d’une vexation, dit à sa femme de se préparer à ce qu’elle sait bien…

— Eh quoi! monsieur, répond cette infortunée, il est dit que vous renouvellerez sans cesse cette exécrable cochonnerie?

— Sans cesse, madame; elle est essentielle à ma luxure.

Et l’infâme, ayant couché son épouse tout du long sur le canapé, la contraint à recevoir dans sa bouche le foutre qu’il a déposé dans mon cul. Obligée d’obéir, je lâche toute la bordée, non sans un petit plaisir méchant de voir le vice humilier aussi cruellement la vertu; la malheureuse avale: son mari l’eût, je crois, étranglée sans cela.

Ce fut au sein de cet outrage que le cruel époux retrouva les forces nécessaires à en commettre de nouveaux. Mme de Noirceuil replacée, reçut tour à tour dans son derrière le vit de son mari et ceux des deux gitons. On n’imagine pas la rapidité avec laquelle ces trois libertins se succédaient dans le beau cul qui leur était offert, pendant qu’il maniait ou baisait le mien. Noirceuil foutit enfin ses gitons, ayant pour perspective les fesses de sa femme. Pendant qu’il enculait le premier, il nous obligea, celui qui restait et moi, à nous emparer chacun d’une des fesses de sa femme et à ne pas ménager les globes charnus qu’il mettait en nos mains, et chaque fois qu’au milieu de ses épisodes il déchargeait dans l’anus de l’un ou de l’autre, la pauvre créature était obligée de recevoir dans sa bouche le foutre qu’il avait laissé.

Enfin, les ignominies redoublèrent; Noirceuil promit deux louis à celui des trois qui vexerait le mieux sa malheureuse femme: coups de poing, coups de pied, soufflets, chiquenaudes, il nous fut permis de tout employer; et le scélérat, en nous excitant, se branlait en face de l’opération. On n’imagine pas ce que ces jeunes gens et moi inventâmes pour tourmenter cette malheureuse; nous ne la quittâmes pas qu’elle ne fût évanouie. Nous rapprochant alors de Noirceuil en feu, nous l’environnâmes de nos culs, et le branlâmes sur le corps tout meurtri de l’infortunée victime de sa passion. Ensuite Noirceuil me livra aux deux jeunes gens: tantôt l’un me foutait en cul, pendant que l’autre me faisait sucer son vit; quelquefois, entre l’un et l’autre, ou j’avais leurs deux outils dans mon con, ou j’en possédais un par-devant, l’autre par-derrière.

Nous en étions là, je m’en souviens, lorsque Noirceuil, ne voulant pas qu’il y eût une seule partie de mon corps vacante, vint m’enfoncer son vit dans ma bouche pour y faire couler sa dernière décharge, pendant que mon vagin et mon anus recevaient celle des deux gitons; nous partîmes tous à la fois: je n’avais jamais eu tant de plaisir.

Noirceuil, à qui ma figure et mes petites méchancetés avaient plu, me retint à souper avec ses deux jeunes gens. Nous mangeâmes dans un cabinet charmant, uniquement servis par Mme de Noirceuil, toute nue, à qui son époux promit une scène plus terrible que celle qu’elle venait d’éprouver, si elle ne s’acquittait pas bien de la besogne.

Noirceuil a de l’esprit, vous le savez; personne ne raisonne ses égarements comme lui: je voulus hasarder quelques reproches sur sa conduite envers sa femme.

— Rien n’est injuste, lui dis-je, comme ce que vous faites éprouver à cette pauvre créature…

— Oui, cela est fort injuste, reprit Noirceuil, mais uniquement par rapport à ma femme: je vous réponds que, relativement à moi, rien n’est équitable comme ce que je fais avec elle, et la preuve en est qu’il n’est rien au monde qui me délecte autant. Toutes les passions ont deux sens, Juliette: l’un très injuste, relativement à la victime; l’autre singulièrement juste, par rapport à celui qui l’exerce. Cet organe des passions, tout injuste qu’il est, eu égard aux victimes de ces passions, n’est pourtant que la voix de la nature; c’est sa main seule qui nous donne ces passions; c’est sa seule énergie qui nous les inspire; cependant elles nous font commettre des injustices. Il y a donc des injustices nécessaires dans la nature; et ses lois, dont les motifs seuls nous sont inconnus, exigent donc une somme de vices au moins égale à celle de ses vertus. Celui qui n’a point de penchant pour la vertu doit donc se courber aveuglément sous la main qui le tyrannise, bien certain que cette main est celle de la nature, et qu’il est l’être choisi par elle pour le maintien de l’équilibre.

— Mais, dis-je à cet insigne libertin, quand le délire est dissipé, n’éprouvez-vous donc pas quelques secrets mouvements de vertu… qui, si vous les suiviez, vous ramèneraient infailliblement au bien?

— Oui, me répondit Noirceuil, j’éprouve quelquefois ces secrets mouvements, ils naissent quelquefois dans le calme des passions; et voici, je crois, comment ils peuvent s’expliquer.

Est-ce véritablement la vertu qui vient combattre le vice dans moi? et à supposer que ce soit elle, dois-je me livrer à ses inspirations? Pour résoudre cette question, et la résoudre sans partialité, je mets mon esprit dans un état de calme assez parfait pour ne pouvoir accuser aucun des deux partis de l’avoir fait pencher plus que l’autre, et je me demande ensuite ce que c’est que la vertu. Si je trouve que son existence ait quelque réalité, j’analyserai cette existence; et si elle me paraît préférable à celle du vice, je l’adopterai sans doute. Je vois donc, en réfléchissant, qu’on honore du nom de vertu toutes les différentes manières d’être d’une créature par lesquelles cette créature, abstractivement de ses plaisirs et de ses intérêts, se porte au bonheur de la société: d’où il résulte que, pour être vertueux, je dois oublier tout ce qui m’appartient, pour ne plus m’occuper que de ce qui intéresse les autres; et cela avec des êtres qui certainement n’en feraient pas autant pour moi: mais le fissent-ils même, serait-ce une raison pour que je dusse agir comme eux, si toutes les dispositions de mon être s’opposent en moi à cette manière d’exister? D’ailleurs, si l’on appelle vertu ce qui est utile à la société, en isolant la définition on donnera le même nom à ce qui sera utile à ses propres intérêts, d’où il résultera que la vertu du particulier sera souvent tout le contraire de la vertu de société; car les intérêts du particulier sont presque toujours opposés à ceux de la société; ainsi, il n’y aura donc rien de positif, et la vertu, purement arbitraire, n’offrira plus rien de solide. Si je reviens à la cause du combat que j’éprouve lorsque je penche vers le vice, bien persuadé que la vertu n’a nulle existence réelle, je découvrirai facilement que ce n’est point elle qui combat en moi, mais que cette faible voix qui se fait entendre un instant n’est que celle de l’éducation et du préjugé. Cela fait, je compare les jouissances, je fais procéder celle de la vertu, et la savoure dans toute son étendue. Quel défaut de mouvement! quelle glace! rien ne m’émeut là, rien ne m’agite; et, en analysant avec justesse, je reconnais que la jouissance est tout entière pour celui que j’ai servi, et que je ne retire en retour, de lui, qu’une froide reconnaissance. Je le demande: est-ce là jouir? Quelle différence dans le parti contraire! Comme mes sens sont chatouillés, comme mes organes sont émus! Rien qu’en caressant l’idée de l’égarement que je projette, un jus divin circule dans mes veines, une espèce de fièvre me saisit; le délire où cette idée me plonge répand une illusion délicieuse sur toutes les faces de mon projet; je le complote, il me délecte; j’en examine toutes les branches, je suis enivré; ce n’est plus la même vie, ce n’est plus la même âme qui me meut: mon esprit est fondu dans le plaisir, je ne respire plus que pour la volupté.

— Monsieur, dis-je à ce libertin, dont j’avoue que les discours m’enflammaient extraordinairement, et que je ne réfutais que pour qu’il s’ouvrît davantage, ah! monsieur, refuser une existence à la vertu est, ce me semble, vouloir atteindre le but avec trop de rapidité, et s’exposer peut-être à le manquer, en glissant trop sur les principes qui doivent nous amener aux conséquences.

— Eh bien! reprit Noirceuil, je le veux: raisonnons avec plus de méthode. Tes réflexions me prouvent que tu es en état de m’entendre; j’aime à parler à ceux qui te ressemblent.

Dans tous les événements de la vie, reprit Noirceuil[16], dans tous ceux, au moins, qui nous laissent la liberté du choix, nous éprouvons deux impressions, ou si on l’aime mieux, deux inspirations: l’une nous porte à faire ce que les hommes appellent la vertu, et l’autre à préférer ce qu’ils appellent le vice. C’est l’histoire de ce choc qu’il faut examiner. Ce flux n’existerait pas sans nos passions, dit l’honnête homme; ce sont elles qui balancent les mouvements de la vertu, toujours imprimés dans nos âmes par la main même de la nature: maîtrisez vos passions, vous ne balancerez plus. Mais qui a convaincu cet homme, qui me parle ainsi, que les passions ne sont que les effets des seconds mouvements, et que les vertus sont les effets des premiers? quelles preuves certaines pourra-t-il me donner de son hypothèse? Pour découvrir cette vérité, et pour m’assurer auquel des deux sentiments appartient, en effet, la priorité qui doit me décider (car il est sûr que celle des deux voix qui parle la première est celle à laquelle je dois me rendre, comme inspiration certaine de la nature, dont l’autre n’est que la corruption), pour, dis-je, reconnaître cette priorité, j’examine, non pas les nations individuellement, parce que leurs mœurs ont pu dénaturer leurs vertus, mais j’observe la masse entière de l’humanité; j’étudie le cœur des hommes, d’abord sauvages, ensuite civilisés: voilà le livre qui, bien certainement, va m’apprendre si c’est au vice, ou bien à la vertu, que je dois la préférence, et quelle est, de ces deux inspirations, celle à qui appartient la priorité. Or, dans cet examen, je découvre d’abord la constante opposition de l’intérêt particulier à l’intérêt général: je vois que si l’homme préfère l’intérêt général, et que, par conséquent, il soit vertueux, il sera très infortuné toute sa vie, et que si, au contraire, son intérêt particulier l’emporte chez lui sur l’intérêt général, il deviendra parfaitement heureux, si les lois le laissent en paix. Mais les lois ne sont pas dans la nature: ainsi elles ne doivent être d’aucune considération dans notre examen, lequel examen doit donc, abstraction faite des lois, nous démontrer infailliblement l’homme plus heureux dans le vice que dans la vertu, d’où je conclurai que la priorité appartenant au mouvement le plus fort, c’est-à-dire à celui où est le bonheur, il deviendra incontestable que ce mouvement sera celui de la nature, et que l’autre n’en sera que la corruption; il deviendra démontré que la vertu n’est point le sentiment habituel de l’homme, qu’elle n’est simplement que le sacrifice forcé, que l’obligation de vivre en société le contraint de faire à des considérations dont l’observance pourra faire refluer sur lui une dose de bonheur qui contrebalancera les privations. Ainsi, c’est à lui de choisir: ou de l’inspiration vicieuse qui, bien certainement, est celle de la nature, mais qui, à cause des lois, pourra peut-être ne pas lui procurer un bonheur complet… pourra peut-être troubler celui qu’il en attend; ou du monde factice de la vertu, qui n’est nullement naturel, mais qui, le contraignant à quelque sacrifice, lui rapportera peut-être un dédommagement pour l’extinction cruelle qu’il est obligé de faire, dans son cœur, de la première inspiration. Et ce qui achèvera plus encore de détériorer à mes yeux le sentiment de la vertu, c’est que non seulement il n’est pas un premier mouvement, naturel, mais il n’est même, par sa définition, qu’un mouvement vil et intéressé, qui semble dire: Je te donne pour que tu me rendes. D’où vous voyez que le vice est tellement inhérent en nous, et qu’il est si constamment la première loi de la nature, que la plus belle de toutes les vertus, analysée, ne se trouvant plus qu’égoïste, devient elle-même un vice. Tout est donc vice dans l’homme; le vice seul est donc l’essence de sa nature et de son organisation. Il est vicieux, quand il préfère son intérêt à celui des autres; il est encore vicieux dans le sein même de la vertu, puisque cette vertu, ce sacrifice à ses passions, n’est en lui ou qu’un mouvement de l’orgueil, ou que le désir de faire refluer sur lui une dose de bonheur plus tranquille que celle que lui offre la route du crime. Mais c’est toujours son bonheur qu’il cherche, jamais il n’est occupé que de cela; il est absurde de dire qu’il y ait une vertu désintéressée, dont l’objet soit de faire le bien sans motif; cette vertu est une chimère. Soyez assurée que l’homme ne pratique la vertu que pour le bien qu’il compte en retirer, ou la reconnaissance qu’il en attend. Que l’on ne m’objecte pas les vertus du tempérament: celles-là sont égoïstes comme les autres, puisque celui qui les pratique n’a d’autre mérite que de livrer son cœur au sentiment qui lui plaît le plus. Analysez telle belle action qu’il vous plaira, et vous verrez si vous n’y reconnaîtrez pas toujours quelque motif d’intérêt. Le vicieux travaille dans les mêmes vues, mais avec plus de franchise, et n’en est, par là, que plus estimable; il y réussirait autrement bien mieux que son adversaire, sans les lois; mais ces lois sont odieuses, puisqu’en prenant sur la somme du bonheur particulier pour conserver le bonheur général, elles enlèvent infiniment plus qu’elles ne donnent. De cette définition vous pouvez donc induire maintenant, pour conséquence, que puisque la vertu n’est dans l’homme que le second mouvement; que puisqu’il est incontestable que le premier qui existe en lui, abstractivement de tout autre, est l’envie de faire son bonheur, n’importe aux dépens de qui; que puisque le mouvement qui combat ou contrarie les passions n’est qu’un sentiment pusillanime d’acheter à meilleur prix le même bonheur, c’est-à-dire par un peu de sacrifice et par crainte de l’échafaud; que puisque la vertu n’est, à le bien prendre, qu’un asservissement à des lois qui, variant de climat en climat, ne laissent plus à cette vertu aucune existence déterminée, on ne peut plus avoir pour cette vertu que la haine et le mépris le plus complet; et ce qu’on peut faire de mieux est de se déterminer à adopter, de nos jours, une manière d’être qui n’est que le résultat des lois, des préjugés ou des tempéraments, qui n’a rien que de vil et d’intéressé, et dont l’admission doit nous rendre d’autant plus malheureux qu’il est impossible que, par ce trafic bas et honteux, l’homme puisse retirer sa mise: c’est donc alors le calcul d’un fou, et il y a de la faiblesse à s’y rendre.

Je sais qu’on dit quelquefois en faveur de la vertu: Elle est si belle que le méchant même est contraint à la respecter. Mais, Juliette, ne soyez pas la dupe de ce sophisme. Si le méchant respecte la vertu, c’est qu’elle lui sert, c’est qu’elle lui est utile; elle n’est en contradiction avec lui que par l’autorité des lois, jamais par ses procédés physiques. Ce n’est jamais l’homme vertueux qui nuit aux passions de l’homme criminel: c’est l’homme vicieux, parce qu’ayant tous deux les mêmes intérêts, tous deux nécessairement doivent se nuire et se croiser dans leurs opérations, tandis que le criminel avec l’homme vertueux n’a jamais de discussions semblables. Ils peuvent bien ne pas s’accorder en principes; mais ils ne se heurtent pas, ils ne se nuisent pas dans leurs actions; les passions du méchant, au contraire, voulant dominer impérieusement, rencontrent à tout instant celles de son semblable, et leurs discussions doivent être perpétuelles. Cet hommage que le scélérat rend à la vertu n’est donc encore qu’égoïste: ce n’est pas l’idole qu’il encense, c’est le repos dont elle le laisse jouir. Mais, vous dit-on quelquefois, le sectateur de la vertu y trouve une jouissance: d’accord; il n’y a sorte de folie qui ne puisse en donner; la jouissance n’est pas ce que je nie, je soutiens seulement que, tant que la vertu est jouissance, non seulement elle est vicieuse, je l’ai démontré, mais qu’elle est faible, et qu’entre deux jouissances vicieuses je dois me déterminer pour la plus vive.

Le degré de violence dont on est ému caractérise seul l’essence du plaisir. Celui qui n’est que médiocrement agité par une passion ne peut jamais être aussi heureux que celui qu’une passion forte remue vivement: or, quelle différence d’émotion entre les plaisirs que donne la vertu et ceux procurés par le vice! Celui qui prétend avoir éprouvé quelque bonheur à remettre aux mains d’un héritier le fidéicommis d’un million dont il était secrètement chargé, je le suppose, pourra-t-il soutenir que cette portion de bonheur a été aussi forte que celle ressentie par celui qui aura mangé le million, après s’être sourdement défait de l’héritier? A tel point que le bonheur soit dans notre façon de penser, ce n’est pourtant que par des réalités qu’il enflamme notre imagination, et, telle flattée que puisse être celle de notre honnête homme, assurément il n’aura pas fait éprouver, par son bonheur idéal, à son individu, autant de sensations piquantes qu’auront pu le faire toutes les jouissances réitérées que se sera très physiquement procurées l’autre avec son million. Mais le vol… mais le meurtre de l’héritier, auront, direz-vous, contrebalancé son bonheur. Nullement; si ses principes sont faits, toutes ces choses-là ne peuvent nuire au bonheur qu’autant qu’elles donnent des remords; mais l’homme affermi dans sa façon de penser, celui qui sera parvenu à vaincre entièrement en lui ces réminiscences fâcheuses du passé, goûtera le bonheur sans mélange, et la différence qu’il y aura de l’un à l’autre consistera en ce que le premier ne pourra s’empêcher de dire, dans certaines occasions de sa vie: Ah! si j’avais pris ce million, j’en jouirais! au lieu que l’autre ne dira jamais: Pourquoi l’ai-je pris? Ainsi, l’action vertueuse aura pu donner naissance aux remords, et la mauvaise les éteint nécessairement par sa constitution. En un mot, la vertu ne peut jamais procurer qu’un bonheur fantastique: il n’y a de véritable félicité que dans les sens, et la vertu n’en flatte aucun. Est-ce d’ailleurs à la vertu que l’on attache les places, les honneurs, les richesses? ne voyons-nous pas tous les jours le méchant comblé de prospérité, et l’homme de bien languir dans les fers? S’attendre à voir la vertu récompensée dans l’autre monde est une chimère qui n’est plus admissible. De quoi sert donc le culte d’une divinité fausse… tyrannique… égoïste, presque toujours vicieuse elle-même (je l’ai prouvé), qui n’accorde aucun bien à ceux qui la servent actuellement, et qui n’en promet dans l’avenir que d’impossibles ou de trompeurs? Il y a du danger, d’ailleurs, à vouloir être vertueux dans un siècle corrompu; cette singularité seule nuit au bonheur qu’on pourrait attendre de la vertu, et il vaut absolument mieux être vicieux avec tout le monde que d’être honnête homme tout seul. « Il y a si loin de la manière dont on vit à celle dont on devrait vivre, que celui qui laisse, dit Machiavel, ce qui se fait pour ce qui devrait se faire, cherche à se perdre plutôt qu’à se conserver, et, par conséquent, il faut qu’un homme qui fait profession d’être tout à fait bon, parmi tant d’autres qui ne le sont pas, périsse tôt ou tard. » Si les malheureux ont de la vertu, ne soyons pas encore la dupe de ce sentiment dans eux: c’est qu’ils ne peuvent plus placer leur orgueil que dans cette frêle jouissance; elle les console des pertes qu’ils font, voilà leur secret.

Pendant cette savante dissertation, Mme de Noirceuil et les gitons s’étaient endormis.

— Ce sont des imbéciles que ces êtres-là, dit Noirceuil; ce sont les machines de nos voluptés, cela est trop bête pour rien sentir. Ton esprit plus subtil me conçoit, m’entend, me devine; je le vois, Juliette, tu aimes le mal.

— Beaucoup, monsieur, il me tourne la tête!

— Tu iras loin, mon enfant… Je t’aime, je veux te revoir.

— Je suis flattée de vos sentiments, monsieur; j’ose presque dire que je les mérite, par la conformité des miens aux vôtres… J’ai eu quelque éducation, une amie a formé mon esprit au couvent. Hélas! monsieur, ma naissance aurait dû me préserver de l’humiliation dans laquelle je suis.

Et, à ce sujet, je racontai mon histoire à Noirceuil.

— Je suis désespéré de tout ce que vous me dites, Juliette, me répondit Noirceuil après m’avoir écoutée avec la plus grande attention.

— Et pourquoi donc?

— Le voici: j’ai beaucoup connu votre père, je suis cause de sa banqueroute, c’est moi qui l’ai ruiné. Maître un instant de toute sa fortune, je pouvais la doubler ou la faire passer dans mes mains; par une juste conséquence de mes principes, je me suis préféré à lui; il est mort ruiné, et j’ai trois cent mille livres de rentes. Après votre aveu, je devrais nécessairement réparer envers vous l’adversité où mes crimes vous ont plongée, mais cette action serait une vertu; je ne m’y livrerai point, j’ai la vertu trop en horreur: ceci met d’éternelles barrières entre nous, il ne m’est plus possible de vous revoir.

— Homme exécrable, m’écriai-je, à quelque degré que je sois victime de tes vices, je les aime… Oui, j’adore tes principes…

— Ô Juliette, si vous saviez tout!

— Ne me laissez rien ignorer.

— Votre père… votre mère.

— Eh bien?

— Leur existence pouvait me trahir… Il fallait que je les sacrifiasse: ils ne sont morts, à peu de distance l’un de l’autre, que d’un breuvage que je leur fis prendre dans un souper chez moi…

Un frémissement subit s’empare ici de toute mon existence; mais fixant aussitôt Noirceuil avec ce flegme apathique de la scélératesse qu’imprimait malgré moi la nature au fond de mon cœur:

— Monstre, je te le répète, m’écriai-je, tu me fais horreur, et je t’aime!

— Le bourreau de ta famille?

— Eh! que m’importe? Je juge tout par les sensations; ceux dont tes crimes me séparent ne m’en faisaient naître aucune, et l’aveu que tu me fais de ce délit m’embrase, me jette dans un délire dont il m’est impossible de rendre compte.

— Charmante créature, me répondit Noirceuil, ta naïveté, la franchise de l’âme que tu me développes, tout me détermine à transgresser mes principes: je te garde, Juliette, je te garde, tu ne retourneras point chez la Duvergier.

— Mais, monsieur… votre femme!

— Elle te sera soumise; tu règneras dans la maison; tout ce qui l’occupe sera sous tes ordres; on n’obéira qu’à toi seule. Voilà l’empire du crime sur mon âme: tout ce qui en porte l’empreinte me devient cher. La nature m’a fait pour l’aimer; il faut qu’en abhorrant la vertu je tombe malgré moi sans cesse aux pieds du crime et de l’infamie. Viens, Juliette, je bande, présente-moi ton beau cul que je le foute; je vais mourir de plaisir en imaginant que je rends victime de ma lubricité le rejeton de celles de mon avarice.

— Oui, fous-moi, Noirceuil! j’aime l’idée de devenir la putain du bourreau de tous mes parents; fais couler mon foutre au lieu de mes pleurs: tel est le seul hommage que je veuille offrir aux cendres abhorrées de ma famille.

Nous réveillâmes les acolytes; Noirceuil se fit enculer en me sodomisant, et, ayant établi les fesses de sa femme au-dessus de mes reins, il les lui mordit, les lui pinça, les lui claqua, et tout cela d’une telle force, que la pauvre créature avait le cul tout meurtri quand Noirceuil avait perdu son foutre.

Dès l’instant, je fus établie dans la maison. Noirceuil ne voulut pas même me laisser retourner chez la Duvergier pour y prendre mes hardes. Il me présenta le lendemain à ses domestiques, à ses connaissances, comme une cousine, et je devins chargée, de ce moment, de faire les honneurs de chez lui.

Il me fut cependant impossible de ne pas saisir un moment pour aller revoir mon ancienne matrone. J’étais bien éloignée de l’envie de l’abandonner tout à fait; mais, pour mieux en tirer parti, je ne voulais pas avoir l’air de me jeter à sa tête.

— Viens, viens, ma chère Juliette, me dit la Duvergier aussitôt qu’elle me vit, je t’attendais avec impatience, j’ai mille et mille choses à te dire.

Nous nous enfermons dans son cabinet, et là, après m’avoir embrassée bien chaudement, félicitée du bonheur que je venais d’avoir de plaire à un homme aussi riche que Noirceuil:

— Juliette, me dit-elle, écoute-moi:

Je ne sais quelle idée tu te fais de ta nouvelle position; mais si tu allais malheureusement t’imaginer que ta qualité de fille entretenue t’engageât à une fidélité à toute épreuve, et cela avec un homme qui voit sept ou huit cents filles par an, certes, mon ange, tu serais dans une grande erreur. Quelque riche que soit un homme, et quelque bien qu’il nous fasse, nous ne lui devons jamais aucune reconnaissance; car il travaille pour lui seul en nous comblant de biens. L’or dont il nous couvre n’est l’effet, ou que de l’orgueil qu’il met à nous avoir à lui seul, ou que de la jalousie qui lui fait prodiguer ses trésors pour que personne ne partage l’objet de son amour. Mais je te demande, Juliette, si les extravagances d’un homme doivent jamais être pour nous des motifs suffisants à servir sa folie? De ce qu’un homme doit être blessé de nous voir dans les bras d’un autre, s’ensuit-il que nous devions nous gêner pour ne pas y être? Je vais plus loin: aimât-on à la fureur l’homme avec lequel on vit, fût-on sa femme, sa maîtresse la plus chère, il y aurait toujours l’absurdité la plus complète à s’imposer des fers. On peut foutre de toutes les façons possibles sans rien enlever aux sentiments du cœur. On aime tous les jours un homme à l’excès, et l’on n’en fout pas moins avec un autre: ce n’est pas le cœur qu’on donne à celui-ci, c’est le corps. Les écarts les plus effrénés, les plus multipliés du libertinage, n’enlèvent rien à la délicatesse de l’amour. D’ailleurs, en quoi consiste le mal qu’on fait à l’homme qu’on outrage, en se prostituant à un autre? Tu m’avoueras que ce n’est, tout au plus, qu’une lésion morale; il n’y a qu’à prendre les plus grandes précautions pour qu’il ne puisse jamais savoir l’infidélité qu’on lui fait: de ce moment, il ne peut en être blessé. Je dis plus: une femme très sage qui, néanmoins, donnerait prise à quelques soupçons sur elle, soit que ces soupçons naquissent de l’imprudence, soit qu’ils fussent les fruits du mensonge, serait, toute vertueuse que vous voudrez la supposer, infiniment plus coupable pourtant, vis-à-vis de l’homme qui l’aime, que celle qui, quoiqu’elle se livrât du matin au soir, aurait pourtant l’art de le cacher à tous les yeux. Je vais plus loin encore, je dis qu’une femme, quelques raisons qu’elle ait de ménager un homme, de l’aimer même, peut donner à un autre et son cœur et son corps; elle peut même, en aimant beaucoup un homme, aimer cependant beaucoup aussi l’être avec lequel elle couche accidentellement; alors c’est une inconstance, et rien, selon moi, ne s’arrange aussi bien avec les grandes passions comme l’inconstance. Il y a deux façons d’aimer un homme: l’amour moral et l’amour physique. Une femme peut idolâtrer moralement son amant ou son époux, et aimer physiquement et momentanément le jeune homme qui lui fait la cour; elle peut se livrer à lui sans offenser, en quoi que ce puisse être, les sentiments moraux dus au premier: tout individu de notre sexe qui pense différemment est une folle, qui ne travaille qu’à son infortune. Une femme à tempérament, d’ailleurs, peut-elle s’en tenir aux caresses d’un seul homme? Si cela est, voilà donc la nature en perpétuelle opposition avec vos prétendus préceptes de constance et de fidélité. Or, dis-moi, je te prie, de quel poids doit être aux yeux d’un homme sensé un sentiment toujours en contradiction avec la nature? Un homme assez ridicule pour exiger d’une femme de ne se livrer jamais à d’autres qu’à lui commettrait une bizarrerie aussi grande que celui qui voudrait que son épouse ou sa maîtresse ne dînât jamais avec d’autres; il exercerait de plus une horrible tyrannie: car, de quel droit, n’étant pas en état de satisfaire à lui seul une femme, exige-t-il que cette femme souffre, et ne puisse se contenter avec un autre? Il y a à cela un égoïsme, une dureté incroyables, et sitôt qu’une femme reconnaît de tels sentiments dans celui qui prétend l’aimer, cela doit suffire pour la déterminer à se dédommager sur-le-champ de la gêne cruelle où son tyran veut la réduire. Mais si, au contraire, une femme n’est liée à un homme que par intérêt, quel plus puissant motif n’aura-t-elle pas, de ne contraindre en quoi que ce puisse être et ses penchants et ses désirs? elle n’est plus, de ce moment, obligée de se prêter que quand on la paie; elle ne doit son corps qu’à l’instant du payement; toutes les autres heures sont à elles, et c’est alors que les inclinations du cœur lui deviennent bien plus permises: pourquoi se gênerait-elle, puisqu’elle n’est plus engagée que physiquement? L’amant payeur, ou l’époux, doivent être trop judicieux alors pour exiger de l’objet de leur tendresse un cœur qu’ils doivent bien savoir impayable; ils ont trop de raison pour ne pas sentir qu’on n’achète point les sentiments de l’âme. De ce moment, pourvu que la femme, que l’un ou l’autre paye, se prête à ce qu’ils désirent, ils n’ont plus de reproches à lui faire, et ils passeraient pour des fous s’ils en exigeaient davantage. Ce n’est pas, en un mot, la vertu d’une femme qu’un amant ou qu’un mari veut, c’est l’apparence. Qu’elle ne foute point, et qu’elle en ait l’air, elle est perdue; qu’elle foute, au contraire, avec le monde entier, et qu’elle se cache, la voilà une femme à réputation[17]. Des exemples vont appuyer mes assertions, Juliette: l’instant où tu viens me voir est propre à te convaincre. J’ai là-dedans quinze femmes, au moins, qui viennent se prostituer chez moi, ou que je vais envoyer se faire foutre à la campagne; jette un coup d’œil sur elles: je te raconterai leur histoire en te les désignant; mais songe que ce n’est qu’en ta faveur que je me permets une telle imprudence; je ne l’oserais pas avec d’autres.

La Duvergier ouvrit, à ces mots, une petite croisée secrète, qui, sans être vues, nous permit d’observer tout ce qui était dans le salon.

— Tiens, me dit-elle, vois ce cercle; en te disant qu’il y en avait quinze, t’ai-je trompée? Compte-les.

Quinze femmes charmantes, mais toutes différemment costumées, attendaient effectivement, en silence, les instructions qu’on allait leur donner.

— Commençons, me dit la Duvergier, par cette belle blonde que tu vois la première, au coin de la cheminée; nous suivrons le cercle, en partant de là: c’est la duchesse de Saint-Fal, dont la conduite ne peut être blâmée, sans doute; car, toute jolie qu’elle est, son mari ne saurait la souffrir. Quoique tu la voies ici, elle n’en prétend pas moins à la plus haute vertu; elle a une famille qui l’observe et qui la ferait enfermer, si sa conduite était connue.

— Mais, dis-je à la Duvergier, toutes ces femmes ne risquent-elles rien à se trouver ainsi réunies? Elles peuvent se revoir ailleurs, et se perdre.

— Premièrement, me répondit la matrone, elles ne se connaissent pas; mais si, par la suite, elles venaient à se connaître, que l’une dirait-elle à l’autre que celle-ci ne pût aussitôt rétorquer contre son accusatrice? Liées toutes par le même intérêt, il n’est donc nullement à craindre qu’elles se trahissent, et depuis vingt-cinq ans que je sers elles ou leurs pareilles, je n’ai jamais ouï parler d’indiscrétions semblables; elles ne les redoutent même pas. Poursuivons.

Cette grande femme d’environ vingt ans, que tu vois près de la duchesse, et dont la figure céleste ressemble à celle d’une belle vierge, est folle de son mari; mais un tempérament fougueux la domine; elle me paye pour lui faire voir des jeunes gens. Crois-tu qu’elle est déjà libertine au point que, quelque argent que j’y mette, il m’est impossible de lui trouver des vits assez gros pour la satisfaire?

Regarde un ange non loin de là: c’est la fille d’un conseiller au parlement; la ruse seule me la donne; sa gouvernante me la conduit; à peine a-t-elle quatorze ans. Je ne la livre qu’à des passions où la fouterie n’entre pour rien; on m’offre cinq cents louis de son pucelage; je n’ose la donner. Elle attend un homme qui décharge, rien qu’en lui baisant le derrière; il veut me donner mille louis de son cul: comme il y a moins de danger, je vais arranger cela tout à l’heure.

Cette autre fille de treize ans, que tu vois ensuite, est une petite bourgeoise que j’ai subornée; elle va épouser un homme qu’elle aime à la folie; mais elle s’est rendue aux mêmes leçons que je viens de te faire. Je vendis hier son pucelage antiphysique à Noirceuil, il en jouira demain; un jeune évêque me la débourre aujourd’hui, dans le même sens; comme il l’a bien plus petit que ton amant, celui-ci ne s’en doutera pas.

Observe avec attention cette jolie femme de vingt-six ans. Elle vit avec un homme qui l’adore… qui la couvre de biens; tous deux ont fait des choses incroyables l’un pour l’autre: la petite coquine n’en fout pas moins; elle aime les hommes à la fureur; son amant lui-même le lui a permis autrefois, et c’est à lui seul qu’il doit s’en prendre des désordres dans lesquels elle se plonge; elle profite des exemples qu’il lui a donnés, et elle fout tous les jours ici, sans que le cher homme le sache.

Cette jolie brune que tu vois près d’elle est la femme d’un vieillard qui l’a épousée par amour; elle pousse les attentions qu’elle a pour lui au point de s’en faire une étonnante réputation de vertu: tu vois comme elle s’en dédommage; elle attend ici deux jeunes gens; et, cet après-midi, elle reviendra pour celui qu’elle aime; ceux de ce matin sont pour la débauche: le cœur seul sera satisfait ce soir.

A côté d’elle est une dévote. Regarde son costume; cette coquine-là passe sa vie au sermon, à la messe et au bordel; elle a un mari qui l’adore, mais qui ne peut la corriger; aigre, impérieuse dans son ménage, elle croit que ces mômeries doivent lui faire pardonner tout. Quoique son pauvre époux ait fait sa fortune, elle ne le rend pas moins le plus malheureux des hommes. Elle me donne, à moi, une peine horrible pour la contenter, parce qu’elle ne veut foutre qu’avec des prêtres. Il est vrai que l’âge et la tournure lui sont de la plus grande indifférence: pourvu que ce soit un croque-Dieu, la putain est contente.

Au-dessous d’elle est une femme entretenue à deux cents louis par mois: on lui donnerait le double qu’on ne l’empêcherait pas de faire des parties; c’est une de mes élèves. Son vieil archevêque parierait ses bénéfices qu’elle est plus chaste que la Vierge, aux dépens de qui le drôle la nourrit. Si tu voyais comme elle le trompe! Voilà l’art des femmes, Juliette; il faut l’employer dans notre état, ou se résoudre à y mourir de faim.

Vient ensuite une petite bourgeoise de dix-neuf ans, jolie, comme tu vois, au-delà de tout ce qu’il est possible de dire. Il n’y a rien que son amant n’ait fait pour elle: il l’a retirée de la misère, il a payé ses dettes, il la tient maintenant sur le meilleur pied; elle désirerait des astres qu’il essayerait, je crois, de les déplacer pour les lui offrir; et la petite putain n’a pas un moment à elle qui ne soit employé à foutre. Ce n’est pas le libertinage qui guide celle-ci, c’est l’avarice; elle fait tout ce qu’on veut, elle passe avec qui bon me semble, pourvu qu’on la paye très cher: a-t-elle tort? Le brutal à qui je vais la livrer la mettra pour six semaines au lit; mais elle aura dix mille francs; elle s’en moque.

— Et l’amant?

— Bon! une chute… un accident… Avec l’art qu’elle a, elle en imposerait à Dieu même.

— Cette petite fille, continua la Duvergier en me montrant une enfant de douze ans jolie comme l’amour, est dans un cas plus singulier: c’est sa mère même qui la vend par besoin. Toutes deux pourraient s’occuper, on leur offre même du travail: elles n’en veulent pas; le libertinage seul leur convient. C’est encore à Noirceuil qu’est destiné le cul de cet enfant.

Voici le triomphe de l’amour conjugal! Il n’est point de femme qui chérisse son mari comme celle-ci, continua la Duvergier en me faisant voir une créature de vingt-huit ans, belle comme Vénus; elle l’adore, elle en est jalouse, mais le tempérament l’emporte; elle se déguise, on la prend pour une vestale, et il n’y a pas de semaine où elle ne voie quinze ou vingt hommes chez moi.

En voici une pour le moins aussi jolie, poursuivit mon institutrice, et dans une position vraiment extraordinaire; c’est son mari même qui la prostitue. Quoiqu’il en soit fou, il se mettra en tiers dans la partie, et servira lui-même de maquereau à sa femme; mais il enculera le fouteur.

Le père de cette jeune personne, si belle et si gentille, livre de même ici cette charmante enfant; mais il ne veut pas qu’on la foute; tout le reste est indifférent, pourvu qu’on respecte les deux pucelages; il sera, de même, en tiers. Je l’attends, car l’homme à qui je vais livrer sa fille est déjà là; il y aura du plaisant dans la scène. Je suis fâchée que tu sois pressée, au point de ne pouvoir y jouer un rôle. Je sais qu’on t’y admettrait volontiers.

— Et que s’y passera-t-il, enfin?

— Le père voudra fouetter l’homme auquel il va livrer sa fille; celui-ci ne le voudra pas; mille bassesses de la part de l’un, mille refus opiniâtres de la part de l’autre, qui, s’armant d’un bâton, finira par rosser le père, en déchargeant sur le cul de la fille. Et le papa? Il dévorera le foutre perdu, en répandant le sien, et mordant de rage le cul de celui dont il viendra d’être si bien roué.

— Quelle passion! Et que ferais-je là?

— Le père s’en prendrait à toi des coups qu’on lui donnerait. Tu serais peut-être un peu marquée; mais cent louis de gratification.

— Poursuivez, madame, poursuivez; vous savez que je ne peux pas aujourd’hui.

— Voici pour l’avant-dernière: une très jolie personne, jouissant de plus de cinquante mille livres de rente, et d’une excellente réputation; elle aime les femmes, vois comme elle les lorgne; elle aime aussi les enculeurs, tout cela sans cesser d’adorer son époux. Mais elle sait bien que ce qui tient au physique est absolument indépendant du moral. Elle fout avec son mari d’un côté, elle vient s’en faire donner ici de l’autre; tout cela s’arrange.

Cette dernière enfin est une célibataire à grandes prétentions, une des plus célèbres prudes de Paris; elle battrait, je crois, dans le monde, un homme qui lui parlerait d’amour; et je suis payée très chèrement par elle pour la faire foutre une cinquantaine de fois par mois, à ma petite-maison.

Eh bien, Juliette! balanceras-tu après tous ces exemples?

— Non, sans doute, madame, répondis-je; je foutrai chez vous par intérêt et par libertinage; je me livrerai à toutes les parties libidineuses qu’il vous plaira de m’envoyer; mais lorsque mes prostitutions seront pour votre compte, je vous préviens que ce ne sera jamais à moins de cinquante louis.

— Tu les auras, tu les auras, me répondit la Duvergier au comble de la joie. Je ne voulais que ton acquiescement; l’argent ne m’inquiète point; sois douce, obéissante, ne refuse jamais rien; je te trouverai des monts d’or.

Et comme il était tard et que je craignais que Noirceuil ne fût inquiet de la longueur de cette première sortie, je retournai bientôt dîner à la maison, vraiment désespérée de n’avoir pas vu quelques-unes de ces femmes à l’ouvrage, ou de le partager avec elles.

Mme de Noirceuil ne voyait pas de sang-froid sa rivale établie chez elle; la manière impérieuse et dure dont son mari lui avait enjoint de m’obéir ne contribuait pas peu à l’aigreur qu’elle témoignait à tout instant. Il n’y avait pas un seul jour où elle n’en pleurât de dépit: infiniment mieux logée qu’elle, mieux servie, plus magnifiquement habillée, ayant une voiture à moi seule, pendant qu’elle jouissait à peine de celle de son mari, on doit facilement juger à quel point cette femme devait me haïr. Mais mon ascendant sur l’esprit de monsieur était trop bien établi pour que j’eusse rien à redouter des boutades de madame.

Vous imaginez pourtant bien que ce n’était point par amour que Noirceuil agissait ainsi. Il voyait dans ma société des moyens de crimes: en fallait-il davantage pour sa perfide imagination? Rien n’était réglé comme les désordres de ce scélérat. Tous les jours, sans que jamais rien pût interrompre un pareil arrangement, la Duvergier lui fournissait une pucelle qui ne pouvait pas avoir plus de quinze ans et jamais moins de dix: il donnait cent écus pour chacune de ces filles, et la Duvergier vingt-cinq louis de dommages et intérêts, si Noirceuil pouvait prouver que la fille ne fût pas exactement vierge. Malgré toutes ces précautions, mon exemple vous prouve à quel point il était trompé chaque jour.

Cette séance de libertinage avait ordinairement lieu tous les soirs: les deux gitons, Mme de Noirceuil et moi ne manquions jamais de nous y trouver, et chaque jour la tendre et malheureuse épouse devenait la victime de ces piquantes et singulières luxures. Les petites filles se retiraient, et je soupais en tête à tête avec Noirceuil, qui se grisait assez communément et finissait par s’endormir dans mes bras.

Depuis longtemps, il faut enfin que j’en convienne avec vous, mes amis, je brûlais de mettre en action les principes de Dorval; il semblait que les doigts me démangeassent; je voulais voler, à quelque prix que ce pût être. Mon épreuve n’était pas encore faite; je ne doutais pas de mon adresse: je n’étais embarrassée que du sujet avec lequel je devais l’employer. J’avais le plus beau jeu du monde chez Noirceuil: sa confiance était aussi entière que ses richesses étaient immenses, ses désordres extrêmes: il n’y avait pas de jour où je ne pusse, si je le voulais, lui dérober dix à douze louis, sans qu’il s’en doutât. Par un singulier calcul de mon imagination… par un sentiment dont j’aurais peut-être bien de la peine à me rendre compte, je ne voulus jamais me permettre de faire tort à un être aussi corrompu que moi. C’est sans doute ici ce qu’on appelle la bonne foi des Bohèmes: mais je l’eus. Un autre motif entra pour beaucoup aussi dans ce projet de réserve: je voulais faire mal, en volant; cette idée embrasait étonnamment ma tête. Or, quel crime commettais-je en dépouillant Noirceuil? Regardant ses propriétés comme les miennes, je ne faisais que rentrer dans mes droits; donc, pas la plus légère apparence de délit dans ce procédé. En un mot, si Noirceuil eût été un honnête homme, je ne lui aurais pas fait la moindre grâce; c’était un scélérat, je le respectais. En me voyant tout à l’heure lui faire des infidélités, vous me demanderez peut-être pourquoi cette vénération ne me suivait point partout: oh! ceci était différent; il était dans mes principes de ne soupçonner aucun mal à l’infidélité. J’aimais dans Noirceuil le libertinage, la singularité d’esprit; mais ne raffolant point de sa personne, je ne me croyais pas liée avec lui au point de ne pas lui manquer quand bon me semblerait. Je visais au grand; en voyant beaucoup d’hommes, je pouvais trouver mieux que Noirceuil. Ce bonheur même ne fût-il pas arrivé, les parties de la Duvergier devaient me valoir beaucoup; et je ne pouvais donc pas y sacrifier un sentiment chevaleresque pour Noirceuil, dans lequel aucune sorte de délicatesse ne pouvait foncièrement exister. D’après ce plan de conduite, j’acceptai, comme vous croyez bien, une partie que la Duvergier me fit proposer, quelques jours après l’entrevue, dont je viens de vous parler, avec elle.

Cette partie devait avoir lieu chez un millionnaire qui, n’épargnant rien pour ses plaisirs, payait au poids de l’or toutes les créatures assez complaisantes pour satisfaire à ses honteuses luxures. On n’imagine pas le degré d’extension que peut avoir le libertinage; on ne se fait pas d’idée du point où il dégrade l’homme qui n’écoute plus que les chatouilleuses passions inspirées par ce délicieux vice.

Six filles charmantes de chez la Duvergier devaient m’accompagner chez ce Crésus; mais, plus distinguée que les autres, à moi seule s’adressait le véritable culte dont mes compagnes n’étaient que les prêtresses.

On nous fit entrer, dès en arrivant, dans un cabinet tendu de satin brun, couleur adoptée, sans doute, pour relever l’éclat de la peau des sultanes qui y étaient reçues, et là, l’introductrice nous prévint de nous déshabiller. Dès que je le fus, elle me ceignit d’une gaze noire et argent qui me distinguait de mes compagnes: cette parure, le canapé sur lequel on me plaça pendant que les autres, debout, attendaient en silence les ordres qui devaient leur être donnés, l’air d’attention que l’on eut pour moi, tout me convainquit bientôt des préférences qui m’étaient destinées.

Mondor entre. C’était un homme de soixante-dix ans, petit, trapu, mais l’œil libertin et vif. Il examine mes compagnes, et, les ayant louées l’une après l’autre, il m’aborde en m’adressant quelques-unes de ces grosses gentillesses qu’on ne trouve que dans le dictionnaire des traitants.

— Allons, dit-il à sa gouvernante, si ces demoiselles sont prêtes, nous allons nous mettre à l’ouvrage!

Trois scènes composaient l’ensemble de cet acte libidineux: il fallait premièrement, pendant que j’allais avec ma bouche réveiller l’activité très endormie de Mondor, il fallait, dis-je, que mes six compagnes, réunies en trois groupes, exécutassent, sous ses regards, les plus voluptueuses attitudes de Sapho; aucunes de leurs postures ne devaient être les mêmes, chaque instant devait les voir renouveler. Insensiblement les groupes se mêlèrent, et nos six tribades, exercées depuis plusieurs jours, formèrent enfin le tableau le plus neuf et le plus libertin qu’il fût possible d’imaginer. Il y avait une demi-heure qu’il était en action, quand je commençai seulement à m’apercevoir d’un peu de progrès dans l’état de notre sexagénaire.

— Bel ange, me dit-il, ces putains me font, je crois, bander; faites-moi voir vos fesses, car, s’il arrivait que je fusse en état de perforer le beau cul que vous allez docilement offrir à mes baisers, en vérité, nous irions tout de suite au fait, sans avoir besoin d’autre chose.

Mais Mondor, en augurant aussi bien de ses forces, n’avait pas consulté la nature.

— Allons, me dit-il au bout d’une couple d’épreuves suffisant à me faire voir quel allait être le genre de ses attaques, allons, je vois bien qu’il faut encore quelques véhicules.

Et, le groupe rompu, nous l’entourâmes toutes les sept. Alors, la duègne, nous ayant armées chacune d’une bonne poignée de verges, nous tombâmes tour à tour sur le vieux cul ridé du pauvre Mondor qui, pendant que l’une fouettait, maniait les appas des six autres. Nous l’étrillâmes jusqu’au sang, et rien n’avança la besogne.

— Ô ciel! nous dit le pauvre homme, me voilà réduit aux dernières extrémités.

Et tout suant, tout haletant, le vilain nous considérait pour nous demander des secours.

— Mesdemoiselles, nous dit en ce moment la compatissante duègne, en rafraîchissant par des lotions d’eau de Cologne les fesses déchirées de son maître, je ne vois plus qu’un seul moyen pour rappeler monsieur à la vie.

— Et quel est ce moyen, madame? répondis-je; il n’en est point que nous n’adoptions pour le tirer de cette langueur.

— Eh bien, répondit la duègne, je vais l’étendre sur ce canapé. Vous, aimable Juliette, agenouillée devant lui, vous continuerez à réchauffer, dans votre bouche de rose, l’outil glacé de mon pauvre maître. Je sais qu’aucune autre que vous ne réussirait à le rendre à la vie. Pour vous, mesdemoiselles, il faut que vous veniez, l’une après l’autre, exécuter trois choses assez singulières sur son individu: le souffleter d’abord d’importance, lui cracher au visage et lui péter au nez: à peine y aurez-vous toutes passé que vous verrez des effets bien surprenants de ce remède.

La vieille dit, tout s’exécute, et j’avoue que je reste confondue de la supériorité du procédé: le ballon se gonfle dans ma bouche au point que je puis à peine le contenir. Il est vrai qu’on ne saurait se faire une idée de la rapidité avec laquelle tous les épisodes ordonnés s’exécutaient avec ce pauvre paillard; et rien n’était plaisant comme les différents bruits qu’occasionnaient à la fois, dans l’air, la multiplicité de ces pets, de ces soufflets et de ces expectorations. Enfin le paresseux instrument se dérouille, au point que je crois qu’il va crever sur mes lèvres, lorsque, se relevant avec vitesse, Mondor fait signe à sa gouvernante de tout préparer pour le dénouement: à mon cul seul en est réservé l’honneur. La vieille me place dans l’attitude exigée pour la sodomie; Mondor, aidé, conduit par sa gouvernante, se plonge à l’instant au temple des plus doux plaisirs de cette passion. Mais tout n’était pas dit: j’étais ratée, sans l’épisode crapuleux dont Mondor couronnait son extase. Il fallait, pendant que le paillard m’enculait:

1° que sa gouvernante, armée d’un immense godemiché, lui rendît le même service;

2° qu’une des filles, agenouillée sous moi, excitât beaucoup de bruit dans mon con en le branlant avec sa langue;

3° qu’un beau cul s’offrît à chacune de mes mains;

4° enfin, que les deux filles qui restaient élevées à califourchon, la première sur mes reins, la seconde sur les reins de celle-ci, en chiant toutes deux à la fois, inondassent de merde, l’une la bouche du paillard, l’autre son front.

Mais chacune, tour à tour, remplit ces deux derniers rôles: toutes chièrent, même la vieille; toutes me branlèrent; toutes enculèrent Mondor, qui, cédant aux titillations de plaisir dont nous l’enivrons, darde enfin au fond de mon anus les déplorables jets de sa défaillante luxure.

— Quoi, madame! dit le chevalier en interrompant ici Juliette, quoi! la vieille chia aussi?

— Assurément, reprit notre historienne; je ne conçois pas qu’avec votre tête, chevalier, vous puissiez être étonné de cela; plus une femme est ridée, et plus elle convient à cette opération; les sels sont plus âcres, les odeurs plus fortes… En général, on se trompe sur les exhalaisons émanées du caput mortuum de nos digestions; elles n’ont rien de malsain, rien que de très agréable… c’est le même esprit recteur que celui des simples. Il n’est rien à quoi l’on s’accoutume aussi facilement qu’à respirer un étron; en mange-t-on, c’est délicieux, c’est absolument la saveur piquante de l’olive. Il faut, j’en conviens, monter un peu son imagination; mais quand elle l’est bien, je vous assure que cet épisode compose un acte de libertinage très sensuel…

— Et dont j’essayerai avant qu’il soit longtemps, je vous le jure, madame, dit le chevalier, en maniant complaisamment un vit que l’idée dont il venait d’être question faisait horriblement bander.

— Quand vous voudrez, dit Juliette; je m’offre à vous satisfaire… Tenez, à l’instant, si vous le désirez; vous avez l’envie, moi j’ai le besoin.

Et le chevalier, prenant Juliette au mot, tous deux passèrent dans un cabinet voisin, dont ils ne sortirent qu’au bout d’une grosse demi-heure, employée sans doute par le chevalier aux plus voluptueuses épreuves de cette passion, et par le marquis, à quelques vexations sur les fesses flétries de la malheureuse Justine.

— En vérité, c’est délicieux! dit le chevalier en revenant.

— As-tu mangé? dit le marquis.

— Absolument tout…

— Je suis étonné que tu ne connaisses pas cela: il n’est pas aujourd’hui d’enfant de dix-huit à vingt ans qui ne l’ait fait faire à des filles. Allons, poursuivez, Juliette! il est très joli d’allumer nos passions, comme vous le faites, par vos intéressants récits, et de les apaiser ensuite par vos délicieuses complaisances.

— Bel ange, me dit Mondor en m’entraînant avec lui dans son arrière-cabinet, après avoir congédié les autres femmes, il vous reste un dernier service à me rendre, et c’est de celui-là que j’attends, mes plus divins plaisirs. Il faut imiter vos compagnes, il faut chier comme elles, et rendre à la fois dans ma bouche, et l’étron divin de votre cul, et le foutre dont je viens de l’arroser.

— Assurément, monsieur, je suis prête à vous obéir, répondis-je avec humilité.

— Quoi! d’honneur, tu le peux?… Fille adorable, ce service est en ta puissance!… Ah! je n’aurai jamais si bien déchargé.

Dès en entrant dans ce cabinet, j’avais remarqué sur le bureau un paquet assez volumineux contenant, à ce que j’imaginais, des choses qui pouvaient devenir très utiles à l’amélioration de ma fortune. M’en emparer avec adresse était devenu le premier vœu de mon cœur, aussitôt que je l’avais aperçu. Mais comment faire? j’étais nue; où fourrer ce paquet, presque aussi gros que mes deux bras, quoique assez court à la vérité.

— Monsieur, dis-je à Mondor, est-ce que vous n’appelez personne pour nous aider?

— Non, dit le financier, je goûte seul cette dernière jouissance; j’y mets des épisodes si lubriques, des détails si voluptueux…

— Oh! n’importe, n’importe, il nous faut quelqu’un.

— Tu crois, mon ange?

— Assurément monsieur.

— Eh bien, va voir si toutes ces femmes sont parties; si elles ne le sont pas, fais venir la plus jeune: son cul m’a fait assez bien bander, et c’est de toutes, celle que je désire le plus.

— Mais, monsieur, je ne connais pas votre maison; l’état d’ailleurs dans lequel je suis…

— Je vais sonner.

— Gardez-vous-en, monsieur, je ne veux point paraître ainsi aux yeux de vos valets.

— Mais c’est la vieille qui viendra.

— Point du tout, elle raccompagne les filles.

— Oh! que de mystère, que de temps de perdu!

Et s’élançant aussitôt dans les appartements que nous quittons, l’imbécile, sans s’en apercevoir, me laisse au milieu de ses trésors. Plus de retenue ici, plus aucun motif qui, comme chez Noirceuil, m’empêchât de me livrer à l’excessif penchant que j’éprouvais à m’emparer du bien d’autrui. Je ne perds donc pas une minute: dès que mon homme a le dos tourné je saute sur le paquet et, l’entortillant dans l’épais chignon qui couvrait ma tête, je le dérobe, par cette ruse, absolument à tous les yeux. A peine avais-je fini que Mondor m’appela. Les filles n’étaient point encore parties; ne se souciant point de les faire passer dans son cabinet, il préférait que la scène eût lieu dans le même endroit qui avait été témoin des premières. Nous y repassâmes; la plus jeune fille suça le vit du patient; il lui remplit la bouche de sperme, pendant que je déposais dans la sienne le mets qui lui plaisait tant. Rien ne s’aperçut; je me rajustai; deux voitures nous attendaient, et nous nous séparâmes du pèlerin, après en avoir été largement payées.

— Ô Dieu! me dis-je en entrant chez Noirceuil, et considérant à mon aise le rouleau que j’avais dérobé, est-il possible que le ciel favorise ainsi mon premier vol!

Le paquet contenait pour soixante mille francs de billets payables au porteur et sans qu’aucune nouvelle signature devint nécessaire.

De retour chez moi, je vis que, par une incroyable fatalité, pendant que je volais, on me volait moi-même: on avait forcé mon secrétaire, et cinq ou six louis que l’on y avait trouvés étaient devenus la proie du ravisseur. Noirceuil, consulté sur ce fait, m’assura qu’il ne pouvait avoir été commis que par une nommée Gode, fort jolie fille de vingt ans que Noirceuil avait attachée à mon service depuis que j’étais dans sa maison, qu’il mettait même très souvent en tiers dans nos plaisirs, et à laquelle, par un caprice digne du libertinage de son esprit, il s’était amusé de faire faire un enfant par un de ses gitons: elle était grosse de six mois.

— Quoi! monsieur, dis-je, vous croyez que c’est Gode!

— J’en suis certain, Juliette, regarde son air confus, embarrassé.

N’écoutant plus alors que mon perfide égoïsme, et nullement les résolutions que j’avais prises de ne jamais vexer ni tourmenter ceux qui me paraîtraient aussi scélérats que moi, je me jette aux pieds de Noirceuil pour le supplier de faire arrêter la coupable.

— Je le veux bien, me dit Noirceuil avec un flegme qui eût dû m’éclairer, si mon esprit eût été plus présent; mais tu ne jouiras pas de son supplice: grosse, elle obtiendra des délais, et, pendant ce terme, jeune et jolie, la coquine pourra fort bien se tirer d’affaire.

— Ô Dieu, j’en serais désolée!

— Je le sens bien, c’est au gibet que tu voudrais la voir; mais cela ne se pourra pas de trois mois au moins. Écoute, Juliette, à supposer même que tu puisses jouir de ce plaisir, ce qui, je le sens, en serait un très vif pour la tête que je te connais, cette volupté, dans le fond, ne serait que l’histoire d’un quart d’heure. Prolongeons les tourments de cette malheureuse; faisons-la souffrir toute sa vie. Rien n’est plus aisé: je vais la faire jeter dans un cachot de Bicêtre, où elle pourrira cinquante ans peut-être.

— Oh! mon ami, le délicieux projet!

— Je ne te demande que la fin du jour pour l’exécuter, pour avoir le temps d’agir, et pour revêtir cet heureux plan de tous les épisodes qui peuvent lui prêter des charmes.

J’embrasse Noirceuil; il fait mettre ses chevaux, et revient deux heures après, muni de l’ordre nécessaire à l’exécution de notre dessein.

— Amusons-nous maintenant, me dit le traître; mettons bien de la fourberie à tout cela. Gode, ma chère Gode, dit-il à cette pauvre fille en la faisant venir dans son cabinet avec moi, aussitôt que nous eûmes dîné, tu connais mes sentiments, le temps approche où je veux t’en donner des preuves; je vais unir ton sort à celui qui a laissé dans ton sein des preuves de son amour pour toi, et je vous fais deux mille écus de rente.

— Oh! monsieur, que de grâces!

— Non, point du tout, ma fille, ne me remercie point; je te jure que tu ne me dois aucune reconnaissance: je ne flatte absolument dans tout ceci que mes goûts. Te voilà sûre au moins à présent, par les précautions que je viens de prendre, d’avoir du pain pour le reste de tes jours.

Et Gode, bien loin de saisir le double sens des perfides paroles de Noirceuil, arrosait des larmes de sa joie les mains de son prétendu bienfaiteur.

— Allons, Gode, poursuivit mon amant, un peu de complaisance pour la dernière fois; quoique je n’aime guère les femmes grosses, laisse-moi t’enculer en baisant les fesses de Juliette.

Tout s’arrange; je n’avais jamais vu Noirceuil si passionné.

— Comme l’idée d’un crime ajoute à la volupté! lui dis-je tout bas.

— Étonnamment, me répondit Noirceuil; mais le crime, où serait-il, si elle t’avait réellement volée?

— Tu as raison, mon ami.

— Eh bien! console-toi, Juliette, console-toi, le crime est donc dans toute son étendue! car je suis le seul coupable en cette aventure: cette malheureuse est aussi innocente que toi.

Et il l’enculait pendant ce temps-là, en baisant ma bouche et claquant mon derrière. Je l’avoue, ce comble de scélératesse me fit aussitôt décharger; et saisissant la main de mon amant, et la portant à mon clitoris, je le priai de juger, par le foutre dont il retira ses doigts tout couverts, du puissant effet de son infamie sur mon cœur. Il me suit de près, deux ou trois coups de reins furieux, accompagnés d’horribles blasphèmes, m’annoncent son délire… Mais son vit est à peine hors du cul, qu’un valet de chambre, frappant doucement à la porte, le prévient que le commissaire, qu’il a fait avertir, fait demander la permission d’exécuter l’ordre dont il est porteur.

— Ah! bon, bon, qu’il attende là, dit Noirceuil, je vais lui livrer sa victime… Allons, Gode, rajustez-vous, voilà votre mari qui vient vous chercher pour vous conduire lui-même à la maison de campagne dont je vous donne l’habitation pour votre vie.

Gode se presse; Noirceuil la pousse dehors. Dieux! quelle est sa frayeur en voyant l’homme noir et sa suite, en se sentant lier comme une criminelle, en entendant surtout (il parait que c’est ce qui la frappa davantage) tous les domestiques de la maison, prévenus, s’écrier:

— Ne la manquez pas, M. le commissaire! c’est elle qui bien sûrement a forcé le bureau de mademoiselle et qui, par cette conduite épouvantable, a laissé planer le soupçon sur nos têtes…

— Moi, forcer le bureau de mademoiselle! s’écria Gode en s’évanouissant; ô Dieu, j’en suis incapable!

Le commissaire voulut suspendre, mais Noirceuil, ordonnant qu’on poursuivît l’opération sans aucun égard, la malheureuse fut enlevée et jetée dans les cachots les plus malsains de Bicêtre, où elle fit, en arrivant, une fausse couche qui pensa lui coûter la vie. Elle respire encore: il y a, comme vous voyez, bien des années qu’elle pleure le tort qu’elle a eu d’avoir irrité les désirs de Noirceuil, qui n’est jamais six mois sans aller jouir de ses larmes, et resserrer, autant qu’il le peut, ses fers par de nouvelles recommandations.

— Eh bien, me dit Noirceuil, dès que Gode fut enlevée, en me rendant le double de l’argent pris chez moi, cela ne vaut-il pas cent fois mieux, de cette manière, que si elle eût été livrée au cours d’une justice incertaine et compatissante? Nous n’eussions pas été les maîtres de son sort: nous le sommes à jamais, maintenant.

— Ô Noirceuil! que tu es fourbe, et quelle jouissance tu viens de te donner!

— Oui, me répondit mon amant, je savais que le commissaire était à la porte; je déchargeais délicieusement dans le cul de la proie que j’allais lui livrer.

— Ô mon ami, vous êtes bien scélérat! mais pourquoi faut-il que j’aie aussi goûté le plus grand plaisir à l’infamie que vous avez commise?

— Précisément parce que c’en est une, me répondit Noirceuil, et qu’il n’en est point qui ne donne du plaisir. Le crime est l’âme de la lubricité; il n’en est point de réelle sans lui: il y a donc des passions qui étouffent l’humanité.

— Si cela est, elle n’est donc plus l’organe de la nature, cette fastidieuse humanité dont les moralistes nous entretiennent sans cesse? ou il existe des moments pendant lesquels cette nature inconséquente éteint d’une voix ce qu’elle conseille de l’autre?

— Eh! Juliette, connais-la mieux, cette nature complaisante et douce; elle ne nous conseille jamais de soulager les autres que par intérêt ou par crainte: par crainte, parce que nous redoutons pour nous les maux que notre faiblesse soulage; par intérêt, dans l’espoir du profit ou de la jouissance qu’en attend notre orgueil.

Mais dès qu’une passion plus impérieuse se fait entendre, tout le reste se tait: l’égoïsme reprend ses droits sacrés; nous nous moquons du tourment des autres. Et qu’aurait-il donc de commun avec nous, ce tourment? Nous ne le ressentons jamais que par la frayeur d’un sort égal; or, si la pitié naît de la frayeur, elle est donc une faiblesse dont nous devons nous garantir, nous purger le plus tôt qu’il est possible.

— Ceci, dis-je à Noirceuil, demande des développements. Vous m’avez démontré le néant de la vertu: je vous prie de m’expliquer ce que c’est que le crime; car si, d’un côté, vous anéantissez ce qu’il faut que je respecte, et que, de l’autre, vous amoindrissez ce que je dois craindre, vous aurez certainement mis mon âme dans l’état où je la désire pour oser tout dorénavant sans peur.

— Assieds-toi, Juliette, me dit Noirceuil, ceci exige une dissertation sérieuse, et, pour que tu puisses me comprendre, j’ai besoin de toute ton attention.

On appelle crime toute contravention formelle, soit fortuite, soit préméditée, à ce que les hommes appellent les lois; d’où tu vois que voilà encore un mot arbitraire et insignifiant; car les lois sont relatives aux mœurs, aux climats; elles varient de deux cents lieues en deux cents lieues, de manière qu’avec un vaisseau, ou des chevaux de poste, je peux me trouver, pour la même action, coupable de mort le dimanche matin à Paris, et digne de louanges, le samedi de la même semaine, sur les frontières d’Asie ou sur les côtes d’Afrique. Cette complète absurdité a ramené le philosophe aux principes suivants:

1° Que toutes nos actions sont indifférentes en elles-mêmes; qu’elles ne sont ni bonnes ni mauvaises, et que si l’homme les qualifie quelquefois ainsi, c’est uniquement en raison des lois qu’il adopte, ou du gouvernement sous lequel il vit, mais qu’à ne considérer que la nature, toutes nos actions sont parfaitement égales entre elles.

2° Que si nous ressentons, au-dedans de nous-mêmes, un murmure involontaire qui lutte contre les mauvaises actions projetées par nous, cette voix n’est absolument l’effet que de nos préjugés ou de notre éducation, et qu’elle se trouverait bien différente si nous étions nés dans un autre climat.

3° Que si, en changeant de pays, nous ne parvenions pas à perdre cette inspiration, cela ne prouverait rien pour sa bonté, mais seulement que les premières impressions reçues ne s’effacent que difficilement.

4° Enfin, que le remords est la même chose, c’est-à-dire le pur et simple effet des premières impressions reçues, que l’habitude seule peut détruire et qu’il faut travailler fortement à vaincre.

Et en effet, pour juger si une chose est véritablement criminelle ou non, il faut examiner de quel dommage elle peut être à la nature; car on ne peut raisonnablement qualifier de crime que ce qui vraiment outragerait ses lois. Il faut donc que ce crime se trouve uniforme, que ce soit une action quelconque, tellement en horreur à tous les peuples de la terre, que l’exécration qu’elle inspire se trouve aussi généralement empreinte en eux que le désir de satisfaire à leurs besoins; or il n’en existe pas une seule de cette espèce: celle qui nous paraît la plus atroce et la plus exécrable a trouvé des autels ailleurs.

Le crime n’a donc rien de réel; il n’y a donc véritablement aucun crime, aucune manière d’outrager une nature toujours agissante… toujours trop au-dessus de nous pour nous redouter en quoi que ce puisse être. Il n’est aucune action, telle épouvantable, telle atroce, telle infâme que vous puissiez la supposer, que nous ne puissions commettre indifféremment, toutes les fois que nous nous y sentons portés; que dis-je? que nous n’ayons tort de ne pas commettre, puisque c’est la nature qui nous l’inspire; car nos usages, nos religions, nos coutumes, peuvent facilement, et doivent même nécessairement nous tromper, et la voix de la nature ne nous trompera certainement jamais. C’est par un mélange absolument égal de ce que nous appelons crime et vertu que ses lois se soutiennent; c’est par des destructions qu’elle renaît; c’est par des crimes qu’elle subsiste; c’est, en un mot, par la mort qu’elle vit. Un univers totalement vertueux ne saurait subsister une minute; la main savante de la nature fait naître l’ordre du désordre, et, sans désordre, elle ne parviendrait à rien: tel est l’équilibre profond qui maintient le cours des astres, qui les suspend dans les plaines immenses de l’espace, qui les fait périodiquement mouvoir. Ce n’est qu’à force de mal qu’elle réussit à faire le bien; ce n’est qu’à force de crimes qu’elle existe, et tout serait détruit, si la vertu seule habitait sur la terre. Or, je vous le demande, Juliette, dès que le mal est utile aux grands desseins de la nature, dès qu’elle ne peut parvenir à rien sans lui, comment l’individu qui fait le mal pourrait-il ne pas être utile à la nature? Et qui peut douter que le scélérat ne soit un être qu’elle ait formé tel pour accomplir ses vues? Pourquoi ne voulons-nous pas qu’elle ait fait parmi les hommes ce que nous voyons qu’elle a fait parmi les animaux? Toutes les classes ne se dévorent-elles pas mutuellement, et ne s’affaiblissent-elles pas sur la terre, en raison de l’état où il est nécessaire que les lois de la nature se maintiennent? Qui doute que l’action de Néron, empoisonnant Agrippine, ne soit un des effets de ces mêmes lois, aussi constant que celui du loup qui dévore l’agneau? qui doute que les proscriptions de Marius et de Sylla ne soient autre chose que la peste et la famine qu’elle envoie quelquefois sur terre? Je sais bien qu’elle n’assigne pas aux hommes tel ou tel crime de préférence, mais elle les crée tous, avec une certaine propension à tel genre de crimes; et, de la réunion de tous ces forfaits, de la masse de toutes ces destructions légales ou illégales, elle en recueille le désordre et l’affaiblissement dont elle a besoin pour retrouver l’ordre et l’accroissement. Pourquoi nous eût-elle donné les poisons, si elle n’eût pas voulu que l’homme s’en servît? Pourquoi eût-elle fait naître Tibère, Héliogabale, Andronie, Hérode, Venceslas, et tous les autres scélérats ou héros (ce qui est synonyme) qui ravagent la terre, si les destructions de ces hommes de sang ne remplissaient pas ses vues? Pourquoi enverrait-elle, près de ces coquins-là, des pestes, des guerres, des famines, s’il n’était pas essentiel qu’elle détruisît, et si le crime et la destruction ne tenaient pas essentiellement à ses lois? Si donc il est essentiel qu’elle détruise, pourquoi celui qui se sent né pour détruire résisterait-il à ses penchants? Ne pourrait-on pas dire que, s’il faut qu’il y ait un mal sur la terre, ce doit être visiblement celui qu’on fait en résistant aux vues de la nature sur nous? Pour que le crime, qui n’offense et qui ne peut offenser que notre semblable, pût irriter la nature, il faudrait supposer qu’elle prend plus d’intérêt à certains êtres qu’à d’autres, et que, quoique nous soyons tous également formés de ses mains, nous ne sommes pourtant pas tous également ses enfants. Mais si nous nous ressemblons tous, à la force près, si elle n’a pas pris plus de peine à former un empereur qu’un savetier, toutes ces différentes actions ne sont plus que des accidents nécessaires de la première impulsion, et qui doivent nécessairement s’accomplir, étant formés de la manière dont il lui a plu de nous construire. Quand nous voyons, ensuite, qu’elle a mis des différences physiques dans nos individus, qu’elle a créé les uns faibles, les autres forts, n’est-il pas clair qu’elle a achevé de nous indiquer, par ces procédés, que c’était par la main du plus fort que devaient s’accomplir les crimes dont elle avait besoin, comme il devait être de l’essence du loup de manger l’agneau, et de celle de la souris d’être dévorée par le chat?

C’était donc avec grande raison que les Celtes, nos premiers aïeux, prétendaient que le meilleur et le plus saint des droits était celui du plus fort… que c’était celui de la nature, et que, quand elle avait voulu nous assigner cette portion de force supérieure à celle de nos semblables, elle ne l’avait fait que pour mieux apprendre le droit qu’elle nous donnait sur eux… Ce n’était donc point à tort que ces mêmes peuples, dont nous descendons, prétendaient que non seulement ce droit était sacré, mais que l’intention même de la nature, en nous le donnant, était que nous en profitassions; qu’il fallait, pour remplir ses vues, que le plus fort dépouillât le plus faible, et que celui-ci abandonnât de bonne grâce ce qu’il n’était pas en état de défendre. Si les choses ont changé physiquement, elles sont toujours moralement les mêmes. L’homme opulent représente le plus fort dans la société; il en a acheté tous les droits; il doit donc en jouir, et assouplir pour cela, tant qu’il le peut, à ses caprices l’autre classe d’hommes qui lui est inférieure, sans offenser en rien la nature, puisqu’il ne fait qu’user du droit qu’il en a reçu, soit matériellement, soit conventionnellement. Eh! si la nature avait voulu nous empêcher de faire des crimes, s’il était vrai que les crimes l’irritassent, elle aurait bien su nous enlever les moyens de les commettre. Quand elle les laisse à notre disposition, c’est qu’ils ne l’outragent point, c’est qu’ils lui sont indifférents ou nécessaires: indifférents, s’ils sont légers; toujours utiles, s’ils sont capitaux; car il est parfaitement égal que je dérobe la fortune de mon voisin, que je viole son fils, sa femme ou sa sœur: tout cela sont des délits d’une trop mince importance pour qu’ils puissent lui devenir d’une utilité bien majeure; mais il lui est très nécessaire que je tue ce fils, cette femme ou cette sœur, quand elle me l’indique. Et voilà pourquoi les penchants… les désirs que nous éprouvons pour les grands crimes sont toujours plus violents que ceux que nous remontons pour les petits, et que les plaisirs qu’ils nous donnent ont un sel mille fois plus piquant. Aurait-elle ainsi, par gradation, placé du plaisir à tous les crimes, si le crime ne lui était pas nécessaire? Ne nous indique-t-elle pas, au moyen de ce charme mis avec coquetterie par sa main, que son intention est que nous suivions la pente où elle nous entraîne? Ces chatouillements indicibles que nous éprouvons au complot d’un crime; cette ivresse où nous sommes en nous y livrant; cette joie secrète qui vient nous délecter encore quand il est fini: tout cela ne nous prouve-t-il pas que, puisqu’elle a si bien placé l’attrait auprès du délit, c’est qu’elle veut que nous le commettions; et que, puisqu’elle a doublé cet attrait en raison de l’énormité, c’est que le forfait de la destruction, regardé conventionnellement comme le plus atroce, est pourtant celui qui lui plaît le mieux[18]? Car, soit que le crime vienne de la vengeance, soit qu’il vienne de l’ambition ou de la lubricité, examinons-nous bien, nous verrons que cet attrait dont je parle accompagne toujours le forfait en raison de sa violence ou de sa noirceur; et, quand la destruction de nos semblables devient l’effet de la cause, l’attrait alors n’a plus de bornes, parce que c’est à cette destruction nécessaire que ses lois gagnent le plus.

— Ô Noirceuil;! interrompis-je dans un état de délire inexprimable, il est certain que j’ai eu le plus grand plaisir à l’action que nous venons de faire, mais j’en aurais eu dix fois davantage à la voir pendre…

— Dis donc, scélérate, à la pendre de ta main…

— Oh! oui, oui, Noirceuil! je l’avoue: je décharge rien qu’en y pensant.

— Et tous ces plaisirs-là doublaient, parce qu’elle était innocente, conviens-en, Juliette; sans cela, l’action que nous avions commise devenait utile aux lois: tout le délicieux de l’attrait du mal en disparaissait. Ah! poursuivit Noirceuil, la nature nous aurait-elle donné nos passions, si elle n’avait pas su que le résultat de ces passions accomplirait ses lois? L’homme l’a si bien senti, qu’il en a voulu faire aussi de son côté pour réprimer cette force invincible qui, le portant au crime, ne le laisserait pas subsister un moment; mais il a fait une chose injuste, car les lois lui prennent infiniment plus qu’elles ne lui donnent; et pour un peu qu’elles lui assurent, elles lui enlèvent étonnamment. Mais ces lois, qui ne sont que l’ouvrage des hommes, ne doivent obtenir aucune considération du philosophe; elles ne doivent jamais arrêter les mouvements où le porte la nature; elles ne sont faites que pour l’engager au mystère: laissons-les nous servir d’abri, jamais de frein.

— Mais, mon ami, dis-je à Noirceuil, si les autres en disent autant, il n’y aura plus d’abri.

— Soit, répondit mon amant, nous reviendrons, en ce cas, dans l’état d’incivilisation où nous a créés la nature, qui certainement n’est pas très malheureux. Ce sera alors au plus faible à se garantir d’une force et d’une guerre ouvertes; il verra tout ce qu’il aura à craindre, au moins, et n’en sera que plus heureux, puisqu’à présent il a, de même, cette guerre à soutenir, et qu’il lui est impossible de faire valoir, pour se défendre, le peu qu’il a reçu de la nature. Tous les États gagneraient à ce changement, cela est bien prouvé, et les lois ne seraient plus nécessaires. Mais revenons[19].

Un de nos plus grands préjugés, sur les matières dont il s’agit, naît de l’espèce de lien que nous supposons gratuitement entre un autre homme et nous, lien chimérique… absurde, dont nous avons formé cette espèce de fraternité sanctifiée par la religion. C’est sur cet objet principal que je dois jeter quelques lumières, parce que j’ai toujours vu que l’idée de ce lien fantastique gênait et captivait les passions infiniment plus qu’on ne pense; et c’est en raison du poids qu’il a sur la raison humaine, que je veux le briser à tes yeux.

Toutes les créatures naissent isolées et sans aucun besoin les unes des autres: laissez les hommes dans l’état naturel, ne les civilisez point, et chacun trouvera sa nourriture, sa subsistance, sans avoir besoin de son semblable. Les forts pourvoiront à leur vie sans nécessité d’assistance; les faibles seuls en auront peut-être besoin; mais ces faibles nous sont asservis par la main de la nature; elle nous les donne, elle nous les sacrifie: leur état nous le prouve; donc le plus fort pourra, tant qu’il voudra, se servir du faible. Mais il est faux qu’il y ait aucun cas où ils doivent l’aider, car, s’il l’aide, il fait une chose contraire à la nature; s’il jouit de ce faible, s’il l’assouplit à ses caprices, s’il le tyrannise, le vexe, s’il s’en divertit, s’en amuse ou le détruit, il sert la nature; mais, je le répète, s’il l’aide, au contraire, s’il l’égalise à lui en lui prêtant une partie de ses forces ou l’étayant d’une portion de son autorité, il détruit nécessairement alors l’ordre de la nature, il pervertit la loi générale: d’où il résulte que la pitié, bien loin d’être une vertu, devient un vice réel, dès qu’elle nous entraîne à troubler une inégalité exigée par les lois de la nature; et que les philosophes anciens, qui la regardaient comme une faiblesse de l’âme, comme une de ces maladies dont il fallait promptement se guérir, n’avaient pas tort, puisqu’en voilà les effets diamétralement opposés aux lois de la nature, dont les différences et les inégalités sont les premières bases[20]. Le prétendu fil de fraternité ne peut donc avoir été imaginé que par le faible; car il n’est pas naturel que le plus fort, qui n’avait besoin de rien, ait pu lui donner l’existence: pour assouplir le plus faible, sa force seule lui devenait nécessaire, mais nullement ce fil, qui, dès lors, n’est que l’ouvrage du faible, et n’est plus fondé que sur un raisonnement aussi futile que le serait celui de l’agneau au loup: Vous ne devez pas me manger, car j’ai quatre pieds comme vous.

Le faible, en établissant l’existence du fil de fraternité, avait des raisons d’égoïsme trop reconnues pour que le pacte établi par ce lien pût avoir rien de respectable. D’ailleurs, un pacte quelconque n’acquiert de force qu’autant qu’il a la sanction des deux partis; or, celui-ci put être proposé par le faible, mais il est bien certain que le fort ne dut jamais y consentir: à quoi lui eût-il servi? Quand on donne, c’est pour recevoir; telle est la loi de la nature: or, en donnant de l’assistance au faible, en se dépouillant d’une portion de sa force pour l’en revêtir, qu’y gagnait le fort! Et comment supposer comme réelle, entre les deux hommes, l’existence d’un pacte que l’un des deux partis avait essentiellement le plus grand intérêt à ne pas consentir? Car enfin le fort, en l’acceptant, se privait et ne gagnait rien; il ne l’a donc point sanctionné, ce pacte: de ce moment, il est donc idéal, et ne mérite de nous aucun respect. Nous pouvons rejeter sans crainte un arrangement proposé par nos inférieurs, dans lequel il n’y aurait pour nous que de la perte.

Que la religion de ce polisson de Jésus, faible, languissante, persécutée, singulièrement intéressée à maîtriser les tyrans et à les ramener à des principes de fraternité qui lui assuraient du repos, ait sanctionné ces liens ridicules, rien de plus simple: elle joue ici le rôle du faible; elle le représente, elle doit parler comme lui; rien, là, ne doit nous surprendre. Mais que celui qui n’est ni faible ni chrétien s’assujettisse à des chaînes pareilles, à des nœuds qui lui ôtent et ne lui donnent rien: voilà qui est impensable; et nous devons conclure de ces raisonnements que le fil de fraternité, non seulement n’a jamais eu ni pu avoir d’existence parmi les hommes, mais qu’il est même contre la nature, dont les intentions ne purent jamais être que l’homme égalisât ce qu’elle différenciait avec autant d’énergie. Nous devons être persuadés que ce lien put être, à la vérité, proposé par le faible, put être sanctionné par lui quand l’autorité sacerdotale s’est trouvée par hasard en ses mains, mais que son existence est frivole, et que nous ne devons nullement nous y assujettir.

— Il est donc faux que les hommes soient frères? interrompis-je avec vivacité. Il n’y a donc aucune espèce de lien réel entre un autre être et moi, et la seule manière dont je doive agir avec cet individu est donc de retirer de lui tout ce que je pourrai, en lui donnant le moins possible?

— Assurément, me répondit Noirceuil; car on perd de lui ce qu’on lui donne, et l’on gagne à ce qu’on lui prend. La première loi, d’ailleurs, que je trouve écrite au fond de mon âme, n’est pas d’aimer, encore moins de soulager ces prétendus frères, mais de les faire servir à mes passions. D’après cela, si l’argent, si la jouissance, si la vie de ces prétendus frères est utile à mon bien-être ou à mon existence, je m’emparerai de tout cela à main armée, si je suis le plus fort, par ruse si je suis le plus faible. Si je suis obligé d’acheter une partie de ces choses, je tâcherai de les avoir en donnant de moi le moins possible; je les arracherai, si je puis, sans rien rendre; car, encore une fois, ce prochain ne m’est rien, il n’y a pas le plus petit rapport entre lui et moi, et si j’en établis, c’est dans la vue d’avoir de lui, par adresse, ce que je ne puis avoir par la force; mais si je puis réunir par la violence, je n’userai d’aucun autre artifice, parce que les rapports sont nuls, et que, ne devant plus m’en rien revenir, je n’ai plus besoin de les employer.

Ô Juliette! sache donc fermer ton cœur aux accents fallacieux de l’infortune. Si le pain que ce malheureux mange est arrosé de ses larmes, si le travail pénible d’une journée suffit à peine pour lui donner le moyen de rapporter le soir à sa triste famille le faible soutien de ses jours, si les droits qu’il est obligé de payer viennent absorber encore la meilleure partie de ses frêles épargnes, si ses enfants, nus et sans éducation, vont disputer au fond des forêts le plus vil aliment à la bête sauvage, si le sein même de sa compagne, desséché par le besoin, ne peut fournir à son nourrisson cette première partie de subsistance capable de lui donner la force d’aller, pour se procurer l’autre, partager celle des loups, si, accablé sous le poids des années, des maux et des chagrins, il voit toujours, courbé par la main du malheur, arriver à pas lents la fin de sa carrière, sans que l’astre des cieux se soit un seul instant levé pur et serein sur sa tête affaissée, il n’y a rien là que de très simple, rien que de très naturel, il n’y a rien qui ne remplisse l’ordre et la loi de cette mère commune qui nous gouverne tous, et tu n’as trouvé cet homme malheureux que par la comparaison que tu en as faite avec toi; mais foncièrement il ne l’est pas. S’il t’a dit qu’il se croyait tel, c’était, de même, à cause de la comparaison qu’il établissait à l’instant de lui à toi: qu’il se retrouve avec ses égaux, tu ne l’entendras plus se plaindre. Sous le régime féodal, traité comme la bête féroce, assoupli et battu comme elle, vendu comme le sol qu’il foulait aux pieds, n’était-il pas bien autrement à plaindre! Loin de prendre pitié de ses maux, loin d’adoucir ses malheurs et de t’en composer ridiculement une peine, ne vois dans lui qu’un être que la nature t’offre pour en jouir à ton gré, et, bien loin de sécher ses larmes, redoubles-en la source, si cela t’amuse. Voilà les êtres que la main de la nature offre à la faux de tes passions: moissonne-les donc sans aucune crainte; imite l’araignée, tends tes filets, et dévore impitoyablement tout ce qu’y jette la main savante de la nature.

— Mon ami, m’écriai-je en pressant Noirceuil dans mes bras, que ne vous dois-je point, pour dissiper ainsi dans moi les affreuses ténèbres de l’enfance et du préjugé! Vos sublimes leçons deviennent pour mon cœur ce qu’est la rosée bienfaisante aux plantes desséchées par le soleil. Ô lumière de ma vie, je ne vois plus, je n’entends plus que par vous seul. Mais en annulant à mes yeux le danger du crime, vous me donnez l’ardent désir de m’y précipiter: me guiderez-vous dans cette route délicieuse? tiendrez-vous devant moi le flambeau de la philosophie? Vous m’abandonnerez, peut-être, après m’avoir égarée, et mettant avec moi-même en action des principes aussi durs que ceux que vous me faites chérir, livrée à tout le péril de ces maximes, je n’aurai plus, au milieu des ronces dont elles sont semées, ni votre crédit pour m’y soutenir, ni vos conseils pour me diriger.

— Juliette, me répondit Noirceuil, ce que tu dis prouve de la faiblesse… exige de la sensibilité, et il faut être forte et dure quand on se décide à être méchante. Tu ne seras jamais la proie de mes passions; mais je ne te servirai jamais non plus ni d’état, ni de protecteur: il faut apprendre à marcher et à se soutenir isolément dans le chemin que tu choisis; il faut savoir se garantir seul des écueils dont il est rempli, se familiariser à leur vue, et même à la destruction du navire, s’il vient à se briser contre eux. Le pis aller de tout cela Juliette, c’est l’échafaud et, en vérité, c’est bien peu de chose: dès qu’il est décidé que nous devons mourir un jour, n’est-il donc pas égal que ce soit là, ou dans notre lit! Faut-il l’avouer, Juliette! Assurément, le premier, qui n’est l’affaire que d’une minute, m’effraye infiniment moins que l’autre, dont les accessoires peuvent être horribles; quant à la honte, elle est, en vérité, si nulle à mes regards, que je la mets pour rien dans la balance. Tranquillise-toi donc, ma fille, et vole de tes propres ailes: tu courras toujours moins de dangers.

— Ah! Noirceuil, vous ne voulez pas quitter vos principes, même pour moi!

— Il n’est aucun être dans la nature en faveur de qui je puisse y renoncer. Poursuivons; je dois appuyer ma dissertation du néant des crimes par quelques exemples, c’est la meilleure façon de convaincre. Jetons un coup d’œil rapide sur l’univers, et voyons combien tout ce que nous appelons crime s’érige en vertu d’un bout de l’univers à l’autre…

Nous n’osons épouser les deux sœurs: les sauvages de la baie d’Hudson ne connaissent point d’autres liens. Jacob épousa Rachel et Léa.

Nous n’osons foutre nos propres enfants, bien que ce soit la plus délicieuse des jouissances: point d’autres intrigues en Perse et dans les trois quarts de l’Asie. Loth coucha avec ses filles et les engrossa toutes deux.

Nous regardons comme un très grand mal la prostitution de nos propres épouses: en Tartarie, en Laponie, en Amérique c’est une politesse, c’est un honneur que de prostituer sa femme à un étranger; les Illyriens les mènent dans des assemblées de débauche et les contraignent à se livrer au premier venu devant eux.

Nous croyons outrager la pudeur en nous offrant tout nus aux regards des uns et des autres: presque tous les peuples du Midi vont ainsi, sans y entendre la moindre finesse; les anciennes fêtes de Priape et de Bacchus se célébraient de cette manière; Lycurgue obligea, par une loi, les jeunes filles à se présenter nues sur des théâtres publics; les Toscans, les Romains se faisaient servir à table par des femmes nues. Il est une contrée dans l’Inde où les honnêtes femmes vont de même; il n’y a que les courtisanes de vêtues, pour mieux exciter la concupiscence: ne voilà-t-il pas absolument le contraire de nos idées sur la pudeur?

Nos généraux défendent le viol après l’assaut d’une forteresse: les Grecs le donnaient pour récompense. Après la prise de Carbines, les Tarentins rassemblèrent les garçons, les vierges et les jeunes femmes qu’ils trouvèrent dans la ville; on les exposa nus sur la place publique, et chacun choisit ce qui lui convenait, et pour le foutre et pour le tuer.

Les Indiens du mont Caucase vivent comme des brutes, ils se mêlent indistinctement. Les femmes de l’île de Hornes se prostituent publiquement aux hommes, jusqu’au pied du temple de leur dieu.

Les Scythes et les Tartares révéraient les hommes que la débauche rendait impuissants à la fleur de l’âge.

Horace nous représente les Bretons, aujourd’hui les Anglais, comme très libertins avec les étrangers. Ces peuples, assure-t-il, n’avaient aucune pudeur naturelle; ils vivaient pêle-mêle et en commun: frères, pères, mères, enfants, satisfaisaient également aux besoins de la nature, et ce qui en résultait appartenait à celui qui avait couché avec la mère, quand elle était encore vierge. Ces peuples se nourrissaient de chair humaine[21].

Les Otaïtiens satisfont publiquement leurs désirs: ils rougiraient de se cacher pour cela. Les Européens leur firent voir leurs cérémonies religieuses consistant dans la célébration de cette ridicule jonglerie qu’ils nomment messe. A leur tour ils demandèrent la permission de faire voir les leurs: c’était le viol d’une petite fille de dix ans par un grand garçon de vingt-cinq. Quelle différence!

La débauche elle-même est encensée: on élève des temples à Priape; Vénus est adorée d’abord comme la déesse de la propagation, ensuite comme celle des luxures les plus dépravées, son cul seul reçoit de l’encens, et celle qui ne devait être que l’idole de la progéniture devient bientôt la déesse des plus grands outrages que puisse faire l’homme à la génération. Il s’éclairait: il fallait bien qu’il devînt vicieux. Ce culte, oublié avec le paganisme, se revivifie dans les Indes, et le lingam, espèce de membre viril que les filles de l’Asie portent à leur col, n’est autre chose qu’un meuble à l’usage des temples de Priape.

Un étranger qui arrive au Pégu loue une fille pour le temps qu’il doit passer dans le pays; il en fait tout ce qu’il veut; elle retourne ensuite dans sa famille, et n’en trouve pas moins à se marier.

L’indécence même devient une mode: on a porté longtemps, en France, les parties naturelles de l’homme relevées en bosse sur la veste ou sur la culotte.

A l’égard de la prostitution de ses sœurs ou de ses filles, en usage chez presque tous les peuples du Nord, elle ne m’étonne pas: celui qui se conduit ainsi espère, ou des faveurs de celui auquel il prostitue, ou au moins de le voir agir, et cette lubricité est assez délicieuse pour être singulièrement recherchée. Il est un autre sentiment fort délicat dans ces sortes de prostitutions et qui engage plusieurs hommes à livrer leurs femmes comme je le fais: ce mouvement consiste à s’embraser de l’infamie dont on se couvre soi-même, et il est excessivement chatouilleux; plus l’on multiplie en ce cas les effets de sa honte, mieux l’on jouit. On voudrait traîner dans la boue l’objet qu’on s’amuse à livrer; on voudrait le vautrer dans la crapule, faire, en un mot, ce que j’ai fait: mener sa femme et sa fille au bordel, les faire raccrocher au coin des rues, et les tenir soi-même pendant l’acte de la prostitution.

— Quoi, monsieur, interrompis-je, vous avez une fille?

— J’en avais une, répondit Noirceuil.

— De l’épouse que je vous connais?

— Non, de ma première; celle-ci est ma huitième, Juliette.

— Et comment, avec les goûts que je vous connais, pûtes-vous jamais faire un enfant!

— J’en eus plusieurs, ma chère. Ne t’étonne pas de ce procédé: on surmonte quelquefois des répugnances, lorsqu’il doit en résulter des plaisirs.

— Ah! monsieur, je crois vous entendre.

— Je t’expliquerai tout cela, mon ange, mais il faudra que tu sois bien estimable à mes yeux, pour que je te prouve combien je le suis peu moi-même.

— Homme charmant! m’écriai-je, vous ne me serez jamais plus cher que quand vous m’aurez convaincue du point auquel vous méprisez les préjugés vulgaires; et plus de crimes vous dévoilerez à mes yeux, plus d’encens vous obtiendrez de mon cœur. L’irrégularité de votre tête fait tourner la mienne; je n’aspire qu’à vous imiter.

— Ah, sacredieu! s’écria Noirceuil en m’enfonçant sa langue dans la bouche, je ne vis jamais une créature plus analogue à moi: je l’adorerais, je crois, si je pouvais aimer une femme… Tu veux m’imiter, Juliette, je t’en défie; si l’intérieur de mon âme pouvait s’entr’ouvrir, j’effrayerais tellement les hommes, qu’il n’en serait peut-être pas un seul qui osât m’approcher sur la terre. J’ai porté l’impudence et le crime, le libertinage et l’infamie au dernier période; et, si j’éprouve quelque remords, je proteste bien sincèrement qu’il n’est dû qu’au désespoir de n’en pas avoir assez fait.

La prodigieuse agitation dans laquelle se trouvait Noirceuil me convainquait que l’aveu de ses erreurs l’échauffait presque autant que leur action même. J’écartai la robe flottante qui l’enveloppait, et, saisissant son membre, plus dur qu’une barre de fer, je le pelotai légèrement dans mes mains: il distillait le foutre en détail.

— Que de crimes me coûte ce vit! s’écria Noirceuil; que d’exécrations je me suis permises pour lui faire perdre son sperme avec un peu plus de chaleur! Il n’est aucun objet sur la terre que je ne sois prêt à lui sacrifier: c’est un dieu pour moi, qu’il soit le tien, Juliette: adore-le, ce vit despote, encense-le, ce dieu superbe. Je voudrais l’exposer aux hommages du monde entier; je voudrais qu’il y eût un homme, là, qui fit mourir, dans d’affreux supplices, tous ceux qui ne voudraient pas se courber devant lui… Si j’étais souverain, Juliette, je n’aurais pas de plus grand plaisir que celui de me faire suivre par des bourreaux, qui massacreraient, dans l’instant, tout ce qui choquerait mes regards… Je marcherais sur des cadavres, et je serais heureux; je déchargerais dans le sang dont les flots couleraient à mes pieds.

Ivre moi-même, je me précipite aux genoux de cet étonnant libertin; j’adore avec enthousiasme le mobile de tant d’actions, dont les simples aveux irritent tellement celui qui les a commises; je le prends dans ma bouche, je l’y suce pendant un quart d’heure avec délices…

— Nous ne sommes pas assez, dit Noirceuil, qui goûtait peu de plaisirs solitaires. Non, laisse-moi; il t’en cuirait, peut-être, si tu prétendais à l’honneur de me faire décharger toute seule; mes passions concentrées sur un point unique ressemblent aux rayons de l’astre réunis par le verre ardent: elles brûlent aussitôt l’objet qui se trouve sous le foyer.

Et Noirceuil, écumant, comprimait fortement mes fesses.

Tel fut l’instant où l’un des conducteurs de Gode vint donner des nouvelles de son entrée à Bicêtre, et de l’enfant mort qu’elle avait pondu dès en y arrivant.

— Voilà qui est bon, dit Noirceuil, en congédiant l’homme avec deux louis pour boire. On ne saurait trop, ce me semble, m’ajouta-t-il tout bas, payer l’annonce d’un tel événement; voilà du moins l’image d’un petit délit à la plaisanterie que nous nous sommes permise… Tu vois, Juliette!… tu vois comme mon vit en devient plus impérieux!

Et faisant aussitôt venir dans son cabinet sa femme et ce giton, père de l’enfant qu’il venait de détruire, il encule ce dernier en lui apprenant cette nouvelle et en contraignant Mme de Noirceuil de sucer, à genoux, le vit du Ganymède, pendant qu’il livre mon cul aux baisers de ce jeune homme, et que, saisissant en dessous les mamelles de sa femme, il les lui tiraille au point de lui faire pousser des cris, dont l’effet est si puissant sur ses organes, qu’il en perd son foutre à l’instant.

— Tiens, Juliette, poursuivit-il, en ordonnant à ce jeune homme de rendre dans la main le foutre dont il vient de l’arroser, et en barbouillant rudement le visage de sa femme, vois comme il est pur et beau, mon sperme! Avais-je tort de te faire adorer le dieu dont la substance est aussi belle! Jamais celui que les sots prêtent pour moteur à l’univers n’en servit d’aussi bouillonnant… d’aussi pur… Poursuivons, Juliette, dit-il en congédiant son monde, je suis fâché d’avoir été contraint de m’interrompre.

Nous punissons le libertinage, reprit mon instituteur: Plutarque nous apprend que les Samniens se rendaient journellement, et sous la surveillance des lois, dans un lieu nommé les Jardins, et qu’ils se livraient là, pêle-mêle, à des voluptés si lascives qu’il était presque impossible de les imaginer! En cet heureux endroit, continue l’historien, les distinctions du sexe et les liens du sang disparaissaient sous l’attrait du plaisir: l’ami devenait la femme de son ami; la fille, la tribade de sa mère, et, plus souvent encore, le fils, la catin de son père, à côté du frère enculant sa sœur.

Nous estimons beaucoup les prémices d’une fille. Les habitants des Philippines n’en font aucun cas: il y a, dans ces îles, des officiers publics que l’on paye fort cher pour se charger du soin de dévirginer les filles, la veille de leur mariage.

L’adultère était publiquement autorisé à Sparte.

Nous méprisons les filles qui se sont prostituées: les Lydiennes, au contraire, n’étaient estimées qu’en raison de la multiplicité de leurs amants; le fruit de leur prostitution était leur unique dot.

Les Chypriennes, pour s’enrichir, allaient se vendre publiquement à tous les étrangers débarqués dans leur île.

La dépravation des mœurs est nécessaire dans un État; les Romains le sentirent en établissant, dans toute l’étendue de la république, des bordels de filles et de garçons, et des théâtres où les filles dansaient toutes nues.

Les Babyloniennes se prostituaient une fois l’an, au temple de Vénus; les Arméniennes étaient obligées de consacrer leur virginité aux prêtres du Tanaïs, qui les enculaient primitivement, et ne leur accordaient la faveur de la défloraison qu’autant qu’elles avaient courageusement soutenu les premières attaques: une défense, une larme, un mouvement, un cri venait-il à leur échapper, elles étaient privées de l’honneur des secondes, et ne trouvaient plus à se marier.

Les Canariens de Goa font souffrir à leurs filles un bien autre supplice: ils les prostituent à une idole fournie d’un membre de fer dont la grosseur est démesurée; ils les plongent de force sur ce terrible godemiché que l’on a soin de chauffer prodigieusement; tel est l’état d’élargissure où la pauvre enfant va chercher un mari, qui ne la prendrait pas sans cette cérémonie.

Les Caïmites, hérétiques du deuxième siècle, prétendaient que l’on n’arrivait au ciel que par l’incontinence; ils soutenaient que chaque action infâme avait un ange tutélaire, et ils adoraient cet ange en se livrant à d’incroyables débauches.

Ewen, ancien roi d’Angleterre, avait établi par loi dans ses États qu’aucune fille ne pouvait se marier sans qu’il ne l’eût dévirginée. Dans toute l’Écosse et dans quelques parties de la France, les grands vassaux jouissaient de ce droit.

Les femmes, ainsi que les hommes, arrivent à la cruauté par le libertinage: trois cents femmes de l’Inca Atabaliba, au Pérou, se prostituèrent sur-le-champ, d’elles-mêmes, aux Espagnols, et les aidèrent à massacrer leurs propres époux.

La sodomie est générale par toute la terre; il n’est pas un seul peuple qui ne s’y livre; pas un grand homme qui n’y soit adonné. Le saphotisme y règne également; cette passion est dans la nature comme l’autre; elle se forme, au cœur de la jeune fille, dans l’âge le plus tendre, dans celui de la candeur et de l’innocence, lorsqu’elle n’a encore reçu aucune impression étrangère: elle est donc l’organe de la nature, elle est donc imprimée par sa main.

La bestialité fut universelle. Xénophon nous apprend que, pendant la retraite des Dix Mille, les Grecs ne se servaient que de chèvres. Cette habitude est encore très répandue dans toute l’Italie: le bouc est meilleur que sa femelle; son anus, plus étroit, est plus chaud; et cet animal, naturellement lubrique, s’agite de lui-même, dès qu’il s’aperçoit qu’on décharge: sois bien persuadée, Juliette, que je n’en parle que par expérience.

Le dindon est délicieux, mais il faut lui couper le cou à l’instant de la crise; le resserrement de son boyau vous comble alors de volupté[22].

Les Sybarites enculaient les chiens; les Égyptiennes se prostituaient à des crocodiles, les Américaines à des ériges. On en vint enfin aux statues: tout le monde sait qu’un page de Louis XV fut trouvé déchargeant sur le derrière de la Vénus aux belles fesses. Un Grec, arrivant à Delphes pour y consulter l’oracle, trouva dans le temple deux génies de marbre, et rendit, pendant la nuit, son libidineux hommage à celui des deux qu’il avait trouvé le plus beau. Son opération faite, il le couronna de laurier, pour récompense des plaisirs qu’il en avait reçus.

Les Siamois croient non seulement le suicide permis, mais ils pensent même que se tuer soi-même est un sacrifice utile à l’âme, et que ce sacrifice lui vaut son bonheur dans l’autre monde.

Au Pégu, on tourne et retourne cinq jours de suite, sur des charbons ardents, la femme qui vient d’accoucher: c’est ainsi qu’on la purifie.

Les Caraïbes achètent les enfants dans le sein même de la mère; ils marquent au ventre, avec du rocou, ces enfants, dès qu’ils ont vu le jour, les dépucèlent à sept ou huit ans, et les tuent communément après s’en être servis.

Dans l’île de Nicaragua, il est permis à un père de vendre ses enfants pour être immolés. Quand ces peuples consacrent leur maïs, ils l’arrosent de foutre, et dansent autour de cette double production de la nature.

On donne une femme, au Brésil, à chaque prisonnier qui va être immolé; il en jouit; et la femme, souvent grosse de lui, aide à le déchiqueter et participe au repas que l’on fait de sa chair.

Avant que d’être gouvernés par les Incas, les anciens habitants du Pérou, c’est-à-dire les premiers colons venus de la Scythie, qui, les premiers, peuplèrent l’Amérique, avaient l’usage de sacrifier leurs enfants à leurs dieux.

Les peuples des environs de Rio-Real substituent à la circoncision des filles, cérémonie en usage chez plusieurs nations, une coutume assez bizarre: dès qu’elles sont nubiles, ils leur enfoncent dans la matrice des bâtons garnis de grosses fourmis qui les piquent horriblement; ils changent avec soin ces bâtons pour prolonger le supplice, qui ne dure jamais moins de trois mois et quelquefois bien davantage.

Saint Jérôme rapporte que, dans un voyage qu’il fit chez les Gaulois, il vit les Écossais manger avec délices les fesses des jeunes bergers et les tétons des jeunes filles. J’aurais plus confiance au premier de ces mets qu’au second, et je crois, avec tous les peuples anthropophages, que la chair des femmes, comme celle de toutes les femelles d’animaux, doit être fort inférieure à celle du mâle.

Les Mingréliens et les Géorgiens sont les peuples de la terre les plus beaux, et en même temps les plus adonnés à toutes sortes de luxures et de crimes, comme si la nature eût voulu nous faire connaître par là que ces écarts l’offensent si peu, qu’elle veut décorer de tous ses dons ceux qui y sont le plus adonnés. Chez eux, l’inceste, le viol, l’infanticide, la prostitution, l’adultère, le meurtre, le vol, la sodomie, le saphotisme, la bestialité, l’incendie, l’empoisonnement, le rapt, le parricide, sont des actions vertueuses et dont on se fait gloire. Se rassemblent-ils, ce n’est que pour causer entre eux de l’immensité ou de l’énormité de leurs forfaits: des souvenirs et des projets de semblables actions deviennent la matière de leurs plus délicieuses conversations, et c’est ainsi qu’ils s’excitent à en commettre de nouvelles.

Il y a un peuple, au nord de la Tartarie, qui se fait un nouveau dieu tous les jours: ce dieu doit être le premier objet que l’on rencontre en s’éveillant le matin. Si par hasard c’est un étron, l’étron devient l’idole du jour; et, dans l’hypothèse, celui-là ne vaut-il donc pas autant que le ridicule Dieu de farine adoré par les catholiques? L’un est déjà matière excrémentielle, l’autre le devient bientôt: en vérité, la différence est bien légère.

Dans la province de Matomba, on enferme dans une maison très obscure les enfants des deux sexes, lorsqu’ils ont atteint l’âge de douze ans; et là, ils souffrent, en manière d’initiation, tous les mauvais traitements qu’il plaît aux prêtres de leur imposer, sans que ces enfants puissent, au sortir de ces maisons, ni rien révéler, ni se plaindre.

Quand une fille se marie à Ceylan, ce sont ses frères qui la dépucellent: jamais son mari n’en a le droit.

Nous regardons la pitié comme un sentiment fait pour nous porter à de bonnes œuvres. Elle est, avec bien plus de raison, considérée comme un tort au Kamtchatka: ce serait, chez ces peuples, un vice capital que de retirer quelqu’un du danger où le sort l’a précipité. Ces peuples voient-ils un homme se noyer, ils passent sans s’arrêter; ils se garderaient bien de lui donner quelque secours.

Pardonner à ses ennemis est une vertu chez les imbéciles chrétiens: c’est une action superbe, au Brésil, que de les tuer et de les manger.

Dans la Guyane, on expose une jeune fille nue à la piqûre des mouches, la première fois qu’elle a ses règles: souvent elle meurt dans l’opération. Le spectateur, enchanté, passe alors toute la journée dans la joie.

La veille des noces d’une jeune femme, au Brésil, on lui fait un grand nombre de blessures aux fesses, pour que son mari, déjà trop porté, par le sang et par le climat, à d’antiphysiques attaques, soit au moins repoussé par les flétrissures qu’on lui oppose[23].

Le peu d’exemples que j’ai rapportés suffit à te faire voir, Juliette, ce que sont les vertus dont nos lois et nos religions européennes paraissent faire tant de cas, ce qu’est cet odieux fil de fraternité si préconisé par l’infâme christianisme. Tu vois s’il est ou non dans le cœur de l’homme: tant d’exécrations seraient-elles générales, si l’existence de la vertu qu’elles contrarient avait quelque chose de réel?

Je ne cesserai de te le dire: le sentiment de l’humanité est chimérique; il ne peut jamais tenir aux passions, ni même aux besoins, puisque l’on voit dans les sièges les hommes se dévorer mutuellement. Ce n’est donc plus qu’un sentiment de faiblesse, absolument étranger à la nature, fils de la crainte et du préjugé. Peut-on se dissimuler que ce ne soit pas la nature qui nous donne et nos besoins et nos passions? Cependant les passions et les besoins méconnaissent la vertu de l’humanité; donc cette vertu n’est pas dans la nature; elle n’est plus, dès lors, qu’un pur effet de l’égoïsme, qui nous a portés à désirer la paix avec nos semblables, afin d’en jouir nous-mêmes. Mais celui qui ne craint pas les représailles ne s’enchaîne qu’avec bien de la peine à un devoir uniquement respectable pour ceux qui les redoutent. Eh! non, non, Juliette, il n’y a point de pitié franche, point de pitié qui ne se rapporte à nous. Examinons-nous bien au moment où nous nous surprenons en commisération, nous verrons qu’une voix secrète crie au fond de nos cœurs: Tu pleures sur ce malheureux, parce que tu es malheureux toi-même, et que tu crains de le devenir davantage. Or, quelle est cette voix, si ce n’est celle de la crainte? et d’où naît la crainte, si ce n’est de l’égoïsme?

Détruisons donc radicalement en nous ce sentiment pusillanime: il ne peut être que douloureux, puisqu’on ne peut le concevoir que par une comparaison qui nous ramène au malheur.

Dès que ton esprit, chère fille, aura parfaitement conçu la nullité, je dis plus, l’espèce de crime qu’il y aurait à admettre l’existence de ce prétendu fil de fraternité, écrie-toi avec le philosophe: « Eh! pourquoi balancerais-je à me satisfaire, lorsque l’action que je conçois, quelque tort qu’elle fasse à mon semblable, peut me procurer à moi le plus sensible plaisir? Car, enfin, supposons un moment qu’en faisant cette action quelconque, je commette une injustice envers ce prochain: il arrive qu’en ne la faisant pas, j’en commets une envers moi-même. En dépouillant mon voisin de sa femme, de son héritage, de sa fille, je peux, comme je viens de le dire, commettre une injustice envers lui; mais, en me privant de ces choses qui me font le plus grand plaisir, j’en commets une envers moi: or, entre ces deux injustices nécessaires, serai-je assez ennemi de moi-même pour ne pas donner la préférence à celle dont je peux retirer quelques chatouillements agréables? Si je n’agis pas ainsi, ce sera par commisération. Mais si l’admission d’un tel sentiment est capable de me faire renoncer à des jouissances qui me flatteraient autant, je dois donc tout mettre en usage pour me guérir de ce sentiment pénible, tout faire pour l’empêcher d’avoir à l’avenir aucune espèce d’accès sur mon âme. Une fois que j’aurai réussi (et cela se peut en s’accoutumant par degrés au spectacle des maux d’autrui), je ne me rendrai plus qu’au charme de me satisfaire; il ne sera plus balancé par rien, je ne craindrai plus le remords, parce qu’il ne pourrait plus être la suite que de la commisération, et elle est éteinte. Je me livrerai donc à mes penchants, sans frayeur; je préférerai mon intérêt ou mon plaisir à des maux qui ne me touchent plus, et je sentirai que perdre un bien réel, parce qu’il en coûterait une situation malheureuse à un individu (situation dont le choc ne peut plus arriver jusqu’à moi) serait une véritable ineptie, puisque ce serait aimer cet étranger plus que moi, ce qui heurterait toutes les lois de la nature et tous les principes du bon sens. »

Que les liens de famille ne te paraissent pas plus sacrés, Juliette: ils sont tout aussi chimériques que les autres. Il est faux que tu doives quelque chose à l’être dont tu es sorti; encore plus faux que tu doives un sentiment quelconque à celui qui est sorti de toi; absurde d’imaginer que l’on doive à ses frères, à ses sœurs, à ses neveux et à ses nièces. Et par quelle raison le sang peut-il établir des devoirs? Pourquoi travaillons-nous dans l’acte de la génération? N’est-ce pas pour nous? Que pouvons-nous devoir à notre père, pour s’être diverti à nous créer? que pouvons-nous devoir à notre fils, parce qu’il nous a plu de perdre un peu de foutre au fond d’une matrice; à notre frère ou à notre sœur, parce qu’ils sont sortis du même sang? Anéantissons tous ces liens comme les autres, ils sont également méprisables.

— Ô Noirceuil! m’écriai-je, combien de fois vous l’avez prouvé!… et vous ne voulez pas me le dire?

— Juliette, me répondit cet aimable ami, de tels aveux ne peuvent être la récompense que de votre conduite; je vous ouvrirai mon cœur, quand je vous croirai vraiment digne de moi: vous avez quelques épreuves à subir avant.

Et le valet de chambre étant venu l’avertir que le ministre dont il était l’ami intime, l’attendait au salon, nous nous séparâmes.

Je ne tardai pas à placer le plus avantageusement possible les soixante mille francs dérobés chez Mondor. Quelque sûre que je dusse être de l’approbation de Noirceuil, comme le vol ne pouvait se raconter sans l’épisode de l’infidélité, et que d’ailleurs mon amant pourrait craindre de moi les mêmes lésions sur ses propriétés, je jugeai plus prudent de ne rien dire, et ne m’occupai que de nouveaux moyens d’augmenter, par les mêmes voies, la masse de mes revenus. Une autre partie chez la Duvergier m’en fournit bientôt l’occasion.

Il s’agissait d’aller, moi quatrième, chez un homme dont la manie, aussi cruelle que voluptueuse, consistait à fouetter des filles. Trois créatures charmantes s’étaient réunies à moi, au café de la porte Saint-Antoine, pour aller ensemble, dans une voiture que nous devions trouver là, chez le duc Dennemar, à sa délicieuse maison de Saint-Maur. Rien n’était frais, rien n’était joli comme les filles qui me joignirent au rendez-vous: la plus âgée n’avait pas dix-huit ans, on la nommait Minette; elle me plaisait au point que je ne pus tenir à l’accabler des plus voluptueuses caresses; il y en avait une de seize, l’autre de quatorze. Très difficile dans le choix de ses victimes, j’appris, de la femme qui nous conduisait, que j’étais la seule courtisane des quatre; ma jeunesse, ma beauté, avaient engagé le duc à franchir les règles qu’il s’était imposées de ne jamais voir de femmes du monde. Mes compagnes étaient de jeunes ouvrières en mode, entièrement étrangères à ces parties; filles honnêtes, bien élevées, et seulement séduites par les grosses sommes que donnait le duc et par l’assurance que, se bornant à la fustigation, il n’attenterait pas à leur virginité: nous avions cinquante louis chacune, vous allez voir si nous les gagnâmes.

Introduites toutes quatre dans un appartement magnifique, notre conductrice nous dit d’attendre, tout en nous déshabillant, les ordres qu’il plairait à monseigneur de nous signifier.

Ce fut alors que je pus examiner à loisir les grâces naïves, les charmes délicats et doux de mes trois jeunes camarades. Rien n’était aussi svelte que leur taille, rien de frais comme leur gorge, rien d’appétissant comme leurs cuisses, rien de potelé, rien de mignon comme leurs trois charmants derrières. Je dévorai ces filles des plus tendres baisers, et surtout Minette; elles me les rendirent avec une naïveté qui me fit décharger dans leurs bras. Il y avait près de trois quarts d’heure qu’en attendant l’époque des désirs de monseigneur le duc, nous nous livrions en folâtrant à toute l’impétuosité des nôtres, lorsqu’un beau et grand laquais, presque nu, vint nous prévenir que nous allions paraître, mais qu’il fallait que la plus âgée commençât. Cet ordre me plaçant au troisième rang, je pénétrai, quand ce fut mon tour, au sanctuaire des plaisirs de ce nouveau Sardanapale; et ce que je vais vous raconter est absolument semblable à ce qu’avaient éprouvé mes compagnes.

Le cabinet où le duc nous reçut était rond, absolument environné de glaces; au milieu, était un tronçon de colonne de porphyre d’environ dix pouces de hauteur. On me fit monter sur un piédestal; le valet de chambre, qui nous avertissait et qui servait les plaisirs de son maître, lia mes deux pieds à des anneaux de bronze, à dessein placés sur ce bloc; il éleva ensuite mes bras, les attacha à un cordon qui les contint le plus élevés possible. Seulement alors, le duc m’approcha; il avait été jusqu’à ce moment couché sur un canapé, où il se branlait légèrement le vit. Totalement nu de la ceinture en bas, un simple gilet de satin brun lui couvrait le buste; ses bras étaient à découvert; sous le gauche était une poignée de verges, minces et flexibles, renouées d’un ruban noir. Le duc, âgé de quarante ans, avait une physionomie très dure, et il me parut que son moral n’était guère plus tendre que son physique.

— Lubin, dit-il à son valet, celle-ci me paraît mieux que les autres, son cul plus rond, sa peau plus fine, sa figure plus intéressante; je la plains, elle n’en souffrira que davantage.

Et, en disant cela, le vilain, s’approchant son museau de mon derrière, baisa d’abord et mordit ensuite. Je jette un cri.

— Ah! ah! vous êtes sensible, à ce qu’il me paraît! Tant pis, car vous n’êtes pas au bout.

Et je sentis alors ses ongles crochus s’imprimer vivement dans mes fesses et m’arracher la peau en deux ou trois endroits. De nouveaux cris que je poussai ne firent qu’animer ce scélérat qui, portant alors deux de ses doigts dans l’intérieur du vagin, ne les retire qu’avec la peau qu’il déchire dans ce lieu sensible.

— Lubin, disait-il alors, en montrant ses doigts pleins de sang au valet, cher Lubin, je triomphe! j’ai de la peau du con.

Et il la mit sur la tête du vit de Lubin, qui bandait assez bien alors. Ce fut en cet instant qu’il ouvrit une petite armoire déguisée par des glaces; il en sortit une longue guirlande de feuilles vertes; j’ignorais et l’usage qu’il allait en faire, et de quelle plante elle était formée. Hélas! à peine l’eut-il approchée de moi, que je ne tardai pas à m’apercevoir qu’elle était d’épines. Aidé du cruel agent de ses plaisirs, il me la passe et repasse trois ou quatre fois autour du corps, et finit par l’y fixer d’une manière très pittoresque, mais en même temps fort douloureuse, puisqu’elle déchirait absolument tout mon corps et principalement mon sein, sur lequel il la pressait avec la plus féroce affectation. Mais mes fesses, destinées à une autre fête, ne participaient nullement à cette maudite parure; bien dégagées de partout, elles offraient sans obstacle à ce libertin toutes les chairs que devaient parcourir ses verges.

— Nous allons commencer, me dit Dennemar, dès qu’il me vit en l’état qu’il désirait; je vous exhorte à un peu de patience, car ceci pourra bien être long.

Dix coups de verges assez légers deviennent les avant-coureurs du terrible orage qui va molester mon cul.

— Allons, sacredieu! plus de ménagements! s’écria-t-il alors. Et d’un bras vigoureux flagellant mes deux fesses, il m’en applique plus de deux cents coups de suite, et sans arrêter. Pendant l’opération, son valet, à genoux devant lui, tâchait, en le suçant, d’exprimer le venin qui rendait cette bête aussi méchante; et, tout en flagellant, le duc criait de toutes ses forces:

— Ah! la bougresse… la garce!… Oh! combien je déteste les femmes! que ne puis-je les exterminer toutes à coups de verges?… Elle saigne… elle saigne enfin… Ah, foutre! elle saigne… Suce, Lubin, suce! je suis heureux, je vois le sang.

Et approchant sa bouche de mon derrière, il recueillit précieusement ce qu’il voyait couler avec tant de délices; puis, continuant:

— Mais tu le vois, Lubin, je ne bande pas, et il faut que je fouette jusqu’à ce que je bande, et, depuis que je bande, jusqu’à ce que je décharge… Allons, allons! la putain est jeune, elle l’endurera!

La sanglante cérémonie recommence; mais ici les épisodes changent: Lubin ne suce plus son maître; armé d’un nerf de bœuf, il lui rend au centuple les coups nerveux que j’en reçois. Je suis en sang, il ruisselle sur mes cuisses, je le vois rougir le piédestal; pressée par les épines, déchirée par les verges, il me devient impossible de pouvoir dire en quelle partie de mon corps les douleurs se font éprouver avec le plus d’empire, lorsque le bourreau, las de supplices et se rejetant sur le canapé tout en écumant de luxure, ordonne enfin qu’on me détache. J’arrive à lui, chancelante.

— Branlez-moi, me dit-il, en baisant les vestiges de sa cruauté… ou plutôt, non… branlez Lubin; j’aime mieux le voir décharger que de décharger moi-même, et, d’ailleurs, quelque jolie que vous soyez, je doute que vous en veniez à bout.

Lubin s’empare aussitôt de moi; j’avais encore la funeste guirlande; le barbare, à dessein, la presse sur ma peau, pendant que je le pollue; sa position était telle, que, s’il cédait aux molles agitations de mon poignet, le foutre s’élançerait sur le visage de son maître, qui, tout en continuant de me presser, de me pincer le derrière, se branlait légèrement tout seul: l’effet a lieu, le valet décharge, toute la figure du maître est couverte de sperme. Le sien seul refuse de s’y joindre; il le réserve pour une scène plus lubrique: vous en allez entendre les détails.

— Sortez, me dit-il dès que Lubin eut fait, il faut que je fasse passer votre quatrième compagne avant que je ne vous rappelle.

On ouvre, et je vois celles qui m’avaient précédée dans une pièce voisine… Mais, juste ciel, dans quel état!… Il était pis que le mien: leurs corps si jolis, si blancs, si délicieux, faisaient maintenant horreur à regarder; les malheureuses pleuraient, se repentaient d’avoir accepté une telle partie; et moi, plus fière, plus ferme et plus vindicative, je ne pensais qu’au dédommagement. Une porte entrebâillée me laisse voir la chambre à coucher du duc: j’y pénètre hardiment. Trois objets se présentent aussitôt à ma vue: une très grosse bourse d’or, un superbe diamant et une fort belle montre. J’ouvre précipitamment la fenêtre, je m’aperçois qu’elle donne au-dessus d’un petit cabinet d’aisances formant un angle avec la muraille, et que le tout est situé près de la porte par laquelle nous sommes entrées. J’enlève lestement un de mes bas de dessous, j’entortille ces trois objets dedans, et je laisse tomber le tout sur un arbuste placé dans l’angle dont je viens de parler; les feuilles cachent le dépôt, et je reviens à mes compagnes. A peine les avais-je rejointes, que Lubin venait nous chercher: c’était avec les quatre victimes réunies que le grand prêtre allait consommer le sacrifice. La plus jeune était déjà fustigée, et il nous sembla que son cul n’avait pas été plus ménagé que les nôtres; elle était en sang. Le piédestal n’y était plus; Lubin nous couche à plat ventre, toutes les quatre, au milieu du cabinet; il nous entrelace avec tant d’art, qu’on ne voyait que nos huit fesses… je vous laisse à penser dans quel état. Le duc s’approche de ce groupe, son valet le branle d’une main, pendant qu’il distille, de l’autre, de l’huile bouillante sur nos culs; heureusement, la crise n’est pas longue.

— Brûlez donc, brûlez donc! s’écriait le duc, en mêlant son foutre à la liqueur enflammée qui nous calcinait, brûlez donc ces putains-là… je décharge.

Et nous nous relevâmes dans un état que vous peindrait mieux le chirurgien, qui fut dix jours à faire disparaître les marques de cette abominable scène, et qui y réussit d’autant plus facilement avec moi que, par un hasard très heureux, il ne m’était tombé sur le derrière que deux ou trois gouttes de cette huile brûlante, dont la plus jeune de mes compagnes, par méchanceté sans doute, se trouvait entièrement couverte.

Quelle que fût ma situation, je ne perdis pas la tête en descendant, et, volant au coin où j’avais laissé tomber mon trésor, je m’emparai promptement de ce qui devait me dédommager des maux qu’on m’avait fait souffrir.

Descendue chez la Duvergier, je la grondai vivement de m’avoir exposée à une telle avanie: le devait-elle, sachant que j’étais richement entretenue? Et lui ayant enfin déclaré qu’il ne me plaisait plus de m’immoler à sa rapacité, je me retirai chez moi, en faisant dire à Noirceuil que j’étais malade et que je le priais de me laisser tranquillement garder ma chambre pendant quelques jours. Noirceuil, nullement amoureux, encore moins sensible, et fort peu inquiet, ne parut point; sa femme, plus douce et plus politique, vint me voir deux fois, mais sans s’attendrir sur mon compte. Le dixième jour, tout avait si bien disparu, que j’étais plus fraîche qu’avant. Je jetai alors les yeux sur ma prise: il y avait trois cents louis dans la bourse, le diamant valait cinquante mille francs, la montre mille écus. Je plaçai cette nouvelle somme comme l’autre, et me trouvant, par la réunion des deux, près de douze mille livres de rente, je crus qu’il était temps de travailler un peu pour moi-même et que le rôle de jouet de l’avarice des autres ne convenait plus à ma petite fortune.

Un an se passa de la sorte, pendant lequel je fis quelques parties pour mon compte, mais dans lesquelles le hasard n’offrit plus à mon adresse les mêmes moyens de se signaler; d’ailleurs, toujours écolière de Noirceuil, toujours plastron de ses débauches, toujours détestée de sa femme.

Quoique nous vécussions dans l’indifférence, Noirceuil qui, sans m’aimer, faisait le plus grand cas de ma tête, continuait de me payer fort cher; j’étais entretenue de tout, et vingt-quatre mille francs par an pour mes plaisirs; joignez à cela la rente de douze mille que je m’étais faite, et vous jugerez de mon aisance. Me souciant assez peu d’hommes, c’était avec deux femmes charmantes que je satisfaisais mes désirs; deux de leurs compagnes se mêlaient quelquefois à nous: il n’y avait sortes d’extravagances que nous n’exécutions alors.

Un jour, une des amies de celle de mes femmes que j’aimais le mieux me supplia de m’intéresser pour un de ses parents auquel il était arrivé une aventure assez désagréable. Il ne s’agissait, disait-elle, que de dire un mot à mon amant dont le crédit près du ministre arrangerait tout aussitôt; le jeune homme, si je le voulais, viendrait lui-même me conter son histoire. Entraînée, ici, comme malgré moi, par le désir de faire un heureux, fatal désir dont la main de la nature, qui ne m’avait pas créée pour la vertu, eut bientôt soin de me punir, j’accepte; le jeune homme paraît: Dieu! quelle est ma surprise en reconnaissant Lubin. Je fais ce que je puis pour déguiser mon trouble. Lubin m’assure qu’il n’est plus chez le duc; il me bâtit un roman qui n’a ni queue ni tête; je lui promets de le servir; le traître sort content, dit-il, de m’avoir retrouvée, depuis un an qu’il ne cessait de me chercher. Quelques jours s’écoulèrent sans que j’entendisse parler de rien; je m’étourdissais sur la malheureuse suite que pouvait avoir cette rencontre, je marquais même mon ressentiment contre l’amie de ma femme de chambre qui m’avait engagée dans ce piège, quoique je ne me doutasse pas si c’était, ou non, par méchanceté, lorsque, sortant un soir de la Comédie-Italienne, six hommes arrêtent ma voiture, contiennent mes gens, me font descendre avec ignominie, et me précipitent dans un fiacre, en criant au cocher: A l’hôpital!

Ô ciel! me dis-je, je suis perdue! Mais me remettant aussitôt:

— Messieurs, m’écriai-je, ne vous trompez-vous point?

— Je vous demande pardon, mademoiselle, nous nous trompons, me répondit un de ces scélérats que je reconnus bientôt pour Lubin lui-même, nous nous trompons, sans doute, car c’est à la potence que nous devrions vous mener; mais si, jusqu’à de plus amples informations, la police en ne vous envoyant qu’à l’hôpital veut bien, par égard pour M. de Noirceuil, ne pas vous donner tout de suite ce qui vous est dû, nous espérons que ce ne sera qu’un léger retard.

— Eh bien, dis-je avec effronterie, nous le verrons! Prenez garde, surtout, que je ne fasse bientôt repentir ceux qui, se supposant un instant les plus forts, osent m’attaquer avec tant d’audace.

On me jette dans un cachot obscur, où, pendant trente-six heures, je ne vis absolument que des geôliers.

Peut-être serez-vous bien aises, mes amis, de savoir quel était ici l’état de mon intérieur; je vais vous l’ouvrir avec franchise. Calme comme dans la fortune, désespérée de me voir dupe pour avoir un instant écouté la vertu, résolue… profondément déterminée à ne plus lui laisser nul accès dans mon cœur; quelque chagrin, peut-être, de voir en un instant échouer ma fortune; mais pas un remords… pas une seule résolution d’être plus sage, si j’étais rendue à la société; pas le plus petit projet de me rapprocher de la religion, si je devais mourir. Voilà mon âme toute nue. Je ressentais pourtant quelques petites inquiétudes… N’en avais-je donc point, quand j’étais sage! Ah! que m’importe? J’aime mieux ne pas être pure et sentir ces légères atteintes; j’aime mieux m’être livrée au vice, que de me trouver stupidement tranquille au sein d’une innocence que je déteste… Ô crime! oui, tes serpents mêmes sont des jouissances: c’est par leurs aiguillons qu’ils préparent l’embrasement divin dont tu consumes tes sectateurs; tous ces tressaillements sont des plaisirs; il faut que des âmes comme les nôtres soient agitées; il leur est impossible de l’être par la vertu, elles l’ont trop en horreur: que ce soit donc par tes délicieux égarements… Ô divins écarts de la vie! Oui, oui, que l’on m’y rende; que de nouveaux délits s’offrent à moi, et l’on verra comment j’y volerai! Telles étaient mes réflexions; vous voulez les savoir, je vous les trace: en quels seins seraient-elles mieux confiées que dans ceux de mes meilleurs amis?

J’étais au milieu du second jour de cette terrible détention, lorsque j’entendis ouvrir ma porte avec grand tapage.

— Ô Noirceuil! m’écriai-je en reconnaissant mon amant, quel dieu vous amène à moi! Et comment, après tous mes torts, pourrais-je encore vous intéresser?

— Juliette, me dit Noirceuil dès qu’on nous eut laissés tête à tête, la manière dont nous vivons ensemble ne me met nullement dans le cas d’avoir aucun reproche à vous faire; vous étiez libre: l’amour n’entrait pour rien dans nos arrangements; il n’était question que de confiance. Quelque analogie qu’il y eût entre ma façon de penser et la vôtre, vous avez cru devoir me refuser cette confiance, rien n’est encore plus simple; mais, ce qui ne l’est point, c’est que vous soyez punie pour une bagatelle comme celle qui vous a fait arrêter. Mon enfant, j’aime votre tête, vous le savez, il y a longtemps que je vous l’ai dit, et je servirai toujours ses écarts, tant qu’ils seront analogues aux miens. Ne croyez pas que ce soit ni par sentiment, ni par commisération que je vienne briser vos fers; vous me connaissez assez pour être bien persuadée que je ne puis être mû ni par l’une, ni par l’autre de ces deux faiblesses. Je n’ai agi ici que par égoïsme, et je vous jure que si je bandais mieux à vous voir pendre qu’à vous retirer, je ne balancerais pas une minute. Mais votre société me plaît, j’en serais privé si vous étiez pendue; d’ailleurs, vous aviez mérité de l’être, vous alliez l’être, et voilà des droits bien puissants sur mon âme; je vous aimerais mieux, si vous eussiez mérité la roue… Suivez-moi, vous êtes libre… Point de reconnaissance surtout, je l’abhorre.

Et voyant que j’allais m’y livrer malgré moi:

— Puisqu’il en est ainsi, Juliette, reprit vivement Noirceuil, vous ne sortirez pas d’ici que je ne vous aie prouvé l’absurdité du sentiment auquel la faiblesse de votre cœur paraît vous emporter en dépit de vous.

Puis, me forçant à m’asseoir et se plaçant près de moi:

— Chère fille, me dit-il, tu sais que je ne veux perdre aucune occasion de former ton cœur et d’éclairer ton esprit; laisse-moi donc t’apprendre ce que c’est que la reconnaissance.

On appelle reconnaissance, Juliette, le sentiment du retour accordé à un bienfait. Or, je demande quel est le motif de celui qui accorde un bienfait? Agit-il pour lui, ou pour nous? S’il agit pour lui, tu m’avoueras que nous ne lui devons rien, et si c’est pour nous, l’empire qu’il prend dès lors, loin d’exciter en nous de la reconnaissance, ne pourra plus y faire naître que de la jalousie: il a blessé notre orgueil. Mais quel est son but en nous obligeant? Comment ne le pas voir tout de suite? celui qui oblige, celui qui sort de sa poche cent louis pour les donner à un homme qui souffre, n’a nullement agi pour le bonheur de cet infortuné. Qu’il descende au fond de son cœur: il verra qu’il n’a fait que flatter son orgueil, qu’il n’a travaillé que pour lui, soit en trouvant un plaisir intellectuel plus flatteur à donner ces cent louis à un pauvre qu’à les garder lui-même, soit en imaginant que la publicité de cet acte lui établirait une réputation: mais dans tous les cas, je ne vois que de l’égoïsme. Dites-moi donc maintenant ce que je dois à un homme qui n’a travaillé que pour lui. Parvinssiez-vous à me prouver qu’il n’a eu en vue que l’homme qu’il oblige, en agissant comme il l’a fait, que son action est secrète, qu’elle n’éclatera jamais, qu’il ne peut avoir eu aucun plaisir à donner ces cent louis, puisqu’il est, au contraire, dérangé par ce don, et qu’en un mot, son action est tellement désintéressée qu’on n’y peut démêler l’égoïsme: à cela je vous répondrai d’abord que c’est impossible, et qu’en analysant bien l’action de ce bienfaiteur, nous y démêlerons toujours, pour son compte, quelque jouissance secrète qui en diminuera le prix; mais qu’à supposer même que le désintéressement que vous admettez soit complet, vous ne seriez jamais dans le cas de la reconnaissance, puisque cet homme, par son action, en s’élevant au-dessus de vous, afflige votre orgueil et fait, par ce procédé, ressentir des mortifications à un sentiment dont les offenses ne se pardonnent jamais. De ce moment, cet homme, quelque chose qu’il ait faite pour vous, n’acquiert de droit, si vous êtes juste, qu’à votre perpétuelle antipathie; vous profiterez de son service, mais vous détesterez celui qui vous le rend; son existence vous pèsera, vous ne le verrez jamais sans rougir. Si on vous apprend sa mort, vous vous en réjouirez intérieurement, il vous semblera être dégagé d’un poids… d’une servitude; et l’assurance d’être délivré d’un être aux yeux duquel vous ne pouviez plus paraître sans une espèce de honte deviendra nécessairement une jouissance: que dis-je? si votre âme est vraiment indépendante et fière, peut-être irez-vous bien plus loin, peut-être le devrez-vous, même… Oui, vous irez jusqu’à détruire cette existence qui vous gêne; vous vous débarrasserez de la vie de cet homme comme d’un fardeau qui vous fatigue; et loin que le service rendu ait fait naître dans vous de l’amitié, pour ce bienfaiteur, il n’aura, comme on voit, produit que la haine la plus implacable. Oh! combien cette réflexion doit prouver, Juliette, le ridicule et le danger de rendre des services aux hommes! Après ma manière d’analyser la reconnaissance, vois, ma chère, si je veux de la tienne, et si je ne dois pas me garder, au contraire, de me mettre, vis-à-vis de toi, dans le cas du service rendu. Je te répète donc qu’en brisant tes liens, je ne fais rien pour toi: c’est pour moi seul que j’agis, absolument. Partons.

Dès que nous fûmes au greffe, Noirceuil prit la parole.

— Monsieur, dit-il à l’un des juges, cette demoiselle, en recouvrant sa liberté, n’a pas dessein de vous dissimuler le nom de celle qui a commis le vol dont on accusait injustement mon amie: c’est, vient-elle de m’assurer, une des trois filles qui l’avaient accompagnée chez M. Dennemar. Parlez, Juliette, vous souvient-il du nom de cette fille!

— Oui, vraiment, monsieur, répondis-je en saisissant au mieux le perfide Noirceuil, c’était la plus jolie des trois, elle a dix-huit à dix-neuf ans, on la nomme Minette.

— C’est tout ce que nous demandions, mademoiselle, dit l’homme de loi; revêtirez-vous votre déposition des formes du serment?

— Sans doute, monsieur, répondis-je.

Et levant la main vers le crucifix:

— Je jure et proteste, dis-je à haute et intelligible voix, et fais devant Dieu le serment sacré que la nommée Minette est seule coupable du vol fait chez M. Dennemar.

Nous sortîmes et montâmes promptement en voiture.

— Eh bien, Juliette, me dit mon amant, sans moi tu ne commettais pas cette petite méchanceté! Je te connaissais assez pour être bien sûr qu’il était inutile de te mettre dans la confidence, et que tu m’entendrais au premier mot. Baise-moi, mon ange… J’aime à sucer cette bouche faussaire. Ah! tu t’es conduite comme un dieu. Minette sera pendue, et il est délicieux, quand on est coupable, non seulement de se tirer d’affaire, mais de faire même périr l’innocent à sa place.

— Ô Noirceuil, m’écriais-je, que je t’aime! Tu étais le seul être qui me convînt au monde; tu vas me donner des regrets de t’avoir manqué.

— Va, Juliette, tranquillise-toi, me répondit Noirceuil; je te fais grâce des remords du crime: je n’exige de toi que ceux de la vertu. Il ne fallait rien me cacher, poursuivit mon amant pendant qu’on nous ramenait à l’hôtel; je ne t’empêche point de faire des parties, si l’avarice ou le libertinage t’y porte: tout ce qui prend sa source dans de tels vices est étonnamment respectable pour moi; mais tu devrais prendre garde aux connaissances de la Duvergier: elle ne voit, elle ne fournit que des libertins dont les passions cruelles pouvaient t’entraîner à ta perte. Si tu m’avais confié tes goûte, je t’aurais fait faire moi-même des parties très chères où les dangers eussent été minces et où tu aurais pu voler tout à ton aise! Car il n’y a rien de si simple que de voler, c’est une des fantaisies les plus naturelles à l’homme; moi qui te parle, je l’ai eue très longtemps; je ne m’en suis corrigé qu’en faisant pis. Rien ne guérit des petits vices comme les grands crimes; plus on ballotte la vertu, plus on s’accoutume à l’outrager; et ce n’est plus alors qu’aux plus grandes offenses que la volupté nous chatouille. Vois combien tu as perdu, Juliette: ignorant tes caprices, je t’ai refusée à cinq ou six de mes amis qui brûlaient de t’avoir et chez lesquels tu en aurais été quitte en présentant le cul. Au reste, poursuivit Noirceuil, rien de tout cela ne se serait su sans ce maudit Lubin qui, soupçonné par son maître, avait juré de faire sur ce vol les plus exactes perquisitions. Mais tu es vengée, mon ange, nous l’avons fait mettre hier à Bicêtre pour le reste de ses jours. Il est essentiel que tu saches que c’est au ministre Saint-Fond, mon ami, que tu dois ta délivrance et l’anéantissement de cette affaire. Tout était dit: demain l’on t’accrochait. Vingt-deux témoins déposaient: y en eût-il eu cinq cents, notre crédit ne les eût pas craints; ce crédit est immense, Juliette, et nous sommes sûrs, Saint-Fond et moi, ou d’arracher à l’instant de l’échafaud le plus grand scélérat de la terre, ou d’y faire monter le plus vertueux des hommes. Voilà ce qu’on gagne sous le règne des princes imbéciles. Tout ce qui les entoure les mène, et les plats automates, en croyant gouverner par eux-mêmes, ne régissent que par nos passions. Nous pouvions nous venger de Dennemar, je suis muni de tout ce qu’il faut pour cela; mais il est aussi libertin que nous, ses caprices te l’ont prouvé; n’attaquons jamais ceux qui nous ressemblent. Le duc sait qu’il a eu tort de se conduire comme il l’a fait; il en est tout honteux aujourd’hui, il t’abandonne le vol, et te reverra même avec plaisir; il a demandé seulement qu’on en pendît une: le voilà content, et nous aussi. Je ne te conseille pas de revoir ce vieil avare; nous savons qu’il ne te désire que pour obtenir de toi la grâce de Lubin; mais ne te mêle pas de cela. J’ai eu ce Lubin à mon service, il me foutait très mal, me coûtait fort cher; je m’en dégoûtai au point que j’ai déjà voulu le faire enfermer plusieurs fois; nous le tenons, qu’il y reste. Quant au ministre, il veut te voir; je te donne ce soir à souper avec lui; c’est un homme excessivement libertin… Des goûts, des fantaisies… des passions, infiniment de vices. Je n’ai pas besoin de te recommander la plus extrême soumission: c’est la seule manière de lui prouver cette reconnaissance dont tu voulais à tort répandre les effets sur moi…

— Mon âme se moule sur la tienne, Noirceuil, dis-je avec sang-froid; je ne te remercie point, dès que tu me prouves que tu n’as agi que pour toi, et il me semble que je t’aimerai beaucoup plus, n’étant obligée de te rien devoir. Quant à la soumission que tu me demandes, elle sera entière, dispose de moi, je t’appartiens; comme femme je me mets à ma place, je sais que la dépendance est mon lot.

— Non, pas absolument, me dit Noirceuil; l’aisance dont tu jouis, ton esprit et ton caractère te sortent absolument de cet esclavage. Je n’y soumets que les femmes-épouses ou les putains, et, en cela, je suis les lois de la nature, qui, comme tu le vois, ne permet à ces êtres-là que de ramper. L’esprit, les talents, la richesse et le crédit sortent de la classe des faibles ceux que la nature y fit naître; et du moment qu’ils entrent dans celle des forts, tous les droits de ceux-ci, la tyrannie, l’oppression, l’impunité, et l’entier exercice de tous les crimes, leur deviennent entièrement permis. Je veux que tu sois femme et esclave avec mes amis et moi, despote avec tous les autres… et de ce moment-ci, je te jure de t’en fournir les moyens. Juliette, il faut un petit dédommagement à tes trente-six heures de prison… Friponne, je te connais déjà douze mille livres de rente, tu m’avais caché tout cela: n’importe, je l’ai su; je t’en fais dix demain, et le ministre m’a chargé de te remettre ce brevet-ci: c’est une pension de mille écus sur les hôpitaux; les malades auront quelques bouillons de moins, et toi quelques pompons de plus, tout cela revient au même. Te voilà donc à la tête de vingt-cinq mille livres de rente, sans compter tes appointements qui te seront toujours exactement payés. Eh bien! mon cœur, tu vois que les suites du crime ne sont pas toujours malheureuses, le projet d’une vertu, celui d’obliger Lubin, t’a plongée dans le fond des cachots; le vol de chez Dennemar décide et motive ta fortune: ose balancer maintenant! Ah! commets des crimes tant que tu voudras! nous connaissons à présent ta tête, nous nous amuserons de ses écarts, et nous t’en promettons l’impunité.

— Oh! Noirceuil, quelle injustice dans les lois humaines! Gode innocente gémit dans un cachot; Juliette coupable en sort, couverte des dons de la fortune.

— Tout cela est dans l’ordre, ma fille, me répondit Noirceuil; l’infortune est le jouet de la prospérité; elle lui est asservie par les lois de la nature; il faut que le faible soit la pâture du fort. Jette les yeux sur l’univers; dans toutes les lois qui le régissent, tu trouveras de pareils exemples: la tyrannie et l’injustice, comme seuls principes de tous les désordres, doivent être les premières lois d’une cause qui n’agit que par des désordres.

— Oh! mon ami, dis-je dans l’enthousiasme, en légitimant à mes yeux tous ces crimes, en me donnant, comme tu le fais, les moyens de m’y plonger, tu places mon âme dans un état de délices, dans un trouble, dans un délire qu’aucune expression ne rendrait. Et tu ne veux pas que je te remercie?

— Tu ne me dois rien, encore une fois; j’aime le mal, je lui soudoie des agents: tu vois bien que je ne suis qu’égoïste ici, comme dans toutes les autres occasions de ma vie.

— Mais il faudra que je reconnaisse tout ce que tu fais pour moi.

— En commettant beaucoup de forfaits, et en ne m’en cachant aucun.

— T’en cacher, jamais! ma confiance sera toute entière; tu seras maître de mes pensées comme de ma vie; il ne naîtra dans mon cœur aucun désir qui ne te soit communiqué, aucune jouissance que tu ne partages… Mais, Noirceuil, j’ai encore une grâce à te demander: l’amie de celle de mes femmes qui m’a trahie en me présentant ce Lubin excite puissamment ma vengeance; je veux qu’en arrivant tu la fasses punir.

— Donne-moi son nom et son adresse, dit Noirceuil, je te la garantis demain à l’hôpital pour le reste de ses jours.

Nous descendîmes à l’hôtel.

— Voilà Juliette, dit Noirceuil en me présentant à sa femme, dont l’air fut froid et composé. Cette charmante créature, poursuivit mon amant, avait été victime de la calomnie; c’est la plus honnête fille du monde, et je vous prie, madame, de lui continuer les égards que vous lui devez à plus d’un titre.

Ô ciel! me dis-je, dès que, rétablie dans mon voluptueux appartement, je jetai les yeux sur l’heureuse situation dont j’allais jouir… sur l’immense revenu dont je devenais maîtresse, ô ciel! quelle vie je vais mener! Fortune, sort, Dieu, agent universel, qui que tu sois enfin, si c’est ainsi que tu traites ceux qui se livrent aux délits, comment ne suivrait-on pas cette carrière? Ah! c’en est fait, je n’en parcourrai jamais d’autres. Égarements divins qu’on ose appeler crimes, vous serez désormais mes seuls dieux, mes uniques principes et mes lois; je ne chérirai plus que vous dans le monde!

Mes femmes m’attendaient pour me mettre au bain. J’y passai deux heures, autant à ma toilette, et fraîche comme la rose, je parus au souper du ministre, plus belle, à ce qu’on m’assura, que l’astre même dont d’infâmes coquins m’avaient privée deux jours.

***

[1] Le vampire suçait le sang des cadavres, Dieu fait couler celui des hommes, tous deux à l’examen se trouvent chimériques: est-ce se tromper que de prêter à l’un le nom de l’autre?

[2] Vivraient-ils sans ces grands moyens? Deux seules classes d’individus doivent adopter les systèmes religieux: d’abord celle qu’engraissent ces absurdités, et celle des imbéciles qui croient éternellement tout ce qu’on leur dit sans jamais rien approfondir. Mais je défie qu’aucun être raisonnable et spirituel puisse affirmer qu’il croit de bonne foi aux atrocités religieuses.

[3] On n’a point oublié que Volmar est une charmante religieuse de vingt et un ans; on se ressouvient de même que Flavie est une pensionnaire de seize ans, de la plus délicieuse figure.

[4] Douces et voluptueuses créatures que le libertinage, la paresse ou l’adversité réduit à la lucrative et délicieuse position de putains, pénétrez-vous de ces conseils; vous voyez bien qu’ils ne sont ici les fruits que de la sagesse et de l’expérience; foutez en cul, mes amies, c’est le seul moyen de vous enrichir et de vous amuser; souvenez-vous que celles qui vous en empêchent ne le font jamais que par une imbécile pruderie, ou par la plus méchante jalousie. Épouses délicates et sensibles, recevez le même conseil; devenez des Protées avec vos maris, si vous voulez parvenir à les fixer; convainquez-vous bien que, de toutes les ressources que la coquetterie vous offre, celle-là devient à la fois la plus sûre et la plus sensuelle. Et vous, jeunes filles séduites au soin de l’innocence, retenez bien qu’en n’offrant que le cul, vous courez infiniment moins de risques, et pour votre bonheur et pour votre santé: point d’enfants, presque jamais de maladies, et des plaisirs mille fois plus doux.

[5] L’homme ne rougit de rien quand il est seul; la pudeur ne commence en lui que quand on le surprend, ce qui prouve que la pudeur est un préjugé ridicule, absolument démenti par la nature. L’homme est né impudique, l’impudicité tient à la nature; la civilisation put changer ces lois, mais elle ne les étouffa jamais dans l’âme du philosophe. Hominem planto, disait Diogène en foutant au coin d’une borne, et pourquoi donc se cacher davantage en plantant un homme, qu’un chou?

[6] Il faut observer que les mémoires de Justine et ceux de sa sœur étaient écrits avant la Révolution.

[7] Ô homme! tu crois faire un crime contre la nature quand tu t’opposes à la propagation ou quand tu la détruis, et tu ne songes pas que la destruction de mille fois, de dix millions de fois autant d’hommes qu’il y en a sur la surface de la terre, ne coûterait pas une larme à cette nature, et n’apporterait pas la plus petite altération à la régularité de sa marche. Ce n’est donc pas pour nous que tout a été fait, puisque, n’existassions-nous même pas, tout existerait également. Que sommes-nous donc aux yeux de la nature? et comment pouvons-nous nous estimer autant?

[8] Elle a lieu en Perse. Les Brahmes se réunissent également entre eux, et se livrent réciproquement leurs femmes, leurs filles et leurs sœurs.

[9] Voyez le sixième volume des Cérémonies religieuses, page 300.

[10] Telle est la meilleure et la plus sage de toutes les lois, sans doute; un délit sourd doit être puni sourdement, et la vengeance n’en doit jamais appartenir qu’à celui qu’il outrage.

[11] Toutes ces lois ne sont le fruit que de l’orgueil et de la luxure.

[12] Il est évident que Juliette ne fait parler ici son orateur que des paysans de l’ancien régime: la misère pressait quelquefois ceux-là, mais ceux d’aujourd’hui, gonflée de luxe et d’insolence, ne peuvent plus servir pour l’exemple. (Note de l’éditeur). (En réalité, note de l’auteur).

[13] L’égalité prescrite par la Révolution n’est que la vengeance du faible sur le fort: c’est ce qui se faisait autrefois en sens inverse; mais cette réaction est juste, il faut que chacun ait son tour. Tout variera encore, parce que rien n’est stable dans la nature, et que les gouvernements dirigée par des hommes doivent être mobiles comme eux. (Note ajoutée.)

[14] La paresse et l’imbécillité des législateurs leur firent imaginer la loi du talion. Il était bien plus simple de dire: Faisons-lui ce qu’il a fait, que de proportionner spirituellement et équitablement la peine à l’offense. Il faut infiniment d’esprit pour ce dernier procédé, et au-delà du nombre de trois ou quatre, qu’on me cite en France, depuis dix-huit cents ans, un seul faiseur de lois qui seulement ait eu le sens commun.

[15] Le père d’Henri IV avait le même goût.

[16] Sic.

[17] Femmes prudes, dévotes ou timides, profitez journellement et sans crainte de ces conseils: c’est à vous que l’auteur les adresse.

[18] Aimable La Mettrie, profond Helvétius, sage et savant Montesquieu, pourquoi donc, si pénétrés de cette vérité, n’avez-vous fait que l’indiquer dans vos livres divins? Ô siècle de l’ignorance et de la tyrannie, quel tort vous avez fait aux connaissances humaines, et dans quel esclavage vous reteniez les plus grands génies de l’univers! Osons donc parler aujourd’hui, puisque nous le pouvons; et, puisque nous devons la vérité aux hommes, osons la leur dévoiler tout entière.

[19] Il n’y a rien de plaisant comme la multiplicité des lois que l’homme fait tous les jours pour se rendre heureux, tandis qu’il n’est pas une de ces lois qui ne lui enlève, au contraire, une partie de son bonheur. Et pourquoi toutes ces lois? Eh! vraiment, il faut bien que des fripons s’engraissent, et que des sots soient subjugués! Voilà, d’un mot, tout le secret de la civilisation des hommes.

[20] Aristote, dans son Art poétique, veut que le but et le travail du poète soient de nous guérir de la crainte et de la pitié, qu’il regarde comme la source de tous les maux de l’homme; on pourrait même ajouter de tous ses vices.

[21] La meilleure de toutes les nourritures, sans doute, pour obtenir de l’abondance et de l’épaisseur dans la matière séminale. Rien n’est absurde comme notre répugnance sur cet article; un peu d’expérience l’aurait bientôt vaincue - une fois qu’on a tâté de cette chair, il devient impossible d’on aimer d’autres. (Voyez Paw sur cette matière, Recherches sur les Indiens, Égyptiens, Américains, etc., etc.).

[22] On en trouve dans plusieurs bordels de Paris; la fille, alors, lui passe la tête entre les cuisses, vous avez son cul pour perspective, et elle coupe le cou de l’animal au moment de votre décharge: nous verrons peut-être bientôt cette fantaisie en action.

[23] Il y a tout plein de gens mal organisés que ce spectacle ferait encore mieux bander, et qui n’auraient, en le voyant, d’autres regrets que de n’y avoir point participé eux-mêmes.

Marquis de Sade: Juliette ou les Prospérités du vice

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