Читать книгу Marquis de Sade: Juliette ou les Prospérités du vice - Marquis de Sade, Marquis de Sade - Страница 9

I

Оглавление

M. de Saint-Fond était un homme d’environ cinquante ans: de l’esprit, un caractère bien faux, bien traître, bien libertin, bien féroce, infiniment d’orgueil, possédant l’art de voler la France au suprême degré, et celui de distribuer des lettres de cachet au seul désir de ses plus légères passions. Plus de vingt mille individus de tout sexe et de tout âge gémissaient, par ses ordres, dans les différentes forteresses royales dont la France est hérissée; et parmi ces vingt mille êtres, me disait-il un jour plaisamment, je te jure qu’il n’en est pas un seul de coupable. D’Albert, premier président du parlement de Paris, était également du souper; ce ne fut qu’en entrant que Noirceuil m’en prévint.

— Tu dois, me dit-il, les mêmes égards à ce personnage-ci qu’à l’autre; il n’y a pas douze heures qu’il était maître de ta vie, tu sers de dédommagement aux égards qu’il a eus pour toi; pouvais-je le mieux acquitter?

Quatre filles charmantes composaient, avec Mme de Noirceuil et moi, le sérail offert à ces messieurs. Ces créatures, pucelles encore, étaient du choix de la Duvergier. On nommait Églée la plus jeune, blonde, âgée de treize ans et d’une figure enchanteresse. Lolotte suivait, c’était la physionomie de Flore même; on ne vit jamais tant de fraîcheur; à peine avait-elle quinze ans. Henriette en avait seize, et réunissait à elle seule plus d’attraits que les poètes n’en prêtèrent jamais aux trois Grâces. Lindane avait dix-sept ans; elle était faite à peindre, des yeux d’une singulière expression, et le plus beau corps qu’il fût possible de voir.

Six jeunes garçons, de quinze ans, nous servaient nus et coiffés en femmes: chacun des libertins qui composaient le souper avait, ainsi que vous le voyez par cet arrangement, quatre objets de luxure à ses ordres: deux femmes et deux garçons. Comme aucun de ces individus n’était encore dans le salon lorsque j’y parus, d’Albert et Saint-Fond, après m’avoir embrassée, cajolée, louée pendant un quart d’heure, me plaisantèrent sur mon aventure.

— C’est une charmante petite scélérate, dit Noirceuil, et qui, par la soumission la plus aveugle aux passions de ses juges, vient les remercier de la vie qu’elle leur doit.

— J’aurais été bien fâché de la lui ôter, dit d’Albert: ce n’est pas pour rien que Thémis porte un bandeau; et vous m’avouerez que, quand il s’agit de juger de jolis petits êtres comme ceux-là, nous devons toujours l’avoir sur les yeux.

— Je lui promets pour sa vie l’impunité la plus entière, dit Saint-Fond; elle peut faire absolument tout ce qu’elle voudra, je lui proteste de la protéger dans tous ses écarts et de la venger, comme elle l’exigera, de tous ceux qui voudraient troubler ses plaisirs, quelque criminels qu’ils puissent être.

— Je lui en jure autant, dit d’Albert; je lui promets, de plus, de lui faire avoir demain une lettre du chancelier qui la mettra à l’abri de toutes les poursuites qui, par tel tribunal que ce soit, pourraient être intentées contre elle dans toute l’étendue de la France. Mais, Saint-Fond, j’exige quelque chose de plus; tout ce que nous faisons ici n’est qu’absoudre le crime, il faut l’encourager: je te demande donc des brevets de pensions pour elle, depuis deux mille francs jusqu’à vingt-cinq, en raison du crime qu’elle commettra.

— Juliette, dit Noirceuil, voilà je crois de puissants motifs, et pour donner à tes passions toute l’extension qu’elles peuvent avoir, et pour ne nous cacher aucun de tes écarts. Mais il en faut convenir, messieurs, poursuivit aussitôt mon amant sans me donner le temps de répondre, vous faites là un merveilleux usage de l’autorité qui vous est confiée par les lois et par le monarque.

— Le meilleur possible, répondit Saint-Fond; on n’agit jamais mieux que lorsqu’on travaille pour soi; cette autorité nous est confiée pour faire le bonheur des hommes: n’y travaillons-nous pas en faisant le nôtre et celui de cette aimable enfant?

— En nous revêtant de cette autorité, dit d’Albert, on ne nous a pas dit: vous ferez le bonheur de tel ou tel individu, abstractivement de tel ou tel autre; on nous a simplement dit: les pouvoirs que nous vous transmettons sont pour faire la félicité des hommes; or, il est impossible de rendre tout le monde également heureux; donc, dès qu’il en est parmi nous quelques-uns de contents, notre but est rempli.

— Mais, dit Noirceuil, qui ne controversait que pour mieux faire briller ses amis, vous travaillez pourtant au malheur général en sauvant la coupable et perdant l’innocent.

— Voilà ce que je nie, dit Saint-Fond; le vice fait beaucoup plus d’heureux que la vertu: je sers donc bien mieux le bonheur général en protégeant le vice qu’en récompensant la vertu.

— Voilà des systèmes bien dignes de coquins comme vous! dit Noirceuil.

— Mon ami, dit d’Albert, puisqu’ils font aussi votre joie, ne vous en plaignez point.

— Vous avez raison, dit Noirceuil; il me semble, au surplus, que nous devrions un peu plus agir que jaser. Voulez-vous Juliette seule un moment, avant que l’on n’arrive?

— Non, pas moi, dit d’Albert, je ne suis nullement curieux des tête-à-tête, j’y suis d’un gauche… L’extrême besoin que j’ai d’être toujours aidé dans ces choses-là fait que j’aime autant patienter jusqu’à ce que tout le monde y soit.

— Je ne pense pas tout à fait ainsi, dit Saint-Fond, et je vais entretenir un instant Juliette au fond de ce boudoir.

A peine y fûmes-nous, que Saint-Fond m’engagea à me mettre nue. Pendant que j’obéissais:

— On m’a assuré, me dit-il, que vous seriez d’une complaisance aveugle à mes fantaisies; elles répugnent un peu, je le sais, mais je compte sur votre reconnaissance. Vous savez ce que j’ai fait pour vous, je ferai plus encore: vous êtes méchante, vindicative; eh bien, poursuivit-il en me remettant six lettres de cachet en blanc qu’il ne s’agissait plus que de remplir pour faire perdre la liberté à qui bon me semblerait, voilà pour vous amuser; prenez, de plus, ce diamant de mille louis, pour payer le plaisir que j’ai de faire connaissance avec vous ce soir… Prenez, prenez, tout cela ne me coûte rien: c’est l’argent de l’État.

— En vérité, monseigneur, je suis confuse de vos bontés.

— Oh! je n’en resterai pas là; je veux que vous veniez me voir chez moi; j’ai besoin d’une femme qui, comme vous, soit capable de tout; je veux vous charger de la partie des poisons.

— Quoi, monseigneur, vous vous servez de pareilles choses?

— Il le faut bien, il y a tant de gens dont nous sommes obligés de nous défaire… Point de scrupule, je me flatte?

— Ah! pas le moindre, monseigneur! je vous jure qu’il n’est aucun crime dans le monde capable de m’effrayer, et qu’il n’en est pas un seul que je ne commette avec délices.

— Ah! baisez-moi, vous êtes charmante! dit Saint-Fond; eh bien! au moyen de ce que vous me promettez là, je vous renouvelle le serment que je vous ai fait de vous procurer l’impunité la plus entière. Faites, pour votre compte, tout ce que bon vous semblera: je vous proteste de vous retirer de toutes les mauvaises aventures qui pourraient en survenir. Mais il faut me prouver tout de suite que vous êtes capable d’exercer l’emploi que je vous destine. Tenez, me dit-il en me remettant une petite boîte, je placerai ce soir près de vous, au souper, celle des filles sur laquelle il m’aura plu de faire tomber l’épreuve; caressez-la bien: la feinte est le manteau du crime; trompez-la le plus adroitement que vous pourrez et jetez cette poudre, au dessert, dans un des verres de vin qui lui seront servis: l’effet ne sera pas long; je reconnaîtrai là si vous êtes digne de moi; et, dans ce cas, votre place vous attend.

— Oh! monseigneur, répondis-je avec chaleur, je suis à vos ordres; donnez, donnez, vous allez voir comme je vais me conduire.

— Charmante!… charmante!… Amusons-nous maintenant, mademoiselle, votre libertinage me fait bander… Permettez cependant que je vous mette au fait, avant tout, d’une formule dont il est essentiel que vous ne vous éloigniez point: je vous préviens qu’il ne faut jamais vous écarter du profond respect que j’exige et qui m’est dû à bien plus d’un titre; je porte sur cela l’orgueil au dernier point. Vous ne m’entendrez jamais vous tutoyer; imitez-moi, ne m’appelez, surtout, jamais autrement que monseigneur; parlez à la troisième personne tant que vous pourrez, et soyez toujours devant moi dans l’attitude du respect. Indépendamment de la place éminente que j’occupe, ma naissance est des plus illustres, ma fortune énorme, et mon crédit supérieur à celui du roi même. Il est impossible de n’avoir pas beaucoup de vanité quand on en est là: l’homme puissant qui, par une fausse popularité, consent à se laisser approcher de trop près, s’humilie et se ravale bientôt. La nature a placé les grands sur la terre comme les astres au firmament; ils doivent éclairer le monde et n’y jamais descendre. Ma fierté est telle que je voudrais n’être servi qu’à genoux, ne jamais parler que par interprète à toute cette vile canaille que l’on appelle le peuple; et je déteste tout ce qui n’est pas à ma hauteur.

— En ce cas, dis-je, monseigneur doit haïr bien du monde, car il est bien peu d’êtres ici-bas qui puissent l’égaler.

— Très peu, vous avez raison, mademoiselle; aussi j’abhorre l’univers entier, excepté les deux amis que vous me voyez là, et quelques autres: je hais souverainement tout le reste.

— Mais, monseigneur, pris-je la liberté de dire à ce despote, les caprices de libertinage où vous vous livrez ne vous sortent-ils pas un peu de cette hauteur dans laquelle il me semble que vous devriez toujours désirer d’être?

— Non, dit Saint-Fond, tout cela s’allie, et, pour des têtes organisées comme les nôtres, l’humiliation de certains actes de libertinage sert d’aliment à l’orgueil[1].

Et comme j’étais nue:

— Ah! le beau cul, Juliette! me dit le paillard en se l’exposant; on m’avait bien dit qu’il était superbe, mais il surpasse sa réputation; penchez-vous, que j’y darde ma langue… Ah, Dieu! voilà une propreté qui me désespère: Noirceuil ne vous a donc pas dit en quel état je voulais trouver votre cul?

— Non, monseigneur.

— Je le voulais merdeux… Je le voulais sale… il est d’une fraîcheur qui me désespère. Allons, réparons cela par autre chose. Tenez, Juliette, voilà le mien… il est dans l’état où je voulais le vôtre: vous y trouverez de la merde… Mettez-vous à genoux devant lui, adorez-le, félicitez-vous de l’honneur que je vous accorde en vous permettant d’offrir à mon cul l’hommage que voudrait lui rendre toute la terre… Que d’êtres seraient heureux à votre place! Si les dieux descendaient vers nous, eux-mêmes voudraient jouir de cette faveur. Sucez, sucez, enfoncez votre langue; point de répugnance, mon enfant.

Et quelles que fussent celles que j’éprouvais, je les vainquis; mon intérêt m’en faisait une loi. Je fis tout ce que désirait ce libertin: je lui suçai les couilles, je me laissai souffleter, péter dans la bouche, chier sur la gorge, cracher et pisser sur le visage, tirailler le bout des tétons, donner des coups de pied au cul, des croquignoles, et, définitivement, foutre en cul, où il ne fit que de s’exciter, pour me décharger après dans la bouche, avec l’ordre positif d’avaler son sperme.

Je fis tout; la plus aveugle docilité couronna toutes ses fantaisies. Divins effets de la richesse et du crédit, toutes les vertus, toutes les volontés, toutes les répugnances vont se briser devant vos désirs, et l’espoir d’être accueillis par vous assouplit à vos pieds tous les êtres et toutes les facultés de ces êtres! La décharge de Saint-Fond était brillante, hardie, emportée; c’est à très haute voix qu’il prononçait alors les blasphèmes les plus énergiques et les plus impétueux; sa perte était considérable, son sperme brûlant, épais et savoureux, son extase énergique, ses convulsions violentes et son délire bien prononcé. Son corps était beau, fort blanc, le plus beau cul du monde, ses couilles très grosses, et son vit musculeux pouvait avoir sept pouces de long, sur six de tour; il était surmonté d’une tête de deux pouces au moins, beaucoup plus grosse que le milieu du membre, et presque toujours décalottée. Il était grand, fort bien fait, le nez aquilin, de gros sourcils, de beaux yeux noirs, de très belles dents et l’haleine très pure. Il me demanda, quand il eut fini, s’il n’était pas vrai que son foutre fût excellent…

— De la crème, monseigneur, de la crème! répondis-je, il est impossible d’en avaler de meilleur.

— Je vous accorderai quelquefois l’honneur d’en manger, me dit-il, et vous avalerez aussi ma merde, quand je serai bien content de vous. Allons, mettez-vous à genoux, baisez mes pieds, et remerciez-moi de toutes les faveurs que j’ai bien voulu vous laisser cueillir aujourd’hui.

J’obéis, et Saint-Fond m’embrassa en jurant qu’il était enchanté de moi. Un bidet et quelques parfums firent disparaître toutes les taches dont j’étais souillée. Nous sortîmes; en traversant les appartements qui nous séparaient du salon d’assemblée, Saint-Fond me recommanda la boîte.

— Eh quoi! dis-je, l’illusion dissipée, le crime vous occupe encore?

— Comment! me dit cet affreux homme, as-tu donc pris ma proposition pour une effervescence de tête?

— Je l’avais cru.

— Tu te trompais; ce sont de ces choses nécessaires dont le projet émeut nos passions, mais qui, quoique conçues dans le moment de leur délire, n’en doivent pas moins être exécutées dans le calme.

— Mais vos amis le savent-ils?

— En doutes-tu?

— Cela fera scène.

— Pas du tout, nous sommes accoutumés à cela. Ah! si tous les rosiers du jardin de Noirceuil disaient à quelles substances ils doivent leur beauté…. Juliette…. Juliette, il n’y aurait pas assez de bourreaux pour nous!

— Soyez donc tranquille, monseigneur, je vous ai fait le serment de l’obéissance, je le tiendrai.

Nous rentrâmes. On nous attendait; les femmes étaient arrivées. Dès que nous parûmes, d’Albert témoigna le désir de passer au boudoir avec Mme de Noirceuil, Henriette, Lindane et deux gitons, et ce ne fut que ce que je vis exécuter à d’Albert après, qui me fit douter de ses goûts. Restée seule avec Lolotte, Églée, quatre gitons, le ministre et Noirceuil, on se livra à quelques scènes luxurieuses; les deux petites filles, par des moyens à peu près semblables à ceux que j’avais employés, essayèrent de faire rebander Saint-Fond; elles y réussirent; Noirceuil, spectateur, se faisait foutre en me baisant les fesses. Saint-Fond caressa beaucoup les jeunes gens et eut quelques minutes d’entretien secret avec Noirceuil; tous deux reparurent très échauffés, et, le reste de la compagnie s’étant réuni à nous, on se mit à table.

Jugez, mes amis, quelle fut ma surprise, lorsqu’en me rappelant l’ordre secret qui m’était donné, je vis qu’avec la plus extrême affectation c’était Mme de Noirceuil qu’on plaçait près de moi.

— Monseigneur, dis-je bas à Saint-Fond, qui s’y mettait également de l’autre côté… oh! monseigneur, est-ce donc là la victime choisie?

— Assurément, me dit le ministre, revenez de ce trouble; il vous fait tort dans mon esprit; encore une pareille pusillanimité et vous perdez à jamais mon estime.

Je m’assis; le souper fut aussi délicieux que libertin; les femmes, à peine rhabillées, exposaient aux attouchements de ces paillards tout ce que la main des Grâces leur avait distribué de charmes. L’un touchait une gorge à peine éclose, l’autre maniait un cul plus blanc que l’albâtre; nos cons seuls étaient peu fêtés: ce n’est pas avec de tels gens que de pareils appas font fortune; persuadés que pour ressaisir la nature, il faut souvent lui faire outrage, ce n’est qu’à ceux dont le culte est, dit-on, défendu par elle que les fripons offrent de l’encens. Les vins les plus exquis, les mets les plus succulents ayant échauffé les têtes, Saint-Fond saisit Mme de Noirceuil; le scélérat bandait du crime atroce que sa perfide imagination machinait contre cette infortunée; il l’emporte sur un canapé, au bout du salon, et l’encule en m’ordonnant de venir lui chier dans la bouche; quatre jeunes garçons se placent de manière qu’il en branle un de chaque main, qu’un troisième enconne Mme de Noirceuil, et que le quatrième, élevé au-dessus de moi, me fait sucer son vit; un cinquième encule Saint-Fond.

— Ah! sacredieu, s’écrie Noirceuil, ce groupe est enchanteur! Je ne connais rien de si joli que de voir ainsi foutre sa femme; ne la ménagez pas, Saint-Fond, je vous en conjure.

Et plaçant les fesses d’Églée à hauteur de sa bouche, il y fait chier cette petite fille, pendant qu’il sodomise Lindane et que le sixième garçon l’encule. D’Albert, se joignant au tableau, vient en remplir la partie gauche; il sodomise Henriette, en baisant le cul du garçon qui fout le ministre, et manie, de droite et de gauche, tout ce que ses mains peuvent atteindre.

Ah! qu’un graveur eût été nécessaire ici pour transmettre à la postérité ce voluptueux et divin tableau! Mais la luxure, couronnant trop vite nos acteurs, n’eût peut-être pas donné à l’artiste le temps de les saisir. Il n’est pas aisé à l’art, qui n’a point de mouvement, de réaliser une action dont le mouvement fait toute l’âme; et voilà ce qui fait à la fois de la gravure l’art le plus difficile et le plus ingrat.

On se remet à table.

— J’ai demain, dit le ministre, une lettre de cachet à expédier pour un homme coupable d’un égarement assez singulier. C’est un libertin qui, comme vous, Noirceuil, a la manie de faire foutre sa femme par un étranger; cette épouse, qui vous paraîtra sans doute fort extraordinaire, a eu la bêtise de se plaindre d’une fantaisie qui ferait le bonheur de beaucoup d’autres. Les familles s’en sont mêlées, et, définitivement, on veut que je fasse enfermer le mari.

— Cette punition est beaucoup trop dure, dit Noirceuil.

— Et moi je la trouve trop douce, dit d’Albert; il y a tout plein de pays où l’on ferait périr un homme comme cela.

— Oh! voilà comme vous êtes, messieurs les robins! dit Noirceuil: heureux quand le sang coule. Les échafauds de Thémis sont des boudoirs pour vous; vous bandez en prononçant un arrêt de mort, et déchargez souvent en le faisant exécuter.

— Oui, cela m’est arrivé quelquefois, dit d’Albert; mais quel inconvénient y a-t-il à se faire des plaisirs de ses devoirs?

— Aucun, sans doute, dit Saint-Fond; mais, pour en revenir à l’histoire de notre homme, vous conviendrez qu’il y a des femmes bien ridicules dans le monde.

— C’est qu’il y en a tout plein, dit Noirceuil, qui croient avoir rempli leurs devoirs envers leurs maris, quand elles ont respecté leur honneur, et qui leur font acheter cette très médiocre vertu par de l’aigreur et de la dévotion, et surtout par des refus constants de tout ce qui s’écarte des plaisirs permis. Sans cesse à cheval sur leur vertu, des putains de cette espèce s’imaginent qu’on ne saurait trop les respecter, et que, d’après cela, le bégueulisme le plus outré peut leur être permis sans reproche. Qui n’aimerait pas mieux une femme aussi garce que vous voudrez la supposer, mais déguisant ses vices par une complaisance sans bornes, par une soumission entière à toutes les fantaisies de son mari? Eh! foutez, mesdames, foutez tant qu’il vous plaira! C’est pour nous la chose du monde la plus indifférente; mais prévenez nos désirs, satisfaites-les tous sans aucun scrupule; métamorphosez-vous pour nous plaire, jouez à la fois tous les sexes, redevenez enfants même, afin de donner à vos époux l’extrême plaisir de vous fouetter, et soyez sûres qu’avec de tels égards, ils fermeront les yeux sur tout le reste. Voilà les seuls procédés qui puissent tempérer, selon moi, l’horreur du lien conjugal, le plus affreux, le plus détestable de tous ceux par lesquels les hommes ont eu la folie de se captiver.

— Ah! Noirceuil, vous n’êtes pas galant! dit Saint-Fond en pressant un peu fortement les tétons de la femme de son ami; oubliez-vous donc que votre épouse est là?

— Pas pour longtemps, j’espère, répondit méchamment Noirceuil.

— Comment donc? dit d’Albert en jetant sur la pauvre femme un regard aussi faux que sournois.

— Nous allons nous séparer.

— Quelle cruauté! dit Saint-Fond qu’enflammaient extraordinairement toutes ces méchancetés, et qui, branlant un giton de sa main droite, continuait de pressurer avec la gauche les jolis tétons de Mme de Noirceuil… Quoi! vous allez rompre vos nœuds… des liens si doux?

— Mais n’y a-t-il pas assez longtemps qu’ils durent?

— Eh bien, dit Saint-Fond, toujours branlant, toujours vexant, si tu quittes ta femme, je la prends; moi, j’ai toujours aimé dans elle cet air de douceur et d’humanité… Baisez-moi, friponne!

Et comme elle était en larmes, en raison des maux que, depuis un quart d’heure, lui faisait éprouver Saint-Fond, ce sont ses pleurs que le libertin dévore et que sa langue essuie; puis poursuivant:

— En vérité, Noirceuil, se séparer d’une femme aussi belle (et il la mordait), aussi sensible (et il la pinçait)… je vous le dis, mon ami, c’est un meurtre.

— Un meurtre? dit d’Albert… oui, effectivement, je crois que c’est par un meurtre que Noirceuil va briser ses liens.

— Oh! quelle horreur! dit Saint-Fond qui, ayant fait lever la malheureuse épouse, commençait à lui molester cruellement le derrière en lui faisant empoigner son vit; tenez, je vois, mes amis, qu’il faut que je l’encule encore une fois pour lui faire oublier son chagrin.

— Oui, dit d’Albert en venant la saisir par-devant, et moi je vais l’enconner pendant ce temps-là. Mettons-la vite entre nous deux; j’aime étonnamment cette manière de foutre son prochain.

— Et que ferai-je donc, moi! dit Noirceuil.

— Vous tiendrez la chandelle et vous comploterez, dit le ministre.

— Je veux mieux employer mon temps, dit le barbare époux; n’occupez point la tête de ma douce compagne; je veux jouir de sa figure en larmes, la nasarder de temps en temps, pendant que j’enculerai la petite Églée, que deux bardaches se relayeront dans mon cul, que j’épilerai les cons d’Henriette et de Lolotte, et que Lindane et Juliette foutront sous nos yeux, l’une en cul, l’autre en con, avec les jeunes gens qui restent.

La séance fut aussi longue que les tableaux en étaient recherchés; les trois libertins déchargèrent et la pauvre Noirceuil ne se tira de leurs mains que meurtrie de coups. D’Albert, en perdant son foutre, lui avait tellement mordu un téton qu’elle était couverte de sang. Imitatrice de mes maîtres et parfaitement foutue par deux des gitons, j’avoue que j’avais de même étonnamment déchargé; rouge, échevelée comme une bacchante, je leur parus délicieuse au sortir de là; Saint-Fond surtout ne cessait de m’accabler de caresses.

— Comme elle est bien, ainsi! disait-il, comme le crime l’embellit.

Et il me suçait indistinctement sur toutes les parties du corps.

On continua de boire, mais sans se remettre à table; cette manière est infiniment agréable, et l’on se grise beaucoup plus tôt en l’employant. Les têtes s’embrasèrent donc de manière à faire frémir les femmes. Je vis bien qu’on ne jetait sur elles que des yeux foudroyants et qu’on ne leur adressait plus que des paroles pleines de menaces et d’invectives. Deux choses cependant s’apercevaient avec facilité: on voyait que je n’étais nullement comprise dans la conjuration et qu’elle se dirigeait presque entièrement sur Mme de Noirceuil; ce que je savais, d’ailleurs, ne contribuait pas peu à me rassurer.

Passant tour à tour des mains de Saint-Fond dans celles de son mari et, de celles-ci, dans celles de d’Albert, l’infortunée Noirceuil était déjà fort malmenée: ses tétons, ses bras, ses cuisses, ses fesses, et généralement toutes les parties charnues de son corps, commençaient à porter des marques sensibles de la férocité de ces scélérats, lorsque Saint-Fond, qui bandait beaucoup, la saisit, et, lui ayant au préalable appliqué douze claques à tour de bras sur le derrière et six soufflets d’égale force, il la fixa droite au milieu de la salle à manger, dans un très grand écartement, les pieds attachés à terre et les mains arrêtées au plafond. On lui mit, dès qu’elle fut dans cette attitude, douze bougies allumées entre les cuisses, en telle sorte que les flammes, pénétrant d’une part dans l’intérieur du vagin ou sur les parois de l’anus, et calcinant de l’autre la motte et les fesses, contournassent par leur vive impression les muscles du joli visage de cette femme et les déterminassent aux voluptueuses angoisses de la douleur. Saint-Fond, armé d’une autre bougie, la considérait attentivement pendant cette crise, en se faisant sucer le vit par Lindane et le trou du cul par Lolotte; près de là, Noirceuil, se faisant foutre en mordant les fesses d’Henriette, annonçait à sa femme qu’il allait la laisser mourir ainsi, pendant que d’Albert, enculant un giton et maniant le cul d’Églée, encourageait Noirceuil à traiter encore bien plus mal cette malheureuse compagne de son sort. Chargée de servir et soigner le total, je m’aperçus que les bouts de bougies étaient trop courts pour faire éprouver à la victime le degré de douleur que l’on lui souhaitait; je levai les flambeaux sur un tabouret; les cris de la Noirceuil, qui devinrent insupportables, me valurent, de la part de ses bourreaux, les plus grands applaudissements. Ce fut alors que Saint-Fond, qui perdait la tête, se permit une atrocité; le scélérat, portant une bougie qu’il tenait sous le nez de la patiente, lui brûla les paupières et presque un œil entier; d’Albert, s’emparant de même d’une bougie, lui en calcina le bout d’un téton et son mari lui brûla les cheveux.

Singulièrement échauffée de ce spectacle, j’encourageais les acteurs et les déterminais à changer de supplice. Par mon conseil, on la frotte d’esprit-de-vin, on y met le feu; elle a l’air un instant de ne former qu’une flamme, et, quand la matière s’éteint, son épiderme entièrement brûlé la rend horrible à regarder. On n’imagine pas les louanges que cette cruelle idée me valut. Saint-Fond, qu’échauffe étonnamment cette scélératesse, quitte la bouche de Lindane pour venir m’enculer, toujours suivi par Lolotte qui, par son ordre, ne cesse de lui gamahucher le cul.

— Que lui ferons-nous à présent? me dit Saint-Fond, en dévorant ma bouche de baisers et me dardant son vit jusqu’aux entrailles; invente, Juliette, invente donc quelque chose; ta tête est délicieuse, tout ce que tu proposes est divin.

— Il y a mille tourments à lui faire encore éprouver, répondis-je, et tous plus piquants les uns que les autres.

Et j’allais en proposer quelques-uns, lorsque Noirceuil, s’approchant de nous, dit à Saint-Fond qu’il fallait lui faire avaler tout de suite la dose dont j’étais munie, avant de lui ôter les forces nécessaires à nous donner les moyens de juger et de jouir des effets de ce poison. D’Albert, consulté, est pleinement de cet avis; on détache la dame et on me la remet.

— Aimable infortunée, lui dis-je après avoir mêlé la poudre dans un verre de vin d’Alicante, avalez ceci pour vous restaurer, et vous allez voir l’état de réconfortation où ce breuvage va mettre vos esprits.

Notre imbécile avale avec docilité, et sitôt qu’elle a fait, Noirceuil, qui n’avait pas cessé de me tenir enculée pendant que j’opérais, jaloux de ne perdre aucune des contorsions de cette agonie, me quitte pour venir considérer de plus près la victime.

— Vous allez mourir, lui dit-il; y êtes-vous bien déterminée?

— Madame est trop raisonnable, poursuit d’Albert, pour ne pas sentir que quand une femme a perdu l’estime et la tendresse de son époux, qu’il est dégoûté d’elle et qu’il en est las, le plus simple est de disparaître.

— Oh, oui! la mort… la mort! s’écria cette infortunée; c’est la dernière grâce que je demande!… Au nom du ciel, ne me la faites point attendre!

— La mort que tu désires, infâme bougresse, est dans tes entrailles, lui dit Noirceuil, en se faisant branler le vit sous les yeux de sa triste épouse par l’un de ses gitons; tu l’as reçue des mains de Juliette; son attachement était tel pour toi, qu’elle nous a disputé le bonheur de t’empoisonner.

Et Saint-Fond, ivre de lubricité, ne sachant plus ce qu’il faisait, enculait d’Albert, qui, se prêtant avec complaisance aux sodomites attaques de son ami, rendait à un beau giton tout ce qu’il recevait du ministre, dont je gamahuchais l’anus.

— Un peu d’ordre à tout ceci, dit Noirceuil, qui commençait à s’apercevoir, aux contorsions de sa femme, qu’il était bon de ne la plus perdre de vue.

Il fait mettre un tapis, au milieu de la chambre, sur lequel on étend la victime, et nous formons un cercle autour d’elle. Saint-Fond m’encule en branlant un garçon de chaque main. D’Albert est sucé par Henriette, il suce un vit en branlant de la main droite et, de la gauche, il moleste le cul de Lindane; Noirceuil encule Églée, on le fout, il suce un vit, et fait foutre Lolotte sur ses cuisses par le sixième giton. Les crises commencent; elles sont horribles, on n’a pas d’idée des effets de ce poison; la pauvre femme se tournait quelquefois, au point de ne plus former qu’une boule; rien n’égalait ses crispations, ses hurlements alors devenaient épouvantables; mais nos précautions étaient prises de manière qu’il était impossible de rien entendre.

— Oh, comme c’est délicieux! disait Saint-Fond tout en labourant mon cul; je ne sais ce que je donnerais pour la sodomiser en cet état.

— Rien n’est plus aisé, dit Noirceuil, essaye-le, nous te la tiendrons.

La patiente, vigoureusement saisie par les jeunes gens, présente, malgré ses efforts, le cul désiré par Saint-Fond; le scélérat s’y introduit.

— Oh, foutre! s’écrie-t-il, je n’y puis tenir.

D’Albert le remplace, Noirceuil ensuite; mais dès que sa malheureuse épouse le sent, ses efforts deviennent si terribles, qu’elle échappe à ceux qui la tiennent et se jette en fureur sur son bourreau; Noirceuil effrayé se sauve, le cercle se reforme.

— Laissons-la, laissons-la, dit Saint-Fond qui venait de rentrer dans mon cul; il ne faut pas approcher une bête venimeuse quand elle éprouve les crises de la mort.

Cependant Noirceuil, piqué, veut tirer vengeance de l’insulte; il machine de nouveaux supplices, lorsque Saint-Fond s’y oppose en assurant son ami que tout ce que l’on pourrait faire maintenant à la victime ne servirait qu’à troubler l’examen que l’on se proposait des effets du venin.

— Eh! messieurs, m’écriai-je, ce n’est pas tout cela qu’il faut à madame: elle n’a dans ce moment-ci besoin que d’un confesseur.

— Qu’elle aille au diable, la putain, dit Noirceuil que Lolotte suçait en ce moment; oui, oui, qu’elle aille à tous les diables!… Si j’ai jamais désiré un enfer, c’est dans l’espérance d’y savoir son âme, et de porter jusqu’à mon dernier soupir l’idée délicieuse que les plus vives douleurs ne sauraient avoir de fin pour elle.

Cette imprécation parut décider la dernière crise; Mme de Noirceuil rendit l’âme, et nos trois coquins déchargèrent en blasphémant comme des scélérats.

— Voilà une des meilleures actions que nous ayons faites de notre vie, dit Saint-Fond en pressant son vit pour en exprimer jusqu’à la dernière goutte de foutre; il y avait longtemps que je désirais la fin de cette ennuyeuse bégueule; j’en étais encore plus las que son mari.

— Ma foi, dit d’Albert, vous l’aviez pour le moins autant foutue que lui.

— Oh! beaucoup plus, dit mon amant.

— Quoi qu’il en soit, dit Saint-Fond à Noirceuil, ma fille est maintenant à vous: vous savez que je vous l’ai promise pour récompense de cette épreuve. Je suis enchanté de ce poison, il est bien malheureux que nous ne puissions pas jouir ainsi du spectacle de la mort de tous ceux que nous faisons périr de cette manière… Allons, mon ami, je vous le répète, ma fille est à vous; que le ciel bénisse une aventure où je gagne un gendre très aimable et la certitude de n’avoir point été trompé par la femme qui me fournit ces venins!

Ici Noirceuil eut l’air de faire une question bas à Saint-Fond, qui lui répondit affirmativement.

Et le ministre, m’adressant ensuite la parole:

— Juliette, me dit-il, vous viendrez me voir demain, je vous expliquerai ce que je n’ai fait qu’effleurer aujourd’hui. Noirceuil, en se remariant, ne peut plus vous avoir chez lui; mais les effets de mon crédit, les grâces que je vais répandre sur vous, l’argent dont je vais vous couvrir, vous dédommageront bien amplement du sort que vous faisait mon ami. Je suis très content de vous; votre imagination est brillante, votre flegme entier dans le crime, votre cul superbe, je vous crois féroce et libertine: voilà les vertus qu’il me faut.

— Monseigneur, répondis-je, j’accepte avec reconnaissance tout ce qu’il vous plaît de m’offrir, mais je ne puis vous dissimuler que j’aime Noirceuil; je ne m’en séparerais qu’avec peine.

— Nous ne cesserons point de nous voir, mon enfant, me répondit l’ami de Saint-Fond: gendre du ministre et son ami intime, nous passerons notre vie ensemble.

— Soit, répondis-je, à ces conditions j’accepte tout.

Les garçons et les filles, à qui l’on fit entrevoir une mort sûre dans le cas de la moindre indiscrétion, jurèrent un silence éternel; Mme de Noirceuil fut enterrée dans le jardin, et l’on se sépara.

Une circonstance imprévue retarda le mariage de Noirceuil, ainsi que les projets du ministre. Il ne me fut pas possible non plus de le voir le lendemain: le roi, singulièrement content de Saint-Fond, venait de lui donner une marque sûre de confiance en le chargeant d’un voyage secret pour lequel il fut obligé de partir sur-le-champ, et au retour duquel il eut le cordon bleu avec cent mille écus de pension.

— Oh! me dis-je en apprenant ces faveurs, comme il est vrai que le sort récompense le crime, et qu’il serait imbécile, celui qui, éclairé par de tels exemples, ne parcourrait pas ardemment toute l’étendue de cette carrière!

Cependant, d’après les lettres que Noirceuil reçut du ministre, j’eus l’ordre de me monter une maison splendide. Ayant reçu l’argent nécessaire à l’exécution de ce projet, je louai tout de suite un magnifique hôtel, rue du Faubourg-St-Honoré; j’achetai quatre chevaux, deux voitures charmantes; je pris trois laquais d’une taille haute, majestueuse, et d’une figure enchanteresse, un cuisinier, deux aides, une femme de charge, une lectrice, trois femmes de chambre, un coiffeur, deux filles en sous-ordre et deux cochers; des meubles délicieux ornèrent ma maison; et le ministre étant de retour, je fus me présenter aussitôt chez lui. Je venais d’atteindre ma dix-septième année, et je puis dire qu’il était à Paris bien peu de femmes plus jolies que moi; j’étais mise comme la déesse même des amours; il était impossible de réunir plus d’art à plus de luxe; cent mille francs n’eussent pas payé les parures dont j’avais orné mes attraits, et je portais cent mille écus de bijoux ou de diamants. Toutes les portes s’ouvrirent à mon aspect; le ministre m’attendait seul. Je débutai par les félicitations les plus sincères des grâces qu’il venait d’obtenir, et lui demandai la permission de baiser les marques de sa nouvelle dignité; il y consentit, pourvu que je ne remplisse ce soin qu’à genoux: pénétrée de sa morgue et loin de la heurter, je fis ce qu’il désirait. C’est par des bassesses que le courtisan achète le droit d’être insolent avec les autres.

— Vous me voyez, me dit-il, madame, au milieu de ma gloire; le roi m’a comblé, et j’ose dire que j’ai mérité ses dons; jamais mon crédit ne fut plus assuré, jamais ma fortune plus considérable. Si je fais refluer sur vous une partie de ces grâces, il est inutile de vous dire à quelles conditions. Après ce que nous avons fait ensemble, je crois pouvoir être sûr de vous; ma plus entière confiance vous est acquise; mais, avant que je n’entre dans aucun détail, jetez les yeux, madame, sur ces deux clefs: celle-ci est celle des trésors qui vont vous couvrir, si je suis bien servi par vous; celle-là est celle de la Bastille: une éternelle prison vous y est préparée, si vous manquez d’obéissance ou de discrétion.

— Entre de telles menaces et un pareil espoir, vous n’imaginez pas, sans doute, que je balance, dis-je à Saint-Fond; confiez-vous donc à votre plus soumise esclave, et soyez parfaitement sûr d’elle.

— Deux soins bien importants vont être remis dans vos mains, madame; asseyez-vous et écoutez-moi.

Et comme j’allais prendre un fauteuil par inadvertance, Saint-Fond me fit signe de ne me placer que sur une chaise. Je me confondis en excuses, et voici comment il me parla:

— Le poste que j’occupe, et dans lequel je veux me soutenir longtemps, m’oblige à sacrifier un nombre infini de victimes. Voici une cassette composée de différente poisons; vous les emploierez d’après les ordres que vous recevrez de moi; à ceux qui me desservent seront réservés les plus cruels; les prompts, pour ceux dont l’existence me nuit au point que je n’aie pas un moment à perdre pour les enlever de ce monde; ces derniers, que vous voyez sous l’étiquette de poisons lents, seront pour ceux dont, par de puissantes raisons de politique, je dois prolonger l’existence afin d’éloigner de moi les soupçons. Toutes ces expéditions, suivant l’existence des cas, se feront tantôt chez vous, tantôt chez moi, quelquefois en province ou dans les pays étrangers.

Passons maintenant à la seconde partie de vos soins celle-là, sans doute, deviendra la plus pénible pour vous, mais en même temps la plus lucrative. Doué d’une imagination très ardente, blasé depuis longtemps sur les plaisirs ordinaires, ayant reçu de la nature un tempérament de feu, des goûts très cruels, et, de la fortune, tout ce qu’il faut pour satisfaire à ces furieuses passions, je ferai chez vous, soit avec Noirceuil, soit avec quelques autres amis, deux soupers libertins par semaine, dans lesquels il faut nécessairement qu’il s’immole au moins trois victimes. En retranchant de l’année le temps des voyages où vous me suivrez seulement sans qu’il soit question de ces orgies, vous voyez que cela fait environ deux cents filles, dont la recherche ne regarde que vous; mais il y a des clauses difficiles au choix de ces victimes. Il faut d’abord, Juliette, que la plus laide soit au moins belle comme vous; il ne faut jamais qu’elles soient au-dessous de neuf ans, ni au-dessus de seize; il faut qu’elles soient vierges et de la meilleure naissance, toutes titrées ou, au moins, d’une grande richesse…

— Oh! monseigneur! et vous immolerez tout cela?

— Assurément, madame, le meurtre est la plus douce de mes voluptés; j’aime le sang avec fureur, c’est ma plus chère passion; et il est dans mes principes qu’il faut les satisfaire toutes, à quelque prix que ce puisse être.

— Monseigneur, dis-je, en voyant que Saint-Fond attendait ma réponse, ce que je vous ai fait voir de mon caractère vous prouve, je crois, suffisamment qu’il est impossible que je vous trahisse; mon intérêt et mes goûts vous en répondent… Oui, monseigneur, j’ai reçu de la nature les mêmes passions que vous… les mêmes fantaisies, et celui qui se prête à tout cela par amour pour la chose même, sert assurément beaucoup mieux que celui qui n’obéirait que par complaisance: le lien de l’amitié, la ressemblance des goûts, voici, soyez-en bien sûr, les nœuds qui captivent le plus sûrement une femme telle que moi.

— Oh! pour celui de l’amitié, ne m’en parlez pas! Juliette, reprit vivement le ministre; je n’ai pas plus de foi à ce sentiment-là qu’à celui de l’amour. Tout ce qui vient du cœur est faux; je ne crois qu’aux sens, moi, je ne crois qu’aux habitudes charnelles… qu’à l’égoïsme, qu’à l’intérêt… oui, l’intérêt sera toujours, de tous les liens, celui auquel je croirai le plus. Je veux donc que le vôtre se trouve infiniment flatté, prodigieusement caressé dans les arrangements que je vais prendre avec vous. Que le goût vienne ensuite cimenter l’intérêt, à la bonne heure; mais, les goûts changeant avec l’âge, il peut venir un temps où l’on ne soit même plus mené par eux, et on ne cesse jamais de l’être par l’intérêt. Calculons donc votre petite fortune, madame: Noirceuil vous fait dix mille livres de rente, je vous en ai donné trois, vous en aviez douze: voilà vingt-cinq; et vingt-cinq, dont voici le contrat, font cinquante; parlons maintenant du casuel.

J’allai me jeter aux pieds du ministre pour lui rendre grâce de cette nouvelle faveur; il ne s’y opposa point, et, m’ayant fait signe de me rasseoir:

— Vous imaginez bien, Juliette, continua-t-il, que ce n’est pas avec un aussi mince revenu que vous pouvez me donner à souper deux fois la semaine, ni tenir la maison que je vous ai commandé de prendre: je vous donne donc un million par an pour ces soupers; mais souvenez-vous qu’ils doivent être d’une magnificence incroyable; j’y veux toujours les mets les plus exquis, les vins les plus rares, les gibiers et les fruits les plus extraordinaires; il faut que l’immensité accompagne la délicatesse, et, fussions-nous même tête à tête, cinquante plats ne seraient pas suffisants. Les victimes vous seront payées vingt mille francs pièce, ce qui n’est pas trop, à cause des qualités que je leur désire. Vous aurez de plus trente mille francs de gratification par chaque victime ministérielle immolée par vos mains; il y en a bien cinquante par an: cet article s’élève donc à quinze cent mine francs, auxquels je joins vingt mille francs par mois pour vos appointements. Autant que je puis voir, madame, ceci vous met à la tête de six millions sept cent quatre-vingt-dix mille francs; nous ajouterons deux cent dix mille livres pour vos menus plaisirs, afin de vous composer une somme ronde de sept millions par an, dont cinquante mille francs passés par acte et qui ne peuvent vous fuir. Êtes-vous contente, Juliette?

M’efforçant ici de cacher ma joie, afin de servir encore mieux l’avarice dont j’étais dévorée, je représentai au ministre que les devoirs qu’il m’imposait étaient, pour le moins, aussi onéreux qu’étaient considérables les sommes dont il m’accordait la disposition; qu’avec l’envie de le bien servir, je ne ménagerais rien, et que je voyais qu’il serait fort possible que les dépenses énormes que j’allais être obligée de faire excédassent de beaucoup les recettes; qu’au surplus…

— Non; voilà comme je veux qu’on me parle, me dit le ministre; vous m’avez montré de l’intérêt, Juliette, c’est ce que je veux, je suis sûr d’être bien servi, maintenant; n’épargnez rien, madame. et vous recevrez dix millions par an: aucun de ces suppléments ne m’effraye; je sais où les prendre tous, sans toucher à mes revenus. Il serait bien fou, l’homme d’État qui ne ferait pas payer ses plaisirs à l’État; et que nous importe la misère des peuples, pourvu que nos passions soient satisfaites? Si je croyais que l’or pût couler de leurs veines, je les ferais saigner tous les uns après les autres, pour me gorger de leur substance[2].

— Homme adorable, m’écriai-je, vos principes me tournent la tête; je vous ai laissé voir de l’intérêt, croyez donc au goût, maintenant, et persuadez-vous, je vous en conjure, que ce sera plutôt mille fois par idolâtrie pour vos plaisirs, que par tout autre motif, que je les servirai avec tant de zèle.

— Je le crois, dit Saint-Fond, je vous ai vue à l’épreuve. Eh! comment n’aimeriez-vous pas mes passions? Ce sont les plus délicieuses qui puissent naître au cœur de l’homme. Et celui qui peut dire: Aucun préjugé ne m’arrête, je les ai tous vaincus; et voici, d’un côté, le crédit qui légitime toutes mes actions et, de l’autre, les richesses nécessaires à les assaisonner de tous les crimes; celui-là, dis-je, n’en doutez pas, Juliette, est le plus heureux de tous les êtres… Ah! ceci me fait souvenir, madame, du brevet d’impunité que vous promit d’Albert, la dernière fois que nous soupâmes ensemble: le voilà, mais c’est à moi que le chancelier vient de l’accorder ce matin, et non point à d’Albert, qui, selon son usage, vous avait totalement oubliée.

La manière dont toutes mes passions se trouvaient flattées, dans cette multitude d’événements heureux, me tenait dans une espèce d’ivresse… d’enchantement, d’où résultait une sorte de stupidité qui m’ôtait jusqu’à l’usage de la parole. Saint-Fond me sortit de cet engourdissement en m’attirant à lui…

— Dans combien de temps commencerons-nous, Juliette? me dit-il en baisant ma bouche et passant une main sur mon derrière, dans lequel il enfonça sur-le-champ un doigt.

— Monseigneur, lui dis-je, il me faut bien au moins trois semaines pour préparer tous les différents services que Votre Grandeur exige de moi.

— Je vous les accorde, Juliette; c’est aujourd’hui le premier du mois: je soupe chez vous le vingt-deux.

— Monseigneur, poursuivis-je, en m’avouant vos goûts, vous m’avez donné quelques droits à vous confier les miens. Vous m’avez reconnu ceux du crime, j’ai ceux du vol et de la vengeance; je satisferai les premiers avec vous: le brevet que vous venez de me donner m’assurant l’impunité du vol, fournissez-moi les moyens de la vengeance.

— Suivez-moi, répondit Saint-Fond.

Nous passâmes chez un commis.

— Monsieur, lui dit le ministre, examinez bien cette jeune femme; je vous ordonne de lui signer et délivrer toutes les lettres de cachet qu’elle vous demandera, n’importe pour quelle maison.

Et repassant dans un cabinet où nous étions

— Voilà, poursuivit le ministre, un point accordé; la lettre que je vous ai donnée remplit l’autre. Tranchez, coupez, déchirez, je vous livre la France entière; et quel que soit le crime que vous commettiez, son étendue, sa gravité, je vous réponds qu’il ne vous en arrivera jamais rien. Je vais plus loin, et vous accorde, ainsi que je l’ai dit, trente mille francs de gratification par chacun des crimes que vous commettrez pour votre compte.

Je renonce à vous dire, mes amis, ce que toutes ces promesses, toutes ces conventions me firent éprouver. Oh, ciel! me dis-je, avec le dérèglement d’imagination que j’ai reçu de la nature, me voilà donc, d’un côté, assez riche pour satisfaire à toutes mes fantaisies, de l’autre, assez de fortune pour être certaine de l’impunité de toutes. Non, il n’est point de jouissances intérieures pareilles à celles-là; aucune lubricité ne fait éprouver à l’âme un chatouillement plus excessif.

— Il faut sceller le marché, madame, me dit alors le ministre. Voici d’abord le pot-de-vin, continua-t-il, en me faisant présent d’une cassette où il y avait cinq mille louis en or, et pour le double de pierreries ou de magnifiques bijoux; n’oubliez pas de faire emporter cela avec la boîte des poisons.

M’attirant alors dans un cabinet secret, où le faste le plus opulent se joignait au goût le plus recherché:

— Ici, me dit Saint-Fond, vous ne serez plus qu’une putain; hors de là, l’une des plus grandes dames de France.

— Partout, partout votre esclave, monseigneur; partout votre admiratrice et l’âme de vos plus délicats plaisirs.

Je me déshabillai. Saint-Fond, ivre de plaisir d’avoir enfin une excellente complice, fit des horreurs. Je vous ai dit ses goûts, il les raffina tous: s’il m’élevait en sortant de chez lui, il me rabaissait cruellement dans son intérieur; c’était bien, en volupté, l’homme le plus sale… le plus despote… le plus cruel. Il me fit adorer son vit, son cul; il chia, je dus faire un dieu de son étron même; mais, par manie bien extraordinaire, il me fit souiller ce dont il tirait ses plus puissants motifs d’orgueil: il exigea que je chiasse sur son Saint-Esprit et me torcha le cul avec son cordon bleu.

A la surprise que je lui témoignai de cette action:

— Juliette, me répondit-il, je veux te montrer par là que tous ces chiffons, qui sont faits pour éblouir les sots, n’en imposent point au philosophe.

— Et vous venez de me les faire baiser?

— Cela est vrai; mais de même que ces joujoux motivent mon orgueil, de même j’en mets étonnamment à les profaner: voilà de ces bizarreries de tête qui ne sont connues que de libertins comme moi.

Saint-Fond bandait extraordinairement; je déchargeai dans ses bras: avec une imagination comme la mienne, il ne s’agit pas de ce qui répugne, il n’est question que de ce qui est irrégulier, et tout est bon quand il est excessif. Je devinai le désir extrême qu’il avait de me faire manger sa merde: je le prévins; je lui demandai la permission de le faire, il était aux nues; il dévora la mienne, en y joignant l’épisode de me gamahucher le cul à chaque bouchée. Il me montra le portrait de sa fille: à peine avait-elle quatorze ans, et ressemblait à l’Amour même. Je le priai de la réunir à nous.

— Elle n’est pas ici, me dit-il; je ne vous aurais pas laissée former ce désir, si elle y eût été.

— Vous en avez donc joui, lui dis-je, avant que de la donner à Noirceuil?

— Assurément, me répondit-il; j’en serais bien fâché d’avoir laissé prendre à d’autres d’aussi délicieuses prémices.

— Et vous ne l’aimez donc plus?

— Je n’aime rien, moi, Juliette: nous n’aimons rien, nous autres libertins. Cette enfant m’a fait beaucoup bander; elle ne m’excite plus à présent, parce que j’en ai trop fait avec elle; je la donne à Noirceuil, qu’elle échauffe beaucoup; tout cela est affaire de convenance.

— Mais quand Noirceuil en sera las?

— Eh bien! tu connais le sort des femmes; je lui aiderai, vraisemblablement; tout cela est bon, tout cela est bien fort; c’est ce que j’aime…

Et il bandait extraordinairement.

— Monseigneur, lui dis-je, il me semble que si j’étais en place, il y aurait de certains moments où j’aimerais beaucoup à abuser de mon autorité.

— En bandant, n’est-ce pas

— Oui.

— Je le pense.

— Oh! monseigneur, sacrifions quelques innocents, cette idée me tourne la tête.

Je le branlais, l’un de mes doigts chatouillait le trou de son cul.

— Tenez, me dit-il en sortant un papier de son portefeuille, je n’ai qu’à signer cela, et je fais mourir demain une très jolie personne que sa famille vient de faire enfermer par mon organe, uniquement parce qu’elle aime les femmes. Je l’ai vue, elle est charmante; je m’en suis amusé l’autre jour: depuis ce moment-là j’ai si peur qu’elle ne parle, que je n’ai pas existé un instant sans le désir de m’en débarrasser.

— Elle jasera, monseigneur, elle jasera, soyez-en bien sûr; votre sûreté dépend de la mort de cette fille… Signez au plus tôt, je vous en conjure.

Et prenant le papier, je l’appuyai sur mes fesses, en le suppliant de le signer là. Il le fit.

— Je veux porter l’ordre moi-même, lui dis-je.

— J’y consens, me répondit Saint-Fond… Allons, Juliette, il faut que je décharge: ne vous alarmez pas du personnage qui devient nécessaire au dénoûment de cette crise.

Et comme il sonna, un jeune homme assez joli parut dans l’instant.

— Mettez-vous à genoux, Juliette; il faut que cet homme vous donne trois coups de canne sur les épaules, dont la marque reste quelques jours; qu’ensuite il vous tienne pendant que je vous enculerai.

Et le jeune homme, se déculottant lui-même, fit aussitôt baiser son derrière au ministre, qui le lécha complaisamment. J’obéissais pendant ce temps-là, et j’étais à genoux; le jeune homme se sert de sa canne et m’applique trois coups si serrés sur les épaules que j’en fus marquée quinze jours. Saint-Fond, bien en face de moi, m’observait, pendant cette crise, avec une curiosité lubrique; il vint examiner les meurtrissures; il se plaignit de leur faiblesse, et ordonna au jeune homme de me tenir; il m’encule tout en baisant les fesses de celui qui facilitait son opération.

— Ah! foutre! s’écria-t-il en déchargeant, ah! sacredieu, la putain est marquée!

L’homme se retira. Ce ne fut que longtemps après qu’un événement, dont nous parlerons, jeta quelque jour sur celui-ci. Le ministre me raccompagna, et, reprenant avec moi, dès que nous fûmes bon de ce cabinet, l’air de considération qu’il avait eu avant que d’y entrer:

— Faites emporter ces cassettes, madame, me dit-il, et souvenez-vous que notre arrangement commence dans trois semaines. Allons, Juliette, libertinage, crime, discrétion, et vous serez heureuse. Adieu.

Mon premier soin fut d’examiner l’ordre dont j’étais porteuse. Dieu! quel fut mon étonnement quand je vis qu’on enjoignait à la supérieure du couvent de force dont il s’agissait, d’empoisonner secrètement, qui?… Saint-Elme, cette charmante novice de Panthemont que j’avais adorée pendant mon séjour dans ce couvent. Une autre que moi eût déchiré ce monument de scélératesse; mais j’avais fait trop de chemin dans la carrière du crime pour reculer: rien ne m’arrête, je n’ai pas même le mérite de balancer. Je remets l’ordre à la supérieure de Sainte-Pélagie, où Saint-Elme gémissait depuis trois mois; je demande à voir la coupable, je la questionne, elle m’avoue que le ministre a mis sa liberté au prix de sa complaisance, et qu’elle a fait avec lui tout ce que l’on peut faire. Aucune des saletés où se livrait ce monstre de luxure n’avait été épargnée: bouche, cul… con, l’infâme avait tout souillé, et ce qui la consolait de ces sacrifices était l’espoir de sa liberté.

— Je l’apporte, dis-je à Saint-Elme en l’embrassant.

Elle me remercie, me rend mes baisers au double… Mon con se mouille en la trahissant… Le lendemain elle était morte.

Allons, me dis-je, dès que je sus l’effet de ma scélératesse, je suis faite pour aller au grand, je le vois; et travaillant avec promptitude aux préparatifs des projets de Saint-Fond, en trois semaines, ainsi que j’en avais pris l’engagement, je fus en état de lui donner son premier souper.

Six excellentes appareilleuses, que j’avais à mes gages, m’avaient procuré, pour mon début, trois jeunes sœurs, enlevées dans un couvent de Meaux, de douze, treize et quatorze ans, et de la plus céleste figure qu’il fût possible de voir.

Le ministre vint le premier jour avec un homme de soixante ans. En arrivant, il s’enferma quelques minutes avec moi, visita mes épaules, et parut mécontent de n’y plus trouver les marques qu’il m’y avait fait imprimer la dernière fois que nous nous étions vus. A peine me toucha-t-il; mais il me recommanda le plus grand respect et la plus profonde soumission pour l’homme qu’il amenait, lequel était un des plus grands princes de la cour; cet homme le remplaça aussitôt dans le cabinet où m’avait fait passer Saint-Fond. Prévenue par mon amant, je lui fis voir mes fesses dès qu’il entra. Il s’approcha, une lunette à la main.

— Si vous ne pétez pas, me dit-il, vous êtes mordue.

Et comme je ne le satisfis pas aussi tôt qu’il le désirait, ses dents s’imprégnèrent dans ma fesse gauche et y laissèrent des traces profondes. Il se montre à moi par-devant, et m’offrant un visage sévère et disgracieux:

— Mettez votre langue dans ma bouche, me dit-il; et dès qu’elle y fut: Si vous ne rotez pas, poursuivit-il, vous êtes mordue.

Mais, voyant que je ne pouvais obéir, je me retirai assez vite pour éviter le piège. Le vieux coquin entre en fureur, il saisit une poignée de verges et m’étrille pendant un quart d’heure. Il s’arrête et se remontrant à moi:

— Vous voyez, me dit-il, le peu d’effet que les choses même que j’aime le mieux produisent maintenant sur mes sens; regardez ce vit mollasse, rien ne le fait guinder: il faudrait pour cela que je vous fisse beaucoup de mal.

— Et cela est inutile, mon prince, lui dis-je, puisque vous allez trouver tout à l’heure trois objets délicieux que vous pourrez tourmenter à votre guise.

— Oui… mais vous êtes belle… votre cul (il le maniait toujours) me plaît infiniment; je voudrais bander pour lui.

Il se débarrasse, en disant cela, de ses habits, et pose sur la cheminée une montre à répétition enrichie de diamants, un étui, une tabatière d’or, sa bourse garnie de deux cents louis et deux bagues superbes.

— Essayons, dit-il, à présent; tenez, voilà mon cul, il faut le pincer et le mordre excessivement fort, en me branlant de toute l’élasticité de votre poignet. Bon, dit-il, dès qu’il s’aperçut d’un peu de changement dans son état; couchez-vous maintenant à plat ventre sur ce canapé et laissez-moi vous piquer les fesses avec cette aiguille d’or.

Je me prête; mais poussant un cri furieux, et ayant l’air de m’évanouir à la seconde blessure, le malheureux tout étourdi, et craignant de déplaire au ministre en molestant un peu trop sa maîtresse, sort à l’instant pour me calmer. Je jette ses habits dans une autre pièce, saute sur les effets précieux, les mets dans ma poche et me hâte de rejoindre Saint-Fond, qui me demande la cause d’un retour si leste.

— Ce n’est rien, lui dis-je; mais ma promptitude à rapporter les habits de monsieur est cause que mon boudoir s’est fermé, la clef en dedans: ce sont des serrures anglaises que personne ne peut ouvrir; monsieur ayant tout ce qu’il lui faut, nous pouvons remettre à un autre temps l’entrevue qu’il désire.

Et j’entraîne mes deux convives au jardin, où tout était préparé pour les recevoir; le prince oublie ses effets, revêt l’habit que je lui présente et ne pense plus qu’à de nouveaux plaisirs.

Il faisait une soirée délicieuse; nous étions sous un bosquet de lilas et de roses, magiquement éclairé, assis tous trois dans des trônes soutenus par des nuages, desquels s’exhalaient les parfums les plus délicieux; le centre était occupé par une montagne des fleurs les plus rares, parmi lesquelles étaient les jattes du Japon et les couverts d’or qui devaient nous servir. A peine fûmes-nous placés que le haut du bosquet s’ouvrit, et nous vîmes aussitôt paraître, sur un nuage de feu, les Furies, tenant enchaînées avec leurs serpents les trois victimes qui devaient s’immoler à ce repas. Elles descendirent du nuage, attachèrent chacune celle qui lui était confiée à des arbustes près de nous, et se préparèrent à nous être utiles. Ce repas sans ordre ne devait être servi qu’à la volonté des convives; on demandait ce qui passait par la tête, les Furies le servaient sur-le-champ. Plus de quatre-vingts plats de différentes espèces sont demandés sans qu’il en soit refusé un seul; dix espèces de vins sont servies, tout coule, tout se fournit avec profusion.

— Voilà un repas délicieux, dit mon amant. J’espère, mon prince, que vous êtes satisfait du début de ma directrice.

— Enchanté, dit le sexagénaire, dont l’abondance des mets et des liqueurs spiritueuses avait tellement troublé la tête, qu’il ne pouvait presque plus parler. En vérité, Saint-Fond, votre Juliette est divine… mais c’est qu’elle a le plus beau cul!

— Oublions-le un moment, dit Saint-Fond, pour nous occuper de ceux de ces Furies; savez-vous que je les crois superbes?

Et, sur le simple aperçu d’un désir, ces trois déesses, représentées par trois des plus belles filles qu’avaient pu me trouver dans Paris les appareilleuses que j’avais employées, exposent à l’instant leurs fesses aux deux libertins, qui les baisent, les lèchent, les mordent à plaisir.

— Oh! Saint-Fond, dit le prince, faisons-nous fouetter par ces Furies.

— Avec des branches de rose, dit Saint-Fond.

Et voilà les culs de nos paillards à l’air, cruellement fouettée, et par des faisceaux de fleurs, et par les serpenta de ces harpies.

— Que ces écarts sont lubriques! dit Saint-Fond en se rasseyant et montrant son vit tout en l’air; bandez-vous, mon prince!

— Non, répond le malheureux perclus, rien de tout cela n’est assez fort pour moi: du moment que je suis en débauche, je voudrais que les atrocités m’environnassent sans cesse; je voudrais que tout ce qui est sacré chez les hommes fût à l’instant troublé par moi… que leurs liens les plus sévères fussent brisés par mes mains perfides.

— Vous n’aimez pas les hommes, n’est-ce pas, mon prince?

— Je les abhorre.

— Il n’est pas d’instant dans la journée, reprit Saint-Fond, où je n’aie de leur nuire le dessein le plus véhément: il n’est pas en effet une race plus épouvantable. Est-il puissant, cet homme dangereux? le tigre des forêts ne l’égale pas en méchanceté. Est-il malheureux? que de bassesses, comme il est vil alors, comme il est dégoûtant! Oh! qu’il m’arrive souvent de rougir d’être né parmi de tels êtres! Ce qui me plaît, c’est que la nature les abhorre tout autant que moi, car elle les détruit journellement; je voudrais avoir autant de moyens qu’elle de les anéantir sur la terre.

— Mais vous, vous, respectables êtres, interrompis-je ici, croyez-vous réellement que vous soyez des hommes? Eh! non, non! quand on leur ressemble aussi peu, quand on les domine avec autant d’empire, il est impossible d’être de leur race.

— Elle a raison, dit Saint-Fond; oui, nous sommes des dieux: ne nous suffit-il pas comme eux de former des désirs pour qu’ils soient aussitôt satisfaits? Ah! qui doute que, parmi les hommes, il n’y ait une classe assez supérieure à la plus faible espèce, pour être ce que les poètes nommaient autrefois des divinités!

— Pour moi, je ne suis pas Hercule, je le sens, dit le prince, mais je voudrais être Pluton; je voudrais être chargé du soin de déchirer les mortels aux enfers.

— Et moi, dit Saint-Fond, je voudrais être la boîte de Pandore, afin que tous les maux sortis de mon sein les détruisissent tous individuellement.

Ici, quelques gémissements se firent entendre; ils émanaient des trois victimes enchaînées.

— Qu’on les délie, dit Saint-Fond, et qu’elles se fassent voir à nous.

Les Furies les détachent et les présentent aux deux convives; et comme il était impossible de réunir plus de grâces et plus de beautés, je vous laisse à penser comme elles furent bientôt couvertes de luxure.

— Juliette, me dit le ministre transporté, vous êtes une charmante créature; on peut dire avec raison que vos essais sont des coups de maître; allons nous perdre sous ces bosquets, allons nous livrer, dans l’ombre et le silence, à tout ce que l’égarement de nos têtes pourra nous dicter… As-tu fait creuser quelques fosses?

— Presque au pied de tous les endroits qui peuvent offrir des sièges à vos impuretés.

— Bon; et point de lumières dans les allées?

— Aucune; l’obscurité convient au crime et vous en jouirez dans toute son horreur; allons, prince, égarons-nous dans ces labyrinthes, et que là rien n’arrête l’impétuosité de nos emportements.

Nous partîmes d’abord tous ensemble, les deux libertins, les trois victimes et moi. A l’entrée d’une route de charmille, Saint-Fond dit qu’il ne pouvait aller plus loin sans foutre; et saisissant la plus jeune des filles, en moins de dix minutes le vilain fit sauter les deux pucelages; j’excitais, pendant ce temps-là, le vieux prince que rien ne pouvait faire bander.

— Vous ne foutrez donc pas? lui dit Saint-Fond en s’emparant de la seconde fille.

— Non, non, dépucelez, dit le vieux paillard, je me contenterai de vexations; donnez-les moi à mesure qu’elles sortent de vos mains.

Et dès qu’il tient la plus jeune de ces petites filles, il la tourmente de la plus cruelle manière, pendant que je le suce de toutes mes forces. Cependant Saint-Fond déflorait toujours, et, ayant mis la seconde dans le même état que la première, en la rendant au prince, il saisit celle de quatorze ans.

— Que j’aime à foutre ainsi dans l’obscurité! disait-il, les voiles de la nuit sont les aiguillons du crime, on ne les commet jamais aussi bien que dans l’ombre!

Saint-Fond, qui n’avait point encore déchargé, le fit dans le cul de l’aînée de ces filles, et demandant aussitôt au prince laquelle il voulait immoler, sur la cession que celui-ci fit de celle qui venait de faire décharger Saint-Fond, le vieux paillard, muni de tous les instruments nécessaires aux supplices qu’il méditait, s’égara, tenant ses deux victimes, et je suivis mon amant avec celle qui devait recevoir la mort de ses mains. Dès que nous fûmes à peu près seuls, je lui déclarai le vol que j’avais fait; il en rit beaucoup avec moi et m’assura que, comme pour se mettre en train, le prince, suivant son usage, avait été au bordel avant de venir au souper, il n’y avait rien de plus aisé que de lui faire croire qu’il avait tout perdu dans ce lieu.

— Êtes-vous donc des amis de cet homme? dis-je à Saint-Fond.

— Je ne suis l’ami de personne, me répondit le ministre; je ménage cet original par politique: il ne laisse pas que de contribuer à ma fortune, il est fort bien avec le roi; mais qu’il soit disgracié demain, je deviendrai le plus ardent de ceux qui l’écraseront. Il a deviné mes goûts, je ne sais comment; il a voulu les partager, j’y ai consenti, voilà tous nos liens. Est-ce que vous ne l’aimez pas, Juliette?

— Je ne puis le souffrir.

— Ma foi, sans les raisons de politique dont je viens de vous faire part, je vous le livrerais; mais je le perdrai si vous voulez: vous me plaisez au point, madame, qu’il n’est rien que je ne fasse pour vous.

— Ne dites-vous pas que vous lui avez des obligations?

— Quelques-unes.

— Eh bien, comment, d’après vos principes, pouvez-vous l’envisager un instant?

— Laissez-moi faire, Juliette, j’arrangerai tout cela.

Et, en même temps, Saint-Fond me renouvela tous ses éloges sur la manière dont j’avais conduit cette fête.

— Tu es, me dit-il, remplie de goût et d’esprit, et plus je te connais, plus je sens la nécessité de t’attacher à moi.

C’était la première fois qu’il me tutoyait; il me fit sentir cette faveur en m’accordant en même temps celle d’en user de même avec lui.

— Je te servirai toute ma vie, si tu le veux, Saint-Fond, répondis-je; je connais tes goûts, je les satisferai, et, si tu désires m’attacher encore davantage, tu contenteras de même les miens.

— Baise-moi, ange céleste! cent mille écus te seront comptés demain matin: tu vois si je te devine!

Nous en étions là, lorsqu’une vieille pauvresse nous aborde pour nous demander l’aumône.

— Comment se fait-il, dit Saint-Fond surpris, qu’on ait laissé entrer cette femme?

Et le ministre, me voyant sourire, entendit aussitôt la plaisanterie…

— Ah! friponne, me dit-il, c’est délicieux! Eh bien, que voulez-vous? continua-t-il en approchant cette vieille.

— Hélas! quelques charités, monseigneur, répondit l’infortunée. Venez, venez voir ma misère.

Et prenant la main du ministre, elle le conduisit dans une mauvaise petite baraque, éclairée d’une lampe qui pendait au plafond, et dans laquelle deux enfants, l’un mâle, l’autre femelle, et de huit à dix ans au plus, reposaient nus sur un peu de paille.

— Vous voyez cette triste famille, nous dit la pauvresse; il y a trois jours que je n’ai un morceau de pain à leur donner; daignez, vous que l’on dit si riche, me mettre à même de soutenir leur triste vie. Oh! monseigneur, qui que vous soyez, connaissez-vous M. de Saint-Fond?

— Oui, répondit le ministre.

— Eh bien! vous voyez son ouvrage: il a fait enfermer mon mari; il nous a pris le peu de bien dont nous jouissions; tel est l’état cruel où il nous a réduite depuis plus d’un an…

Et voilà, mes amis, le grand mérite que j’avais à cette scène; c’est que tout en était exactement vrai: j’avais découvert ces tristes victimes de l’injustice et de la rapacité de Saint-Fond, et je les lui offrais réellement, pour réveiller sa méchanceté.

— Ah, gueuse! s’écria le ministre en fixant cette femme, oui, oui, je le connais, et tu dois bien me connaître aussi… Oh! Juliette, vous tenez, par cette adroite scène, mon âme dans un état!… Eh bien, qu’avez-vous à me reprocher? J’ai fait enfermer votre époux innocent, cela est vrai; j’ai mieux fait encore, car il n’existe plus… Vous m’avez échappé, je voulais vous traiter de même.

— Quel mal avons-nous commis?

— Celui d’avoir un bien, à ma porte, que vous ne vouliez pas me vendre; en vous accablant, je l’ai eu… Vous mourez de faim, que cela me fait-il?

— Et ces malheureux enfants?

— Il y en a dix millions de trop en France: c’est rendre service à la société que d’élaguer tout cela; et les retournant avec son pied: La belle graine à recueillir!

Le scélérat, alors, que tout cela faisait extraordinairement bander, saisit le petit garçon et l’encule; puis, s’emparant de la petite fille, il la traite de la même manière.

— Vieille garce! dit-il alors, montre-moi tes fesses ridées, j’ai besoin de les voir pour déterminer une décharge.

La vieille pleure et résiste; j’aide les projets de Saint-Fond. Après avoir accablé d’outrages ce malheureux cul, le libertin l’enfile, ayant sous ses pieds les deux enfants, qu’il écrase en déchargeant dans le cul de leur mère, dont il brûle la cervelle au moment de sa crise. Et nous quittons cet infortuné réduit, toujours avec la petite victime de quatorze ans, dont il avait baisé les fesses pendant l’opération.

— Eh bien! monseigneur, lui dis-je en sortant de là, vous allez à présent jouir du bien de cette famille en toute sûreté, et vous ne le pouviez point. Ces gens-là avaient trouvé des appuis, ils allaient faire du tapage; je sais bien que vous vous en seriez moqué, mais cela eût toujours été désagréable; je les ai découverte, je les ai trompés: vous en voilà défait.

Et, ici, Saint-Fond, en me baisant, était dans une ivresse inconcevable.

— Ah! comme le crime est doux et comme ses suites sont voluptueuses!… Juliette, tu ne saurais croire en quel état tient tous mes sens la divine action que tu viens de me faire commettre… Mon ange, mon unique dieu, dis-moi donc ce que tu veux que je fasse pour toi.

— Je sais qu’on vous plaît en laissant parler le désir d’avoir de l’argent: vous augmenterez de quelque chose la somme promise.

— N’était-elle pas de cent mille écus?

— Oui.

— Ô Juliette, je t’en promets le double! Mais qu’est ceci?… dit le ministre effrayé de deux hommes qui s’avançaient à nous le pistolet à la main; je frémis; personne n’est plus poltron que moi… Messieurs, que voulez-vous?

— Tu vas le voir, répond un de ces hommes en saisissant Saint-Fond et l’attachant au pied d’un arbre, ses culottes rabaissées sur ses talons.

— Mais que prétendez-vous?

— T’apprendre, dit l’autre homme armé d’une poignée de verges dont il caresse déjà le fessier ministériel, oui, scélérat, t’apprendre à traiter, comme tu viens de le faire, les pauvres habitants de la masure que tu quittes.

Et quand celui-ci a donné trois ou quatre cents coups, qui n’ont servi qu’à reguinder la machine énervée de Saint-Fond, l’autre approche et perfectionne son extase en l’enculant d’un vit énorme. Dès qu’il a foutu, il fouette; et dès qu’il a fouetté, le premier flagellateur encule. Saint-Fond, pendant ce temps-là, manie les fesses de la jeune fille à droite et les miennes à gauche; on le détache, les hommes disparaissent et nous errons de nouveau dans les ténèbres.

— Ô Juliette, je ne cesserai de te le dire, tu es divine!… Mais sais-tu que j’ai eu bien peur? Il est délicieux de donner à ses nerfs cette première commotion avant que de leur imprimer celle de la volupté: voilà de ces gradations que les sots ignorent et qui ne devraient être connues que de gens tels que nous.

— La peur agit donc fortement sur toi? dis-je à Saint-Fond.

— Oh, prodigieusement, ma chère! Je suis le plus jean-foutre de tous les êtres, et je l’avoue sans la plus petite honte. La peur n’est que l’art de se conserver, et cette science est la plus nécessaire à l’homme: il est absurde d’attacher de l’honneur à ne pas craindre les dangers; je place le mien à les redouter tous.

— Ah, Saint-Fond! si la peur fait un tel effet sur tes sens, juge de l’état où tu mets les malheureuses victimes de tes passions!

— Eh! c’est ce qui m’en plaît, dit le ministre; j’aime à leur faire éprouver l’espèce de chose qui trouble et bouleverse le plus cruellement mon existence… Mais où sommes-nous ici?… Ton jardin est d’une grandeur énorme.

— Nous voilà, dis-je, au bord d’une de ces fosses préparées pour les victimes…

— Ah! ah! dit Saint-Fond en tâtant avec la main; il faut que le prince ait immolé une des siennes ici: je sens un cadavre.

— Retirons-le, dis-je, voyons qui c’est… Elle n’est pas morte; c’est la plus jeune des trois sœurs: elle ne paraît être qu’étouffée, et le scélérat l’enterrait toute vive; il faut la rappeler à la vie, tu auras le plaisir d’en tuer deux.

Effectivement, après quelques secours, cette malheureuse revint à elle, mais il lui fut impossible de nous dire ce que le prince lui faisait quand elle avait perdu connaissance. Les deux sœurs s’embrassent en pleurant, et le barbare Saint-Fond leur déclare qu’il va les tuer toutes deux. Il y procède en effet; mais ayant beaucoup d’autres aventures semblables à vous raconter, j’aime mieux jeter un voile sur celle-ci que de risquer la monotonie. Le monstre avait déchargé dans le cul de la plus jeune de ces malheureuses, en procédant à son dernier supplice; nous jetâmes un peu de terre sur le trou, et nous poursuivîmes.

— Oh! quelle action voluptueuse que celle de la destruction! me dit cet insigne libertin; je n’en connais pas qui chatouille plus délicieusement; il n’est pas d’extase semblable à celle que l’on goûte en se livrant à cette divine infamie: si tous les hommes connaissaient ce plaisir, la terre se dépeuplerait en dix ans. Chère Juliette, j’ai bien reconnu, dans ce que nous venons de faire, que tu aimes le crime autant que moi!

Et je convainquis Saint-Fond qu’il m’irritait peut-être encore plus que lui. En disant ces mots, nous aperçûmes dans le bois, au clair de la lune qui se levait, une espèce de petit couvent.

— Qu’est-ce encore que ceci? dit Saint-Fond, prétends-tu donc me noyer de voluptés?

— En vérité, dis-je, j’ignore où nous sommes; frappons.

Une vieille religieuse se présente.

— Ma très chère mère, lui dis-je, pouvez-vous donner l’hospitalité à deux voyageurs qui s’égarent?

— Entrez, dit la bonne dame; quoique ceci soit un couvent de religieuses, la vertu que vous implorez n’est point étrangère à nos cœurs, et nous la pratiquons aussi volontiers avec vous que nous venons de le faire envers un vieux seigneur de la cour qui nous a demandé la même chose; il est avec nos dames, qui viennent de se lever pour matines.

Nous comprîmes, à ces mots, que le prince était là: nous le joignons. Une autre religieuse et six pensionnaires de douze à seize ans l’entouraient. Le vieux coquin, tout couvert du sang de sa dernière victime, commençait déjà à perdre le respect.

— Monsieur, dit à Saint-Fond celle des religieuses que nous trouvâmes en haut, opposez-vous aux tentatives de cet ingrat. Ce n’est que par des insultes qu’il prétend reconnaître l’hospitalité que nous lui accordons.

— Madame, dit le ministre, mon ami, qui n’est guère plus moral que moi, en détestant la vertu comme je le fais, n’aime à lui accorder aucune récompense; vos pensionnaires me paraissent extrêmement jolies, et, ou nous mettrons le feu à votre couvent, ou, sacredieu! nous les violerons toutes six.

Et Saint-Fond, saisissant aussitôt la plus petite, en accablant de coups de poing les deux religieuses qui veulent la défendre, la viole à nos yeux, par-devant. Que vous dirais-je, mes amis? les cinq autres eurent bientôt le même sort, à la différence que Saint-Fond, craignant de voir faiblir son outil, laissa les cons pour ne perforer que les culs. A mesure qu’elles sortaient de ses mains, le prince s’en emparait et les fustigeait jusqu’au sang, entremêlant toujours cette opération de baisers sur mes fesses, qu’il adorait, disait-il, par-dessus tout. Saint-Fond, maître de lui, n’avait pas déchargé; il s’empare des deux religieuses, dont l’une avait plus de soixante ans, s’enferme avec elles dans une cellule voisine, et rentre seul au bout d’une demi-heure.

— Qu’as-tu donc fait de ces duègnes, mon ami? dis-je au ministre, en le voyant revenir très ému.

— Pour rester les maîtres de la maison, nous dit-il, il fallait bien se débarrasser de ces gardiennes; j’ai commencé par m’en amuser dans cette cellule: j’aime infiniment les vieux culs; puis, ayant découvert un escalier qui conduisait auprès d’un puits, je les y ai jetées pour s’y rafraîchir.

— Et ces poulettes, qu’en allons-nous faire? J’espère que nous ne les laisserons pas en vie, dit le prince…

De nouvelles horreurs se commirent, que je laisse encore sous le voile; mais le couvent fut dévasté.

Les deux libertins, ayant complètement déchargé dans cette scène et voyant le jour près de paraître, désirèrent enfin se retirer. Un déjeuner somptueux, servi par trois femmes nues, nous attendait dans mes cabinets secrets; le besoin que nous en avions nous y fit faire le plus grand honneur. Le prince voulut, avec la permission de mon amant, passer quelques heures au lit avec moi; et Saint-Fond, au milieu de deux de mes laquais, se fit foutre le reste de la nuit.

Les tentatives du vieux seigneur ne firent pas courir de grands risques à ma pudeur; après des peines infinies, il parvint à s’introduire un moment au trou de mon cul; mais la nature trompant son espoir, l’outil plia; le vilain, qui n’eut même pas la force de décharger, parce qu’il avait, disait-il, deux fois perdu du foutre dans toute la partie, s’endormit le nez dans mon derrière.

Dès que nous fûmes levés, Saint-Fond, toujours plus enchanté de moi que jamais, me donna un bon de huit cent mille francs, à prendre sur-le-champ au trésor royal, et il emmena son ami.

L’histoire de cette première partie fut à peu près celle de toutes les autres, aux épisodes près, que ma fertile imagination avait soin de varier sans cesse. Noirceuil se trouvait presque à toutes, mais je n’y avais point encore vu d’étrangers que le prince.

Il y avait trois mois que je conduisais cette barque immense avec tout le succès possible, lorsque Saint-Fond m’annonça que j’avais, pour le lendemain, un crime ministériel à commettre. Cruels effets de la plus barbare politique! Ô mes amis, devineriez-vous quelle était cette victime? le père même de Saint-Fond, vieillard de soixante-six ans, respectable sous tous les rapports: il le barrait dans ses travers, craignant qu’ils ne le perdissent; il le desservait même à la cour, afin de le contraindre à laisser là le ministère, croyant, avec bien de la raison, qu’il serait plus avantageux pour ce fils scélérat de quitter lui-même, que d’être renvoyé. Cette conduite déplut à Saint-Fond, qui, d’ailleurs, gagnait trois cent mille livres de rente à cette mort, et l’arrêt parricide fut bientôt prononcé. Noirceuil vint m’expliquer ce dont il s’agissait, et, comme il remarqua que ce grand crime m’effarouchait un peu, voici par quel discours il tâcha d’en faire disparaître l’atrocité qu’y supposait imbécilement ma faiblesse.

— Le mal que vous croyez faire en tuant un homme, et celui dont vous croyez l’aggraver, lorsqu’il s’agit d’un parricide, voilà, il me semble, ma chère, ce que je dois combattre à vos yeux. Je n’examinerai point la question sous le premier rapport: vous êtes au-dessus des préjugés qui supposent du crime à la destruction de son semblable[3]. Cet homicide est simple pour vous, puisqu’il n’existe aucun lien entre votre existence et celle de la victime: il n’est compliqué que pour mon ami; vous redoutez le parricide dont il veut se souiller: ce n’est donc que sous ce point de vue que je vais envisager l’action proposée.

Le parricide est-il un crime ou non?

Assurément, s’il est au monde une action que je crois légitime, c’est celle-là; et quel rapport, je vous prie, peut-il exister entre celui qui m’a mis au monde et moi? Comment voulez-vous que je me croie lié par quelque sorte de reconnaissance envers un homme parce qu’il lui a pris fantaisie de décharger dans le con de ma mère? Rien n’est risible comme cet imbécile préjugé. Mais si je ne le connaissais pas, ce père, s’il m’avait mis au monde sans que je m’en doutasse, la voix de la nature me l’indiquerait-elle? ne serais-je pas aussi froid avec lui qu’avec les autres hommes? Si ce fait est sûr, et je crois que l’on n’en peut douter, le parricide n’ajoute rien au mal supposé à l’homicide. Si je tuais l’homme qui m’aurait donné le jour, sans le connaître, je n’aurais sûrement aucun remords de l’avoir tué comme père: ce n’est donc que parce qu’on me dit qu’il m’appartient que je m’arrête ou que je me repens; or, je vous prie de me dire de quel poids l’opinion peut être pour aggraver un crime, et s’il est possible qu’elle en change la nature. Quoi! je puis tuer sans remords mon père si je ne le connais pas, et je ne puis si je le connais? de manière qu’on n’a qu’à me persuader qu’un individu que je viendrais de tuer est mon père, quoiqu’il ne le soit pas: voilà des remords appliqués à une fausse notion. Or, s’ils existent, quoique la chose ne soit pas, ils ne sauraient légitimement exister quand elle est. Si vous pouvez me tromper sur cela, mon crime est une chimère; si la nature ne m’indique pas, d’elle-même, l’auteur de mes jours, c’est qu’elle ne veut pas que j’éprouve d’autre tendresse pour lui que celle que m’inspire un être indifférent. Si le remords peut être appliqué d’après votre opinion, et que votre opinion puisse me tromper, le remords est nul; je suis un fou de le concevoir. Les animaux connaissent-ils leur père, le soupçonnent-ils seulement? Motivez-vous ma reconnaissance filiale sur les soins que ce père a pris de mon enfance? Autre erreur. Il a cédé, en les prenant, aux usages de son pays, à son orgueil, à un sentiment que lui, comme père, peut avoir eu pour son ouvrage, mais que je n’ai nul besoin, moi, de concevoir pour l’ouvrier; car cet ouvrier, uniquement occupé de son plaisir, n’a nullement pensé à moi lorsqu’il lui a plu de procéder, avec ma mère, à l’acte de la progéniture: il ne s’occupait que de lui, et je ne vois pas là de quoi former des sentiments bien ardents de reconnaissance. Ah! cessons de nous faire plus longtemps illusion sur ce ridicule préjugé: nous ne devons pas plus à celui qui nous a donné la vie qu’à l’être le plus froid et le plus éloigné de nous. La nature ne nous indique absolument rien pour lui; je dis plus: elle ne saurait rien nous indiquer, l’amitié ne remonte point d’ailleurs; il est faux qu’on aime son père, il est faux qu’on puisse même l’aimer; on le craint, mais on ne l’aime pas; son existence ennuie, mais elle ne plaît point; l’intérêt personnel, la plus sainte des lois de la nature, nous engage invinciblement à désirer la mort d’un homme dont nous attendons notre fortune; et sous ce rapport, sans doute, non seulement il serait tout simple de le haïr, mais beaucoup plus naturel encore d’attenter à sa vie, par la grande raison qu’il faut que chacun ait son tour, et que si mon père a joui pendant quarante ans de la fortune du sien, et que je me vois vieillir, moi, sans jouir de la sienne, je dois assurément, et sans aucun remords, aider à la nature qui l’oublie dans ce monde, et hâter, par toutes sortes de moyens, la jouissance des droits qu’elle me donne et qu’elle ne tarde que par un caprice que je dois corriger en elle. Si l’intérêt est la mesure générale de toutes les actions de l’homme, il y a donc infiniment moins de mal à tuer son père qu’un autre individu; car les raisons personnelles que nous avons pour nous défaire de celui qui nous a donné le jour doivent toujours être plus puissantes que celles que nous avons de nous défaire d’un autre personnage. Il existe ici une autre considération métaphysique que nous ne devons pas perdre de vue: la vieillesse est la route de la mort; la nature, en vieillissant un homme, l’approche de son tombeau; celui qui tue un vieillard ne fait donc qu’accomplir ses intentions: voilà ce qui fit, chez beaucoup de peuples, une vertu du meurtre des vieillards. Inutiles à la terre qu’ils chargent de leur poids, consumant une nourriture qui manque au plus jeune, ou que celui-ci est obligé de payer plus cher à cause du trop grand nombre des consommateurs, il est démontré que leur existence est inutile, qu’elle est dangereuse, et que ce qu’on peut faire de mieux est de la supprimer. Non seulement ce n’est donc point un crime de tuer son père, mais c’est une excellente action; c’est une action méritoire envers soi-même qu’elle sert, méritoire envers la nature qu’elle décharge d’un poids onéreux, et digne d’éloge, puisqu’elle suppose un homme assez énergique, assez philosophe pour s’être préféré, lui qui peut être utile aux hommes, à ce vieillard, qui n’en était plus qu’oublié. Vous allez donc faire une excellente action, Juliette, en détruisant l’ennemi de votre amant qui, sans doute, sert l’État aussi bien qu’il puisse le faire; car s’il se permet quelques petites prévarications, Saint-Fond n’en est pas moins un fort grand ministre: il aime le sang, son joug est dur, il croit le meurtre utile au maintien de tout gouvernement. A-t-il tort? Sylla, Marius, Richelieu, Mazarin, tous les grands hommes ont-ils pensé différemment? Machiavel donna-t-il d’autres principes? N’en doutons pas; il faut du sang, surtout au soutien des gouvernements monarchiques; le trône des tyrans doit en être cimenté, et Saint-Fond est loin de faire répandre tout celui qui devrait couler!… Enfin, Juliette, vous vous conservez ici un homme qui, je le pense, vous fait jouir d’un état assez florissant; vous augmentez la fortune de celui qui fait la vôtre: je demande si vous devez balancer?

— Noirceuil, dis-je effrontément, qui vous a dit que je balançais? Un mouvement involontaire a pu m’échapper; je suis jeune, je débute dans la carrière où vous m’entraînez: quelques faibles retours doivent-ils donc étonner mes maîtres? Mais ils verront bientôt si je suis digne d’eux. Que Saint-Fond se hâte de m’envoyer son père: il est mort deux heures après son entrée chez moi. Mais, mon cher, il est trois classes de poisons dans la cassette que m’a confiée votre ami: quel est celui dont je dois me servir?

— Le plus cruel de tous, celui qui fait souffrir davantage, dit Noirceuil; c’est encore une recommandation que je suis chargé de te faire. Saint-Fond veut qu’en mourant son père soit puni des affreuses intrigues qu’il a employées pour le desservir, il veut que ses douleurs soient épouvantables.

— Je le conçois, répondis-je; dites-lui qu’il sera satisfait. Et comment la chose se passera-t-elle?

— Le voici, dit Noirceuil:

En ta qualité d’amie du ministre, tu inviteras ce vieillard à venir dîner chez toi; ton billet lui fera comprendre que c’est à dessein de tout concilier, et qu’approuvant toi-même les raisons qu’il donne pour la retraite de son fils, tu veux en causer avec lui. Le vieux Saint-Fond viendra, on l’emportera malade de chez toi, son fils se charge du reste. Voici la somme convenue pour l’exécution du crime qu’il attend: un bon de cent mille écus sur le trésor; es-tu contente, Juliette?

— Saint-Fond m’en donne autant pour une fête, dis-je en rendant le papier, dites-lui que je le servirai pour rien.

— En voilà un second de même somme, dit Noirceuil: j’étais chargé de répondre à l’objection, elle ne déplaît point à ton amant. Je veux qu’elle soit payée, et payée comme elle le désire, me dit-il tous les jours; tant qu’elle me montrera de l’intérêt et que je satisferai cet intérêt, je serai sûr de la conserver.

— Saint-Fond doit me connaître, répondis-je; j’aime l’argent, je ne m’en cache point, mais je ne lui demanderai jamais plus qu’il ne sera nécessaire. Ces six cent mille francs sont pour l’exécution du projet; j’en demande autant le jour qu’expirera son père.

— Tu les auras, Juliette, sois tranquille, c’est moi qui t’en réponds. Ô Juliette, que ta position est heureuse! Ménage-la, jouis, et tu vas, si tu sais te conduire, devenir, avant qu’il soit peu, la femme la plus riche de l’Europe: quel ami je t’ai donné là!

— Déjà dans tes principes, je ne t’en remercie pas, Noirceuil; cette liaison t’a fait plaisir, tu y gagnes toi-même, il devient flatteur pour toi d’être l’ami d’une femme dont le luxe et le crédit effacent déjà celui des princesses de la cour… Je rougirais d’aller à l’Opéra comme y parut hier la princesse de Nemours: aussi n’eut-elle pas un regard, pendant que tous les yeux étaient sur moi.

— Et jouis-tu de tout cela, Juliette?

— Infiniment, mon cher; d’abord, je roule sur l’or, ce qui est pour moi la première des jouissances.

— Mais fous-tu?

— Beaucoup; il est bien peu de nuits où ce que Paris a de mieux dans les deux sexes ne vienne m’offrir son hommage.

— Et tes crimes favoris?

— Ils vont leur train, je vole tout ce que je peux… jusqu’à un écu, comme si je mourais de faim.

— Et la vengeance?

— J’y donne le plus grand essor; la juste punition du prince de *, qui fait la nouvelle du jour, est mon unique ouvrage; cinq ou six femmes sont depuis deux mois à la Bastille, pour avoir voulu être mieux mises que moi.

Nous entrâmes ensuite dans quelques détails sur les fêtes que je donnais au ministre.

— Je ne te cacherai pas, me dit Noirceuil, que tu as l’air de te relâcher depuis quelque temps; Saint-Fond s’en est aperçu; il n’y avait pas cinquante plats au dernier souper. Ce n’est qu’en mangeant beaucoup qu’on décharge bien, poursuivit Noirceuil, et, nous autres libertins, nous tenons fort à la qualité et à la quantité du sperme. La gourmandise flatte infiniment tous les goûts qu’il a plu à la nature de nous donner, et il semble qu’on n’a jamais le vit si roide et le cœur si dur, que quand on vient de faire un repas somptueux. Je te recommande encore le choix des filles: Saint-Fond, quoique ce que tu nous donnes soit très joli, n’y trouve pas encore assez de recherches. Tu ne saurais croire à quel point il faut les porter: nous voulons que le gibier fourni soit non seulement d’une excellente race, mais qu’il possède encore toutes les qualités morales et physiques qui peuvent rendre sa défaite intéressante.

Sur cela, je fis part à Noirceuil des excellents moyens que je prenais; au lieu de six, vingt-quatre femmes travaillaient maintenant sans relâche, et elles avaient sous elles un pareil nombre de femmes correspondantes qui parcouraient les provinces; j’étais la cheville ouvrière de tout cela, et bien certainement j’y donnais tous mes soins.

— Avant que de te décider pour un sujet, me répondit Noirceuil, fût-il à trente lieues, fais-les pour le voir, et n’accepte jamais que ce qui te paraîtra délicieux.

— Ce que vous me recommandez est fort difficile, répondis-je, car le sujet est souvent enlevé avant qu’on ne m’en parle.

— Eh bien, dit Noirceuil, il faut en enlever vingt, pour en avoir dix.

— Et que ferais-je des réformés?

— Tu t’en amuses, tu les vends à tes amis… à des maquerelles; c’est ce que dans ta place on appelle le tour du bâton: il y a cent mille francs à gagner là par an.

— Oui, si Saint-Fond me payait tous les sujets, mais il n’en paye que trois par souper.

— Je l’engagerai à les payer tous.

— Il sera beaucoup mieux servi. Maintenant, Noirceuil, poursuivis-je, entrez avec moi dans quelques détails qui me sont absolument personnels. Vous connaissez ma tête: avec tant de moyens de faire le mal, vous croyez bien que je m’y livre avec outrance; ce que je conçois, ce que j’imagine déjà, ne s’exprime point; mais, mon ami, vos conseils me sont nécessaires. Saint-Fond ne sera-t-il pas jaloux de tous les écarts où je me livre?

— Jamais, me dit Noirceuil, Saint-Fond est trop raisonnable pour ne pas sentir que tu dois donner dans beaucoup de travers; cette seule idée l’amuse et il me disait encore hier: Je crains qu’elle ne soit pas assez gueuse.

— Oh! dans ce cas, qu’il se tranquillise, mon ami! assurez-le qu’il est difficile de porter plus loin le goût de tous les vices.

— J’ai quelquefois entendu demander, dit Noirceuil, si la jalousie était une manie flatteuse ou défavorable pour une femme, et j’avoue que je n’ai jamais douté que ce mouvement, n’étant que personnel, assurément les femmes n’avaient rien à gagner à l’action qu’il produit dans l’âme de leurs amants. Ce n’est point parce qu’on aime beaucoup une femme qu’on en est jaloux, c’est parce qu’on craint l’humiliation qui naîtrait de son changement; et la preuve qu’il n’y a rien que de purement égoïste dans cette passion, c’est qu’il n’y a pas un amant de bonne foi qui ne convienne aimer mieux voir sa maîtresse morte, qu’infidèle. C’est donc bien plutôt son inconstance que sa perte qui nous afflige, et c’est donc nous seuls que nous considérons dans cet événement. D’où je conclus qu’après l’impardonnable extravagance d’être amoureux d’une femme, la plus grande sans doute qu’on puisse faire est d’en être jaloux. Ce sentiment est malhonnête pour elle, puisqu’il lui prouve qu’on ne l’estime pas; il est affligeant pour soi et toujours inutile, puisque c’est un moyen sûr de donner à une femme l’envie de nous manquer que de lui laisser apercevoir la crainte que nous avons que cela ne lui arrive. La jalousie et la frayeur du cocuage sont deux choses qui tiennent absolument à nos préjugés sur la jouissance des femmes; sans cette maudite coutume de vouloir imbécilement, sur cet objet, lier sans cesse le moral au physique, nous nous débarrasserions aisément de ces préjugés. Eh quoi! il n’est pas possible de coucher avec une femme sans l’aimer, et il n’est pas possible de l’aimer sans coucher avec elle? Mais quelle nécessité y a-t-il donc que le cœur soit de la partie où le corps seul agit? Ce sont deux désirs, ce sont deux besoins très différente, ce me semble. Araminthe a le plus beau corps du monde, sa figure est voluptueuse, ses grands yeux noirs et pleins de feu me promettent une ample éjaculation de son sperme, lorsque les parois de son vagin ou de son anus seront vivement électrisées du frottement de ma verge; j’en jouis, elle tient parole. Quelle nécessité y a-t-il, je vous prie, que les sentiments de mon cœur accompagnent l’acte qui me soumet le corps de cette créature! Il me paraît, encore une fois, que c’est une chose très différente que d’aimer et que de jouir, et que non seulement il n’est pas nécessaire d’aimer pour jouir, mais qu’il suffit même de jouir pour ne pas aimer. Car les sentiments de tendresse s’accordent aux rapports d’humeur et de convenances, mais ils ne sont nullement dus à la beauté d’une gorge ou à la jolie tournure d’un cul; et ces objets-ci qui, selon nos goûts, peuvent vivement exciter les affections physiques, n’ont pourtant pas, ce me semble, le même droit aux affections morales. Pour achever ma comparaison, Bélise est laide, elle a quarante ans, pas une grâce dans toute sa personne, pas un trait régulier, pas un seul agrément; mais Bélise a de l’esprit, un caractère délicieux, un million de choses qui s’enchaînent avec mes sentiments et mes goûts: je n’aurai aucun désir de coucher avec Bélise, mais je ne l’en aimerai pas moins à la folie; je désirerai fortement avoir Araminthe, mais je la détesterai cordialement dès que la fièvre du désir sera passée, parce que je n’ai trouvé qu’un corps en elle, et nulle des qualités morales qui pouvaient lui mériter les affections de mon cœur. Il n’est d’ailleurs nullement question de tout cela ici, et dans les infidélités que Saint-Fond te laisse faire, il entre un sentiment de libertinage tout différent de l’explication qui vient de t’être donnée. Saint-Fond jouit de l’idée de te savoir dans les bras d’un autre, il t’y place lui-même, il bande en t’y voyant; tu multiplieras ses jouissances par l’extension que tu donneras aux tiennes, et tu ne seras jamais plus aimée de Saint-Fond que quand tu auras le plus fait ce qui te vaudrait la haine d’un autre. Voilà de ces écarts de tête qui ne sont connus que de nous, mais qui n’en sont pas moins délicieux pour cela.

— Vous me rassurez, dis-je à Noirceuil. Saint-Fond aimera mes goûts, mon esprit, mon caractère, et ne sera point jaloux de ma personne? Oh! comme cette idée me console; car je vous l’avoue, mon ami, la continence me serait impossible, mon tempérament veut être satisfait, à quelque prix que ce puisse être. Avec ce sang impétueux, avec cette imagination que vous me connaissez, avec la fortune immense dont je jouis, comment résisterais-je à des passions que tout irrite et que tout enflamme!

— Eh! livre-toi, Juliette, livre-toi, c’est tout ce que tu peux faire de mieux; mais, pour le reste des hommes, un peu d’hypocrisie, je t’y exhorte. Souviens-toi que l’hypocrisie est un vice essentiel, dans le monde, à celui qui a le bonheur de posséder tous les autres; avec de l’art et de la fausseté, on réussit à tout ce qu’on veut, car ce n’est point de votre vertu dont le monde a besoin, c’est seulement de pouvoir vous en supposer. Pour une couple d’occasions où cette vertu vous sera nécessaire, il y en aura trente où vous n’aurez besoin que de son masque: sachez donc le prendre, femmes débauchées, mais seulement jusqu’à l’indifférence du crime, jamais jusqu’à l’enthousiasme de la vertu, parce que le premier état laisse en paix l’amour-propre des autres et que le second l’irrite. D’ailleurs, c’est bien assez de cacher ce qu’on aime, sans être obligé de feindre ce qu’on déteste; si tous les hommes étaient vicieux de meilleure foi, l’hypocrisie ne serait pas nécessaire; mais, faussement persuadés que la vertu a des avantages, ils veulent absolument y tenir par quelque côté. Il faut faire comme eux, et, pour se les gagner, cacher tout ce qu’on peut de ses travers sous le manteau de cette vieille et ridicule idole, quitte à se venger de l’hommage forcé qu’on lui rend par des sacrifices de plus au rival. L’hypocrisie, d’ailleurs, en apprenant à tromper, facilite une infinité de crimes; on se livre à vous parce que votre air désintéressé en impose, et vous enfoncez le poignard avec d’autant moins de peine qu’on ne vous suppose pas même de le porter. Cette manière sourde et mystérieuse de satisfaire ainsi ses passions rend leur jouissance infiniment plus vive. Le cynisme a du piquant, je le sais, mais il ne vous amène pas, il ne vous assure pas les victimes comme l’hypocrisie; et puis l’effronterie, les crapuleux écarts du crime ne sont réellement bons que dans les débauches. Qui empêche l’hypocrite de s’y livrer au fond de sa maison, quand il satisfait son libertinage? Mais on avouera que, loin de là, le cynisme devient déplacé, il est du plus mauvais ton, et, en vous écartant de la société, il vous met hors d’état de jouir d’elle. Les crimes de débauche ne sont pas les seuls qui présentent des délices: il en est tout plein d’autres très intéressants, très lucratifs, que l’hypocrisie nous assure, et dont nous éloignerait le cynisme. Y avait-il au monde une créature plus fausse, plus adroite, plus scélérate que la Brinvilliers? C’était dans les hôpitaux qu’elle allait faire des épreuves de ses poisons, c’était sous le voile de la piété et de la bienfaisance qu’elle essayait avec impunité les délicieux moyens de ses crimes. Son père lui disait au lit de la mort où elle venait de le réduire par un breuvage empoisonné: « Ô ma chère fille, je ne regrette la vie que par l’impossibilité où je suis de te faire le bien que je voudrais! » Et la réponse de la fille fut une dose de plus dans le verre de tisane qu’elle administrait au bonhomme[4]. Il n’y avait pas au monde une créature plus fine, plus adroite; elle jouait la dévotion, elle allait à la moue, elle faisait des aumônes sans nombre, et tout cela pour assurer ses crimes; aussi en fit-elle longtemps sans être découverte, et peut-être ne l’eût-elle jamais été, sans son imprudence et le malheur de son amant[5]. Que cette femme te serve d’exemple, ma chère, je ne saurais t’en offrir de meilleur.

Marquis de Sade: Juliette ou les Prospérités du vice

Подняться наверх