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PREFACE

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Table des matières

PRESQUE tout ce qu’on sait de la vie de Regnier, Brossette l’a dit il y a plus d’un siècle. Je pourrais, comme d’autres l’ont fait, grouper à ma manière les renseignements qu’il nous a laissés; en les délayant convenablement, en les modifiant quelque peu, je pour rais les faire accepter aux lecteurs superficiels comme le fruit de longues et laborieuses recherches; mais les lecteurs sérieux n’y seraient pas trompés, et personne n’y gagnerait rien. Le plus sage est donc, à mon avis, de présenter ces renseignements tels qu’ils nous ont été transmis par celui qui les avait puisés aux sources.

Voici comment s’exprime Brossette:

«... Il me reste à rapporter ce que j’ai pu recueillir touchant la vie de notre poëte.

«Inutilement on chercheroit le détail de ses actions dans les Auteurs contemporains: Ils se sont contentez de louer son talent et de citer ses ouvrages, sans parler de sa personne. C’en étoit bien assez pour son temps; c’en seroit même encore assez pour le nôtre, sans une sorte de curiosité que l’on a pour savoir qui étoit l’Au teur ou le poëte dont on lit et dont on admire les ouvrages. Ainsi ce que j’en vais dire est tiré des papiers journaux de sa famille, dont on m’a communiqué des extraits.

«Mathurin Regnier naquit à Chartres le21décembre1573, et fut baptisé dans l’église paroissiale de Saint-Saturnin. Il étoit fils aîné de Jacques Regnier, bourgeois de la même ville, et de Simone Desportes, sœur de l’Abbé Desportes, fameux poëte, tous deux enfans de Philippe Desportes et de Marie Edeline. Jacques Regnier, dans son contrat de mariage passé le5de janvier1573, fut qualifié honorable homme, titre qui dans ce temps là ne se donnoit qu’aux plus notables bourgeois.

«Il eut trois enfants de ce mariage: Maturin, qui est notre Poete; Antoine, qui épousa Anne Godier; et Marie Regnier, qui fut mariée à Abdenago de la Palme, officier de la Maison du Roy.

«Antoine Regnier fut Conseiller élu dans l’élection de Chartres, et madame de Nemours (Anne d’Est), duchesse de Chartres, le gratifia de la remise du quart denier de sa charge.

«Jacques Regnier leur père, qui étoit un homme de plaisir, fit bâtir en1573, dans la place des Halles, un jeu de paume des démolitions de la citadelle de Chartres, qui lui furent données par le crédit de l’abbé Desportes son beau-frère; et comme ce Tripot a porté le nom de Tripot Regnier tant qu’il a subsisté, c’est apparemment ce qui a donné lieu de dire que Regnier le Satirique étoit fils d’un Tripotier.

«Jacques Regnier et Simone Desportes moururent de la contagion, mais non pas en même temps ni en même lieu. Le mari mourut le14de février1597à Paris, où il avoit été député pour les intérêts de la ville de Chartres, dont il étoit actuellement échevin, et fut enterré dans l’église de Saint-Hilaire. Simone Desportes sa femme, morte le28de septembre1629, fut enterrée au Cimetière de Saint-Saturnin, hors de la Ville de Chartres.

«Maturin Regnier, leur fils aîné, fut tonsuré le31 de mars1582,par Nicolas de Thou, évêque de Chartres. Quelques années après, il obtint par dévolut un canonicat dans l’Eglise de Notre-Dame de la même Ville, ayant prouvé que le résignataire de ce Bénéfice, pour avoir le temps de faire admettre sa résignation à Rome, avoit caché pendant plus de quinze jours la mort du dernier Titulaire, dans le lit duquel on avoit mis une bûche, qui fut depuis portée en terre, à la place du corps, qu’on avoit fait enterrer secrettement. Regnier prit possession de ce Canonicat le30de juillet1604.

«Il eut encore d’autres Bénefices, et une pension de deux mille livres sur l’Abbaye des Vaux-de-Cernay, après la mort de l’Abbé Desportes, qui en étoit revêtu.

«La tradition à Chartres est que Regnier, dès sa première jeunesse, marqua son inclination à la satire. Les vers qu’il faisoit contre divers particuliers obligèrent son père à l’en châtier plus d’une fois, en lui recommandant de ne point écrire, ou du moins d’imiter son oncle, et de fuir la médisance.

«Le déréglement dans lequel il vécut ne le laissa pas jouir d’une longue vie. Il mourut à Rouen, dans sa quarantième année, le22d’octobre1613, en l’hôtellerie de l’Ecu d’Orléans, où il étoit logé. Ses entrailles furent portées en l’Eglise paroissiale de Sainte-Marie de Rouen, et son corps, ayant été mis dans un cercueil de plomb, fut transporté à l’abbaye de Royaumont, lieu qu’il aimoit beaucoup, et où il voulut être en terré.»

La biographie d’un grand homme ne consiste pas précisément dans le récit de sa naissance et de ses funérailles; mais deux choses doivent nous rendre indulgents pour Brossette: l’une, c’est que nous ne sommes guère en état nous-mêmes de combler la lacune qu’il a laissée dans la vie de Regnier; l’autre, c’est le parti que nous pouvons tirer du peu de renseignements qu’il nous a transmis.

Regnier appartenait à une famille considérable de la bourgeoisie. Il était neveu de Philippe Desportes, le poëte le mieux renté du temps. Son père rêva dès le premier jour pour le jeune Mathurin la fortune de l’abbé de Tiron, et le fit tonsurer à l’âge de onze ans. Si plus tard il cherche à le détourner du culte des muses, c’est que «l’homme de plaisir» veut la fin sans les moyens. Regnier, tout poëte qu’il était, fut plus conséquent. Comptant sur la protection de son oncle, il comprit qu’il devait suivre la même voie que lui, et s’adonna à la culture des lettres. Dans sa position, un homme vulgaire eût probablement bien fait son chemin. Re gnier ne réussit pas. A vingt ans, affolé par la pauvreté, se voyant méprisé du peuple et des grands, il cherche un protecteur. Il part pour Rome à la suite du cardinal de Joyeuse; il y passe huit ans, puis, après un court séjour en France, il y retourne à la suite du duc de Bé thune. Deux ans après, il était de retour à Paris, aussi pauvre, aussi mécontent qu’avant son départ. Le diplo. mate n’avait pas mieux réussi que le poëte.

Rentré en France, Regnier s’attacha à son oncle Des portes, qui l’aimait beaucoup, assure-t-on, mais dont la tendresse, toutefois, ne paraît pas avoir été fort active. Il ne fit rien obtenir à son neveu, et ne lui laissa rien par son testament. Peut être croyait-il, comme on l’a conjecturé, qu’un homme d’un tel mérite ne pouvait manquer d’être bientôt largement pourvu.

Dans la maison de son oncle, qui avait su « rimer une bonne table» et recevait beaucoup de monde, Re gnier se lia plus ou moins avec les beaux-esprits du temps, de même qu’il y trouva, grâce à son humeur satirique et à son admiration un peu trop enthousiaste pour le talent et la brillante position de Desportes, l’occasion de se mettre quelques mauvaises affaires sur les bras. Tallemant en rapporte trois.

«Desportes, dit-il, estoit en si grande réputation, que tout le monde luy apportoit des ouvrages, pour en avoir son sentiment. Un advocat luy apporta un jour un gros poème qu’il donna à lire à Regnier, afin de se deslivrer de cette fatigue; en un endroit, cet advocat. disoit:

Je bride icy mon Apollon.

Regnier escrivit à la marge:

Faut avoir le cerveau bien vide

Pour brider des Muses le Roy;

Les Dieux ne portent point de bride,

Mais bien les asnes comme toy.

«Cet advocat vint à quelque temps de là, et Des Portes luy rendit son livre, après luy avoir dit qu’il y avoit de bien belles choses. L’advocat revint le lendemain, tout bouffy de colère, et, luy montrant ce quatrain, luy dit qu’on ne se mocquoit pas ainsy des gens. Des Portes reconnoist l’escriture de Regnier, et il fut contraint davouer à l’advocat comme la chose s’estoit passée, et le pria de ne luy point imputer l’extravagance de son nepveu.»

On a raconté bien des fois la querelle de Regnier avec Malherbe. Voici comment la rapporte Tallemant (I, 274): «Sa conversation (de Malherbe) estoit brusque: il parloit peu, mais il ne disoit mot qui ne portast. Quelquefois mesme il estoit rustre et incivil, tesmoin ce qu’il fit à Desportes. Regnier l’avoit mené disner chez son oncle; ils trouvèrent qu’on avoit desjà servy. Desportes le receut avec toute la civilité imaginable, et luy dit qu’il luy vouloit donner un exemplaire de ses Pseaumes, qu’il venoit de faire imprimer. En disant cela, il se met en devoir de monter à son cabinet pour l’aller querir. Malherbe luy dit rustiquement qu’il les avoit desja veues, que cela ne meritoit pas qu’il prist la peine de remonter, et que son potage valloit mieux que ses Pseaumes. Il ne laissa pas de disner. mais sans dire mot, et après disner ils se separerent et ne se sont pas veus depuis. Cela le brouilla avec tous les amys de Desportes, et Regnier, qui estoit son amy, et qu’il estimoit pour le genre satyrique à l’esgal des anciens, fit une satyre contre luy qui commence ainsi:

«Rapin. le favory, etc.»

M. James de Rothschild ne trouve pas dans cette grossièreté de Mal-herbe une explication suffisante de sa rupture avec Regnier. «S’il est vrai, dit-il avec raison, que cette malencontreuse boutade ait eu réellement quelque influence sur la rupture des deux poëtes, l’on conviendra du moins qu’elle en a été plutôt l’occasion que la cause. La véritable raison de la querelle, je la trouve, non pas dans une insulte particulière, mais dans l’opposition, je dirai même dans l’incompatibilité de nature et de talent des deux poëtes. Une amitié établie entre deux esprits si différents ne pouvait être ni solide ni durable. «Les qualités et les défauts de Regnier, dit «M. Sainte-Beuve, étaient tout l’opposé des défauts et des qualités de Malherbe.» Rien de plus vrai. La richesse de l’expression, quelquefois même surabondante, la hardiesse des images et des prosopopées de Regnier, faisaient un étrange contraste avec cette froide et sèche correction, cette réserve exagérée qu’affectait Malherbe dans tout ce qu’il écrivait. Regnier, poëte joyeux, doué d’une facilité de composition surprenante, mais profondément insouciant, livrant au public ses vers tels qu’ils sortaient de sa plume, sans les retoucher jamais, ressemblait peu à ce scrupuleux versificateur qui limait et relimait pendant trois ans la même pièce, pesant chaque substantif, étudiant chaque épithète; «ce tyran des mots et des syllabes,» comme l’appelle spirituellement le vieux Balzac, «qui traitait l’affaire des participes et des gérondifs comme si c’était celle de deux peuples voisins et jaloux de leurs frontières; qui dogmatisait jusqu’au dernier moment de l’usage et la vertu des particules, gourmandant sa garde sur les solécismes qu’elle commettait, et que la mort devait surprendre délibérant si erreur et doute sont masculins ou féminins.» J’ajouterai que Regnier, disciple et admirateur de Ronsard et de Du Bellay, souffrait de voir ces dieux naguère adorés de tous, maintenant brisés et traînés dans la boue. Nourri de la lecture de ces maîtres, professant pour leurs théories un culte véritable, Mathurin Regnier s’emporta contre l’audacieux novateur qui voulait restreindre la littérature en des limites si étroites, et réduire la poésie, cet élan de l’âme vers l’idéal, à un simple jeu de patience; il écrivit la IXe, Satire.»

C’est peut-être à cette querelle qu’il faut rattacher le duel de Regnier avec Maynard, le disciple aimé de Malherbe, raconté par Tallemant (VII, 409), dans les termes suivants: «... Voicy un duel un peu moins sanglant: Regnier le satirique, mal satisfait de Maynard, le vient appeler en duel qu’il estoit encore au lit; Maynard en fut si surpris et si esperdu qu’il ne pouvoit trouver par où mettre son haut de chausses. Il a avoué depuis qu’il fut trois heures à s’habiller. Durant ce temps-là, Maynard avertit le comte de Clermont-Lodeve de les venir séparer quand ils seroient sur le pré. Les voylà au rendez-vous. Le comte s’estoit caché. Maynard allongeoit tant qu’il pouvoit; tantost il soustenoit qu’une espée estoit plus courte que l’autre; il fut une heure à tirer ses bottes; les chaussons estoient trop estroits. Le comte rioit comme un fou. Enfin le comte paroist. Maynard pourtant ne put dissimuler: il dit à Regnier qu’il luy demandoit pardon; mais au comte il luy fit des reproches, et luy dit que pour peu qu’ils eussent esté gens de cœur, ils eussent eu le loisir de se couper cent fois la gorge.»

Ici tout l’avantage est du côté de Regnier. Il n’en est pas de même de son combat avec Berthelot, dont la relation, attribuée à Sigognes, se trouve à la fin de ce volume. Le sujet de la querelle des deux satiriques n’est pas connu. Ce qu’il y a de certain, c’est que cette pièce, intéressante en ce qu’elle donne sur la personne de Regnier des renseignements qu’on ne trouve pas ailleurs, est postérieure à la mort de Desportes, puisqu’elle re proche à Regnier la pension qu’il tient de la cour.

Cette pièce présente notre poëte comme un homme de grande taille et fortement constitué. Regnier lui même parle en plus d’un endroit de la fougue de son tempérament. S’il nous dit quelque part qu’il est mélancolique, que sa façon est rustique, qu’il n’a même pas l’esprit d’être méchant, il ne faut pas le prendre au mot. Il n’était pas ennemi de l’élégance; il portait volontiers satin, velours et taffetas, et il ne laissait pas d’être un joyeux compagnon. Ce qui lui manqua pour réussir dans le monde, c’est la souplesse, et peut-être un peu d’hypocrisie, à défaut d’une conduite régulière.

Regnier mourut trop tôt. Il mourut au moment où sa pension de deux mille livres, son canonicat de Chartres et trois ou quatre éditions de ses satyres avaient plus que réalisé son modeste rêve:

Un simple bénéfice et quelque peu de nom.

Il mourut au moment où l’avenir lui souriait, où le roi le pensionnait, où le comte de Cramail et le marquis de Cœuvres le protégeaient, où l’abbé de Royaumont l’accueillait familièrement; au moment où les passions qu’expliquent, sans les justifier, sa puissante constitution, son tempérament ardent, commençaient à se calmer; au moment où ce feu qu’il n’avait pas toujours su maîtriser allait passer tout entier dans ses oeuvres; il mourut au moment où son talent venait d’atteindre son complet développement. Lisez les premières satyres de Régnier, puis lisez Macette, et com parez.

Regnier mourut en1613: Macette est de1612!

Il serait intéressant de ranger les œuvres de Regnier dans l’ordre chronologique, pour se rendre un compte exact de ses progrès. Je l’ai tenté sans grand succès.

J’ai dit que Regnier avait été attiré vers le culte de la poésie par l’exemple de la fortune de son oncle. Mais quelque chose de plus puissant décida de sa vocation. C’est ce qu’il appelle son ver-coquin. Regnier était certainement né poète; mais il n’atteignit pas à la perfection du premier coup. Il commença de bonne heure à faire des vers, et la première de ses pièces qui lui ait paru digne de voir le jour fut composée lorsqu’il avait près de trente ans. C’est la satire VI, qui est loin d’être un chef-d’œuvre. Elle est mal conçue et mal conduite, et ce qu’on y trouve de bien est imité des Capitoli du Mauro. Ce n’est que dans les pièces composées après son retour à Paris qu’on voit sa personnalité se dégager peu à peu, son plan se dessiner, sa marche s’assurer, son vers s’éclairer et s’affermir.

Ce que voulait Regnier, c’était faire de la satire à la façon antique. Il se proposait pour modèles Horace et surtout Juvénal. Mais il n’avait pas lu les anciens seulement: outre les poètes italiens, outre Ronsard et la pléiade, il avait lu quelques vieux auteurs français qui devaient faire une vive impression sur son esprit, un esprit de la nature du leur. Il possédait à fond Marot, Rabelais, Villon, le Roman de la Rose. On s’en aperçoit à chaque instant; en lisant ses œuvres.

N’exagérons pas, cependant: on a voulu faire un crime à Regnier de ses emprunts. Cela n’est peut-être ni juste, ni bien entendu, ni prudent.

Cela peut n’être pas juste, car, au dix-septième siècle, il y avait des poètes fort estimables qui s’ingéniaient à faire entrer sournoisement dans leurs oeuvres, ici un vers d’Horace, là un hémistiche de Virgile, pour donner à des critiques non moins estimables le plaisir de décou vrir ces heureuses intercalations et de louer l’adresse merveilleuse de l’ouvrier qui en était l’auteur. C’étaient jeux d’honnêtes gens, et si Brossette a blâmé chez Regnier ce qu’il avait approuvé chez Boileau, je ne crois pas pour cela que Regnier ait songé à s’approprier le bien d’autrui.

Cela peut n’être pas bien entendu, car nous sommes naturellement les héritiers de ceux qui nous ont précédés: dès lors nous ne devons pas blâmer ceux qui nous transmettent, même après s’en être servis, mais surtout s’ils l’ont amélioré, ce qu’ils ont trouvé de bon dans l’héritage de leurs prédécesseurs. Emprunter à la manière de Virgile, de Regnier ou de Molière, c’est faire acte de bon père de famille. Molière, lorsqu’il écrivit le Tartuffe, connaissait la Lena des Amours d’Ovide; mais il ne connaissait peut-être ni le Roman de la Rose, ni le Discours de Charles de L’Espine, sans parler des autres sources où Regnier peut avoir puisé, et le Tàrtuffe ne serait pas ce qu’il est si Molière n’avait eu la Macette sous les yeux.

Enfin, cela peut n’être pas prudent. Que Brossette se soit donné le plaisir de signaler les emprunts de Regnier, c’est bien; mais celui qui, maintenant, vient dénoncer ces emprunts, celui-là ne doit-il rien à personne? N’a-t-il pas un peu... imité Brossette?

Il est facile, d’ailleurs, de démontrer que ces emprunts qu’on reproche à Regnier n’ont pas la gravité qu’on leur prête. M. James de Rothschild, dans son Essai sur les Satires de Mathurin Regnier1, l’a fait dans de très-bons termes, et je ne puis mieux faire que de le citer.

«Selon moi, Regnier est parfaitement original, aussi original du moins que peut l’être un satirique, l’homme qui s’attache à peindre des ridicules et des vices qui sont et demeureront les mêmes partout et toujours.

«Imbu fortement de la lecture d’Horace, de Juvénal et de Perse, avec cette facilité qu’ont les hommes de génie de s’assimiler les grandes idées, il a souvent transporté dans ses poésies quelques traits des satiriques latins; mais ces imitations, le poëte ne les a point faites à dessein. Quand Regnier écrivait:

Puis souvent la colère engendre de bons vers,

peut-être songeait-il au facit indignatio versum de Juvénal; mais certainement il ne cherchait pas à traduire les vers du satirique. L’on n’a pas seulement reproché à Regnier d’avoir emprunté aux Latins quelques idées générales, quelques pensées saillantes. Certains critiques l’accusent d’avoir pris aux Anciens des caractères. Que Regnier ait songé à l’importun d’Horace quand il a composé son Fâcheux, et que la Lena des Amours d’Ovide soit le prototype de sa Macette, cela me parait incontestable. Mais ces caractères si vraiment romains, comme il les a transformés, comme il les a rajeunis! C’étaient des Romains du temps d’Auguste; ce sont des Parisiens du XVIe siècle. «Il les a dépouillés, «comme l’a très-bien dit M. Sainte-Beuve, des habitudes antiques, et, pour ainsi dire, de la tunique romaine, pour les revêtir des mœurs et du pourpoint «de son temps.»...

Regnier, en effet, n’était pas un de ces faiseurs de marqueteries dont j’ai parlé tout à l’heure. Ennemi du travail, un peu trop même, il n’aurait pu s’astreindre à la longue élaboration d’une de ces œuvres où la patience fait beaucoup plus que le génie. Il agissait, il vi vait, il observait, et, lorsqu’un sujet était mûr, bien vivant dans son esprit, il le produisait d’un seul jet. Inspiration, observation, réminiscences, tout se mêlait, se fondait, et l’œuvre apparaissait belle et grande, même alors que des scories la voilaient par endroits.

On a souvent fait à Regnier un reproche qui paraît grave au premier abord. Tout le monde connaît les vers de Boileau et leur fameuse variante. Le législateur du Parnasse, averti à temps, évita l’écueil dans lequel il reprochait à Regnier d’être tombé. Mais un de ses devanciers, Du Lorens, avait été moins heureux. Dans la satire XXIII, édition de1646, p.180, il dit naïvement:

Si mon siècle m’approuve habile cuisinier,

J’ay rencontré son goût en suite de Renier,

Qui coule aussi bourbeux que le père Lucile ;

Mais pour le reformer je ne suis pas concile.

Prenant la chose au pis, quand il seroit parfait,

Il ne me feroyt pas hayr ce que j’ay fait.

Si parfois neantmoins je croyois mon courage,

Par depit ou degoust je chirois sur l’ouvrage.

Cette façon de critiquer les licences de Regnier, trente ans après sa mort, n’est-elle pas suffisante pour le justifier? Regnier écrivait comme on écrivait de son temps. Mais si son expression n’est pas toujours chaste, il peint le vice de couleurs qui ne sont assurément pas faites pour le rendre attrayant.

Les œuvres de Regnier ont été imprimées un grand nombre de fois. Les éditions les plus importantes sont:

Io Les quatre éditions originales faites à Paris par Anthoine du Brueil, 1608, in-4o, 1609, 1612et1613, in-8. La première contient la Dédicace au Roi, l’Ode de Motin, dix satires (les neuf premières et la douzième) et le Discours au Roy. Dans la seconde, on trouve deux sa tires de plus, la dixième et la onzième; la troisième édition contient en outre la treizième satire, Macette, le chef-d’œuvre de l’auteur. Dans la quatrième, on trouve toutes les pièces qui forment la première partie de mon édition, de la page1à la page164.

2o Les satyres et autres œuvres folastres du sieur Re gnier. Derniere edition, revue, corrigée et augmentée de plusieurs pièces de pareille estoffe, tant a es sieurs de Sigogne, Motin, Touvent et Bertelot, qu’autres des plus beaux esprits de ce temps. Paris, Samuel Thiboust, 1616, in-8.

Volume de198feuillets chiffrés, plus quatre ff. liminaires et un pour le privilége, accordé à Anthoine Du Brueil le23septembre1616. Il a été réimprimé page pour page sous la date de1617, avec une suite de20feuillets chiffrés très-irrégulièrement, et dont le dernier est coté233. Le volume se termine par le privilége de1616. J’ai sous les yeux un exemplaire de1617au nom d’Anthoine Estoc, et un autre au nom de Pierre Chevalier. Il doit en exister sous les deux dates avec le nom d’Anthoine Du Brueil.

Dans ces éditions de1616-1617, les œuvres de-Regnier comprises dans l’édition de1613finissent au fol. 100ro. Les pièces ajoutées commencent au verso du même feuillet, par ce titre: DIVERS ÉPIGRAMMES. Sauf l’Adieu de Bertelot et l’Escume des œuvres poétiques du sieur de B., toutes les pièces de cette suite sont anonymes. Regnier est-il l’auteur d’un plus ou moins grand nombre d’entre elles? Ses éditeurs ont pu le croire, et ils en ont joint plusieurs à ses œuvres.

3o Les satyres et autres œuvres du sieur Regnier. Selon la copie imprimée à Paris (Leyde, Elsevier), 1642, petit in-12.

Cette édition contient deux pièces de plus que celle de1613.

4o Les satyres... augmentées de diverses pièces cy-devant non imprimées. Leiden, J. et D. Elsevier, 1652, petit in12.

Cette édition contient onze pièces tirées du Cabinet satyrique qu’on n’avait pas encore jointes aux œuvres de Regnier.

5o Satyres et autres œuvres de Regnier, accompagnées de remarques historiques (de Cl. Brossette), nouvelle édition considérablement augmentée. Londres, Tonson, 1733, in-4.

Cette édition est augmentée de diverses pièces tirées presque toutes du Cabinet satyrique, où elles sont attri buées à Regnier. On y a joint un choix de poésies de Motin, Berthelot, etc.

6o Œuvres de Regnier, avec les Commentaires revus et corrigés, etc., par M. Viollet le Duc. Paris, Desoer, 1822, in-18.

Cette édition, qui a été reproduite en1853dans la Bibliothèque elzevirienne, contient trois pièces du Cabinet satyrique, réunies pour la première fois aux œuvres de Regnier.

7oŒuvres complètes de Regnier, avec le Commentaire de Brossette, des notes littéraires, etc., par M. Prosper Poitevin. Paris, Delahays, 1860, in-16.

M.P. Poitevin a fait entrer dans son édition sept épi grammes tirées de l’édition de1616, et l’Esloignement de la Cour, pièce qui porte partout le nom de Berthelot, et dans laquelle l’auteur se nomme plusieurs fois lui-même.

8oŒuvres de Mathurin Regnier, augmentées de trente-deux pièces inédites, avec des notes et une introduction, par M. Edouard de Barthélémy. Paris, Poulet-Malassis, 1862, in-18.

Les trente-deux morceaux inédits sont tirés d’un manuscrit de la seconde moitié du XVIIe siècle, conservé à la Bibliothèque Impériale, no12491fonds français. Ils sont presque tous pitoyables, dans la forme comme pour le fond. Quelques-uns portent en eux-mêmes la preuve qu’ils ne sont pas de Regnier. Deux cependant paraissent lui appartenir, les vers pour Monsieur le Dauphin (page195de mon édition) et la pièce qui commence ainsi: Encor que ton œil soit esteint (page 374de l’édition E. de B.).

9o Œuvres de Regnier. Edition Louis Lacour. Paris, Académie des Bibliophiles, 1867, in-8.

Cette édition, au-dessus de tout éloge sous le rapport typographique, est en outre une bonne édition. Au texte de1613, qu’elle reproduit un peu trop scrupuleusement peut-être, on a joint les variantes des éditions précédentes, et ce qu’il y a de meilleur parmi les pièces recueillies par les divers éditeurs de Regnier.

En somme, l’œuvre authentique de Regnier ne se compose guère que des pièces qui figurent dans l’édition de1613. Mais il est presque certain que plusieurs de celles qu’on lui attribue sont réellement de lui. Regnier ne paraît pas s’être beaucoup préoccupé du soin de présenter ses œuvres au public. Les éditions successives qui en ont été faites de son vivant deviennent plus fautives à mesure qu’elles se multiplient, et ne présentent pas une variante, pas une correction d’auteur. Il est probable qu’il ne se souciait pas plus de ses pièces inédites que de celles qu’il avait publiées.

Le grand hazard d’estre cocu les fasche;

Si je le suis et que point ne le sçache,

Innocent suis; or tous les innocens

Seront sauvés, y en eust-il cinq cinq cens.

Si malgré moy je puis voir et sentir

Que l’on me fait cocu, je suis martir;

Les bons martirs, si l’on croit /’ Ecriture,

Iront en gloire, et moy donc par droiture.

Regarde donc si je ne suis pas sage

D’ avoir au ciel assigné mon partage.

Que fusses-tu, pour le bien qu’il me semble,

Bien marié et cocu tout ensemble.

J’ai rapporté cette pièee en entier, parce que c’est une des meilleures; mais ce n’est pas là du Regnier.

Il dut en circuler un certain nombre, et celles qu’on lui attribue dans des recueils manuscrits ou imprimés à peu près contemporains sont probablement sorties de sa plume. Ajoutons que certaines de ces pièces ne pouvaient absolument pas être avouées, même par Regnier.

On comprend combien il est difficile de déterminer quelles sont, dans les pièces attribuées à Regnier, celles qui lui appartiennent. C’est une affaire de sentiment et de goût, pour laquelle j’aime mieux m’en rapporter au lecteur qu’à moi-même. J’ai donc pris le seul parti que j’avais à prendre: Je donne toutes les pièces recueillies par les précédents éditeurs, et même un peu plus On trouvera dans les notes l’indication des sources.

J’aurais pu donner quelques morceaux encore qui me paraissent être très-certainement de Regnier. J’ai cru devoir m’en abstenir par respect pour le lecteur. J’ai laissé trois pièces dans les Délices satyriques, où M. Ed. Tricotel les a découvertes, et une ode inédite, pleine d’une verve endiablée, dans le manuscrit884 fonds français, à la Bibliothèque impériale.

J’ai reproduit le Combat de Regnier et de Bertelot, qu’on attribue à Sigognes, pour les raisons que j’ai déjà fait connaître. Mais j’ai dû laisser de côté deux pièces dédiées à Regnier. L’une se trouve dans l’édition de ses Œuvres, 1616, fol. 150vo, et l’autre dans les Délices satyriques, p.411-417.

Pour les pièces publiées du vivant de Regnier, j’ai suivi l’édition de1613, mais en prenant le texte des éditions précédentes lorsqu’il m’a paru meilleur. Dans ce cas, j’ai indiqué dans les Variantes la leçon de1613.

Pour les pièces posthumes ou apocryphes, j’ai suivi le texte le plus ancien; mais j’ai cru pouvoir me dispenser d’indiquer les variantes.

Le Glossaire-Index qui termine le volume pourrait être plus long. Pour les noms de personnes et de lieux, il était inutile de répéter ce que tout le monde sait, ce qu’on trouve partout. Pour le Glossaire proprement dit, je n’ai pas cru devoir y faire entrer les mots vieillis, les termes de fauconnerie, de manége, etc., qui ne sont pas familiers à tout le monde, il est vrai, mais qu’on trouve dans le Dictionnaire de l’Académie. Je me suis borné à expliquer les mots qui ne figurent pas dans ce code de notre langue, ou qui n’y figurent pas avec le sens que leur donne Regnier.

P.J.

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