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ODE A REGNIER
SUR SES SATYRES

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Table des matières

QUI de nous se pourroit vanter

De n’estre point en servitude,

Si l’heur, le courage et l’estude

Ne nous en sçauroient exempter?

Si chacun languit abbatu,

Serf de l’espoir qui l’importune,

Et si mesme on voit la vertu

Estre esclave de la fortune?

L’un aux plus grands se rend suject,

Les grands le sont à la contrainte,

L’autre aux douleurs, l’autre à la crainte,

Et l’autre à l’amoureux object.

Le monde est en captivité;

Nous sommes tous serfs de nature,

Ou, vifs, de notre volupté,

Ou, morts, de notre sepulture.

Mais en ce temps de fiction,

Et que ses humeurs on desguise,

Temps où la servile feintise

Se fait nommer discretion,

Chacun faisant le reservé,

Et de son plaisir son idole,

REGNIER, tu t’es bien conservé

La liberté de la parole.

Ta libre et veritable voix

Monstre si bien l’erreur des hommes,

Le vice du temps où nous sommes

Et le mespris qu’on fait des loix,

Que ceux qu’il te plaist de toucher

Des poignans traicts de ta satyre,

S’ils n’avoient honte de pecher,

En auroient de te l’ouyr dire.

Pleust à Dieu que tes vers si doux,

Contraires à ceux de Tyrtée,

Fleschissent l’audace indomptée

Qui met nos guerriers en courroux,

Alors que la jeune chaleur

Ardents au duel les fait estre,

Exposant leur forte valeur

Dont ils devroient servir leur maistre!

Flatte leurs cœurs trop valeureux,

Et d’autres desseins leurs imprimes;

Laisses là les faiseurs de rimes,

Qui ne sont jamais mal heureux

Sinon quand leur témérité

Se feint un merite si rare,

Que leur espoir precipité

A la fin devient un Icare.

Si l’un d’eux te vouloit blasmer,

Par coustume ou par ignorance,

Ce ne seroit qu’en esperance

De s’en faire plus estimer;

Mais alors, d’un vers menassant,

Tu lui ferois voir que ta plume

Est celle d’un aigle puissant,

Qui celles des autres consume.

Romprois-tu pour eux l’union

De la muse et de ton genie,

Asservy sous la tyrannie

De leur commune opinion?

Croy plustost que jamais les Cieux

Ne regardèrent, favorables,

L’envie, et que les envieux

Sont tousjours les plus miserables.

N’escry point pour un foible honneur;

Tasche seulement de te plaire.

On est moins prisé du vulgaire

Par merite que par bon-heur.

Mais garde que le jugement

D’un insolent te face blesme,

Ou tu deviendras, autrement,

Le propre tyran de toy-mesme.

REGNIER, la louange n’est rien:

Des faveurs elle a sa naissance;

N’estant point en nostre puissance,

Je ne la puis nommer un bien.

Fuy donc la gloire qui deçoit

La vaine et credule personne,

Et n’est pas à qui la reçoit:

Elle est à celuy qui la donne.

MOTIN.

Difficile est Satyram non scribere.

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