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A PROPOS DE MARIA CHAPDELAINE

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Maria Chapdelaine? Un roman du Canada français écrit par un Français de France. Ce livre est de chez nous, par plus d’un côté, s’il ne l’est pas tout à fait par d’autres. Et puis il nous offre un modèle de style. Il a sa place en notre recueil, où lui tiendront bientôt compagnie quelques romans qu’il a inspirés.

Monsieur François Veuillot, qui s’y connaît en livres et qui nous aime jusque dans nos défauts, a publié à Québec même[3] une solide défense de Maria Chapdelaine. Nous ne lui ferons pas l’injure de croire qu’il est habile, car la manière de cet écrivain si distingué ne s’inspire pas de petits procédés. M. François Veuillot, comme son oncle illustre, tire toute la vigueur probante de son style de la vérité bien dite: il y ajoute seulement les nuances d’un tact exquis qui tempère ce que la vérité a parfois de trop vif.

Ne brûlons pas à M. Veuillot la politesse. Il admet avec nous «les erreurs et les faiblesses» de l’œuvre de Hémon; ayons au moins la droiture d’en reconnaître avec lui les qualités.

On a groupé sous trois chefs les principales accusations contre Maria Chapdelaine. Ce n’est point notre intention de procéder suivant cet ordre. Nous nous contentons d’ajouter au débat quelques rapides considérations dont personne ne doit s’offenser et qui nous sont venues à la lecture des diverses critiques parues depuis un an.

Louis Hémon a fait mouvoir des personnages rudes et francs, graves et religieux, dans une nature sauvage très exactement et très admirablement décrite (souvenons-nous, par exemple, de la mélancolique brièveté de l’été péribonkais), et c’est notre «erreur» canadienne de chercher, à toute force, en ce livre ce que l’auteur n’a pas voulu y mettre. Car Maria Chapdelaine, tant pour les mœurs que pour le climat et le paysage, ne pouvait être qu’une peinture incomplète du Canada français. En effet, notre pays de Québec, l’une des neuf provinces de la Confédération, s’étend sur une surface de 703,653 milles carrés qui pourrait commodément loger à elle seule ce qu’on appelle l’Europe latine: la France, l’Espagne et l’Italie, auxquelles on adjoindrait l’Allemagne d’avant-guerre, moins toutefois 17,623 milles carrés, ce qui n’est pour nous qu’une bagatelle! Personne ne niera que notre territoire est trop vaste et que nos travaux y sont nécessairement trop variés, quoique nous n’y comptions que deux millions et demi d’âmes, pour que ce qui se passe en Péribonka soit l’image fidèle de l’ensemble. Afin de mettre le sujet plus au point, rappelons-nous aussi que, «à bien dire, seules les rives du Saint-Laurent, de la Baie-des-Chaleurs et de la rivière Ottawa ont une population vivant à l’état de communauté,» et que «l’extrême limite habitée au nord est le comté de Lac-Saint-Jean et l’Abitibi.»[4] C’est à la limite habitée du comté de Lac-Saint-Jean que Hémon a situé son roman; nous serions puérils de lui en chercher noise. A entendre certains censeurs, pour plaire à chacun il aurait fallu que Louis Hémon indiquât ces choses en détail ou qu’il écrivît une série de récits du Canada français ... Il y a bien, en effet, chez nous, outre le colon, le cultivateur des vieilles paroisses, le villageois avec ses métiers intéressants, le bourgeois, le marchand, le financier, et tous ceux qui peuplent nos agglomérations urbaines telles que Montréal (760,000 âmes),[5] Québec (116,850 âmes),[6] etc.[7] Mais l’auteur de Maria Chapdelaine est disparu trop tôt, s’il a jamais rêvé d’élargir de la sorte son tableau. Il est plus sensé de croire que Louis Hémon a voulu faire une sorte de belle grisaille d’un fragment caractéristique de notre vie. Libre à nous de parachever l’œuvre par d’autres peintures et de donner de notre cher Canada français une fresque brillante où se distinguent les mille aspects de chez nous. Hémon ne nous a pas moins montré l’art de voir autour de nous les choses simples et celui de les exprimer; et même, par quelques inexactitudes d’observation auxquelles nous sommes très sensibles, ne nous a-t-il pas, par surcroît, mis en garde contre certaines généralisations trop faciles?

C’est une constatation singulière que, malgré les reproches formulés contre le fond de l’ouvrage, on en arrive cependant à ranger, au cours de la discussion et par un étonnant circuit, Louis Hémon entre Philippe-Aubert de Gaspé et Antoine Gérin-Lajoie, pour le fond même, et au-dessus de tous pour la perfection de la forme. Voilà de quelle façon ce Français est entré dans la littérature canadienne, comme Champlain, comme les annalistes jésuites, sans le savoir—et peut-être sans que nous voulions toujours en convenir, ce qui ne serait pas très honorable de notre part. Hémon, il est vrai, ne nous a point révélés à nous-mêmes: il nous a indiqué le parti littéraire que nous pouvions tirer de nous-mêmes. Il ne nous a pas davantage révélés aux Français de France: il a attiré leur attention sur une facette du Canada français. Quand débarrasserons-nous de sa gangue le diamant tout entier pour le faire étinceler dans le miracle de sa gloire? C’est précisément quelques-unes de ces facettes que tâchent de polir nos jeunes auteurs. Avec quel bonheur nous leur souhaitons de réussir, d’abord parce qu’ils le méritent, et ensuite afin que, par ce succès, l’élan soit donné à tous et la hardiesse de chacun récompensée! Mais avouons que nous avons été envers Hémon d’une absolue exigence et que, si nous demandons à nos écrivains nationaux le quart de ce que nous réclamons de celui-ci, nous leur imposerons l’impossible et nous tuerons du coup une littérature qui a, ce nous semble, déjà assez de peine à vivre.

Un fait est certain. Tandis que nous nous crevons les yeux à chercher à la loupe des imperfections en Maria Chapdelaine, cette œuvre demeure, plus noble et plus appréciée de ceux qui ne sont point myopes. Du haut de l’Olympe littéraire, Hémon doit s’amuser de notre querelle, et, se frottant les mains, s’écrier que ce charivari autour de son nom lui vaut une fameuse presse! Mais il faut bien quand même appliquer à Maria Chapdelaine une parole amère des Goncourt: «Un livre n’est pas un chef-d’œuvre: il le devient; le génie est le talent d’un homme mort.»[8] Car quelques-uns chez nous paraissent ne pas être encore assez sûrs qu’à Chapleau, en terre ontarienne, doit à jamais un Français qui a parlé avec un sentiment extraordinaire du Canada. Que M. François Veuillot et ceux qui nous témoignent comme lui de l’affection sachent du moins que, si profondément émus que nous soyons à l’idée que Louis Hémon ne nous enchantera plus d’œuvres nouvelles, nous voulons nous consoler en retrouvant en Maria Chapdelaine tout ce qu’un art sincère et qui s’est rarement égaré a pu nous laisser de meilleur et de plus grand.

[3] L’Action Catholique, 9 et 10 août 1922.

[4] L’Annuaire Statistique de Québec, année 1921, page 28.

[5] Les statistiques municipales de 1919.

[6] Les statistiques municipales de 1919.

[7] On sait que la population de Montréal est maintenant de 1,028,000 âmes et celle de Québec de 131,000 âmes, d’après les derniers recensements municipaux (1927).

[8] Rapprocher de ceci le vers suivant:

Maintenant, le génie est le talent des morts.

Maurice Rostand, le Phénix.

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