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À L’OMBRE DES ÉRABLES[9] QUELQUES RÉFLEXIONS AU SUJET D’UN LIVRE DE M. L’ABBÉ CAMILLE ROY
ОглавлениеSous un titre qui est en même temps une ingénieuse allégorie, et si agréablement expliquée dans une modeste préface qu’il faut relire, M. l’abbé Camille Roy[10] a récemment publié un nouveau volume de critique littéraire. Pamphile LeMay, Mgr Th.-E. Hamel, Napoléon Legendre, Raphaël Gervais, Mgr Lionel Lindsay, Mgr L.-A. Paquet, Albert Lozeau, l’abbé Arthur Lacasse, Blanche Lamontagne, l’abbé Alfred Tremblay, l’Appel de la Race, notre patriotisme littéraire en 1860 y font tour à tour l’objet de ces études fouillées, alertes, attachantes auxquelles le savant critique canadien nous a dès longtemps habitués et dont la manière semble toujours meilleure d’une fois à l’autre. C’est ainsi qu’aux Erables en Fleurs de 1923 succède, en 1924, A l’Ombre des Erables. On y voit d’emblée, par l’ampleur et la variété des sujets traités, pourquoi l’art de M. Roy n’a jamais été plus vigoureux (sauf dans la Critique littéraire au XIXe siècle, œuvre qui, d’une originalité de fond moins évidente, est cependant du style le plus solidement bâti qu’on puisse trouver chez nous). C’est que le livre à apprécier est la source essentielle d’inspiration du critique. A travailler sur des idées plus fortes, plus nettes et plus artistement exprimées, celui-ci sent tout naturellement se raffermir, se clarifier et s’embellir sa propre pensée et son propre style. L’auteur qu’il analyse devient alors son modèle; et, s’il arrive souvent, en un curieux parallélisme, que le modèle soit égalé, il est aussi possible, par l’effet d’un renversement plus curieux encore des valeurs, que le modèle soit dépassé. Certes il serait faux de conclure que le critique est un rival dangereux pour un auteur. Disons plutôt que le critique est lui-même un auteur, et qui veut s’ignorer, et dont on ne saurait pourtant empêcher les qualités littéraires de transparaître quasi spontanément.
C’est donc un régal pour un auteur d’être apprécié par M. l’abbé Camille Roy. L’attitude de celui-ci n’est jamais pédante, et il manie expertement une plume correcte, vive, souple et ferme à l’occasion. Le lire est déjà une leçon de bien écrire.
Emile Faguet a résumé dans son Art de Lire le rôle du critique. Un seul mot lui a suffi: Sympathie, un seul mot auquel s’adjoint de lui-même cet autre: Raison.
Or M. l’abbé Roy, qui possède son Faguet sur le bout de ses dix doigts, professe cette sympathie littéraire, cette charité de l’esprit. Et rien n’était plus urgent en notre jeune république des lettres qui sort à peine (si elle n’y est pas encore fortement engagée), de cet âge héroïque que quelques-uns ont osé appeler la période larvaire. Donc, lorsqu’ils le méritent tant soit peu, encourager les timides, aiguillonner les indolents, ramener les présomptueux au sens des réalités, applaudir ceux à qui la fortune sourit—sans toutefois leur celer leurs défauts—voilà l’excellente fonction de cet homme de bien qui a instauré chez nous la véritable critique et ajouté singulièrement à notre histoire littéraire,—quand il n’a pas dû les créer de toutes pièces, tellement elles étaient incomplètes jusqu’ici, et même sur quelques points, inexistantes. Ceci n’ôte en rien le mérite des devanciers et des contemporains qui se sont adonnés ou qui s’adonnent à une vocation de critiques ou d’historiens intermittents, mais du moins nous autorise à affirmer qu’à M. l’abbé Roy revient le courageux précédent d’avoir fondé au Canada un monument écrit qui se pourrait nommer, en transposant un terme légal, notre corpus juris littéraire.
C’est donc aussi, on le discerne déjà, un monument de raison, car le critique ferait besogne vaine si la sagesse de l’esprit ne s’alliait à la plus ouverte cordialité. Au reste, on n’en doit pas vouloir à M. Roy d’établir de péremptoires démarcations et de formuler des restrictions nécessaires. On en trouvera de bien opportunes, en parcourant A l’Ombre des Erables. Elles se manifestent tour à tour sous le couvert d’une douce ironie, d’une suggestion transparente, d’une élégante mise au point et d’une foule de conseils droitement donnés où la bonne foi ne fait aucun doute. Il faudrait suivre pas à pas M. Roy en son livre pour relever là-dessus des précisions qui étofferaient cet article. Nous en laissons le plaisir au lecteur, convaincu à l’avance qu’il sera comme nous charmé d’une méthode aussi pénétrante qu’elle est variée, aussi sincère qu’elle est nuancée. Repassez, par exemple, le chapitre où LeMay est évoqué, et où ses poèmes sont commentés; celui encore où Lozeau est harmonieusement expliqué; celui enfin où Blanche Lamontagne rencontre une si haute interprétation de son lyrisme rustique.
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Or ce critique au grand cœur est un écrivain, l’un des meilleurs que nous ayons. L’austérité de la science historique, le déchiffrement des grimoires, la pratique de bien voir sous les troubles apparences des choses n’ont pas étouffé en lui les dons précieux de la plume. Au contraire, cela a soutenu ces dons et leur a fourni un aliment, puisque le talent sait tirer parti de tout. Le style a donc brillé. La phrase ordonnée suit son cours, brode en passant les méandres du développement logique, revient à son centre, puis va diligemment à son but. M. Roy ne s’abandonne pas au bel canto, mais il sait disposer où il convient d’appréciables ornements. Il y apporte autant de rhétorique qu’il le faut, et pas beaucoup davantage, car il sait vouloir substituer à la superfétation, au fade artifice du nombre et des fioritures la beauté réelle de l’art. Au besoin il parle net. Ne vous y trompez point: ici la douceur n’exclut pas la fermeté. Rappelez-vous saint François de Sales! Jamais agressif, M. Roy saura d’autant mieux réserver ses batteries pour défendre une cause chère, notamment ses vieux maîtres méconnus. Or c’est précisément dans son appréciation de l’Appel de la Race que M. Roy déploie l’énergie d’un style qui vit d’une énergique pensée. Aussi bien, et c’est par là que nous renforçons incidemment notre thèse du début, le livre d’Alonié de Lestres,—ce crâne petit roman où il y a tant de bon, et quelque mal, comme par hasard,—a permis à M. Roy de donner toute sa mesure. Partibus factis sic locutus est leo: il a mis chaque chose à sa place, et alors, mais pas avant, célébré Alonié de Lestres. C’est ainsi que nous entendons, avec beaucoup d’autres, le sens des remarques de M. Roy. Alonié de Lestres peut accomplir de plus parfaits travaux, refaire même en mieux son captivant bouquin. N’est-ce pas ce qu’espère de lui M. l’abbé Roy, pour avoir le plaisir de l’en doublement féliciter?
Ajoutons enfin que l’alacrité du style chez M. Roy se manifeste mêmement dans les larges tableaux d’histoire. Le dernier chapitre de A l’Ombre des Erables établit quel fut notre patriotisme littéraire en 1860. Il n’est rien de meilleur que ce retour en vol plané vers une époque déjà lointaine, sous la conduite d’un guide qui n’erre point. Nous avons une littérature, nous en apprenons les traditions, et nous, les tard venus, nous trouvons notre fierté, notre responsabilité à être de bonne lignée. Les anciens nous ont légué un héritage qu’il nous faudra léguer à notre tour, l’ayant accru selon nos forces. Certes oui, il y a une profonde dignité dans la continuité littéraire d’un peuple qui s’exprime pour prendre conscience de son tempérament et qui cherche dans d’art l’extériorisation de ses plus nobles destinées. L’art fut inégal à la tâche. Nous le savons. Mais l’âme nationale transparaissait quand même dans l’insuffisance de ceux qui furent nos courageux primitifs,—non point nos primaires, certes!
C’est l’âme canadienne-française que M. Roy, dans une langue savoureuse, nous invite à découvrir avec lui.
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Personne n’ignore que M. l’abbé Camille Roy a mené une existence des plus occupées. Mais ses élèves anciens et actuels et ses confrères seuls savent que les dix volumes littéralement tombés de sa plume, au milieu des occupations les plus contradictoires en apparence, ne constituent qu’une parcelle de ses activités. C’est dans l’enseignement, en effet, qu’il s’est surtout dépensé. Combien alors il est doux pour nous tous qu’il a éclairés de son verbe et nourris de sa science de relire les pages émues où il retrace, dans l’Ombre des Erables, à l’occasion de son étude sur Mgr Hamel, la vie du maître au milieu de ses disciples. Ah! que nous avons revu en esprit et mieux compris, s’il se peut, l’admirable professeur que fut pour nous M. l’abbé Camille Roy! Pour notre part, il nous a paru, un trop court instant, que nous étions de nouveau au pied de sa chaire, avec tant de camarades qui furent aussi assoiffés que nous-même d’apprendre. Et nous écoutions, en si favorable compagnie, M. l’abbé Roy incarner l’orateur en Démosthène ou Cicéron, le poète en Virgile, le critique en Brunetière et l’aède canadien-français en Philippe-Aubert de Gaspé! C’est à cette formation discrète, et si profonde pourtant, dans une salle perdue, loin de tout bruit, que notre maître s’était consacré. Les livres ne devaient être qu’un écho public, trop rare à notre gré, de ce qui se passait sous les voûtes de la Rhétorique. Mais le Petit Séminaire et l’Université Laval ont reconnu en M. Roy des mérites qu’on estima plus éclatants, puisqu’on a distingué chez lui celui qui serait le grand maître de l’Université et du Séminaire. Supérieur de l’un, recteur de l’autre, M. l’abbé Roy devra maintenant élargir au delà de ses ambitions ses sollicitudes. Quelle âme éminemment préparée il consacrera à sa tâche! Que d’idées justes il fera entrer dans le domaine pratique des prudentes améliorations de notre enseignement! Que de zèle il déploiera en ses accablantes fonctions et combien il sera malgré nous distrait, arraché de ses préoccupations de la veille!
Pouvons-nous être étonnés que nos barbouilleurs canadiens, du même élan que nos auteurs de toutes marques, soit que ceux-ci publient des livres, soit qu’ils écrivent dans les revues (on a noté le soin avec lequel M. Roy a relevé les polémiques éparses d’un Raphaël Gervais, entre autres), forment un vœu égoïste dont ils veulent sur-le-champ indiquer les motifs?
Quelqu’un, en effet, qui manie en France le paradoxe, a eu beau jeu de dire:
Le sort des hommes est ceci:
Beaucoup d’appelés, peu d’élus;
Le sort des livres, le voici:
Beaucoup d’épelés, peu de lus!
Eh! bien, grâce à M. Roy, le sort des œuvres canadiennes nous semblait ici plus louable. Chacune avait au moins un lecteur, et tellement averti qu’il se muait aussitôt en critique. Or M. Roy y employait tout son cœur, toute sa vertu (Dieu connaît quelle somme de patience exige ce travail!), toute sa plume, car le critique lisait la plume à la main et transcrivait, pour les renseigner sur eux-mêmes, ses impressions si utiles aux écrivains. Considérant ces faits, qui ont leur importance, croyons-nous, que l’Université et le Séminaire ne fassent point aux auteurs canadiens le vilain tour de ne pas permettre à M. Roy d’achever le couronnement de sa doctrine critique. Que l’un et l’autre ne tentent pas surtout de ne point lui laisser le laborieux loisir d’être le Mentor attitré de nos littérateurs, le gardien auprès de tous du culte sacré des lettres qui nous peuvent sauver, l’animateur et le confident des choses ailées qu’on ne saurait entendre à leur diapason vrai qu’ A l’Ombre des Erables symboliques.
[9] Imprimerie de l’Action sociale, Québec, 1924.
[10] Cet article a été écrit avant que le Pape eût honoré M. Roy de la prélature, en le nommant protonotaire apostolique.