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ATELIERS[1]
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Je suis heureux de ne pas savoir la musique;
Cela me permet de mieux comprendre Wagner...
Stéphane Mallarmé.
Les critiques d’art accomplissent une besogne utile aussi longtemps qu’ils entendent les conseils des gens du métier.
Charles Huot.
L’art ne peut plus progresser sans critique autorisée.
Archibald Browne.
Nous venons de relire Ateliers. Il est donc des ouvrages canadiens qui méritent d’être lus deux fois? Assurément. Pour notre part, ce volume de M. Jean Chauvin demeurera sur le plus proche rayon de notre bibliothèque, beaucoup plus proche que tant d’autres où il n’est parlé que de l’air du temps! En effet, c’est un beau livre à consulter et à aimer; il nous renseigne très agréablement; il nous ouvre sur l’art en notre province—et même ailleurs—des perspectives sûres et il crée ainsi de l’air et de la lumière autour de questions que notre esprit français ne saurait reléguer plus longtemps aux oublis.
Ateliers est, à ce jour, notre meilleur livre d’Art sur l’Art de nos artistes.
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C’est un beau livre, en ce sens qu’il se présente de la plus rare façon. Il constitue l’une des éditions les mieux plaisantes à voir, à palper, à manier. Il est vrai que de simples photographies de tableaux ne peuvent être aussi prisées que tout autre mode artistique d’illustration. Cependant, sauf les clichés un peu faibles—et cela n’est pas tout à fait indépendant de la réaction sur la pellicule de quelques couleurs,—sauf certains clichés un peu faibles, l’ensemble n’est-il pas suffisant pour que nous conservions une idée assez précise des peintures, aquarelles, dessins, statues, etc., reproduits? Mais ce qui est très bien, c’est le goût dans la disposition des éléments du livre et, surtout, le choix parfait des caractères. A elle seule, la page-titre, en noir et en bleu (elle est de Thoreau MacDonald), avec son gros millésime M. CM. XX. VIII, est un objet propre à flatter le regard du plus novice bibliophile. On n’accomplit guère mieux à Paris. A noter aussi la qualité des papiers, la couverture, etc.
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Et puis Ateliers révèle aux profanes des choses remarquables en notre jeune pays trop légèrement traité d’iroquois.
Ceci d’abord: nous avons de nombreux artistes et l’art de quelques-uns est remarquable.
Afin de nous prouver ses dires, M. Jean Chauvin nous fait pénétrer à sa suite dans les ateliers d’Adrien Hébert, Edwin Holgate, Ernest Cormier, Robert Pilot, Henri Hébert, Alphonse Jongers, Horatio Walker, Suzor-Côté, Charles Maillard, Maurice Cullen, Osias Leduc, Frederick Simpson Coburn, Alfred Laliberté, Marc-Aurèle Fortin, Archibald Browne, Georges Delfosse, Hal Ross Perrigard, Edmond Dyonnet, Charles Huot, Clarence Gagnon, Joseph Saint-Charles et Charles Walter Simpson. Et encore la liste n’est point complète. Pas un mot d’Eugène Taché, Eugène Hamel, etc., ces précurseurs!
Le critique réussit même à hiérarchiser presque les mérites respectifs de ses artistes. Du moins en inférons-nous de notre lecture. Certes, de tels mérites il serait trop long de les énumérer tous ici. Bornons-nous à signaler, au passage, qu’Edwin Holgate, le plus original de nos burins, a orné «le premier livre canadien entièrement illustré de bois gravés» (Other Days, Other Ways, version anglaise du charmant bouquin régionaliste de Georges Bouchard); qu’Ernest Cormier, aquarelliste—élève de Vignal—et sculpteur, est un architecte égal aux meilleurs; que Henri Hébert, dont le style évolue de jour en jour, est notre maître-bustier; qu’Alphonse Jongers est un portraitiste de très haute marque; que Suzor-Côté, peintre et sculpteur, et probablement plus sculpteur que peintre, est l’un de nos talents les plus réputés[2]; que Maurice Cullen, «le plus grand paysagiste canadien», a «trouvé la formule de nos paysages d’hiver, en peignant la neige pour la neige»; que Charles Huot est, sans conteste, le peintre d’histoire le plus considérable au Canada; que Clarence Gagnon est l’un des plus habiles aquafortistes du monde[3]...
Et caetera, et caetera.
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Au cours de ses démonstrations, M. Chauvin, ayant surpris,—encore qu’il se défende d’être un critique d’art,—ayant surpris, avec un sens aigu, les méthodes, voire les procédés, les idéals, les conceptions et les doctrines de nos artistes, nous en fait diligemment part.
Ateliers est donc plus qu’un livre de références[4]; il est un livre d’idées sur l’art en général, et, comme il convient, sur l’art canadien.
Effleurons, sans trop le pousser, ce sujet captivant, car il nous faut hâter.
Ainsi, M. Chauvin résumera les conseils d’Edwin Holgate:
Qu’avec sincérité, patience et désintéressement, l’artiste canadien cherche à dégager l’âme même de son pays, libéré des influences tyranniques, qu’il interroge une nature neuve, sans contrainte aucune. Le Canada est un pays pour peintres. Que ceux-là qui sont à la recherche du motif plantent leur chevalet devant une nature qui varie avec chaque province. Les prairies, les montagnes, la mer, autant de thèmes et qui les sollicitent. Chacune de ces provinces renferme en outre sa civilisation. Cette vie multiple, il faudrait plusieurs vies de peintre pour la traduire.
Ou M. Chauvin répétera ces paroles d’Ernest Cormier:
...De notre temps, tous les arts semblent se subordonner à l’architecture... L’architecture est plus constructive qu’ornementale. Elle réside dans les proportions des vides et des pleins, dans le jeu des ombres et des lumières, dans l’équilibre des volumes, dans le caractère en général... Une architecture est suscitée par la force des choses. Pourquoi le chercher, ce style régional? Le climat, de lui-même, nous suggère des solutions, nous invite à d’audacieux essais...
Paroles que viendra compléter, bien qu’il y ait divergence de vision, sur le point d’un style régional, l’architecte Wilford Gagnon, lorsque celui-ci expliquera:
Ce style que nos ancêtres ont apporté de la Bretagne et de la Normandie se rencontre dans toutes les bâtisses en pierre construites aux premiers temps de la colonie. Il s’adapte parfaitement à notre climat et satisfait à toutes ses exigences. S’il s’accorde en plus avec le mobilier de l’époque, il peut conduire aux réalisations les plus heureuses.
Plus loin, l’auteur d’Ateliers nous répétera la théorie de Maurice Cullen[5] sur les effets de neige:
La neige emprunte les tons du ciel ou du soleil. Elle est bleue, elle est mauve, elle est grise, noire même, mais jamais tout à fait blanche, c’est-à-dire de la blancheur d’une feuille de papier. Le blanc pur ne peut être employé que localement. La neige reflète, comme l’eau, les jeux et modulations de l’éclairage atmosphérique, mais avec cette différence que l’eau présente l’aspect d’une multitude de petits miroirs, tandis que la neige a moins de faces offertes à la lumière. Le soir, quand le soleil est chaud et frôle la ligne de l’horizon, la neige est rouge. Le reflet sur elle d’un nuage ou d’une montagne lui donne encore d’étonnantes couleurs. Quand les rivières reprennent vie, aux premiers jours du printemps, l’eau monte sur la glace et se répand lentement. Cette eau nous apparaît alors bleu noir, par opposition à la neige. Il faut bien voir, bien observer, être patient et consciencieux.
Et celle d’Archibald Browne sur le dessin, qui est du plus élémentaire sens commun:
L’un des torts de ceux qui s’intitulent modernes est de mépriser le bel art du dessin. Aux bons dessinateurs seuls les extravagances et le jeux d’adresse sont permis. Leur crise passée, ceux-là peuvent, sans grand dommage, reprendre la peinture où ils l’avaient laissée, mais le dessin ne s’acquiert pas en aussi peu de temps que le souhaiteraient les jeunes peintres.
Ou encore sur l’influence de Paris, lorsque les peintres, trop jeunes, y sont insuffisamment préparés,—influence néfaste:
...Parce qu’ils ne savent pas encore ce qu’ils y vont chercher, par ce qu’ils ne sont pas encore en état de distinguer et ensuite de s’assimiler ce qui peut leur être profitable.
Et cette boutade—à fond si vrai—de Charles Huot qui a connu le pain sec:
Pour faire de la peinture, il faut des rentes.
Peut-être est-ce faut au sens de faudrait ou de vaudrait mieux. Car quelques artistes vivent aujourd’hui chez nous de leur art. Témoin: Horatio Walker, le bon peintre d’Orléans. Mais, au fait, peut-être celui-ci, et bien d’autres, eurent-ils des rentes!
Quoi qu’il en soit, M. Chauvin assure que de l’époque où nos artistes furent les plus démonétisés, en un milieu qui ne comprenait point leur art, datent peut-être nos meilleurs artistes. C’est la revanche de l’Esprit sur la Bête.
Et Charles Huot[6], avec plusieurs autres, constate que nos Canadiens français ne font plus nombre parmi leurs concurrents anglais. Nous verrons bientôt le remède que propose à cela Charles Maillard.
Incidemment, l’étude sur Huot nous semble un peu hâtive. Il y avait tout de même beaucoup à écrire à propos d’un genre de peinture qui embrasse tous les autres et suppose une science aussi profonde qu’universelle.
Charles Maillard, un Français de chez nous désormais, est le directeur de l’Ecole des Beaux-Arts de Montréal. Il peint, il enseigne. Il est au fait de tout. Et il affectionne notre pays et son avenir artistique.
Voyez comment il analyse la lumière, telle qu’elle lui apparaît en l’Ile-d’Orléans. Celle-ci est
...très spéciale. Sa reverbération, due sans doute au voisinage des deux bras du fleuve, et qu’on pourrait comparer à deux miroirs reflétant la lumière, est à de certains jours comme la réflexion rougeâtre ou l’embrasement qu’on distingue au-dessus d’une ville illuminée.
Alors Jean Chauvin écrit joliment, à mesure qu’il poursuit son étude sur Maillard:
Voici encore l’église de Beaumont, dans une atmosphère limpide et fraîche, et le moulin de Vincennes, restauré avec goût par l’architecte Auger, où se réunit chaque année la Société des Poètes de Québec. Puis, c’est un ensemble de tableaux sur la région de Tadoussac, Cap-Rouge et la Baie. Des plateaux sableux, coupés à pic, avec des arbres tourmentés, que le vent arrache à l’un de leurs flancs. Rochers du Cap-Rouge, de couleur saumon et dont les pieds mouillent dans une eau couleur de plomb. Voilà certes une contrée qui ne désappointe pas son peintre! et qui constitue, comme l’île du Grand-Manan, les Laurentides, la Baie Saint-Paul, l’une des patries du paysage canadien.
Ensuite, M. Chauvin dégage les idées-mères de l’enseignement préconisé par Charles Maillard. C’est que celui-ci aspire
...à renouer la tradition du passé au mouvement artistique actuel. Entre les premiers artistes du pays, dont le plus connu est Quévillon, le maître des Ecorres, et ceux d’aujourd’hui, créer un lien, une tradition, de sorte que nos jeunes artistes et leurs prédécesseurs constituent une grande famille. Retrouver l’inspiration qui animait ces primitifs artisans, afin de susciter un art local qui réponde à l’âme du pays, en reflète la physionomie et mette en valeur nos propres conceptions, Charles Maillard craignant que nos artistes ne se perdent en s’aventurant dans la voie d’un art trop avancé.
Et le directeur de l’Ecole des Beaux-Arts de Montréal précise encore le but de son enseignement. Il veut préparer des artisans, comme ceux du Moyen-âge et de plus loin, «qui s’adonnaient tous à divers travaux d’ornementation, ciselant un bouton de porte, une entrée de serrure, un aiguière, une salière, le moindre meuble, avec autant de patience et de goût qu’en mettent nos modernes orfèvres ou assembliers à travailler les objets les plus luxueux. Et les élèves les plus doués tendront d’eux-mêmes vers une forme d’art plus élevée, vers le portrait, le tableau, la statuaire...»
Conçu dans cet esprit, l’enseignement des arts, tel qu’établi par l’honorable M. Taschereau, l’honorable M. David et M. Simard, en cette province, ne saurait être que fructueux. Il multipliera les artisans et fera naître, au-dessus d’eux, les artistes.
Enfin, il est un sujet qu’effleure Jean Chauvin, d’abord en étudiant l’oeuvre de Charles Maillard, et, bientôt ailleurs: le nu.
Nous n’avons pas de cachotteries à faire dans l’expression de notre pensée. Nous dirons, après tant d’autres, que l’art se subordonne à la morale. Puis nous ajouterons, avec Jean Chauvin, que les nus féminins de Maillard sont des documents pour tableaux (p. 94.), et que, même «pour bien construire un bonhomme», il faut savoir travailler sur nature. L’étude du nu, du modèle vivant et du squelette humain est indispensable, (p. 92, sur Suzor-Côté). Tout cela nous semble aussi vrai qu’il n’est point faux d’écrire que nos étudiants en médecine ne sauraient se voir refuser des leçons d’anatomie descriptive. Il y a, outre la morale, et c’est un corollaire de la morale, les règles du clair bon sens. L’art doit être contenu sans quoi il s’évapore comme un parfum qui s’altère dans un flacon mal bouché. Le nu est beau, il a un caractère moral, tant qu’il n’est point suggestif.
Ainsi, quelle pureté dans la Source d’Ingres et tels groupes de Rodin! Quelle licence dans les petites gravures friponnes du XVIIIe siècle! Pourtant la Source est nue et telles statues aussi; alors que les personnages gravés dont nous parlons sont habillés d’une certaine manière qui prêche autre chose qu’un sermon du dimanche.
Qui a jamais été scandalisé en visitant les galeries du Vatican ou en détaillant certaines verrières ou certaines sculptures des églises moyenâgeuses de France? Encore est-il exigé que la culture artistique soit suffisante en celui qui regarde. On n’apporte à discerner la beauté formelle que la culture que l’on a et le fonds moral que l’on possède. Nous avons beaucoup à apprendre là-dessus. Et nos artistes ne nous le peuvent apprendre sans un tact extrême. Mais aucune théorie ne supplantera jamais l’honnêteté qui est la fleur d’une vraie civilisation.
Ce sont là aussi, à n’en point douter, les idées de MM. Chauvin et Maillard. Nous sentons même que nous les leur empruntons, en quelque sorte.
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Qu’il y aurait à glaner encore en ce livre des Ateliers! Le Groupe-des-Sept, en Ontario; l’influence prépondérante des Ecoles françaises sur nos artistes, même anglais, et la ferveur de ces derniers à illustrer notre pittoresque province; telles pages savoureuses sur l’Arche montréalaise et sa tribu des Casoars; telles considérations d’ordre général ou particulier; telles réflexions de Jean Chauvin sur l’encouragement à donner à nos artistes, et telles critiques aussi. Mais il est temps de clore notre article, bien que nous eussions voulu commenter une leçon nécessaire: leçon que la perfection d’art de nos artistes et la somme de leurs renoncements pour mieux atteindre l’Art, la Beauté et la Vérité offrent à ceux de nos poètes et prosateurs qui ne soupçonnent pas la valeur de l’effort continu, du travail...
Au contraire de Mallarmé lequel prétendait ne point savoir la musique pour la comprendre mieux, M. Jean Chauvin sait la peinture. Il s’inspire des artistes et critique sensément. Il a toujours eu de ces belles curiosités d’art qui sont d’un esprit bien né. Pendant la guerre qu’il a faite dans la Légion Etrangère, dès qu’il était libre, il filait droit vers Paris, visitait Clarence Gagnon au travail, et tous les artistes qu’il pouvait trouver en leurs ateliers. Ses permissions de détente, il les sanctifiait au milieu des artistes. Sa piété n’a point été perdue pour nous. Il a formé peu à peu ses goûts naturels. (A son retour de France, il a même étudié, trois années durant, le dessin, fondement de tout, à l’Ecole des Beaux-Arts de Montréal). Puis, il a lu et retenu une somme érudite de choses sur l’art. Il a chéri l’art. Et celui-ci, s’il ne l’a point récompensé en faisant de Jean Chauvin lui-même un artiste, l’a doucement transmué en écrivain d’art qui a diablement du talent.
Voilà, entre plusieurs choses, ce qu’a reconnu le jury du Prix d’Action intellectuelle qui a couronné l’auteur d’Ateliers.
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[1] Ateliers, par Jean Chauvin. In-8º grand format, 266 pages, illustré de clichés. Aux Editions du Mercure, chez Louis Carrier et Cie, Montréal, 1928.
[2] Au témoignage du critique anglais Lintern Sisley (cité par Chauvin) Suzor-Côté est le peintre le plus remarquable de la nouvelle école canadienne.
[3] Jugement d’ailleurs confirmé par Robert Pilot qui va jusqu’à placer les gravures de Gagnon parmi celles de Rembrandt, Whistler et Meryon! (Voir Opinions, vol. I, No 1, avril 1929, Montréal.)
[4] Quel travail de bénédictin! Table des matières, table des reproductions, index des noms cités, bibliographie sommaire de l’art canadien, albums, catalogues et collections, histoire, étude et critique, ouvrages canadiens illustrés.
[5] Charles Huot nous disait des tableaux de Cullen: «C’est touché d’une façon parfaite».
[6] A propos de Charles Huot, il faut établir que celui-ci faisait, sans doute aucun,—et c’est le jugement qu’il formula devant nous, après son dernier stage à Paris, voilà six ans—la plus complète distinction entre le Salon annuel, qui représente toujours les sommets de l’art de la France, et le Palais de Bois, à l’entrée du Bois de Boulogne, qui, lui, est l’expression du bolchévisme dans l’art.