Читать книгу ...et d'un livre à l'autre - Maurice Hébert - Страница 6
DERRIERE LA SCENE[1]
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Lisons ensemble la deuxième édition très soignée de ce livre qui en est rendu à son troisième mille.
Vous aimez le théâtre, le bon. Vous y cherchez l’image d’une louable réalité. C’est un goût d’honnête homme. Pourtant, même un honnête homme est empêché de toujours bien regarder. Les prestiges de la mise en scène, la surcharge des accessoires, les secrètes complaisances de nos passions faussent notre sens visuel, en nous égarant parmi des à-côtés ou en nous faisant considérer le spectacle à travers notre songe intérieur. Nous sommes trop mal placés et mal munis pour voir juste. La vie ne doit pas être étudiée du parterre, ni à l’aide de préjugés.
Il convient plutôt d’en examiner ici quelques aspects, en leur élémentaire objectivité, là où tombent les masques, là où les acteurs, leurs rôles joués, réintègrent la Vie. Les plus simples gestes y ont une signification profonde, sur laquelle on ne se méprend point. L’humanité est plus émouvante, plus belle assurément qu’on n’a accoutumé de la montrer, et il se trouve aussi qu’elle soit plus intéressante qu’à la rampe.
Mademoiselle Françoise Gaudet fut donc bien inspirée de nous permettre d’en juger avec elle, derrière la scène. Nous devrons à sa curiosité, ou à la nôtre, de connaître d’un peu plus près une part de la vérité.
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Il y a trois caractères essentiels à la vérité: elle est une, forte et permanente. On ne peut jamais se repentir d’y avoir adhéré. La vérité, par ses vertus propres, confère quelque chose d’elle-même à qui la contemple et la pratique. Elle fait l’unité et la force de l’âme, elle assure sa permanence dans la joie. Tout le reste se contredit dans l’éphémère. La vérité, derrière la scène, parlera de Dieu, de la foi, de la piété, du devoir, de la famille, du travail, de la charité, de la beauté, de l’ordre, de l’amitié, de la tendresse, de l’amour, de l’honneur, du courage, de la sagesse, de la mort ici-bas et de la survie en l’au delà.
Ces grandes idées qui mènent le monde à ses destinées et sauvegardent les nations, mademoiselle Gaudet les a toutes effleurées, dans son petit livre grave et souriant. La vérité n’est plus terrible au coeur de la femme chrétienne. Elle n’y saurait pénétrer qu’avec douceur et en rejaillir avec grâce. A un âge où tant de jeunes filles rêvent, mademoiselle Gaudet pense; à un moment où elles dispersent leurs richesses intellectuelles et morales, elle concentre les siennes; à la croisée des chemins où elles hésitent, elle prend le parti de l’action. C’est là l’originalité sensible du livre que nous venons de lire et c’est encore ce qui en fait le prix le meilleur.
Il y a sous le soleil des choses à redire.
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Comment les redit mademoiselle Gaudet?
De façon charmante, sinon parfaite, mais sans prétention.
Toutefois, c’est une moraliste en herbe. Elle excelle à tirer de menus faits leurs leçons. Ainsi, est-elle bien à l’abri, le soir, dans la maison familiale, pendant qu’au dehors la neige tombe, alors elle médite:
En notre coeur, bâtissons un nid de beauté, réservons-y un coin où, à toute heure—la saine raison montant la garde, l’Idéal veillant et souriant—il y ait toujours gaîté, lumière, chaleur.
A l’Abri, p. 36.
Son auto reste-t-elle en panne, faute d’essence, notre auteur fait ce rapprochement inattendu:
L’on peut avoir de précieuses qualités de coeur et d’esprit, des talents remarquables et ne pas pouvoir traverser les mauvais bouts du chemin de la vie, le courage et l’énergie faisant défaut juste à ce tournant de la route où il en aurait tant fallu... Sur le chemin de la vie, ce qui compte, c’est la provision, c’est le viatique. Il faut se pourvoir, sous peine de rester en panne et d’être dépassé.
Ce qui compte, p. 120.
Ecoute-t-elle un disque de Clément, elle réfléchit:
Cette voix de nos actions, qui continuera de résonner quand nous serons partis, ne négligeons pas de la perfectionner. La pratique de la bonté, de la charité, de l’amabilité constitue d’excellentes vocalises.
Echo et chansons, p. 126.
Et la moraliste en herbe se double d’une psychologue d’aussi bonne venue:
Par exemple, elle écrit de nos morts (p. 154) «qu’ils s’en sont allés sans savoir combien vraiment nous les aimions.» Et cela est exact. Nous regrettons toujours de ne pas nous être assez communiqués à ceux que nous aimions. En les perdant, nous sentons tout ce que nous avions encore à leur communiquer, et qui eût embelli leur existence.
Ou elle notera, à propos de masques, avec indignation:
Il y a ceux qui se portent d’un carnaval à l’autre.
Et c’est trop vrai.
Nous aimons bien aussi que, cessant de moraliser et de psychologuer, notre auteur s’en tienne, un moment, à de courts tableaux de vie canadienne, comme dans Aux Framboises (la classique cueillette entre amis), Notre Messe (un souvenir comme il en est tant et de si jolis en nos familles sacerdotales), etc.
Ou qu’elle entremêle ses récits de dialogues,—et elle en use avec goût,—pour ajouter plus d’intensité à l’expression d’une scène vécue.
Appréciez vous-même ce Touchant Merci:
Une mère est au chevet de son fils, gravement atteint. Depuis un an, elle le soigne avec un dévouement à la mesure de sa tendresse.
Mais la maladie a travaillé en sourdine, malgré tout; ce sont les dernières heures...
—Maman, veux-tu? ne t’éloigne pas. Je ne veux pas rester seul: laisse ta main sur mon front, cela me fait tant de bien!
Il y a une heure qu’ils sont là, tous deux gardant un silence religieux, elle, le soutenant, comme il le désire, lui, faible, fermant les yeux, comme pour ne pas voir la mort qui vient. Pour rompre cette monotonie, ou pour changer de position sans laisser soupçonner qu’elle est lasse, elle dit:
—Tiens, plutôt, prends ma main gauche... A gauche, c’est le côté du coeur...
—Du coeur? Le côté du coeur... répète-t-il.
Et d’une voix éteinte, il ajoute: «Oh! toi, maman, le coeur... je crois que tu l’as de chaque côté...
p. 147.
Voilà l’un des emplois, celui de l’amour maternel, que mademoiselle Gaudet propose à ses soeurs les femmes. Elle a beau croire que les plus grands sont réservés aux hommes et que ceux des femmes sont de second plan, assurons-la tout de suite qu’elle a tort. Le vrai théâtre de la Vie est derrière le scène, il ne s’aventure pas à la lueur des quinquets; même, dans l’ordre de Dieu qui pèse tout, il laisse aux trompe-l’oeil de la rampe les cabotinages dont il n’a que faire.
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Ce petit volume est grave, à cause des problèmes qu’il agite. Il est souriant par la façon de comprendre le devoir et de l’accomplir; bien des pages, par ailleurs, sont d’une gaîté communicative. Jamais du moins ne cesse-t-il d’être imprégné de sérénité et de foi.
Enfin, simple, dépouillé de fausse littérature, généreux et bon comme mademoiselle Françoise Gaudet l’a composé, constitue-t-il la perfection faite livre? Nenni! On pourrait en élaguer certains feuillets d’un relief insuffisant, telles répétitions de mots, trois ou quatre tournures faibles ou fautives. Mais il ne saurait être plus dignement conçu ni plus sainement écrit. Déjà il révèle une double culture simultanée: celle de l’âme et celle du style, l’une et l’autre résultant en une écriture plus vraie.
C’est une rare qualité. L’écrivain qui la possède n’a pas besoin qu’on la lui prête. Il se confie à Dieu et sa plume au travail.
N’avez-vous pas hâte autant que nous de lire les ouvrages, toujours meilleurs, qui en seront le naturel couronnement?
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[1] Derrière la Scène, par Françoise Gaudet, illustration de Simone Routier, «La Parole», Limitée, Drummondville, 1930, deuxième édition. Les Editions Albert Lévesque, Montréal, 1932, vont bientôt publier une troisième édition.