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PRÉFACE

Table des matières

Cet ouvrage est, en résumé, sous forme de conversation &sous prétexte de promenade, un manuel&un index au moyen duquel on peut entrer, en deux heures de lecture, dans le plus joli des mondes animés, le monde des papillons, où 1auteur prétend avoir été initié en deux jours à tous les mystères.

La chose est possible si l’on a beaucoup de mémoire,& 1auteur prétend encore que la mémoire vient comme d’elle-même avec le goût que l’on prend pour une étude.

L’auteur, épris de cette spécialité, a voulu en faciliter l’accès à quiconque en sentirait le goût. Cela est naturel.

On ne lit pas les méthodes, on les étudie&on les consulte. En général, les ouvrages spéciaux ne se recommandent à la généralité des lecteurs que par les chapitres qui en résument l’aperçu général.

D’excellents ouvrages ont été publiés sur le monde des lépidoptères; mais, entre ceux qui remplissent d’études assidues plusieurs années de la vie des amateur s sérieux, ceux qui amusent les enfants pendant une saison de vacances, il y a un vide. L’auteur l’a senti en le traversant. Il l’a rempli pour son propre usage&par sa propre expérience, comme il a pu,& après en être sorti, il a voulu le combler, dit-il, par un de ces ouvrages faciles&courts, que non-seulement tout le monde peut comprendre, mais que tout le monde peut se procurer.

En effet, le goût des papillons exige une certaine aisance &beaucoup de loisirs. Les livres à gravures coloriées sont d’un prix élevé, les livres sans gravures ne suffisent pas. Les papillons desséchés&préparés qui peuvent servir de type sont une denrée plus chère que ne se l’imaginent les gens frivoles (ainsi parlent les amateurs), qui ne les connaissent que pour les avoir vus voler dans les jardins.

Il est rare qu’un jeune homme occupé à faire son éducation ait le temps de suivre une étude si minutieuse, si étendue,&qui ne peut être intéressante qu’à la campagne. Il est rare qu’un petit propriétaire assujetti à la vie des champs ait le superflu sans lequel on ne peut se procurer des ouvrages de six ou huit cents francs.

L’entomologie,&même cette simple branche, l’étude des papillons, est donc une science à l’usage des riches; ou bien elle doit absorber une partie de la vie d’un homme spécialement consacré aux sciences&vivant des sciences.

Voilà pourquoi ce vaste monde de petites merveilles est fermé à la plupart des personnes qui en goûteraient volontiers l’amusement&l’intérêt,&qui s’étonnent naïvement quand on leur montre une cinquantaine de sujets dans un cadre, en leur disant que ce n’est peut-être pas la cent-millième partie de ceux qu’elles n’ont jamais vus, bien qu’ils vivent dans l’air qu’elles respirent à toute heure.

Tout le monde connaît une vingtaine de types, les plus apparents, les plus répandus aux heures du jour où l’on se promène. On apprend aux enfants à les connaître sous leurs noms vulgaires, car on se souvient vaguement d’avoir été initié de même,&on pense que cela suffit à quiconque ne se destine pas aux études naturelles.

Eh bien! cela ne suffit pas. Sans devenir ni chasseur ni préparateur, ni collectionneur de papillons, il serait bon d avoir une notion générale&précise de cette branche de 1histoire naturelle, comme on l’a des animaux plus apparents dans la création, comme on devrait l’avoir de toutes les classes d êtres qui composent la faune environnante.

Un ouvrage qui, sans prétendre à révéler des secrets nouveaux, ni même à établir une méthode nouvelle, tend, sous une forme facile&enjouée, à initier tout le monde à toute 1existence d’un ordre, peut donc avoir son utilité, comme il a son intérêt très-réel pour les amants de la nature, qu’ils soient au point de vue de l’observation, de l’art ou de la poésie.

Mais à quoi bon, disent certains poëtes, savoir tous ces noms barbares qui dépoétisent la nature&qui mettent l’observation, chose froide&têtue, à la place de la contemplation, chose vive&mobile?

C’est là un raisonnement de paresseux, que j’ai fait souvent pour mon compte. J’ai passe ma jeunesse à me révolter contre les noms grecs&latins,&pour n’avoir pas voulu donner, de temps en temps, cinq minutes d attention au sens de ces noms tirés des langues mortes devenues langues universelles, &par là indispensables à la science, j’ai laissé s atrophier en moi le sens de la mémoire, si utile, si nécessaire, si agréable dans l’examen de la nature.

Beaucoup des lecteurs à qui je m’adresse sont tombés par leur faute dans la même infirmité. Aussi disent-ils, après avoir dit comme moi: à quoi bon les noms?–à quoi bon les classifications?

C’est là où nous sommes tous vraiment très-coupables &très-ingrats envers le divin auteur des choses car sans croire qu’il les ait faites absolument pour nous, nous devrions sentir qu’en nous donnant la faculté de comprendre la richesse&la beauté de son œuvre, il nous a fait un très-beau présent;& c’est toujours être ingrat&mal-appris que de laisser dans un coin, sans y regarder jamais, une magnifique chose qui nous a été magnifiquement donnée.

Donc il faut connaître la création,&comme nous n’avons pas les yeux de Dieu pour la voir d’emblée à la fois dans son ensemble&dans son détail, nous sommes obligés, pour la comprendre, de procéder par la synthèse&par l’analyse séparément; par conséquent nous sommes forcés de diviser &de classer sans cesse, sous peine de marcher à tâtons &de perdre notre vie entière en de stériles recherches.

La magnificence de la création consiste dans sa sagesse, dansl’unité de son plan&dans la variété de ses combinaisons. Ces combinaisons ingénieuses, admirables de beauté ou de fécondité, nous échappent si nous ne voyons qu’un petit nombre de types&si nous ignorons combien d’autres types s enchaînent&se rattachent à ceux-là, en s’enchaînant à d autres types encore, sans interruption, sans défaillance dans le génie inventif qui a présidé aux lois de la vie.

Vous ne comprendrez donc Dieu, autant qu’il est donné à l’homme de le comprendre, qu’ à la condition de laisser en vous le moins de lacunes possible dans la connaissance du monde que vous habitez. C’est par cette connaissance approfondie. c’est tout au moins par une compréhension nette de cette connaissance acquise a la science, que, pouvant procéder avec logique du connu a l’inconnu, vous arriverez à vous faire une idée douce, consolante&sage des mondes qui peuplent cet univers dont l’immensité vous écrase&dont le mutisme vous épouvante.

Pour monter, non pas jusqu’au sublime architecte, mais du moins vers le foyer de sa pensée où le progrès (sa loi d amour) nous attire sans cesse, il nous faut graviter le long des spirales de l’infini. La science est une rampe qui nous préserve du vertige,&ses classifications sont autant de paliers commodes où nous pouvons reprendre haleine avant de monter plus haut.

Telle est, si nous l’avons bien comprise, la pensée du livre que nous avons sous les yeux,&, pour en suivre l’esprit en vulgarisant notre propre pensée, nous dirons, en d’autres termes, à l’artiste&au poëte que les nomenclatures&les dénominations épouvantent:

Vous êtes les amants romanesques, les chevaliers errants de la nature. C’est là une belle mission,&je conviens avec vous que l’étude scientifique de la nature est une sorte de dissection que les artistes doivent éviter de présenter à nos regards. Mais faites attention que votre procédé consiste dans un choix &dans une combinaison d’objets, d images, démotions à votre usage,&que plus vous enrichirez le fond de votre examen positif, plus il vous sera facile d’y puiser à coup sûr, avec discernement, avec ampleur, avec goût.

C’est ainsi que les peintres sérieux apprennent l’anatomie du corps humain, non pour en rendre servilement, hors de propos, toute la musculature, mais pour en accuser les principales beautés,&même pour faire sentir, sous les plis qui les revêtent, la grâce et la logique des mouvements. Plus vous ferez l’anatomie de la nature, plus vous aimerez les œuvres du Créateur. Et même, en poursuivant cette analyse dans ses moindres détails, loin de vous sentir rebutés du champ immense déroulé sous vos yeux, vous trouverez chaque jour plus d’attrait&moins de fatigue à le parcourir. Vous vous apercevrez vite que, plus on y découvre de richesses, mieux on apprécie chaque pierre précieuse de ce trésor. Vous reconnaîtrez même qu’avant de voir, il faut avoir appris à voir,&qu’avant d’avoir examiné, au moyen de la classification, les espèces&les variétés d’individus, vous n’aviez qu’une vue confuse des différences de formes&de nuances qui caractérisent chaque genre de beauté.

Donc le poète&l’artiste ne peuvent que gagner dans les études naturelles,&les lois de la vie sont tellement harmonieuses dans leur enchaînement, que, pour bien comprendre l’énigme de la vie humaine, il faut comprendre celle du moindre atome admis au privilège de la vie.

GEORGE SAND.

Le monde des papillons : promenade à travers champs

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