Читать книгу La guerre au château - Mme E. Thuret - Страница 6

IV

Оглавление

Table des matières

Le vicomte de Béyanes avait alors vingt-huit ans.

Ses débuts dans la vie mondaine avaient été bruyants et brillants. Tout Paris s’était entretenu de ses chevaux, de ses voitures, du luxe princier de son hôtel.

Il était l’homme à la mode, la célébrité, la coqueluche du jour.

Les jeunes femmes en avaient la tête tournée. C’était à qui l’attirerait; car l’attention qu’il accordait équivalait à un brevet d’élégance. Elles excusaient ses folies et même les admiraient tout bas; il n’y avait aucune de ses excentricités qui ne trouvât grâce devant elles, ce qui faisait froncer le sourcil à certains maris. Les héritières, elles aussi, le regardaient d’un œil indulgent, ce qui donnait le frisson à leurs mères. Mais les mères pouvaient se rassurer, Herbert ne songeait point au mariage. Il préférait ces relations tapageuses qui posent si tristement un jeune homme. Il prodiguait les dentelles, les diamants, les équipages. Il était ravi quand le Sport consacrait un paragraphe à raconter les splendeurs du trousseau ou du mobilier de quelque Danaé en vogue, et donnait clairement à entendre que le vicomte H… était la pluie d’or qui avait renouvelé les merveilles des Mille et une Nuits.

Mais à force d’accumuler folie sur folie, extravagance sur extravagance, le jour néfaste vint où il fut obligé de s’arrêter court. Il était criblé de dettes; il avait épuisé son crédit. Il était ruiné. Les huissiers, les usuriers assiégeaient sa porte. En vain voulut-il en rire, en vain voulut-il faire le don Juan, les railleries, les menaces, la politesse, tout fut inutile: il fallait payer.

Herbert songea alors à son frère, quoiqu’il en coûtât infiniment à son amour-propre, il se résolut à lui faire l’aveu de sa situation, et comme cela ne l’engageait en rien, il témoigna un tel repentir, un tel désespoir, que le comte Frédéric, redoutant quelque malheur, arriva immédiatement à Paris.

Le vicomte, depuis le mariage de son frère, avait été rarement à Béyanes. Mais, tout en trouvant sa belle-sœur laide et déplaisante, il ne s’était pas moins mis en frais d’amabilité pour elle, pensant qu’un jour cela pourrait lui servir.

Jamais il n’oubliait ni la fête ni le jour de l’an. Il se rappelait toujours à elle par une magnifique attention. Aussi Charlotte trouvait-elle son beau-frère tout à fait charmant, et se sentait-elle on ne peut mieux disposée en sa faveur.

Le comte, naturellement porté à l’indulgence envers son frère, fut heureux de voir que sa femme partageait ses sentiments. Il se chargea donc d’arranger les affaires d’Herbert, posant toutefois pour condition qu’il ne s’en mêlerait pas.

Cette pénible tâche le mit tristement à même de se convaincre que le vicomte avait non-seulement compromis presque toute sa fortune; mais que, moralement, – afin de prolonger ce genre de vie qui lui plaisait et flattait son orgueil, – il s’était abaissé au point de faire avec sa conscience des compromis qui l’avaient conduit jusqu’à l’indélicatesse.

M. de Béyanes fut bien plus affligé et effrayé par ces découvertes que par les folies d’argent.

Quand tout eut été liquidé, la terre de Séris, qui formait le principal de la fortune du jeune homme, se trouva engagée pour la presque totalité de sa valeur.

Le comte, sans adresser d’inutiles reproches à son frère, qui, les choses arrangées, se disposait à reprendre son train de vie habituel, se borna à le prier d’examiner auparavant ce qui lui restait. Herbert ne se doutait pas de l’extrême limite à laquelle il était arrivé.

L’impérieuse nécessité de réduire son luxe fut si insupportable à sa vanité, qu’il se décida immédiatement à partir pour l’Italie. Il se mit en tête d’y faire un beau mariage, et se prit à rêver d’une princesse russe.

Comme tous les prodigues, après avoir cru que jamais il ne verrait la fin de sa richesse, il en arriva à s’imaginer, ainsi que le font toujours ceux que la fortune a gâtés, qu’elle ne pourrait l’abandonner. Il sentait la nécessité de se réformer, mais il n’était pas, au fond, décidé à le faire, car il nourrissait l’espoir insensé que quelque chose de miraculeux viendrait lui rendre sa position perdue. Un homme comme lui pouvait-il être tout à fait ruiné!

Aussi la résolution qu’il avait prise de se ranger, ne put-elle tenir devant le besoin de paraître, et à Florence, de même qu’à Paris, il chercha encore à occuper de lui et y réussit.

Mais, comme dans tous les pays il faut finir par compter, il fut forcé de voir qu’il s’endettait de plus belle, que la princesse russe millionnaire ne se présentait pas, et que celles qu’il rencontrait étaient, au contraire, en quête d’un riche mari. Il lui prit alors subitement une aversion pour le monde, et il se résolut à aller, dans quelque solitude, vivre en ermite.

Il disparut donc de Florence, au beau milieu du carnaval, trouvant ainsi le moyen de faire encore parler de lui. Il traversa Naples sans s’y arrêter, tant il se défiait des tentations et de sa facilité à y céder, et il fut s’ensevelir, s’enterrer, ainsi pensait-il, à la Cava.

La grande solitude, l’imprévu des aspects, la beauté du pays, réagit salutairement sur son imagination qui se calma et lui permit enfin de réfléchir et d’accepter résolûment la position qu’il s’était faite.

Sa petite villa, qui ressortait toute blanche au milieu d’un bouquet d’orangers et de citronniers, dominait la route qui, de la Cava, conduit à Vietri, en descendant vers la mer. La vue était splendide: il découvrait au loin la Méditerranée; un paysage éblouissant l’entourait, et la luxuriante végétation qui couvre le pied du mont Finestra reposait ses yeux fatigués par l’éclat du ciel et du soleil qui poudrait d’or le sable des chemins.

Il était cependant en plein accès de misanthropie. Ce qui était gai lui faisait mal; la vue des heureux lui était odieuse, car il faisait alors de désolants retours sur lui-même, et au lieu de s’accuser, il s’en prenait au monde entier du résultat de ses propres folies.

Peu à peu cette disposition d’esprit se modifia. Son âme se retrempa au contact de cette belle nature qui l’environnait. Il lui trouva bientôt un tel charme qu’il en écrivit des merveilles à son frère. On eût certainement fort étonné Herbert fi on lui eût rappelé cette vie de Paris, dont si peu de temps le séparait, et si on l’eût fait souvenir qu’il l’avait crue indispensable à son bonheur.

Il avait fait venir des livres; il dessinait; il étudiait l’italien; il faisait de longues excursions sur la mer, et le temps passait si vite qu’il assurait ne pas se sentir vivre.

L’extrême mobilité de ses goûts, la légèreté de son caractère lui rendaient les nouvelles habitudes faciles et agréables.

Il y avait environ trois mois qu’il menait cette existence, lorsqu’une famille française vint s’établir dans une des jolies villas qui lui faisaient point de vue.

Un matin, les jalousies qu’il avait toujours vues baissées, se levèrent, les fenêtres s’ouvrirent. On allait, on venait dans les appartements.

Il n’y avait que des femmes.

Le vicomte se sentit d’abord indifférent à cette arrivée, mais insensiblement ses voisines éveillèrent sa curiosité; il voulut savoir leur nom. Il apprit que c’était la marquise de Valby et ses deux filles.

Paula, l’aînée, se mourait d’une maladie de poitrine. Madeleine, la plus jeune, était ravissante.

Herbert, qui les rencontrait journellement, ne passait jamais auprès d’elles sans les saluer. D’abord, ce fut un froid salut qui répondit au sien, puis ce fut une gracieuse inclinaison de tête, puis enfin la jeune malade, la première, y joignit un sourire.

On était à la fin de mai. La chaleur commençait déjà à se faire vivement sentir et à rendre la promenade fatigante. On ne pouvait plus sortir que le soir. Mais une après-dînée, où le soleil s’était voilé de nuages, la marquise et ses filles en profitèrent pour aller s’asseoir sous les épais ombrages qui garnissaient le pied de la montagne. On y tendit un hamac pour Paula.

Le vicomte, qui dessinait à une certaine distance de l’endroit où s’étaient établies les trois femmes, interrompit son travail pour les regarder.

Il considérait attentivement ce groupe qui le jeta bientôt dans les plus mélancoliques pensées.

La marquise avait été belle et l’était encore. Son visage exprimait une profonde tristesse. Paula, malgré sa souffrance et sa maigreur, gardait, elle aussi, de la beauté, mais cette beauté n’avait plus rien de terrestre. Sa pâle et délicate personne, enveloppée de mousseline, avait quelque chose de si aérien, de si diaphane, qu’il semblait que le plus léger souffle dût l’emporter au ciel.

Herbert n’en pouvait détacher les yeux; c’était pourtant la mort, mais la mort non avec ses horreurs, c’était la mort accompagnée d’une indéfinissable poésie.

Quel contraste avec Madeleine rayonnante de vie, de jeunesse, et qui était dans tout l’éclat de la beauté!

Laquelle des deux est à envier, se demanda-t-il tout à coup, est-ce celle qui va mourir ou celle devant qui va s’ouvrir la vie? C’est celle qui va mourir, lui répondit cette voix intérieure qui parfois s’élève en nous. Il frissonna. La réponse lui sembla si distincte, qu’il crut réellement qu’un son avait frappé son oreille. Il se leva soudain, et jeta un regard autour de lui. Il était parfaitement seul. Il se laissa tomber sur l’herbe et se remit au travail, afin de ne plus penser.

Insensiblement l’air s’était alourdi. La chaleur était devenue étouffante. Le ciel s’était obscurci. Le tonnerre grondait sourdement dans le lointain. De larges gouttes d’une pluie chaude tombaient sur le feuillage avec un bruit monotone.

La jeune malade, suffoquée par cet air de feu qui lui brûlait la poitrine, eut une de ces crises qui devait lui être fatale.

Sa mère et sa sœur cherchaient inutilement à la soulager.

Herbert, voyant leur détresse, vint offrir ses services qui furent acceptés avec reconnaissance. Il courut à la villa et ramena les domestiques avec un brancard sur lequel on coucha la malade. Elle était tombée dans une prostration complète.

Le triste cortége descendit lentement la principale rue de la Cava. Sous les portiques, qui la bordent de chaque côté, se pressait une foule silencieuse qui, les yeux pleins de larmes, regardait passer la bellissima morta. Ainsi disaient les femmes dans leur poétique langage.

Paula vivait encore, mais ses heures étaient comptées.

Quelques jours après, elle cessa de souffrir.

Dieu avait envoyé des ailes à son ange; il était remonté vers lui.

Pendant les jours qui précédèrent le fatal événement, et pendant ceux qui le suivirent, Herbert se multiplia. Il évita à la marquise les affreux détails qui précédèrent l’éternelle séparation, et lui épargna ainsi la plus déchirante des douleurs. Il avait si bien partagé les angoisses et le désespoir de la mère et de la fille, il avait si bien été leur unique appui dans ce terrible moment, qu’il était désormais impossible à l’une et à l’autre de se rappeler ces jours d’affliction sans que son souvenir vînt s’y joindre.

Tout en se dévouant à la jeune malade, Herbert s’était sérieusement épris de Madeleine, et quand il put regarder en lui-même, il se sentit la volonté arrêtée de l’épouser.

Cependant, par respect pour la douleur de la marquise, et pour celle de sa fille, il ralentit ses visites, pendant les premières semaines qui suivirent leur malheur.

Mais à son grand étonnement et à son grand déplaisir, après que trois mois se furent écoulés, Mme de Valby, tout en l’accueillant avec une bienveillance à laquelle se joignait un sentiment d’affection très-marqué, ne l’engageait pas à rapprocher ses visites.

Mme de Valby n’avait plus de fortune. Elle avait mal conduit la sienne, et d’une aisance large et honorable, elle était presque arrivée à la gêne. Cependant, en menant un plus grand train qu’elle ne le pouvait, en essayant de jeter de la poudre d’or à tous les yeux, elle avait moins cédé à ses goûts qu’à l’espoir d’arriver ainsi, pour ses filles, à quelque brillant mariage.

Elle avait beaucoup entendu parler de la fortune du vicomte. Elle avait connu M. de Séris et savait que la terre qu’il avait laissée à Herbert représentait un capital considérable. Elle savait aussi que le comte Frédéric avait une fortune immense. A Paris, où l’on juge si souvent sur les apparences, Herbert passait pour être très-riche. Comme il avait tout payé, sa ruine s’était consommée à petit bruit; d’ailleurs, il avait fait figure jusqu’à la fin, et s’était bien gardé de confier à qui que ce fût le véritable état de ses affaires. Cela avait suffi pour imposer non-seulement à la multitude, mais encore au monde dans lequel il vivait, et on le croyait encore riche.

Mme de Valby crut donc avoir trouvé le magnifique parti que rêvait son ambition maternelle. Au milieu de ses douloureuses préoccupations, la sympathie du vicomte pour Madeleine ne l’avait point laissée indifférente, et, plus tard, l’unique chose qui pût apaiser l’immense douleur que lui causait la perte qu’elle venait de faire, ce fut l’espoir de ce mariage.

Mais quelle que fût son ambition, elle avait encore plus de cette sorte d’orgueil qui donne une si haute idée de soi et des siens, que tout en souhaitant ardemment qu’Herbert recherchât sa fille, pour rien au monde elle n’eût voulu avoir l’air de la lui jeter à la tête.

Elle passait avec raison pour une femme habile, pour une maîtresse femme; les mauvaises langues, celles qui médisent, à plaisir, du prochain, l’accusaient même de pousser l’habileté jusqu’à l’intrigue; mais le vrai était qu’elle avait l’esprit fin, adroit, résolu; et avec un tel esprit on ose et on arrive.

Elle usa donc de toute son adresse pour faire désirer au vicomte d’épouser sa fille. Elle feignit de ne pas s’apercevoir qu’il éloignait ses visites, elle ne lui dit pas un mot qui l’engageât à les rapprocher, et elle eut grand soin que son accueil, tout flatteur et affectueux qu’il fût, ne pût cependant éveiller chez le jeune homme aucune espérance.

Aussi, en voyant que les occasions de se trouver avec Madeleine devenaient de plus en plus rares, en voyant que jamais il ne restait un instant seul avec elle, et que Mme de Valby, tout en le traitant en ami, tout en l’appelant même son cher enfant, n’avait pas la moindre arrière-pensée, puisqu’elle parlait à tout moment de son départ, sans jamais faire d’allusion au revoir, Herbert s’abandonna au chagrin et au découragement.

Privé de voir Madeleine, sa passion s’irrita: il en devint follement épris; vivre loin d’elle lui fut impossible, si impossible qu’un jour il alla le dire à la marquise et lui demanda la main de sa fille.

Elle ne l’attendait pas aussitôt; sa surprise ne fut donc pas feinte. Elle parut hésiter; elle demanda quelques jours de réflexion. Elle demanda à consulter sa fille. Mais tout cela était pour mieux et plus sûrement arriver à son but. Elle savait que moins elle montrerait d’empressement, plus la passion du vicomte s’exalterait. Elle savait aussi d’avance que Madeleine dirait oui, car elle observait soigneusement sa fille, et elle voyait qu’elle s’attristait et souffrait de ne plus recevoir que rare ment les visites d’Herbeit.

Mlle de Valby était aussi belle d’âme que de visage. Tendre, sensible, dévouée, vive et fixe dans ses affections, elle avait encore le plus charmant caractère.

Quand elle aimait, le moi n’existait plus en elle. Jour et nuit elle était restée auprès de sa sœur. Tant que l’espérance l’avait soutenue, elle avait été insensible à la fatigue. Le désespoir seul avait éveillé en elle la souffrance.

Mme de Valby, femme d’une intelligence supérieure, avait dirigé elle-même l’éducation de sa fille, et s’était appliquée à développer ses heureuses dispositions.

Madeleine avait l’esprit brillant et gai. Sa mémoire était heureuse. Elle retenait facilement et appliquait avec justesse et à-propos ce qu’elle avait retenu. Aussi, tout enjouée que fût sa conversation, elle avait du fond.

La musique et le dessin étaient ses occupations favorites.

C’était une nature surtout accessible à ce qui venait du cœur, ou à ce qui paraissait en venir; mais sa bonté lui faisait trop souvent prendre l’apparence pour la réalité.

Sa vive imagination, qui ne lui permettait de saisir que le beau côté des choses, et sa foi absolue dans le bien, l’empêchaient de se défier assez du mal. Son extrême sensibilité la prédisposait donc fatalement à souffrir, car plus le cœur est confiant et sincère, plus l’âme est délicate et élevée, plus les désillusions et les déceptions lui sont douloureuses et amères. Mais les qualités qui devaient inévitablement faire, dans la vie positive, le tourment de Madeleine, faisaient aussi son grand charme.

Ce ne fut pourtant point ce charme qui attira Herbert, ce ne furent point même ses qualités, quoiqu’il les reconnût et qu’il les admirât: ce fut uniquement sa beauté.

Le vicomte avait un caractère sur lequel il était si impossible de compter, qu’il n’y avait, au monde, que lui qui crût en lui-même. Léger en tout, il traitait les choses de cœur comme il traitait les choses d’honneur. Il se jouait de la passion comme de tout le reste. Cependant, il en affectait les dehors et la prenait même du côté dramatique. Volontiers, il eût mis en avant poignards et épées; l’extraordinaire, ce qui pouvait le poser en héros d’aventures, lui plaisait par-dessus tout. Mais si, pour donner une preuve d’attachement à la plus idolâtrée de ses idoles, il lui avait fallu, de crainte de l’affliger, refuser de se passer d’un caprice, il en eût été incapable. Son plaisir, sa satisfaction avant tout. Quitte à demander ensuite humblement pardon, à jouer la franchise si sa trahison était découverte. Sa belle taille, sa tournure de prince, son air de distinction, son je ne sais quoi de rêveur qui avait remplacé le brio de sa première jeunesse, faisait qu’il séduisait dès l’abord.

Les femmes prenaient son apparente douceur pour de la bonté. Elles se trompaient étrangement. Il était trop pauvre de cœur et trop faible de caractère pour être vraiment bon.

Quand il se figurait aimer, il aimait en lâche et en hypocrite. Car, tout en prodiguant ses serments, il songeait déjà aux moyens de les trahir plus tard. Son amour n’était que du caprice. En phrase seulement, il atteignait le sublime de la passion.

Les larmes, il est vrai, lui venaient aux yeux avec un à-propos infini, si on lui confiait un chagrin ou si on lui racontait une belle action; cependant, au fond, il y demeurait complétement insensible.

Les arts paraissaient l’enthousiasmer; il en parlait de manière à faire croire qu’il avait le feu sacré; mais son âme n’était point assez élevée pour s’y échauffer: c’était par genre qu’il en affectait le goût. Il avait la manie du brocantage, parce qu’il se croyait plus fin que son vendeur et espérait toujours faire quelque achat merveilleux.

L’expression de sa physionomie était une erreur de la nature, qui aurait dû, au contraire, par quelque trait de son visage, indiquer la duplicité de son cœur. Herbert mentait peut-être encore plus par la fausse douceur de son regard que par celle de son langage.

Hors les tirades sentimentales qui lui venaient merveilleusement à propos dans les grands moments, il ne pouvait traiter sérieusement même les sujets les plus graves. Souvent il paraissait se recueillir en lui-même, mais rien n’était creux comme ce silence et ce recueillement: son mutisme n’était pas de la réflexion, c’était de la somnolence.

Il avait des indulgences raffinées pour le mal, et des indifférences inouïes pour le bien, quand il était à son aise et qu’il n’avait aucun motif pour paraître bon ou sensible et qu’il osait enfin être lui-même.

Mais la jeunesse, l’élégance, un grand usage du monde, jetaient sur ce vilain fond un charme trompeur qui empêchait non-seulement de l’apercevoir, mais même de le soupçonner.

Il eût donc été impossible à la marquise, malgré toute sa finesse, de juger le vicomte. Quant à Madeleine, elle ne le voyait qu’à travers sa sincérité à elle, et elle devait longtemps être trompée.

Il n’avait d’ailleurs paru en pied ni devant la mère ni devant la fille. Il ne leur avait montré de lui-même qu’une miniature très-flattée et très-réussie, car la mort de Paula lui avait formé le cadre le plus avantageux.

Quelle que fût l’ambition de Mme de Valby pour sa fille, quel que fût son désir de lui voir faire ce qu’elle croyait un riche mariage, elle eût certainement rompu s’il lui avait été seulement possible d’entrevoir le caractère véritable de son futur gendre. Elle avait bien reconnu, cependant, que, sous l’aimable esprit d’Herbert, se cachaient une grande faiblesse et un grand entêtement; elle ne s’y était pas trompée, mais ne s’en était pas non plus effrayée; elle s’était simplement dit: Madeleine sera la maîtresse.

La marquise se trompait; elle oubliait qu’une femme acquiert bien rarement de l’influence sur un homme sans caractère, et que, malgré tout l’esprit de Madeleine, il lui serait bien difficile d’avoir raison d’un entêté, parce qu’un entêté veut etne raisonne pas. Mais alors, Mme de Valby ne voyait pas ainsi les choses. Il n’y a pas de mari parfait, pensait-elle, et les défauts qu’elle apercevait dans son futur gendre ne lui semblaient pas de nature à empêcher sa fille d’être heureuse. Elle savait bien encore que le vicomte était vaniteux; elle savait aussi que la beauté et l’esprit de Madeleine le flattaient au plus haut degré: elle en fera tout ce qu’elle voudra, se répétait-elle avec complaisance, et elle ne voyait pas les nuages noirs qui menaçaient l’avenir de Madeleine.

Cependant, tout enchantée que fût la marquise, elle continua à affecter une grande réserve, et, avant de permettre à Herbert de se poser en prétendant, elle mit pour condition que le comte de Béyanes donnerait son assentiment au mariage.

– Ma fille a peu de fortune, dit-elle au vicomte, mais il vous convient, sans doute, qu’il en soit ainsi, puisque vous me la demandez avec tant d’insistance. Cependant précisément à cause de ce peu de fortune, je veux, avant d’aller plus loin, être assurée que votre famille ne vous désapprouvera pas; je veux être certaine que Madeleine serala bienvenue parmi les vôtres. Une Valby n’entre jamais par la petite porte dans une famille.

Le vicomte, qui n’était ni grand, ni généreux, aimait à s’en donner les apparences. Il jouait aussi le désintéressement et s’y entêtait même à ses dépens, quand sa fantaisie l’y poussait, quitte à le déplorer ensuite.

Il savait que Madeleine n’avait pas de fortune, il savait qu’il ne lui en restait guère, et, tout en se reconnaissant le plus dépensier des hommes, tout en n’ignorant pas que sa future avait de grandes habitudes, il passa outre. Sa passion l’enivrait, elle l’emportait sur toutes les considérations, et, sans s’inquiéter de la vie qu’il aurait à offrir à sa compagne, il se fia au hasard, dont, jusque-là, il avait été l’enfant gâté, pour le tirer d’affaire.

En écrivant à son frère que sa future était belle et bien née, en faisant valoir ses alliances, il ressentait une souveraine jouissance. Charlotte n’était-elle pas laide, vulgaire, et Legris par-dessus le marché?

Herbert n’éprouvait aucune reconnaissance pour son frère de l’avoir aidé, sauvé, remis à flot. Il lui en voulait, au contraire, et était bien aise de l’humilier; les obligations qu’il lui avait pesaient à sa vanité. D’ailleurs, il ne pouvait lui pardonner d’être devenu riche pendant que lui s’était ruiné.

Comme M. de Béyanes avait déjà vu plusieurs fois son frère sur le point de faire de pitoyables et honteux mariages, il s’attendait qu’un jour ou l’autre il se laisserait entraîner à quelque folie qui serait une tache pour la famille. Il fut donc trop heureux d’apprendre que sa nouvelle passion était une jeune fille bien née, digne de considération et portant un nom honorable.

Il connaissait la famille de Valby; il savait que la marquise n’était riche qu’en apparence, et que Madeleine n’avait qu’une très-modeste dot et rien à attendre de sa mère; mais il ne s’en préoccupait point, et pensait seulement que cela épargnerait à son frère la honte de ruiner sa femme. Car eût-elle apporté le Pactole à Herbert, qu’il en aurait rapidement épuisé les richesses.

Le vicomte s’empressa de porter à la marquise la réponse de son frère. Elle était faite dans les termes les plus remplis de considération pour la mère, et les plus flatteurs pour la fille.

Ce fut avec une véritable allégresse qu’Herbert recommença à venir chaque jour chez sa future et à passer auprès d’elle, non de courts instants, mais des heures qui lui paraissaient délicieuses.

La séparation avait exalté son amour. Madeleine était pour lui une créature divine, incomparable, qui, malheureusement, parlait encore bien plus à son imagination qu’à son cœur.

C’était, en effet, une ravissante jeune fille qui eût mérité une tendresse plus sérieuse et mieux raisonnée, car ses sentiments pouvaient supporter l’analyse: elle n’avait qu’à y gagner.

La guerre au château

Подняться наверх