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V

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Le mariage se fit très-simplement, à cause du deuil qu’Herbert prit le lendemain, afin de témoigner à Madeleine qu’il partageait les regrets que lui avait laissés cette sœur chérie.

Le futur avait fait des cadeaux en rapport avec la fortune qu’on lui supposait et non avec celle qu’il avait. Le comte réclama pour cette fois encore de remplir son rôle de père, et se chargea des diamants. Il se montra tout à fait magnifique. Charlotte, toute Legris qu’elle était, envoya à sa belle-sœur des pendants d’oreilles et une agrafe en perles et rubis qui n’avaient rien de bourgeois.

– Peste! se dit Herbert en ouvrant l’écrin, ma belle-sœur fait les choses comme si elle était une vraie grande dame!

La comtesse avait joint à son présent une lettre des plus affectueuses.

Si elle pouvait prendre Madeleine en amitié, pensait-il tout en lisant, les choses iraient à merveille; mais elle sera jalouse, il est impossible qu’il en soit autrement. Et la différence qu’il se complut à établir entre les deux femmes le gonfla de satisfaction vaniteuse.

La lune de miel parut à la jeune femme un temps béni.

Pleine de foi dans l’amour d’Herbert, elle lui donna le sien en toute confiance. Elle crut que les qualités qu’elle prêtait à son mari étaient bien à lui; elle crut qu’il resterait toujours tel qu’elle croyait le voir, et elle s’abandonna au doux rêve d’une longue vie de bonheur.

Elle le fit, ce rêve, en toute sécurité, car la tendresse, pour être durable, doit être fondée sur les sentiments, et elle trouvait qu’Herbert était à la fois l’être le plus charmant et le plus accompli.

Pendant son voyage de noces, la jeune vicomtesse visita Naples, mais elle le trouva trop bruyant, et lui préféra tour à tour Sorrente, Ischia et Amalfi.

C’était pour Madeleine un continuel enivrement que de parcourir ce beau pays avec l’homme qu’elle aimait. La séparation qui avait précédé le consentement du comte, le chagrin qu’elle en avait éprouvé, lui faisaient encore mieux sentir son bonheur présent.

Elle n’avait d’yeux, d’oreilles et d’âme que pour son mari. La pensée de ne plus se quitter lui mettait au cœur un indicible ravissement.

Le ciel, la terre, tout ce beau pays enfin, qui la laissait si calme quelques semaines auparavant, elle le regardait maintenant avec enthousiasme, parce qu’elle le voyait au travers de son amour; aussi lui semblait-il ne l’avoir jamais vu et le contempler pour la première fois.

Herbert était fou de sa joie; il avait pour elle ces tendres prévenances, ces délicates attentions que peut seule inspirer la tendresse la plus passionnée. Il lui laissait si bien voir qu’elle était sa chère et constante pensée, il lui disait si bien qu’elle était son unique amour, qu’il n’en avait jamais éprouvé et qu’il n’en aurait jamais d’autre, qu’elle croyait avec bonheur à toutes ces chères paroles. Elle les écoutait ravie, mais recueillie; elle les écoutait avec son cœur, et y renfermait soigneusement toutes ces douces promesses qui devaient la rendre deux fois heureuse; car elle se les répétait quand elle l’avait quitté, et elle n’était jamais seule, et il était toujours là.

Elle croyait Herbert, parce qu’il lui semblait si naturel d’aimer toujours celui qu’elle avait assez aimé pour lui donner sa vie tout entière, qu’elle trouvait tout simple de lui voir les mêmes sentiments.

Sa dernière visite fut pour Ischia.

Un matin, le jeune ménage s’embarqua, dès l’aube, pour aller voir la grotte d’Azur. Le temps était délicieux, la brise tempérait l’ardeur du soleil déjà splendide, quoiqu’il fût à son lever. La mer n’avait pas de vagues, le ciel n’avait pas de nuages, les lointains sortaient radieux de la brume, la barque glissait entre deux rives enchantées. Madeleine avait d’abord pris plaisir à interroger les matelots sur les merveilles de la grotte; puis tout ce beau, tout ce magnifique qui lui passait devant les yeux l’avait insensiblement mise sous le charme. Ce qu’elle voyait, ce qu’elle allait voir, absorbait son esprit, et peu à peu elle s’était abandonnée à la douceur de ses pensées, que son cœur si content rendait encore meilleures.

Cependant, lorsqu’il lui fallut passer de la barque sur le petit batelet plat qui devait la faire pénétrer dans la grotte, et que là, à demi couchée, elle attendit le flot qui devait l’introduire, elle fut prise d’une singulière anxiété. Elle eut peur que ce qu’elle allait voir ne répondît pas à ce qu’elle s’imaginait. La barquette fit un mouvement. Elle ferma les yeux; quand elle les ouvrit, elle était dans la grotte.

Herbert, quel rêve! s’écria-t-elle; quel bonheur de le faire avec toi. Et, s’élançant hors du batelet, elle gravit une pointe de rocher qui s’élevait au-dessus de l’eau et s’y assit.

Ce qu’elle voyait surpassait encore ce qu’elle avait imaginé. C’était un véritable changement à vue, une féerie.

Sur sa tête, les ténèbres avaient subitement remplacé l’éclat du ciel et du soleil; l’azur était maintenant sous ses pieds. Une eau bleue, claire et lumineuse roulait sur un sable d’or, et laissait voir les coraux qui étendaient sur les parois du roc leurs branches capricieuses et éclatantes. Elle regardait curieusement l’architecture de la grotte, ses piliers en stalactites, et, ses yeux s’enhardissant, elle cherchait à en pénétrer les profondeurs.

Herbert, resté dans le batelet, ne regardait que sa femme.

Madeleine, avec sa blanche toilette, au milieu du clair de lune bleuâtre qui l’enveloppait comme d’un nuage, avait quelque chose de fantastique. Elle lui semblait la divinité de la grotte. Et il la contemplait silencieusement, craignant qu’au bruit de sa voix la charmante fée ne disparût.

– Herbert, que c’est beau, s’écria tout d’un coup la jeune femme. Herbert, que je t’aime! Herbert, parle-moi!

Son amour l’emportait toujours sur son admiration.

– Ma belle, ma douce fée, lui répondit-il, je craignais en te parlant de faire évanouir ma chère vision, et de te voir fuir dans ton royaume enchanté, et alors.......

– Alors?…

– Alors, je serais mort de ne pouvoir te suivre! Elle se pencha vers lui; son regard semblait vouloir le pénétrer de tendresse.

– Vrai, bien vrai, lui dit-elle, répète encore.

– Je te le jure.

– Et dans deux ans tu m’aimeras ainsi?

Il couvrit ses mains de baisers.

–Et dans vingt ans tu m’aimeras ainsi?

Il fut s’asseoir auprès d’elle et la serra sur son cœur.

– Mais dans cent ans, ma chère Madeleine, dans mille ans, ajouta-t-il passionnément, je t’aimerai comme je t’aime. Est-ce que toutes mes années ne t’appartiennent pas? C’est par siècles que je voudrais que tu pusses compter mon amour, et tu n’épuiserais pas ma tendresse.

– Que c’est bon de te croire, répliqua-t-elle avec une adorable confiance.

– Ecoute, ma bien-aimée, continua-t-il, et, entraîné par le charme du moment, il était sincère, – jamais je n’oublierai cette heure de joie délicieuse, c’est impossible; mais si j’étais un jour assez malheureux pour t’affliger, pour l’oublier, rappelle-la-moi, et ce souvenir me ramènera à toi.

Il pourrait donc l’oublier, puisque c’est lui-même qui le dit, pensa-t-elle, et son cœur se serra. Une ombre de tristesse se répandit sur son charmant visage. Ses grands yeux se remplirent de larmes.

– Qu’as-tu, mon ange? lui demanda Herbert.

La tendre inflexion de cette voix ramena le sourire sur les lèvres de la jeune femme.

– Je suis trop heureuse, reprit-elle, j’ai peur de perdre mon bonheur.

Vers la fin de juin, le jeune ménage revint en France.

La marquise, en faisant figurer la terre de Valby sur le contrat de mariage de sa fille, et en la lui assurant après elle, avait omis de dire que, sauf la partie affectée à représenter la dot de Madeleine, le reste appartenait à ses créanciers. Le vicomte avait gardé le même silence quant aux droits acquis par les siens sur les fermes et le château de Séris.

Mais, depuis lors, certaines réticences, certaines contradictions dans les paroles de son gendre, avaient inquiété Mme de Valby. Elle commençait même à pressentir que la fortune d’Herbert pourrait bien être embarrassée, et comme elle y comptait pour débarrasser la sienne, il lui avait fallu un grand empire sur elle-même pour cacher ses préoccupations.

Le vicomte, avant de quitter l’Italie, avait décidé qu’il passerait quelques jours à Paris, qu’il ferait ensuite une visite à Béyanes, puis enfin qu’il s’établirait pour le reste de l’été à Séris, et il avait vivement invité Mme de Valby à y passer toute la belle saison.

Le calme et l’assurance qu’il montra en faisant ces projets était l’unique effet de sa volonté, car, pendant qu’il annonçait son intention de faire de Séris la demeure de Madeleine, pendant qu’il engageait sa belle-mère à venir s’y fixer, il se demandait avec inquiétude comment il subviendrait à la dépense. Ses revenus appartenaient à ses créanciers; ce qui lui restait aurait à peine suffi pour lui seu et tout l’argent comptant dont il pouvait disposer avait passé dans la corbeille qu’il avait offerte à sa femme et dans son voyage de noces.

Néanmoins, ce fut d’un air parfaitement naturel, et sans laisser paraître le moindre embarras, qu’il parla des fêtes, des dîners et des chasses qu’il allait donner pour l’arrivée de Madeleine; des chevaux, des voitures qu’il allait acheter.

La marquise, dont la défiance était éveillée, l’écoutait et l’observait attentivement. Elle se demandait s’il disait vrai ou s’il mentait, et, dans ce dernier cas, il mentait avec une telle perfection, une telle audace, qu’il devait en avoir une effrayante habitude. Et son cœur, pour la première fois, se troubla en pensant à l’avenir de sa fille.

Quant à Madeleine, c’était Herbert seul qu’elle aimait. Elle était sa femme, que lui importait le reste!

En arrivant à Marseille, le vicomte trouva une lettre de son frère. Elle lui annonçait que le comte avait retenu pour lui et sa femme un appartement au Grand-Hôtel, et qu’il les y attendait, voulant être le premier à souhaiter la bienvenue à sa charmante belle-sœur.

Cette lettre combla Herbert de joie. Le comte à Paris! Il n’avait plus à se tourmenter. Il était certain de sortir d’affaire. L’affection que son frère lui portait, l’estime qu’allait lui inspirer sa femme: il était sauvé !

La guerre au château

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