Читать книгу Les Oeuvres Complètes de Molière (33 pièces en ordre chronologique) - Molière - Страница 203
Scène première
ОглавлениеGorgibus, Célie, sa suivante.
Célie, sortant toute éplorée et son père la suivant.
Ah! n’espérez jamais que mon coeur y consente.
Gorgibus
Que marmottez-vous là petite impertinente,
Vous prétendez choquer ce que j’ai résolu,
Je n’aurai pas sur vous un pouvoir absolu,
Et par sottes raisons votre jeune cervelle
Voudrait régler ici la raison paternelle.
Qui de nous deux à l’autre a droit de faire loi,
À votre avis, qui mieux, ou de vous, ou de moi
Ô sotte, peut juger ce qui vous est utile!
Par la corbleu, gardez d’échauffer trop ma bile,
Vous pourriez éprouver sans beaucoup de longueur
Si mon bras sait encor montrer quelque vigueur.
Votre plus court sera Madame la mutine,
D’accepter sans façons l’époux qu’on vous destine.
15J’ignore, dites-vous, de quelle humeur il est,
Et dois auparavant consulter s’il vous plaît.
Informé du grand bien qui lui tombe en partage,
Dois-je prendre le soin d’en savoir davantage,
Et cet époux ayant vingt mille bons ducats,
Pour être aimé de vous doit-il manquer d’appas.
Allez tel qu’il puisse être avecque cette somme,
Je vous suis caution qu’il est très honnête homme.
Célie
Hélas!
Gorgibus
Hélas! Eh bien, hélas! que veut dire ceci,
Voyez le bel hélas! qu’elle nous donne ici.
Hé! que si la colère une fois me transporte,
Je vous ferai chanter hélas! de belle sorte.
Voilà, voilà le fruit de ces empressements
Qu’on vous voit nuit et jour à lire vos romans,
De quolibets d’amour votre tête est remplie,
Et vous parlez de Dieu, bien moins que de Clélie.
Jetez-moi dans le feu tous ces méchants écrits
Qui gâtent tous les jours tant de jeunes esprits,
Lisez-moi comme il faut au lieu de ces sornettes
Les Quatrains de Pibrac, et les doctes Tablettes
Du conseiller Matthieu, ouvrage de valeur
Et plein de beaux dictons à réciter par coeur.
La Guide des pécheurs est encore un bon livre;
C’est là qu’en peu de temps on apprend à bien vivre,
Et si vous n’aviez lu que ces moralités,
40Vous sauriez un peu mieux suivre mes volontés.
Célie
Quoi vous prétendez donc mon père, que j’oublie
La constante amitié que je dois à Lélie,
J’aurais tort si sans vous je disposais de moi;
Mais vous-même à ses voeux engageâtes ma foi.
Gorgibus
Lui fût-elle engagée encore davantage,
Un autre est survenu dont le bien l’en dégage.
Lélie est fort bien fait; mais apprends qu’il n’est rien
Qui ne doive céder au soin d’avoir du bien,
Que l’or donne aux plus laids certain charme pour plaire,
50Et que sans lui le reste est une triste affaire.
Valère, je crois bien, n’est pas de toi chéri;
Mais s’il ne l’est amant, il le sera mari
Plus que l’on ne le croit, ce nom d’époux engage
Et l’amour est souvent un fruit du mariage.
Mais suis-je pas bien fat de vouloir raisonner,
Où de droit absolu j’ai pouvoir d’ordonner,
Trêve donc je vous prie à vos impertinences,
Que je n’entende plus vos sottes doléances:
Ce gendre doit venir vous visiter ce soir,
Manquez un peu, manquez, à le bien recevoir,
Si je ne vous lui vois faire fort bon visage
Je vous… je ne veux pas en dire davantage.