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Scène XVII

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Sganarelle, seul.

Que le Ciel la préserve à jamais de danger.

Voyez quelle bonté de vouloir me venger:

En effet, son courroux qu’excite ma disgrâce

M’enseigne hautement ce qu’il faut que je fasse,

Et l’on ne doit jamais souffrir sans dire mot

De semblables affronts à moins qu’être un vrai sot.

Courons donc le chercher cependant qui m’affronte,

Montrons notre courage à venger notre honte.

Vous apprendrez, maroufle, à rire à nos dépens

Et sans aucun respect faire cocus les gens.

(Il se retourne ayant fait trois ou quatre pas. )

Doucement, s’il vous plaît, cet homme a bien la mine

D’avoir le sang bouillant et l’âme un peu mutine,

Il pourrait bien mettant affront dessus affront

420Charger de bois mon dos, comme il a fait mon front.

Je hais de tout mon coeur les esprits colériques,

Et porte grand amour aux hommes pacifiques:

Je ne suis point battant de peur d’être battu

Et l’humeur débonnaire est ma grande vertu.

Mais mon honneur me dit que d’une telle offense

Il faut absolument que je prenne vengeance.

Ma foi, laissons-le dire autant qu’il lui plaira,

Au diantre qui pourtant rien du tout en fera:

Quand j’aurai fait le brave, et qu’un fer pour ma peine

M’aura d’un vilain coup transpercé la bedaine,

Que par la ville ira le bruit de mon trépas,

Dites-moi mon honneur en serez-vous plus gras?

La bière est un séjour par trop mélancolique

Et trop malsain pour ceux qui craignent la colique,

Et quant à moi je trouve, ayant tout compassé,

Qu’il vaut mieux être encor cocu que trépassé:

Quel mal cela fait-il? La jambe en devient-elle

Plus tortue après tout, et la taille moins belle.

Peste soit qui premier trouva l’invention

De s’affliger l’esprit de cette vision,

Et d’attacher l’honneur de l’homme le plus sage

Aux choses que peut faire une femme volage;

Puisqu’on tient à bon droit tout crime personnel

Que fait là notre honneur pour être criminel,

Des actions d’autrui l’on nous donne le blâme,

Si nos femmes sans nous ont un commerce infâme,

Il faut que tout le mal tombe sur notre dos,

Elles font la sottise, et nous sommes les sots,

C’est un vilain abus et les gens de police

Nous devraient bien régler une telle injustice.

N’avons-nous pas assez des autres accidents

Qui nous viennent happer en dépit de nos dents,

Les querelles, procès, faim, soif, et maladie,

Troublent-ils pas assez le repos de la vie

Sans s’aller de surcroît aviser sottement

De se faire un chagrin qui n’a nul fondement.

Moquons-nous de cela, méprisons les alarmes,

Et mettons sous nos pieds les soupirs et les larmes,

Si ma femme a failli, qu’elle pleure bien fort;

Mais pourquoi moi pleurer puisque je n’ai point tort:

En tout cas ce qui peut m’ôter ma fâcherie,

C’est que je ne suis pas seul de ma confrérie,

Voir cajoler sa femme et n’en témoigner rien

Se pratique aujourd’hui par force gens de bien:

N’allons donc point chercher à faire une querelle

Pour un affront qui n’est que pure bagatelle.

L’on m’appellera sot de ne me venger pas;

Mais je le serais fort de courir au trépas.

(Mettant la main sur son estomac. )

Je me sens là, pourtant remuer une bile

Qui veut me conseiller quelque action virile:

Oui le courroux me prend, c’est trop être poltron,

Je veux résolûment me venger du larron:

Déjà pour commencer dans l’ardeur qui m’enflamme,

Je vais dire partout qu’il couche avec ma femme.

Les Oeuvres Complètes de Molière (33 pièces en ordre chronologique)

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