Читать книгу LUPIN - Les aventures du gentleman-cambrioleur - Морис Леблан - Страница 49

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Geneviève entra, vive et charmante.

– Toutes mes petites sont au dortoir, j’ai dix minutes de répit… Eh bien, grand-mère, qu’est-ce que c’est ? Tu as une figure toute drôle… Est-ce encore cette histoire ?

– Non, mademoiselle, dit Sernine, je crois avoir été assez heureux pour rassurer votre grand-mère. Seulement, nous causions de vous, de votre enfance, et c’est un sujet, semble-t-il, que votre grand-mère n’aborde pas sans émotion.

– De mon enfance ? dit Geneviève en rougissant… Oh ! Grand-mère !

– Ne la grondez pas, mademoiselle, c’est le hasard qui a amené la conversation sur ce terrain. Il se trouve que j’ai passé souvent par le petit village où vous avez été élevée.

– Aspremont ?

– Aspremont, près de Nice… Vous habitiez là une maison neuve, toute blanche…

– Oui, dit-elle, toute blanche, avec un peu de peinture bleue autour des fenêtres… J’étais bien jeune, puisque j’ai quitté Aspremont à sept ans ; mais je me rappelle les moindres choses de ce temps-là. Et je n’ai pas oublié l’éclat du soleil sur la façade blanche, ni l’ombre de l’eucalyptus au bout du jardin…

– Au bout du jardin, mademoiselle, il y avait un champ d’oliviers, et, sous un de ces oliviers, une table où votre mère travaillait les jours de chaleur

– C’est vrai, c’est vrai, dit-elle, toute remuée… moi, je jouais à côté…

– Et c’est là, dit-il, que j’ai vu votre mère plusieurs fois… Tout de suite, en vous voyant, j’ai retrouvé son image plus gaie, plus heureuse.

– Ma pauvre mère, en effet, n’était pas heureuse. Mon père était mort le jour même de ma naissance, et rien n’avait pu la consoler. Elle pleurait beaucoup. J’ai gardé de cette époque un petit mouchoir avec lequel j’essuyais ses larmes.

– Un petit mouchoir à dessins rosés.

– Quoi ! fit-elle, saisie d’étonnement, vous savez…

– J’étais là, un jour, quand vous la consoliez… Et vous la consoliez si gentiment que la scène est restée précise dans ma mémoire. Elle le regarda profondément, et murmura, presque en elle-même :

– Oui… oui… il me semble bien… l’expression de vos yeux… et puis le son de votre voix…

Elle baissa les paupières un instant, et se recueillit comme si elle cherchait vainement à fixer un souvenir qui lui échappait. Et elle reprit :

– Alors vous la connaissiez ?

– J’avais des amis près d’Aspremont, chez qui je la rencontrais. La dernière fois, elle m’a paru plus triste encore… plus pâle, et quand je suis revenu…

– C’était fini, n’est-ce pas ? dit Geneviève… oui, elle est partie très vite… en quelques semaines… et je suis restée seule avec des voisins qui la veillaient… et un matin on l’a emportée… Et le soir de ce jour, comme je dormais, il est venu quelqu’un qui m’a prise dans ses bras, qui m’a enveloppée de couvertures…

– Un homme ? dit le prince.

– Oui, un homme. Il me parlait tout bas, très doucement… sa voix me faisait du bien… et, en m’emmenant sur la route, puis en voiture dans la nuit, il me berçait et me racontait des histoires… de sa même voix… de sa même voix…

Elle s’était interrompue peu à peu, et elle le regardait de nouveau, plus profondément encore et avec un effort visible pour saisir l’impression fugitive qui l’effleurait par instants.

Il lui dit :

– Et après ? Où vous a-t-il conduite ?

– Là, mon souvenir est vague… C’est comme si j’avais dormi plusieurs jours… Je me retrouve seulement dans le bourg de Vendée où j’ai passé toute la seconde moitié de mon enfance, à Montégut, chez le père et la mère Izereau, de braves gens qui m’ont nourrie, qui m’ont élevée, et dont je n’oublierai jamais le dévouement et la tendresse.

– Et ils sont morts aussi, ceux-là ?

– Oui, dit-elle… une épidémie de fièvre typhoïde dans la région… mais je ne le sus que plus tard… Dès le début de leur maladie, j’avais été emportée comme la première fois, et dans les mêmes conditions, la nuit, par quelqu’un qui m’enveloppa également de couvertures… Seulement, j’étais plus grande, je me débattis, je voulus crier… et il dut me fermer la bouche avec un foulard.

– Vous aviez quel âge ?

– Quatorze ans… il y a de cela quatre ans.

– Donc, vous avez pu distinguer cet homme ?

– Non, celui-là se cachait davantage, et il ne m’a pas dit un seul mot… Cependant j’ai toujours pensé que c’était le même car j’ai gardé le souvenir de la même sollicitude, des mêmes gestes attentifs, pleins de précaution.

– Et après ?

– Après, comme jadis, il y a de l’oubli, du sommeil… Cette fois, j’ai été malade, paraît-il, j’ai eu la fièvre… Et je me réveille dans une chambre gaie, claire. Une dame à cheveux blancs est penchée sur moi et me sourit. C’est grand-mère… et la chambre, c’est celle que j’occupe là-haut.

Elle avait repris sa figure heureuse, sa jolie expression lumineuse, et elle termina en souriant :

– Et voilà comme quoi Mme Ernemont m’a trouvée un soir au seuil de sa porte, endormie, paraît-il, comme quoi elle m’a recueillie, comme quoi elle est devenue ma grand-mère, et comme quoi, après quelques épreuves, la petite fille d’Aspremont goûte les joies d’une existence calme, et apprend le calcul et la grammaire à des petites filles rebelles ou paresseuses mais qui l’aiment bien.

Elle s’exprimait gaiement, d’un ton à la fois réfléchi et allègre, et l’on sentait en elle l’équilibre d’une nature raisonnable.

Sernine l’écoutait avec une surprise croissante, et sans chercher à dissimuler son trouble.

Il demanda :

– Vous n’avez jamais entendu parler de cet homme, depuis ?

– Jamais.

– Et vous seriez contente de le revoir ?

– Oui, très contente.

– Eh bien, mademoiselle…

Geneviève tressaillit.

– Vous savez quelque chose… la vérité peut-être…

– Non… non… seulement…

Il se leva et se promena dans la pièce. De temps à autre son regard s’arrêtait sur Geneviève, et il semblait qu’il était sur le point de répondre par des mots plus précis à la question qui lui était posée. Allait-il parler ?

Mme Ernemont attendait avec angoisse la révélation de ce secret dont pouvait dépendre le repos de la jeune fille.

Il revint s’asseoir auprès de Geneviève, parut encore hésiter, et lui dit enfin :

– Non… non… une idée m’était venue… un souvenir…

– Un souvenir ? Et alors ?

– Je me suis trompé. Il y avait dans votre récit certains détails qui m’ont induit en erreur.

– Vous en êtes sûr ?

Il hésita encore, puis affirma :

– Absolument sûr.

– Eh ! dit-elle, désappointée, j’avais cru deviner que vous connaissiez…

Elle n’acheva pas, attendant une réponse à la question qu’elle lui posait, sans oser la formuler complètement.

Il se tut. Alors, n’insistant pas davantage, elle se pencha vers Mme Ernemont.

– Bonsoir, grand-mère, mes petites doivent être au lit, mais aucune d’elles ne pourrait dormir avant que je l’aie embrassée. Elle tendit la main au prince.

– Merci encore…

– Vous partez ? dit-il vivement.

– Excusez-moi ; grand-mère vous reconduira…

Il s’inclina devant elle et lui baisa la main. Au moment d’ouvrir la porte, elle se retourna et sourit.

Puis elle disparut.

Le prince écouta le bruit de ses pas qui s’éloignait, et il ne bougeait point, la figure pâle d’émotion.

– Eh bien, dit la vieille dame, tu n’as pas parlé ?

– Non…

– Ce secret…

– Plus tard… aujourd’hui, c’est étrange… Je n’ai pas pu.

– était-ce donc si difficile ? Ne l’a-t-elle pas senti, elle, que tu étais l’inconnu qui, deux fois, l’avait emportée ? Il suffisait d’un mot…

– Plus tard… plus tard… dit-il en reprenant toute son assurance. Tu comprends bien… cette enfant me connaît à peine… Il faut d’abord que je conquière des droits à son affection, à sa tendresse… Quand je lui aurai donné l’existence qu’elle mérite, une existence merveilleuse, comme on en voit dans les contes de fées, alors je parlerai.

La vieille dame hocha la tête.

– J’ai bien peur que tu ne te trompes… Geneviève n’a pas besoin d’une existence merveilleuse… Elle a des goûts simples.

– Elle a les goûts de toutes les femmes, et la fortune, le luxe, la puissance procurent des joies qu’aucune d’elles ne méprise.

– Si, Geneviève. Et tu ferais mieux…

– Nous verrons bien. Pour l’instant, laisse-moi faire. Et sois tranquille. Je n’ai nullement l’intention, comme tu dis, de mêler Geneviève à toutes mes manigances. C’est à peine si elle me verra… Seulement, quoi, il fallait bien prendre contact… C’est fait… Adieu.

Il sortit de l’école, et se dirigea vers son automobile.

Il était tout heureux.

– Elle est charmante… et si douce, si grave ! Les yeux de sa mère, ces yeux qui m’attendrissaient jusqu’aux larmes… Mon Dieu, comme tout cela est loin ! Et quel joli souvenir… un peu triste, mais si joli !

Et il dit à haute voix :

– Certes oui, je m’occuperai de son bonheur. Et tout de suite encore ! Et dès ce soir ! Parfaitement, dès ce soir, elle aura un fiancé ! Pour les jeunes filles, n’est-ce pas la condition du bonheur ?

LUPIN - Les aventures du gentleman-cambrioleur

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