Читать книгу LUPIN - Les aventures du gentleman-cambrioleur - Морис Леблан - Страница 59
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Оглавление– Je ne me trompais pas, dit M. Lenormand, la communication est de date récente. Tu vois, ce sont des travaux faits à la hâte et pour une durée d’ailleurs limitée… Pas de maçonnerie. De place en place deux madriers en croix et une solive qui sert de plafond, et c’est tout. Ça tiendra ce que ça tiendra, mais toujours assez pour le but qu’on poursuit, c’est-à-dire…
– C’est-à-dire quoi, chef ?
– Eh bien, d’abord pour permettre les allées et venues entre Gertrude et ses complices… et puis, un jour, un jour prochain, l’enlèvement ou plutôt la disparition miraculeuse, incompréhensible de Mme Kesselbach.
Ils avançaient avec précaution pour ne pas heurter certaines poutres, dont la solidité ne semblait pas inébranlable. À première vue, la longueur du tunnel était de beaucoup supérieure aux cinquante mètres tout au plus qui séparaient le pavillon de l’enceinte du jardin. Il devait donc aboutir assez loin des murs, et au-delà d’un chemin qui longeait le domaine.
– Nous n’allons pas du côté de Villeneuve et de l’étang, par ici ? demanda Gourel.
– Du tout, juste à l’opposé, affirma M. Lenormand. La galerie descendait en pente douce. Il y eut une marche, puis une autre, et l’on obliqua vers la droite. À ce moment ils se heurtèrent à une porte qui était encastrée dans un rectangle de moellons soigneusement cimentés. M. Lenormand l’ayant poussée, elle s’ouvrit.
– Une seconde, Gourel, dit-il en s’arrêtant… réfléchissons… il vaudrait peut-être mieux rebrousser chemin.
– Et pourquoi ?
– Il faut penser que Ribeira a prévu le péril, et supposer qu’il a pris ses précautions au cas où le souterrain serait démasqué. Or, il sait que nous fouillons le jardin. Il nous a vus sans doute entrer dans ce pavillon. Qui nous assure qu’il n’est pas en train de nous tendre un piège ?
– Nous sommes deux, chef.
– Et ils sont vingt, eux.
Il regarda. Le souterrain remontait, et il marcha vers l’autre porte, distante de cinq à six mètres.
– Allons jusqu’ici, dit-il, nous verrons bien.
Il passa, suivi de Gourel auquel il recommanda de laisser la porte ouverte, et il marcha vers l’autre porte, se promettant bien de ne pas aller plus loin. Mais celle-ci était close, et, bien que la serrure parût fonctionner, il ne parvint pas à ouvrir.
– Le verrou est mis, dit-il. Ne faisons pas de bruit et revenons. D’autant que, dehors, nous établirons, d’après l’orientation de la galerie, la ligne sur laquelle il faudra chercher l’autre issue du souterrain.
Ils revinrent donc sur leurs pas vers la première porte, quand Gourel, qui marchait le premier, eut une exclamation de surprise.
– Tiens, elle est fermée…
– Comment ! Mais je t’avais dit de la laisser ouverte.
– Je l’ai laissée ouverte, chef, mais le battant est retombé tout seul.
– Impossible ! Nous aurions entendu le bruit.
– Alors ?…
– Alors… alors je ne sais pas… Il s’approcha.
– Voyons… il y a une clef… Elle tourne. Mais de l’autre côté il doit y avoir un verrou…
– Qui l’aurait mis ?
– Eux parbleu ! Derrière notre dos. Ils ont peut-être une autre galerie qui longe celle-ci ou bien ils étaient restés dans ce pavillon inhabité… Enfin, quoi, nous sommes pris au piège.
Il s’acharna contre la serrure, introduisit son couteau dans la fente, chercha tous les moyens, puis, en un moment de lassitude, prononça :
– Rien à faire !
– Comment, chef, rien à faire ? En ce cas, nous sommes fichus ?
– Ma foi… dit-il.
Ils retournèrent à l’autre porte, puis revinrent à la première. Elles étaient toutes deux massives, en bois dur, renforcées par des traverses somme toute indestructibles.
– Il faudrait une hache, dit le chef de la Sûreté ou tout au moins un instrument sérieux… un couteau même, avec lequel on essaierait de découper l’emplacement probable du verrou… Et nous n’avons rien.
Il eut un accès de rage subit, et se rua contre l’obstacle, comme s’il espérait l’abolir. Puis, impuissant, vaincu, il dit à Gourel :
– écoute, nous verrons ça dans une heure ou deux… Je suis éreinté, je vais dormir… Veille, pendant ce temps-là… Et si l’on venait nous attaquer…
– Ah ! Si l’on venait, nous serions sauvés, chef… s’écria Gourel en homme qu’eût soulagé la bataille, si inégale qu’elle fût.
M. Lenormand se coucha par terre. Au bout d’une minute il dormait.
Quand il se réveilla, il resta quelques secondes indécis, sans comprendre, et il se demandait aussi quelle était cette sorte de souffrance qui le tourmentait.
– Gourel, appela-t-il… Eh bien ! Gourel ?
N’obtenant pas de réponse, il fit jouer le ressort de sa lanterne, et il aperçut Gourel à côté de lui qui dormait profondément.
« Qu’est-ce que j’ai à souffrir ainsi ? pensait-il… de véritables tiraillements… Ah ça ! Mais j’ai faim ! Tout simplement je meurs de faim ! Quelle heure est-il donc ? »
Sa montre marquait sept heures vingt, mais il se rappela qu’il ne l’avait pas remontée. La montre de Gourel ne marchait pas davantage.
Celui-ci cependant s’étant réveillé sous l’action des mêmes souffrances d’estomac, ils estimèrent que l’heure du déjeuner devait être largement dépassée, et qu’ils avaient déjà dormi une partie du jour.
– J’ai les jambes tout engourdies, déclara Gourel… et les pieds comme s’ils étaient dans de la glace… Quelle drôle d’impression !
Il voulut se frictionner et reprit :
– Tiens, mais ce n’est pas dans la glace qu’ils étaient mes pieds, c’est dans l’eau… Regardez, chef… Du côté de la première porte c’est une véritable mare…
– Des infiltrations, répondit M. Lenormand. Remontons vers la seconde porte, tu te sécheras…
– Mais qu’est-ce que vous faites donc, chef ?
– Crois-tu que je me laisserai enterrer vivant dans ce caveau ?… Ah ! Non, je ne suis pas encore d’âge… Puisque les deux portes sont fermées, tâchons de traverser les parois.
Une à une il détachait les pierres qui faisaient saillie à hauteur de sa main, dans l’espoir de pratiquer une autre galerie qui s’en irait en pente jusqu’au niveau du sol. Mais le travail était long et pénible, car, en cette partie du souterrain, les pierres étaient cimentées.
– Chef chef, balbutia Gourel, d’une voix étranglée…
– Eh bien ?
– Vous avez les pieds dans l’eau.
– Allons donc ! Tiens, oui… Ma foi, que veux-tu !… on se séchera au soleil.
– Mais vous ne voyez donc pas ?
– Quoi ?
– Mais ça monte, chef, ça monte…
– Qu’est-ce qui monte ?
– L’eau…
M. Lenormand sentit un frisson qui lui courait sur la peau. Il comprenait tout d’un coup. Ce n’était pas des infiltrations fortuites, mais une inondation habilement préparée et qui se produisait mécaniquement, irrésistiblement, grâce à quelque système infernal.
– Ah ! La fripouille, grinça-t-il… Si jamais je le tiens, celui-là !
– Oui, oui, chef, mais il faut d’abord se tirer d’ici, et pour moi…
Gourel semblait complètement abattu, hors d’état d’avoir une idée, de proposer un plan.
M. Lenormand s’était agenouillé sur le sol et mesurait la vitesse avec laquelle l’eau s’élevait. Un quart de la première porte à peu près était couvert, et l’eau s’avançait jusqu’à mi-distance de la seconde porte.
– Le progrès est lent, mais ininterrompu, dit-il. Dans quelques heures, nous en aurons pardessus la tête.
– Mais c’est effroyable, chef, c’est horrible, gémit Gourel.
– Ah ! Dis donc, tu ne vas pas nous ennuyer avec tes jérémiades, n’est-ce pas ? Pleure si ça t’amuse, mais que je ne t’entende pas.
– C’est la faim qui m’affaiblit, chef, j’ai le cerveau qui tourne.
– Mange ton poing.
Comme disait Gourel, la situation était effroyable, et, si M. Lenormand avait eu moins d’énergie, il eût abandonné une lutte aussi vaine. Que faire ? Il ne fallait pas espérer que Ribeira eût la charité de leur livrer passage. Il ne fallait pas espérer davantage que les frères Doudeville pussent les secourir puisque les inspecteurs ignoraient l’existence de ce tunnel.
Donc, aucun espoir ne restait… aucun espoir que celui d’un miracle impossible…
– Voyons, voyons, répétait M. Lenormand, c’est trop bête, nous n’allons pas crever ici ! Que diable ! Il doit y avoir quelque chose… éclaire-moi, Gourel.
Collé contre la seconde porte, il l’examina de bas en haut, dans tous les coins. Il y avait de ce côté, comme de l’autre probablement, un verrou, un énorme verrou. Avec la lame de son couteau il en défit les vis, et le verrou se détacha.
– Et après ? demanda Gourel.
– Après, dit-il, eh bien, ce verrou est en fer, assez long, presque pointu ça ne vaut certes pas une pioche, mais, tout de même, c’est mieux que rien… et…
Sans achever sa phrase, il enfonça l’instrument dans la paroi de la galerie, un peu avant le pilier de maçonnerie qui supportait les gonds de la porte. Ainsi qu’il s’y attendait, une fois traversée la première couche de ciment et de pierres, il trouva la terre molle.
– À l’ouvrage ! s’écria-t-il.
– Je veux bien, chef, mais expliquez-moi…
– C’est tout simple, il s’agit de creuser, autour de ce pilier, un passage de trois ou quatre mètres de long qui rejoindra le tunnel au-delà de la porte et nous permettra de filer.
– Mais il faudra des heures, et pendant ce temps l’eau monte.
– éclaire-moi, Gourel.
L’idée de M. Lenormand était juste et, avec un peu d’effort, en attirant à lui et en faisant tomber dans le tunnel la terre qu’il attaquait d’abord avec l’instrument, il ne tarda pas à creuser un trou assez grand pour s’y glisser.
– À mon tour, chef ! dit Gourel.
– Ah ! Ah ! Tu reviens à la vie ? Bien, travaille… Tu n’as qu’à te diriger sur le contour du pilier.
À ce moment l’eau montait jusqu’à leurs chevilles. Auraient-ils le loisir d’achever l’œuvre commencée ? À mesure qu’on avançait elle devenait plus difficile, car la terre remuée les encombrait davantage, et, couchés à plat ventre dans le passage, ils étaient obligés à tout instant de ramener les décombres qui l’obstruaient.
Au bout de deux heures, le travail en était peut-être aux trois quarts, mais l’eau recouvrait leurs jambes. Encore une heure, elle gagnerait l’orifice du trou qu’ils creusaient.
Cette fois, ce serait la fin.
Gourel, épuisé par le manque de nourriture, et de corpulence trop forte pour aller et venir dans ce couloir de plus en plus étroit, avait dû renoncer. Il ne bougeait plus, tremblant d’angoisse à sentir cette eau glacée qui l’ensevelissait peu à peu.
M. Lenormand, lui, travaillait avec une ardeur inlassable. Besogne terrible, œuvre de termite, qui s’accomplissait dans des ténèbres étouffantes. Ses mains saignaient. Il défaillait de faim. Il respirait mal un air insuffisant, et, de temps à autre, les soupirs de Gourel lui rappelaient l’épouvantable danger qui le menaçait au fond de sa tanière.
Mais rien n’eût pu le décourager, car maintenant il retrouvait en face de lui ces pierres cimentées qui composaient la paroi de la galerie. C’était le plus difficile, mais le but approchait.
– Ça monte, cria Gourel, d’une voix étranglée, ça monte. M. Lenormand redoubla d’efforts. Soudain la tige du verrou dont il se servait jaillit dans le vide. Le passage était creusé. Il n’y avait plus qu’à l’élargir, ce qui devenait beaucoup plus facile maintenant qu’il pouvait rejeter les matériaux devant lui. Gourel, fou de terreur, poussait des hurlements de bête qui agonise. Il ne s’en émouvait pas. Le salut était à portée de sa main.
Il eut cependant quelques secondes d’anxiété en constatant, au bruit des matériaux qui tombaient, que cette partie du tunnel était également remplie d’eau – ce qui était naturel, la porte ne constituant pas une digue suffisamment hermétique. Mais qu’importait ! L’issue était libre un dernier effort… Il passa.
– Viens, Gourel, cria-t-il, en revenant chercher son compagnon.
Il le tira, à demi mort, par les poignets.
– Allons, secoue-toi, ganache, puisque nous sommes sauvés.
– Vous croyez, chef ?… vous croyez ?… Nous avons de l’eau jusqu’à la poitrine…
– Va toujours… Tant que nous n’en aurons pas pardessus la bouche… Et ta lanterne ?
– Elle ne va plus.
– Tant pis.
Il eut une exclamation de joie :
– Une marche… deux marches !… Un escalier… Enfin !
Ils sortaient de l’eau, de cette eau maudite qui les avait presque engloutis, et c’était une sensation délicieuse, une délivrance qui les exaltait.
– Arrête ! murmura M. Lenormand.
Sa tête avait heurté quelque chose. Les bras tendus, il s’arc-bouta contre l’obstacle qui céda aussitôt. C’était le battant d’une trappe, et, cette trappe ouverte, on se trouvait dans une cave où filtrait, par un soupirail, la lueur d’une nuit claire.
Il renversa le battant et escalada les dernières marches.
Un voile s’abattit sur lui. Des bras le saisirent. Il se sentit comme enveloppé d’une couverture, d’une sorte de sac, puis lié par des cordes.
– À l’autre, dit une voix.
On dut exécuter la même opération avec Gourel, et la même voix dit :
– S’ils crient, tue-les tout de suite. Tu as ton poignard ?
– Oui.
– En route. Vous deux, prenez celui-ci… vous deux celui-là… Pas de lumière, et pas de bruit non plus… Ce serait grave ! Depuis ce matin on fouille le jardin d’à côté… ils sont dix ou quinze qui se démènent. Retourne au pavillon, Gertrude, et, s’il y a la moindre chose, téléphone-moi à Paris.
M. Lenormand eut l’impression qu’on le portait, puis, après un instant, l’impression qu’on était dehors.
– Approche la charrette, dit la voix.
M. Lenormand entendit le bruit d’une voiture et d’un cheval. On le coucha sur des planches. Gourel fut hissé près de lui. Le cheval partit au trot.
Le trajet dura une demi-heure environ.
– Halte ! ordonna la voix… Descendez-les. Eh ! Le conducteur, tourne la charrette de façon que l’arrière touche au parapet du pont… Bien… Pas de bateaux sur la Seine ? Non ? Alors, ne perdons pas de temps… Ah ! Vous leur avez attaché des pierres ?
– Oui, des pavés.
– En ce cas, allez-y. Recommande ton âme à Dieu, monsieur Lenormand, et prie pour moi, Parbury-Ribeira, plus connu sous le nom de baron Altenheim. Ça y est ? Tout est prêt ? Eh bien, bon voyage, monsieur Lenormand !
M. Lenormand fut placé sur le parapet. On le poussa. Il sentit qu’il tombait dans le vide, et il entendit encore la voix qui ricanait :
– Bon voyage !
Dix secondes après, c’était le tour du brigadier Gourel.