Читать книгу LUPIN - Les aventures du gentleman-cambrioleur - Морис Леблан - Страница 53
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ОглавлениеLe 31 mai, au matin, tous les journaux rappelaient que Lupin, dans une lettre écrite à M. Lenormand, avait annoncé pour cette date l’évasion de l’huissier Jérôme.
Et l’un d’eux résumait fort bien la situation à ce jour :
« L’affreux carnage du Palace-Hôtel remonte au 17 avril. Qu’a-t-on découvert depuis ? Rien.
« On avait trois indices : l’étui à cigarettes, les lettres L et M, le paquet de vêtements oublié dans le bureau de l’hôtel. Quel profit en a-t-on tiré ? Aucun.
« On soupçonne, paraît-il, un des voyageurs qui habitaient le premier étage, et dont la disparition semble suspecte. L’a-t-on retrouvé ? A-t-on établi son identité ? Non.
« Donc, le drame est aussi mystérieux qu’à la première heure, les ténèbres aussi épaisses.
« Pour compléter ce tableau, on nous assure qu’il y aurait désaccord entre le préfet de Police et son subordonné M. Lenormand, et que celui-ci, moins vigoureusement soutenu par le président du Conseil, aurait virtuellement donné sa démission depuis plusieurs jours. L’affaire Kesselbach serait poursuivie par le sous-chef de la Sûreté, M. Weber, l’ennemi personnel de M. Lenormand.
« Bref, c’est le désordre, l’anarchie.
« En face, Lupin, c’est-à-dire la méthode, l’énergie, l’esprit de suite.
« Notre conclusion ? Elle sera brève. Lupin enlèvera son complice aujourd’hui, 31 mai, ainsi qu’il l’a prédit. »
Cette conclusion, que l’on retrouvait dans toutes les autres feuilles, c’était celle également que le public avait adoptée. Et il faut croire que la menace n’avait pas été non plus sans porter en haut lieu, car le préfet de Police, et, en l’absence de M. Lenormand, soi-disant malade, le sous-chef de la Sûreté, M. Weber, avaient pris les mesures les plus rigoureuses, tant au Palais de Justice qu’à la prison de la Santé où se trouvait le prévenu.
Par pudeur on n’osa point suspendre, ce jour-là, les interrogatoires quotidiens de M. Formerie, mais, de la prison au boulevard du Palais, une véritable mobilisation de forces de police gardait les rues du parcours.
Au grand étonnement de tous, le 31 mai se passa et l’évasion annoncée n’eut pas lieu.
Il y eut bien quelque chose, un commencement d’exécution qui se traduisit par un embarras de tramways, d’omnibus et de camions au passage de la voiture cellulaire, et le bris inexplicable d’une des roues de cette voiture. Mais la tentative ne se précisa point davantage.
C’était donc l’échec. Le public en fut presque déçu, et la police triompha bruyamment.
Or, le lendemain, samedi, un bruit incroyable se répandit dans le Palais, courut dans les bureaux de rédaction : l’huissier Jérôme avait disparu.
était-ce possible ?
Bien que les éditions spéciales confirmassent la nouvelle, on se refusait à l’admettre. Mais, à six heures, une note publiée par la Dépêche du Soir la rendit officielle :
Nous recevons la communication suivante signée d’Arsène Lupin. Le timbre spécial qui s’y trouve apposé, conformément à la circulaire que Lupin adressait dernièrement à la presse, nous certifie l’authenticité du document.
« Monsieur le Directeur,
« Veuillez m’excuser auprès du public de n’avoir point tenu ma parole hier. Au dernier moment, je me suis aperçu que le 31 mai tombait un vendredi ! Pouvais-je, un vendredi, rendre la liberté à mon ami ? Je n’ai pas cru devoir assumer une telle responsabilité.
« Je m’excuse aussi de ne point donner ici, avec ma franchise habituelle, des explications sur la façon dont ce petit événement s’est effectué. Mon procédé est tellement ingénieux et tellement simple que je craindrais, en le dévoilant, que tous les malfaiteurs ne s’en inspirassent. Quel étonnement le jour où il me sera permis de parler ! C’est tout cela, dira-t-on ? Pas davantage, mais il fallait y penser.
« Je vous prie d’agréer, monsieur le Directeur…
« Signé : ARSÈNE LUPIN. »
Une heure après, M. Lenormand recevait un coup de téléphone : Valenglay, le président du Conseil, le demandait au ministère de l’Intérieur.
– Quelle bonne mine vous avez, mon cher Lenormand ! Et moi qui vous croyais malade et qui n’osais pas vous déranger !
– Je ne suis pas malade, monsieur le Président.
– Alors, cette absence, c’était par bouderie !… Toujours ce mauvais caractère.
– Que j’aie mauvais caractère, monsieur le Président, je le confesse… mais que je boude, non.
– Mais vous restez chez vous ! Et Lupin en profite pour donner la clef des champs à ses amis…
– Pouvais-je l’en empêcher ?
– Comment ! Mais la ruse de Lupin est grossière. Selon son procédé habituel, il a annoncé la date de l’évasion, tout le monde y a cru, un semblant de tentative a été esquissé, l’évasion ne s’est pas produite, et le lendemain, quand personne n’y pense plus, pffft, les oiseaux s’envolent.
– Monsieur le Président, dit gravement le chef de la Sûreté, Lupin dispose de moyens tels que nous ne sommes pas en mesure d’empêcher ce qu’il a décidé. L’évasion était certaine, mathématique. J’ai préféré passer la main… et laisser le ridicule aux autres.
Valenglay ricana :
– Il est de fait que M. le préfet de Police, à l’heure actuelle, et que M. Weber ne doivent pas se réjouir… Mais enfin, pouvez-vous m’expliquer, Lenormand ?…
– Tout ce qu’on sait, monsieur le Président, c’est que l’évasion s’est produite au Palais de Justice. Le prévenu a été amené dans une voiture cellulaire et conduit dans le cabinet de M. Formerie… mais il n’est pas sorti du Palais de Justice. Et cependant on ne sait ce qu’il est devenu.
– C’est ahurissant.
– Ahurissant.
– Et l’on n’a fait aucune découverte ?
– Si. Le couloir intérieur qui longe les cabinets d’instruction était encombré d’une foule absolument insolite de prévenus, de gardes, d’avocats, d’huissiers, et l’on a fait cette découverte que tous ces gens avaient reçu de fausses convocations à comparaître à la même heure. D’autre part, aucun des juges d’instruction qui les avaient soi-disant convoqués n’est venu ce jour-là à son cabinet, et cela par suite de fausses convocations du Parquet, les envoyant dans tous les coins de Paris et de la banlieue.
– C’est tout ?
– Non. On a vu deux gardes municipaux et un prévenu qui traversaient les cours. Dehors, un fiacre les attendait où ils sont montés tous les trois.
– Et votre hypothèse, Lenormand ? Votre opinion ?
– Mon hypothèse, monsieur le Président, c’est que les deux gardes municipaux étaient des complices qui, profitant du désordre du couloir, se sont substitués aux vrais gardes. Et mon opinion, c’est que cette évasion n’a pu réussir que grâce à des circonstances si spéciales, à un ensemble de faits si étrange, que nous devons admettre comme certaines les complicités les plus inadmissibles. Au Palais, ailleurs, Lupin a des attaches qui déjouent tous nos calculs. Il en a dans la Préfecture de police, il en a autour de moi. C’est une organisation formidable, un service de la Sûreté mille fois plus habile, plus audacieux, plus divers et plus souple que celui que je dirige.
– Et vous supportez cela, Lenormand !
– Non.
– Alors, pourquoi votre inertie depuis le début de cette affaire ? Qu’avez-vous fait contre Lupin ?
– J’ai préparé la lutte.
– Ah ! Parfait ! Et pendant que vous prépariez, il agissait, lui.
– Moi aussi.
– Et vous savez quelque chose ?
– Beaucoup.
– Quoi ? Parlez donc.
M. Lenormand fit, en s’appuyant sur sa canne, une petite promenade méditative à travers la vaste pièce. Puis il s’assit en face de Valenglay, brossa du bout de ses doigts les parements de sa redingote olive, consolida sur son nez ses lunettes à branches d’argent, et lui dit nettement :
– Monsieur le Président, j’ai dans la main trois atouts. D’abord, je sais le nom sous lequel se cache actuellement Arsène Lupin, le nom sous lequel il habitait boulevard Haussmann, recevant chaque jour ses collaborateurs, reconstituant et dirigeant sa bande.
– Mais alors, nom d’un chien, pourquoi ne l’arrêtez-vous pas ?
– Je n’ai eu ces renseignements qu’après coup. Depuis, le prince appelons-le prince Trois étoiles, a disparu. Il est à l’étranger pour d’autres affaires.
– Et s’il ne reparaît pas ?
– La situation qu’il occupe, la manière dont il s’est engagé dans l’affaire Kesselbach exigent qu’il reparaisse, et sous le même nom.
– Néanmoins…
– Monsieur le Président, j’en arrive à mon second atout. J’ai fini par découvrir Pierre Leduc.
– Allons donc !
– Ou plutôt, c’est Lupin qui l’a découvert, et c’est Lupin qui, avant de disparaître, l’a installé dans une petite villa aux environs de Paris.
– Fichtre ! Mais comment avez-vous su ?
– Oh ! Facilement. Lupin a placé auprès de Pierre Leduc, comme surveillants et défenseurs, deux de ses complices. Or, ces complices sont des agents à moi, deux frères que j’emploie en grand secret et qui me le livreront à la première occasion.
– Bravo ! Bravo ! De sorte que…
– De sorte que, comme Pierre Leduc est, pourrait-on dire, le point central autour duquel convergent tous les efforts de ceux qui sont en quête du fameux secret Kesselbach… par Pierre Leduc, j’aurai un jour ou l’autre : 1°l’auteur du triple assassinat, puisque ce misérable s’est substitué à M. Kesselbach dans l’accomplissement d’un projet grandiose, et jusqu’ici inconnu, et puisque M. Kesselbach avait besoin de retrouver Pierre Leduc pour l’accomplissement de ce projet ; 2°j’aurai Arsène Lupin, puisque Arsène Lupin poursuit le même but.
– À merveille. Pierre Leduc est l’appât que vous tendez à l’ennemi.
– Et le poisson mord, monsieur le Président. Je viens de recevoir un avis par lequel on a vu tantôt un individu suspect qui rôdait autour de la petite villa que Pierre Leduc occupe sous la protection de mes deux agents secrets. Dans quatre heures, je serai sur les lieux.
– Et le troisième atout, Lenormand ?
– Monsieur le Président, il est arrivé hier à l’adresse de M. Rudolf Kesselbach une lettre que j’ai interceptée.
– Interceptée, vous allez bien.
– Que j’ai ouverte et que j’ai gardée pour moi. La voici. Elle date de deux mois. Elle est timbrée du Cap et contient ces mots :
« Mon bon Rudolf, je serai le 1er juin à Paris, et toujours aussi misérable que quand vous m’avez secouru. Mais j’espère beaucoup dans cette affaire de Pierre Leduc que je vous ai indiquée. Quelle étrange histoire ! L’avez-vous retrouvé, lui ? Où en sommes-nous ? J’ai hâte de le savoir.
« Signé : votre fidèle STEINWEG. »
– Le 1er juin, continua M. Lenormand, c’est aujourd’hui. J’ai chargé un de mes inspecteurs de me dénicher ce nommé Steinweg. Je ne doute pas de la réussite.
– Moi non plus, je n’en doute pas, s’écria Valenglay en se levant, et je vous fais toutes mes excuses, mon cher Lenormand, et mon humble confession : j’étais sur le point de vous lâcher mais en plein ! Demain, j’attendais le préfet de Police et M. Weber.
– Je le savais, monsieur le Président.
– Pas possible.
– Sans quoi, me serais-je dérangé ? Aujourd’hui vous voyez mon plan de bataille. D’un côté je tends des pièges où l’assassin finira par se prendre : Pierre Leduc ou Steinweg me le livreront. De l’autre côté je rôde autour de Lupin. Deux de ses agents sont à ma solde et il les croit ses plus dévoués collaborateurs. En outre, il travaille pour moi, puisqu’il poursuit, comme moi, l’auteur du triple assassinat. Seulement il s’imagine me rouler, et c’est moi qui le roule. Donc, je réussirai, mais à une condition.
– Laquelle ?
– C’est que j’aie les coudées franches, et que je puisse agir selon les nécessités du moment sans me soucier du public qui s’impatiente et de mes chefs qui intriguent contre moi.
– C’est convenu.
– En ce cas, monsieur le Président, d’ici quelques jours je serai vainqueur ou je serai mort.