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CAPÍTULO 1 Ce que l’âge tardif à la naissance fait aux familles
ОглавлениеMARTINE SEGALEN
Professeur émérite
Université Paris Ouest Nanterre La Défense
Ce fut un choc pour les démographes historiens lorsqu’ils découvrirent, dans les années 1960, que dans les sociétés rurales de l’Europe, les époux n’avaient pas l’âge de Roméo et Juliette. Le mariage dans les populations anciennes se caractérise par son âge élevé. Dès que les données permettent de l’établir de façon exacte, à partir des actes des registres paroissiaux, on constate que l’âge moyen dans les classes populaires des villes et des campagnes est de 27-28 ans pour les garçons et de 25-26 ans pour les filles. Le mariage tardif apparaissait comme caractéristique de la société occidentale, un modèle unique dans l’éventail des cultures (John Hajnal, 1965). Dans la plupart des sociétés du monde, le couple réunit des adolescents, voire même des époux non pubères, car ceux-ci sont insérés dans la lignée qui organise les choix matrimoniaux. Le mariage tardif, par contraste, est le signe d’une certaine individualisation des couples (l’Eglise catholique insistant sur le choix libre des époux), mais qui doivent attendre la mort de leurs parents et leur part d’héritage pour s’installer. En réalité, comme l’ont montré les recherches portant sur les systèmes successoraux, les couples paysans obéissent aussi à des règles d’endogamie, et le mariage est l’association de deux parentèles plus que de deux individus. C’est plutôt la rareté en terres, la limitation des ressources du terroir rural qui freinent la nuptialité et donc les naissances, dans une société strictement contrôlée par l’Eglise et dans laquelle la contraception n’existe pas. Pour preuve, on verra l’âge au mariage s’abaisser lorsque les emplois industriels permettront aux jeunes d’accéder à un salaire. Avec ce salaire individuel, ils seront indépendants de leurs parents et n’auront plus besoin d’attendre leur mort pour se marier et s’installer.
La conséquence remarquable de ce retard au mariage est le raccourcissement de la période de fécondité chez la femme. Au lieu qu’elle procrée à partir de 20 ans et jusqu’à 45 ans révolus, elle ne commencera sa carrière procréative qu’à partir de 25 ou 26 ans, ce qui réduit d’au moins trois le nombre possible des enfants, car on sait maintenant que le modèle fécond ancien n’était pas d’un enfant par an, mais d’un enfant tous les dix-huit ou vingt-quatre mois. Selon le mot célèbre de Pierre Chaunu, le mariage tardif constitue donc «la véritable arme contraceptive de l’Europe classique». Réponse consciente ou inconsciente à un monde en croissance démographique dans lequel les ressources demeuraient stables, où les famines se faisaient plus rares et moins mortelles.