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LES OSCILLATIONS DÉMOGRAPHIQUES DE L’ÂGE À LA MATERNITÉ

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La baisse de l’âge au mariage au cours du XIXe siècle et dans la première moitié du XXe siècle constitue un phénomène complexe qui traduit autant des changements dans les mentalités (l’apprentissage de la contraception) que les transformations économiques et sociales. On a notamment imputé cette diminution au développement de l’économie salariale qui libérait les individus du poids de la parenté. Avec une contraception encore imparfaite, dans un cadre normatif où amour rimait avec mariage, dans un contexte économique favorable au développement de l’emploi, les couples, formés jeunes, procréaient aussitôt après la célébration de leur union. Cette baisse de l’âge au mariage a été constante tout au long du xixe et du début du XXe siècle, à l’exception des périodes de guerre: un âge minimum est atteint dans les années 1960 (autour de 24 ans en moyenne pour les femmes). C’est l’époque où triomphe le mariage d’amour, ou la liberté de choisir son conjoint se conjugue avec le sentiment amoureux qui s’épanouit dans le mariage. La contraception moderne n’est pas encore autorisée en Europe, de sorte que les enfants naissent très vite après le mariage, d’autant plus que les couple fonctionnent selon le modèle parsonien avec M. Gagnepain et Mme Alamaison. Même dans les milieux ouvriers où l’emploi féminin est important, les jeunes filles travaillent en usine avant leur mariage, et se retirent du marché de l’emploi lorsque naissent les enfants. Ce modèle dessine un cycle de vie qui voit se succéder une phase consacrée à la naissance des enfants et à leur élevage et éducation, puis une phase assez longue et qui démarre autour de l’âge de 45-50 ans, celle que les démographes ont appelée la phase de «empty nest», le nid vide. C’est une période d’une vingtaine d’années où le couple peut se consacrer à lui-même. Michel Sardou, un chanteur français a fait une chanson qui a eu beaucoup de succès il y a plus de quarante ans (1973):

On vient de marier le dernier.

Tous nos enfants sont désormais heureux sans nous.

Ce soir il me vient une idée:

Si l’on pensait un peu à nous,

Un peu à nous.

L’âge au mariage et à la première naissance recommence à s’élever à nouveau dès les années 1970, en même temps que se développe la cohabitation juvénile, qu’augmentent le nombre des divorces, tandis que les taux de fécondité, encore assez élevés pour assurer le renouvellement des générations en 1960, chutent durablement. Ces sont les prolégomènes d’un bouleversement de l’institution familiale, dus au développement de la contraception moderne, à l’élévation du niveau d’éducation des jeunes filles, à l’ouverture du marché de l’emploi aux femmes, à l’avènement d’une quête d’égalité entre hommes et femmes. Les démographes s’inquiètent alors du décalage dans le calendrier féminin, qui se traduit par une chute de la fécondité. Ce qu’ils n’avaient pas vu, c’est que l’élévation de l’âge à la maternité était le résultat d’un changement de calendrier, d’un report de la procréation. Depuis les années 1960-1980, l’espérance de vie s’allonge: en France, cette espérance était de 67 ans pour les hommes et 73 ans pour les femmes en 1960. En 2009, elle est de 77,8 et 84,5 respectivement (Pison, 2010). De ce fait, tous les âges se décalent dans le temps: la jeunesse dure plus longtemps, la vieillesse survient plus tard. Dans les années 2000, le changement de climat économique contribue à renforcer ce comportement de retard: le chômage important, la difficulté pour les jeunes de trouver un emploi stable, un logement indépendant se conjuguent pour retarder la venue des enfants.

Ainsi donc, partout en Europe, avec certes des différences, on observe un retard à la formation des familles, soit qu’elles s’établissent par mariage (comme en Espagne, Italie, Pologne) soit qu’elles s’établissent à la naissance du premier enfant. Selon Gilles Pison (2010), l’âge moyen à la première naissance qui s’établissait à 24 ans dans les années 1960-1970 atteint 30 ans en 2009: de toutes les époques auxquelles on peut le calculer, c’est l’âge le plus élevé, si l’on exclut la parenthèse de la première guerre mondiale. Un âge qui a rattrapé et même dépassé ceux que l’on a relevés aux XVIIe et XVIIIe siècles, mais qui s’inscrit dans un contexte sociologique tout autre. Quant au cycle de la vie du couple, il ne connaît plus la phase précoce du «nid vide», parce que la naissance de deux ou trois enfants conduisent à les voir partir du foyer lorsque les parents auront dépassé la cinquantaine. De plus avec les ruptures d’union et les recompositions familiales suivies de nouvelles naissances, le moment où le couple pourra penser «un peu à lui», se confondra avec le temps de la retraite et de la grand-parentalité (pour les premiers nés). En effet, les unions se fragilisent partout en Europe, et notamment dans les cinq premières années de la mise en couple, plus dans les unions libres que dans les mariages. Séparations et divorces étant plus fréquents, la proportion de reformer une nouvelle union augmente d’autant plus que la rupture survient à un âge jeune (Prioux, 2006). Ce modèle touche toute l’Europe avec des différences sensibles néanmoins du Nord au Sud, et de l’Ouest à l’Est.

En même temps que changeaient les modèles conjugaux avec la diffusion de la cohabitation sans mariage, les rapports à l’enfance ont été bouleversés. On se mariait tard pour avoir moins d’enfants autrefois, et une fois mariés, on les laissait venir. Aujourd’hui on choisit de les faire arriver tard. Hier ils étaient les enfants de Dieu, aujourd’hui ils sont les enfants du couple; hier, ils étaient des enfants pour la société, aujourd’hui ils sont des enfant pour soi. Hier ils étaient des enfants imposés ou subis bien souvent, aujourd’hui ils sont des enfants désirés et choisis.

Toujours selon Gilles Pison, se distinguent deux groupes en Europe. D’abord, un groupe à fécondité tardive; hétérogène sur le plan culturel, avec des pays du Nord, comme les Pays-Bas, l’Irlande, la Suède, la France et des pays méditerranéens comme la Grèce et l’Espagne. Un second groupe qui se caractérise encore par une fécondité précoce comprend les autres pays de l’Union européenne, notamment les plus récemment entrés, comme la Roumanie et la Bulgarie. Ce n’est pas le lieu ici de développer le rapport entre âge à la maternité et taux de fécondité, mais si l’on se fonde sur l’exemple de la France, on constate que le recul à l’âge de la maternité ne s’accompagne pas nécessairement d’une chute de la fécondité. Bien au contraire.

Le but de cette communication est d’analyser les causes et les conséquences de cette mutation importante. Jeunesse et maternité ne sont plus désormais associés et ce retard à l’âge à la parentalité (le fait de devenir parent) redessine de nouvelles relations entre parents et enfants et plus généralement au sein de la famille. Il convient au préalable de distinguer deux situations, selon qu’il s’agit de familles qui se «forment» tardivement (mères âgées de 30 ans et plus), ou bien de familles qui se «reforment» avec des mères encore plus âgées, mais pas toujours, et des pères davantage encore. Ces dernières configurations d’âge élevé ne doivent d’ailleurs pas être confondues avec les âges élevés observés dans les familles dites très nombreuses (six enfants ou plus). Etre père à 60 ans ne répond pas à la même logique, si l’on est dans le cadre d’une seconde union ou d’une union intacte et très féconde.

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