Читать книгу Modos y maneras de hacer familia - Nancy Konvalinka - Страница 15
PARENTALITÉS TARDIVES
ОглавлениеAvoir un enfant à 40 ans et au-delà pour les mères, et 45 ans et au-delà pour les pères, ce que les démographes nomment les paternités et maternités tardives, n’est pas un phénomène nouveau. Dans les contextes démographiques anciens, tel était le cas. En Bretagne, par exemple, dans le pays bigouden caractérisé par un âge exceptionnellement bas au mariage, jusqu’aux débuts du XXe siècle, les fratries de huit ou dix enfants étaient chose courante avec des écarts d’âge entre le premier et le dernier de près de 20 ans, de sorte que la fille et la mère étaient parfois enceintes ensemble. On nommait le dernier «vidohicq», petit cochon, et il était élevé par les aînés. Sans aller aussi loin, dans la famille de ma mère, cinq garçons et une fille, il y avait 18 années d’écart entre l’aîné et elle, la petite dernière. De telles situations sont courantes encore aujourd’hui dans les familles immigrées qui continuent à avoir des comportements de grande fécondité (Bessin et Levilain, 2005).
Le phénomène réellement nouveau concerne les personnes qui commencent ou recommencent une carrière procréative sur le tard. Même si elles sont statistiquement peu importantes, ces naissances tardives interpellent la façon de penser la famille car elles contribuent à transformer les relations conjugales, les relations de germanité et de filiation. Selon Gilles Pison, le nombre de naissances issues de mères de 40 ans et plus ne représente que 4 % du total des naissances françaises. C’est peu, mais c’est une image qui s’est inscrite désormais dans l’imaginaire, notamment avec la mise en avant des grossesses tardives et même très tardives de vedettes qui parviennent à procréer grâce aux techniques de l’aide médicale à la procréation. Il ne s’agit plus alors de familles qui se forment tardivement, mais plutôt de familles qui se reforment.
Ce qui manque le plus aujourd’hui, le temps, est offert à ceux qui procréent tardivement, lorsqu’ils sont dégagés de leurs soucis professionnels, voire proches de la retraite. On peut donc penser que les enfants de vieux seront des enfants choyés et suivis par leurs parents, mieux que par leurs parents jeunes.
Ces naissances sont le résultat de stratégies de fécondité qui sont différentes pour les hommes et les femmes. En effet, si la sociologie de la famille ou des rapports sociaux de sexe refuse que l’on naturalise les comportements, on est bien obligé ici de tenir compte des données de la biologie. Cependant, sur ces considérations biologiques se greffent des paramètres qui concernent le rapport au travail et aux relations entre les sexes: hommes et femmes ne sont pas égaux face à ces naissances-là.
Pour les femmes, les naissances autour de 40-45 ans sont généralement associées à une remise en couple. Je rappelle le vieux proverbe populaire: «qu’il neige, qu’il pleuve ou qu’il tombe des glands, les femmes sont bonnes jusqu’à 40 ans». On en comprend le sens lorsqu’on rappelle que le mariage détestait la stérilité. Entre 1901 et 1980, le nombre de naissances vivantes de mères de 40 ans et plus a diminué de 6,5 à 1,1 % des naissance (Daguet, 1999). Or ce chiffre remonte récemment. Il s’agit de refaire famille avec le nouveau compagnon, qu’il y ait ou non des enfants de précédentes unions. Il convient aussi de signaler les parentés tardives par adoption: plus d’un enfant sur deux qui est adopté entre dans un foyer qui est composé d’un père âgé de plus de 45 ans et d’une mère âgé de plus de 40 ans. (Bessin et Levilain, 2005: 22). Ce qui il y a trente ans aurait pu paraître comme un frein à la démarche d’adoption pour des couples stériles ne l’est plus aujourd’hui, compte tenu des nouvelles normes d’âge qui se sont diffusées, notamment à travers les résultats de l’assistance médicale à la procréation. Les bonnes conditions du vieillissement, garanties par une prise en charge médicale adéquate, repoussent les frontières de l’âge acceptable auquel on peut devenir père et mère.
En ce qui concerne les hommes, il n’est pas surprenant de voir de nouveaux pères qui ont 50, 60 ans ou même plus. Les media qui en reproduisent l’image fabriquent ainsi une nouvelle normalité. On connaissait Charlie Chaplin, Anthony Queen qui avaient procréé encore à 80 ans, ou en France, Yves Montand (ce qui avait fait chuter sa cote d’amour, dans la mesure où il semblait ainsi repousser dans l’oubli sa Simone); plus récemment, citons Paul Mac Cartney ou Julio Iglesias qui ont procréé à 61 et 63 ans à nouveau. En Amérique, on les appelle SOD —Start Over Dads—. Prouvant ainsi leur virilité, les hommes continuent de se penser jeunes.
En dehors du milieu des vedettes, les pères âgés sont souvent des pères divorcés. On sait qu’ils ont plus de chances statistiques que les femmes de se remettre en couple, à un âge plus avancé. Ils reforment une union avec une femme nettement plus jeune qui désire souvent un enfant. Cette paternité est alors mûrement réfléchie; elle se situe dans un contexte professionnel probablement plus favorable que pour les jeunes pères qui doivent encore faire leurs preuves professionnelles, tandis que la carrière des pères tardifs est derrière eux. Les relations au sein du couple vont associer, contrairement à la norme actuelle qui veut que les époux aient un faible écart d’âge, un homme plus âgé à une femme plus jeune, ce qui suppose une économie des relations conjugales plus inégalitaire. En même temps, le père s’implique davantage dans son rôle de père, notamment plus qu’il ne l’avait fait lors de la naissance des ses premiers enfants, lorsqu’il était plus jeune et accaparé par son activité professionnelle. De plus, il peut également avoir été frustré dans son rôle paternel, lorsqu’après son divorce, la garde de ses enfants avait été confiée à la mère et qu’il s’en était peu à peu éloigné-cas très fréquent d’après les enquêtes socio-démographiques (près du quart des pères divorcés cessent toute relation avec leurs enfants d’après Villeneuve-Gokalp, 1999). Le voici père beaucoup plus concerné, et maternant que pour ses premiers enfants. Et quand l’enfant sera scolarisé, on observe un investissement dans son suivi, notamment par la participation aux associations de parents d’élèves.
Des enquêtes qualitatives conduites auprès de ces pères (Bessin et Levilain, 2005) font apparaître que la paternité tardive est l’objet de négociations au sein du couple refait: quel est l’âge ultime auquel procréer en fonction du poids normatif du «bon âge». L’homme peut être réticent et sa jeune compagne peut le mettre devant le fait accompli. Cette paternité tardive est marquée par une ambivalence: c’est une façon de ralentir son vieillissement, de s’obliger à rester dans le coup par le fait qu’on partage les intérêts et les soucis de personnes plus jeunes, un moyen de se prolonger, de rester plus jeune. D’un autre côté, ces pères tardifs sont des pères soucieux du devenir de leurs enfants, qui savent qu’ils auront peu de chances d’être encore en bonne forme physique lorsque ceux-ci atteindront l’âge de l’adolescence. Les parents âgés ont plus d’inquiétudes pour les enfants, redoutent leur fragilité lorsqu’ils seront plus âgés.
Etre père tardif, c’est donc souvent entamer une seconde carrière de père, c’est-à-dire avoir un ou deux enfants, alors qu’il en existe déjà d’une autre union. Contrairement aux familles nombreuses dont tous les enfants se suivent, dans ces nouvelles configurations, l’écart d’âge entre les premiers et les seconds enfants, loin de les rapprocher, les sépare. Qu’y a-t-il de commun entre un jeune adulte de 18 ans et son demi-frère de deux ans? La relation ne peut être que d’indifférence ou de jalousie lorsque viendra le temps de l’héritage. L’ordre des générations est perturbé d’une part; et l’enfant du nouveau couple, loin d’être élevé en famille, est le plus souvent un enfant seul. Sur cette perturbation dans l’ordre symbolique de la fratrie, se greffent des répercussions plutôt négatives relatives à l’ordre des générations.
Les grands-parents contemporains offrent un soutien considérable aux jeunes générations, notamment à travers la garde des petits-enfants. Ils apportent ainsi un soutien matériel, mais aussi symbolique: ils représentent la stabilité de la lignée qui compense l’instabilité conjugale; ils permettent à l’enfant de construire une identité. Des enquêtes européennes ont bien montré la place considérable qu’ils occupent dans l’institution familiale contemporaine (Attias-Donfut et Segalen, 2001, Heady et Schweitzer, 2010). Entre autres faits sociaux, l’engagement grand-parental est dû à leur bonne santé, un acquis récent qui repousse le grand âge au-delà de 75 ans. Mais lorsque la mère a 45 ans, et le père 55, leurs parents ne peuvent pas offrir le même recours: non seulement ils seront trop fatigués pour s’occuper des petits-enfants, mais encore ils ne donneront pas l’image d’une ancestralité assumée, mais celle plus classique d’une vieillesse entrant peut-être dans le moment de la dépendance.