Читать книгу Les enfants des Tuileries - Olga de Pitray - Страница 10
«Qu'est-ce que vous voulez?» (Page 9.)
ОглавлениеIRÈNE.
Bonjour, Amable, bonjour, Léonore: qu'est-ce que vous voulez?
LÉONORE.
Vous souhaiter le bonsoir, mamzelle, vous offrir ce bouquet et vous dire combien nous sommes fâchés d'apprendre que vous allez bientôt partir.
IRÈNE.
Merci. (Elle prend le bouquet et le jette en poussant un cri.) Dieu! quelle horreur! quelle infamie!
LES ENFANTS.
Qu'est-ce qu'il y a?
IRÈNE.
Une chenille.... une atroce, une monstrueuse chenille! pouah! (Elle fait des mines.) J'ai cru que j'allais me trouver mal! je frissonne à l'idée seule d'avoir pu toucher cette ignoble bête!
LÉONORE, interdite.
Je suis bien fâchée, mamzelle....
IRÈNE.
Me voilà remise. Tiens, puisque te voilà, aide-moi à faire les malles de ma poupée. Veux-tu?
LÉONORE.
Je veux bien, mamzelle. Oh! les belles choses!
IRÈNE, riant.
Ça, ce sont des horreurs, ma pauvre fille n'a plus que des vieilleries: elle a grand besoin de se remonter chez Béreux.
LÉONORE.
Qu'est-ce que c'est Béreux, mamzelle?
IRÈNE.
C'est sa couturière, ma chère amie.
LÉONORE, avec stupeur.
Mamzelle vot' poupée a une couturière?
IRÈNE.
Je crois bien! et que j'emploie sans cesse, encore! Tu ne peux pas te figurer comme c'est cher à habiller, une poupée élégante. Tiens, voilà son coffre à bijoux.
LÉONORE, saisie.
Hélas! seigneur! tout ça pour une poupée!...
Les deux petites filles continuèrent, l'une à étaler orgueilleusement les richesses de sa poupée, puis ses richesses à elle, l'autre à tout admirer; pendant ce temps, Julien causait avec Amable et lui disait d'un air de protection:
«Tu es bien heureux d'aimer la campagne, toi! moi, je ne peux pas la supporter; c'est si triste! toujours être seul.
--Et monsieur votre père? Et madame votre mère? Et mamzelle Irène? disait Amable, c'est une bonne et belle société, monsieur Julien: elle devrait vous faire bien plaisir!
--Nous autres, vois-tu, répliqua Julien avec importance, nous avons des occupations qui ne nous permettent pas de nous voir souvent. Papa est sans cesse à Paris, occupé d'affaires importantes. Maman a des visites ou fait des visites. Quand nous les voyons, ils sont très-bons et très-affectueux, mais nous les voyons très-peu. C'est donc seulement à Paris que nous menons une vie agréable.
AMABLE.
Et mam'zelle Irène! elle vous tient compagnie: ça doit vous désennuyer ici, monsieur Julien?
JULIEN.
Irène? joliment! elle passe ses récréations à s'habiller, se déshabiller, se rhabiller, s'attifer de trente-six façons différentes. Quand ce n'est pas elle, c'est sa poupée. Oui, en vérité: jolie ressource que la société d'Irène!
IRÈNE, s'approchant.
Qu'est-ce que tu dis? encore du mal de moi, évidemment! on dirait que tu es une perfection, toi qui te traînes partout d'un air ennuyé, toi qui pourrais t'occuper de pêche, de jardinage, de chasse, et qui ne sais que te pavaner! moi, au moins, je m'amuse avec ma poupée....
JULIEN.
Je te conseille de me dire cela, toi qui passes ta vie à faire la roue....»
Les enfants du jardinier s'échappèrent de la chambre pendant qu'Irène et Julien, rouges et furieux, se disaient des choses de plus en plus désagréables. Ceux-ci finirent par se séparer fort en colère; l'une continua à faire les malles de sa poupée, l'autre alla visiter sa collection de timbres, d'où il espérait bien tirer de quoi acheter une chaîne de montre; cette chaîne était l'objet de tous ses désirs.
Irène avait douze ans et Julien treize ans et demi; leur père était agent de change: leur séjour annuel à Paris développait chaque jour davantage en eux les défauts dont la vanité était le principe. Leur mère était bonne et tendre, mais malheureusement, entraînée dans le tourbillon du monde, elle était peu avec ses enfants. M. de Morville, leur père, les voyait moins encore, quoiqu'il les aimât très-sincèrement; ses nombreuses affaires le retenaient loin de sa famille, et c'est à peine s'il passait avec ses enfants et sa femme une heure chaque jour.
Le lendemain de leur dispute, le frère et la soeur se réconcilièrent d'un commun accord; la mauvaise humeur d'Irène n'avait pu tenir contre un compliment de Julien sur sa robe nouvelle, et la rancune de Julien s'était évanouie à propos d'une exclamation d'Irène sur une cravate rose.
JULIEN.
Eh bien, Irène, nous partons demain décidément, tu sais?
IRÈNE.
Oui, Dieu merci! Je crois que nous allons voyager avec Élisabeth et Armand de Kermadio.
JULIEN.
Nos petits voisins des bains de mer? Ah!...
IRÈNE.
Papa a dit l'autre jour à maman que M. de Kermadio voulait aller à Paris vers le 15 novembre. Ainsi tu vois....
JULIEN.
Ça m'est assez égal, du reste: il ne me va pas, cet Armand. Jouer, toujours jouer, c'est ennuyeux, et il ne sort pas de là; on ne peut pas causer sérieusement avec lui; d'ailleurs, il est d'une ignorance honteuse sur les timbres, et il hausse les épaules quand on parle de tailleur.
IRÈNE.
Élisabeth aussi est singulière: figure-toi qu'elle ne savait pas ce que c'était que Béreux et qu'elle n'avait jamais été à l'Éclair!...
JULIEN.
Oh!... elle est digne de son frère.
IRÈNE.
C'est dommage, vraiment! car elle est assez bonne fille!
JULIEN.
Toujours de bonne humeur.
IRÈNE.
Et très-complaisante.
JULIEN.
C'est vrai, et Armand aussi; pourtant ce sera très-ennuyeux de les voir aux Tuileries, s'ils n'ont pas bon genre comme nous!
La conversation en resta là. Le lendemain, M. et Mme de Morville quittèrent le château avec Irène et Julien. Les gens attachés à la maison les laissèrent partir sans regret, car ils voyaient à peine leurs maîtres, et les enfants avaient toujours un air dédaigneux ou ennuyé qui choquait ces braves gens.
Léonore et Amable se remirent donc gaiement au travail en se félicitant de voir partir les poupées, les lorgnons et les propriétaires de ces charmants objets, tandis qu'Irène et Julien, nonchalamment installés dans la calèche qui les emportait vers le chemin de fer, prenaient des poses gracieuses et préludaient ainsi avec bonheur aux joies qui les attendaient à Paris et en particulier aux Tuileries. Laissons-les à leurs occupations et à leurs pensées frivoles pour faire connaissance avec les petits de Kermadio.