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L'ACCIDENT.

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«Mantes, sept minutes d'arrêt....

--Cherchons un wagon vide, ou tout au moins pas trop encombré, dit Mme de Morville à son mari....

M. DE MORVILLE.

Ah! bonjour, cher monsieur de Kermadio. Vous voyagez en famille, n'est-ce pas?

M. DE KERMADIO.

Oui, nous sommes tous dans ce wagon.

M. DE MORVILLE.

C'est parfait! je vais avertir Mme de Morville: nous allons faire route ensemble, si vous le permettez.

M. DE KERMADIO.

Mais comment donc! nous en serons ravis!»

Et la famille de Morville vint s'installer avec la famille de Kermadio. Élisabeth fit une petite moue, car Mlle Heiger avait dû descendre du wagon et chercher une place ailleurs. On échangea des bonjours; puis la conversation s'engagea entre les enfants tandis que les parents causaient de leur côté.

JULIEN.

Hein, mes amis, quel bonheur pour nous de quitter enfin ces maudites campagnes?

ARMAND.

Parlez pour vous, Julien: quant à moi, je suis désolé de revenir sitôt à Paris.

JULIEN.

Sitôt, mais nous sommes au 15 novembre déjà, malheureux! Vous appelez ça, tôt?

ARMAND.

Certainement! j'avais encore mille choses à faire à la campagne, et toutes si amusantes!

JULIEN.

Lesquelles donc?

ARMAND.

Finir de soigner mon jardin, ramasser des châtaignes; faire des piéges à loups; aider les pauvres enfants à faire leur provision de bois mort pour l'hiver, aller chercher des coquilla....

JULIEN, l'interrompant.

Fi! l'horreur! mais, mon cher, vous devez user une masse de gants à faire toutes ces sales besognes?

ARMAND, riant.

Ah! ah! ah! je crois bien que j'en userais, si j'avais la bêtise d'en mettre!

JULIEN, avec dédain.

Ce sont des travaux de paysan que vous faites, alors?

ARMAND, vivement.

De paysan comme de grand seigneur. Tous les enfants de mon âge s'amusent à cela, et ils ont bien raison.

JULIEN, avec orgueil.

Pas les enfants comme il faut, mon cher.

ARMAND.

Ces enfants-là, tout comme les autres: quand Jacques et Paul sont venus à Kermadio, ils ont fait comme moi, et m'ont dit qu'à Vély ils avaient aussi leur jardin et que leurs occupations ressemblaient aux miennes.

JULIEN.

C'est possible, mais c'est bien drôle!

Pendant que les deux petits garçons causaient ainsi, Irène disait à Élisabeth: «Quelle toilette mettrez-vous cet hiver?

ÉLISABETH.

Maman ne s'en est pas encore occupée, et je n'ai pas songé à le lui demander.

IRÈNE, surprise.

En vérité! moi, je sais d'avance tout ce que je veux avoir pour moi et pour ma poupée.

ÉLISABETH.

Ce n'est pas une grande affaire que de se dire qu'on aura deux robes, l'une pour tous les jours en mérinos ou en drap, l'autre pour les dimanches, en popeline ou en alpaga.

IRÈNE.

Ciel! ma chère, croyez-vous que deux robes me suffiraient? mais j'aurais l'air d'une pauvresse!

ÉLISABETH.

Je vous assure que je n'ai que cela, et pourtant je ne me considère pas du tout comme une pauvresse!

IRÈNE, avec importance.

Moi, voici ce que j'aurai. Remarquez que c'est moi qui ai inventé les garnitures de mes toilettes.

ÉLISABETH, étonnée.

Vous avez des robes garnies? des jupes toutes simples sont bien plus commodes pour jouer.

IRÈNE.

A la campagne, à la rigueur, oui; mais à Paris, ma chère, aux Tuileries! songez donc qu'il y a un monde fou!

ÉLISABETH, riant.

Comment! il n'y a que des fous aux Tuileries? Merci pour Armand et moi qui y allons toujours.

IRÈNE.

Ne vous moquez pas, et écoutez ce que j'aurai en jolies toilettes: robe de faye....

ÉLISABETH.

Qu'est-ce que c'est que ça, de la faye?

IRÈNE, riant.

Ah! ah! ah! quelle innocente! mais c'est de la soie, ma chère, de la soie magnifique, d'un grain tout particulier.

ÉLISABETH.

Comment des grains? Ah! que ça doit être drôle!

IRÈNE.

Ah! ah! ah! quelle ignorance! cela veut dire que c'est une étoffe de choix.

ÉLISABETH, tranquillement.

Très-bien: voyez-vous, je ne me connais guère en toilettes, je laisse maman s'en occuper pour moi.

IRÈNE.

Vous avez bien tort! je reprends:

Robe de faye bleu de France avec dentelles de Cluny, blanches, sur toutes les coutures; robe de velours vert, garnie de grèbe avec casaque pareille, garnie de même.

Robe de satin gris avec brandebourgs de velours vert et épaulettes noires.

Robe de taffetas lilas avec bandes de soie gris chiné, en biais, et gilet gladiateur gris chiné, à manches.

Robe de....

ÉLISABETH.

Mais, mon Dieu, c'est tout un régiment de toilettes! et des robes simples pour les Tuileries?

IRÈNE

Mais c'est justement pour les Tuileries, ces toilettes-là.

ÉLISABETH

Vous ne pourrez jamais jouer avec ces belles choses?

IRÈNE.

Moi, par exemple! jouer sottement pour abîmer mes belles affaires; certes non, je ne jouerai pas; je me promènerai avec ma poupée qui sera aussi bien mise que moi.

ÉLISABETH, souriant.

J'ai plusieurs poupées, moi; elles marchent, parlent, rient et sont très-gentilles.

IRÈNE.

Tiens, ce doit être une mécanique qui les fait aller! qui est-ce qui vous les a données?

ÉLISABETH.

C'est le bon Dieu.

IRÈNE.

Ah! Ah! quelle plaisanterie! le bon Dieu vous donne des poupées?

ÉLISABETH.

Il me donne mieux que des poupées, puisque celles dont je vous parle et que j'appelle en riant mes poupées, sont des enfants pauvres.

IRÈNE.

Ça doit être ennuyeux, je ne ferais jamais.... Ah! mon Dieu! mon Dieu, qu'est-ce qu'il y a? (criant) au secours, je suis morte!

JULIEN, de même.

Miséricorde, je suis perdu...»

Le train venait de dérailler violemment et plusieurs wagons, parmi lesquels se trouvait celui contenant nos petits voyageurs, venaient de verser. Élisabeth et Armand ne criaient pas comme les petits de Morville; leur première idée avait été de rassurer leurs parents qui craignaient pour eux.

IRÈNE.

Aïe! Julien m'écrase; je suis blessée: mon sang doit couler... quel malheur! (Elle sanglote.)

JULIEN.

Ah! mon Dieu! voilà mon gilet neuf déchiré. Quel malheur!

M. DE MORVILLE.

Silence donc, mes enfants; sortez du wagon et ne dites pas de ces sottises-là!

IRÈNE, pleurnichant.

Je ne sais par où sortir! nous sommes sens dessus dessous!

MADAME DE MORVILLE.

Suis-moi, mon enfant. (Elle sort péniblement par la portière.) Tu peux bien passer par où j'ai passé moi-même, je pense.

IRÈNE, grimpant.

Ah là! là! que c'est difficile!

M. DE MORVILLE, agacé.

Ne crie pas tant: va toujours.

«Ah! mon Dieu, se mit à crier Irène, je viens de me couper la main à la glace. Que je souffre, que c'est profond! comme ça saigne! mon sang, mon pauvre sang coule! au secours!»

Et la frayeur de la petite fille était telle qu'elle tomba en pâmoison dans les bras de sa mère éperdue.

Pendant cette scène, M. de Kermadio faisait sortir du wagon sa femme et ses enfants, et hissa Julien, qui se montrait gauche et grognon.

MADAME DE KERMADIO, effrayée.

Ah! mon pauvre Armand! quelle bosse tu as au front? cela doit te faire grand mal!

ARMAND.

Un peu, maman, mais ça se passera; ne vous en tourmentez pas.

M. DE KERMADIO, inquiet.

Comme tu es pâle, Élisabeth! souffres-tu?

ÉLISABETH, sans l'écouter.

Mon Dieu! où est donc Mlle Heiger? ah! quel bonheur! la voilà qui arrive! elle n'a rien, grâce au ciel. (Elle se jette dans ses bras.)


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