Читать книгу Les enfants des Tuileries - Olga de Pitray - Страница 18
AUX TUILERIES.
Оглавление«Êtes-vous prête, mademoiselle Irène?
--A l'instant, Zélie. Mon toquet? bien; attendez! mon chignon penche trop à gauche. Qu'il est désagréable, ce Leroy, de ne pas me l'avoir fait à boucles! J'en demanderai un à boucles à maman. Les coques de celui-ci sont trop sérieuses, trop lourdes pour ma figure. Mes gants, Zélie; non, pas les foncés, les gris clair tout neufs: oui, ceux-là; dépêchez-vous donc, vous êtes d'une lenteur qui me porte sur les nerfs.»
Irène mit ses gants, les boutonna avec soin, puis jeta un regard triomphant sur l'armoire à glace qui lui montrait sa petite personne tout entière.
Toque de velours vert, ornée de grèbe, robe et casaque pareille à la toque, gants gris, bottes vernies à glands d'or, manchon de grèbe, telle était la toilette d'Irène: elle avait de plus une coiffure des plus savantes, compliquée de cet énorme chignon à coques bouffantes qu'elle trouvait trop sérieux. Ainsi arrangée, Irène avait perdu la grâce et la naïveté de son âge: elle paraissait si peu naturelle et même si ridicule, que Zélie ne put s'empêcher de marmotter entre ses dents:
«Quelle pitié de laisser ainsi des enfants s'attifer en chiens fous!»
Au même instant, Julien fit son entrée dans la chambre. Il était aussi pimpant que sa soeur, et jouait négligemment avec son fameux lorgnon.
«Allons donc, lambine, s'écria-t-il, en route pour les Tuileries; j'ai des rendez-vous d'affaires, et mes acheteurs de timbres doivent s'impatienter.
--Je suis prête. Zélie, ma poupée! Partons maintenant,» dit Irène, se regardant une dernière fois avec complaisance dans la glace.
En disant ces mots, elle prit le bras que lui offrait son frère et se dirigea avec lui vers ces chères Tuileries, où leur vanité devait être satisfaite. Il y avait déjà beaucoup de monde quand ils arrivèrent: leurs riches toilettes, leurs charmantes figures, leurs tournures élégantes firent sensation. Julien, que ce succès évident gonflait d'orgueil, se mit à pérorer dans un groupe de petits garçons, tandis qu'Irène allait échanger des poignées de main et de gracieuses révérences avec quelques élégantes qui l'accueillirent avec empressement, quoique sa toilette excitât visiblement leur jalousie.
JULIEN.
Bonjour, Jordan; où est votre frère?
JORDAN.
Chut! il fait une rafle de timbre Guatemala à un petit imbécile qui n'en connaît pas la valeur. Le voyez-vous en conférence là-bas?
JULIEN.
Bravo! part à trois, n'est-ce pas?
JORDAN.
Bien entendu! Il y a de nouveaux venus aujourd'hui qui veulent faire les fendants; il s'agit de leur colloquer tous nos fonds de magasin. Chargez-vous donc de ça, Julien; vous vous y entendez comme pas un.
JULIEN.
Compris! (Il s'approche des arrivants.) Bonjour, messieurs; vous me voyez ravi: je viens de recevoir quelques timbres allemands fort rares. Voulez-vous les voir?
--Certainement, voyons donc ça! s'écrièrent les pauvres innocents.
Julien ouvrit avec précaution un portefeuille-album rempli de timbres de toute espèce.
«Voilà, dit-il.
UN PETIT GARÇON.
C'est très-joli, très-curieux! Voulez-vous m'en céder deux ou trois?
LES AUTRES.
A nous aussi, n'est-ce pas?
JULIEN, feignant d'hésiter.
C'est que... ça ne peut être acheté que par des gens très-riches, vu qu'ils sont très-chers.
UN PETIT GARÇON.
Ça nous va; nous avons de l'argent.
JULIEN.
Chaque timbre vaut quatre francs. Ce serait de la folie d'en prendre plus d'un.
LE PETIT GARÇON, avec orgueil.
J'en prends trois! (Il paye Julien.)
LES AUTRES.
Nous aussi. Donnez, voilà l'argent.
JULIEN.
Merci. A votre service, mes chers amis. J'en ai d'autres à votre disposition.»
Les petits garçons s'éloignèrent pour montrer à tout le monde leurs acquisitions.
«Eh bien, dit Julien à Jordan, ai-je mené ça lestement?
--Admirable, mon cher, répondit Jordan, vous avez le génie des affaires. Ah! voilà Jules qui arrive. Eh bien, ces Guatemalas?
--Les voilà, dit triomphalement Jules, en ouvrant son carnet.
--Sabre de bois! dit Julien, trente-deux! Quel trésor! Et combien avez-vous payé ça, Jules?
--Devinez, dit Jules en se croisant les bras.
--Seize francs? dit Jordan.
--Moins.
--Je parie, s'écria Julien, qu'il aura échangé ça contre des français!...
--Juste!» dit Jules en se frottant les mains. Jordan et Julien éclatèrent de rire.
«Il a été un peu bien enfoncé, allez! continua Jules avec orgueil. Je le voyais compter ses guatemalas quand je l'aborde tout à coup, et je lui dis: «Tiens, vous aussi, vous avez des timbres?
--Oui, dit Ernest, ils sont rares, n'est-ce pas?
--Rares, ces timbres-là? pas le moins du monde.
--Alors je ne trouverai pas à les échanger facilement?
--Je ne pense pas.
(Voilà un garçon qui a les larmes aux yeux en m'entendant.)
--Allons, lui dis-je, vous n'avez donc que cela dans votre bourse pour faire si triste mine?
--Oui, répondit-il piteusement.
--Tenez, je suis bon enfant et j'ai de l'argent, par-dessus le marché. Donnez-moi ces saletés-là, je vous offre en échange des timbres français tout neuf. Ça vaut de l'argent comptant ça.»
Il était ravi, l'imbécile! Nous avons fait l'échange et voilà.
Jordan et Julien riaient comme des fous à ce récit.
JULES.
Ah! voilà Vervins: écoutez un peu mon exploit, Vervins.
Et il se mit à lui raconter la tromperie qu'il venait de faire. Laissons-les à leur conversation et allons retrouver Irène et ses amies.
IRÈNE.
.... Vois-tu, Constance, le vert et le bleu ne vont pas ensemble: ça jure trop, ces couleurs-là; demande plutôt à Noémi qui arrive. Bonjour, ma chérie. Oh! la délicieuse toilette que tu as là.
NOÉMI.
La tienne la vaut bien, mon coeur. Ah! par exemple, ta poupée est la reine des Tuileries aujourd'hui! l'amour de costume! C'est de chez Béreux?
IRÈNE.
Je prends tout chez elle, tu sais.
NOÉMI.
Bonjour, Constance, bonjour, Herminie, vous allez bien?
Noémi, en disant cela, voulut embrasser ses amies, mais elles se reculèrent vivement.
«Prends garde à mon rouge! dit Constance.
--Prends garde à ma poudre de riz! dit Herminie.
--Tiens, c'est vrai, dit Noémi, surprise; je n'avais pas va que vous étiez peintes.
--Peinte toi-même, dit Constance avec colère pour un peu de rouge, faut-il crier des choses pareilles!
--Et pour quelques pincées de blanc, ajouta Herminie, ce n'est pas la peine de s'étonner.
--J'imite maman, d'ailleurs, reprit Constance
--Et moi aussi, dit Herminie, c'est si naturel! N'est-ce pas, Irène?
--Certainement, répondit cette dernière, et pas plus tard que demain, je ferai comme vous.
--Moi pas, dit Noémi: ça me gênerait pour me faire embrasser par maman.»
Constance et Herminie éclatèrent de rire.
«Elle t'embrasse donc souvent, ta mère! s'écrièrent-elles.
--Certainement, dit Noémi étonnée; les vôtres n'en font-elles pas autant?»
Constance secoua la tête.
«Je vois maman deux ou trois fois par semaine, dit-elle.
.... Bonjour, maman.
--Bonjour, petite.
--Va chez ta bonne, je suis pressée de sortir.... Et voilà.
--Et elle ne t'embrasse pas? dit Noémi enjoignant les mains.
CONSTANCE.
Elle n'y pense jamais.
NOÉMI.
Ça doit te faire beaucoup de peine?
CONSTANCE, avec insouciance.
Non, j'y suis habituée, ça ne me fait plus rien.
HERMINIE.
Moi, j'ai une maman qui joue très-bien du piano, et qui chante très-bien, malheureusement pour moi; car lorsqu'elle ne va pas jouer ou chanter dans le monde, elle passe tout son temps à étudier sans jamais s'occuper de moi. Je vais au cours avec ma bonne, mais dans les moments où je suis seule et où je ne travaille pas, je m'ennuie à la mort.
NOÉMI.
Et toi non plus, ta mère ne t'embrasse pas?
HERMINIE.
Si, quelquefois, elle me baise le front; mais elle a toujours l'air distrait, alors ça ne me fait pas plaisir. Ah! bah! parlons d'autre chose; voulez-vous faire faire des visites par nos poupées, ce sera amusant et cela ne nous chiffonnera pas.
LES PETITES FILES.
C'est cela! c'est une bonne idée!»
Elles organisèrent ce semblant de jeu et furent bientôt absorbées par le plaisir de faire parler et saluer leurs poupées.
Pendant qu'Irène et Julien se dirigeaient vers les Tuileries, Élisabeth et Armand se préparaient aussi à s'y rendre.
«Viens-tu, Élisabeth? dit Armand en mettant son chapeau.
--A l'instant, répondit sa soeur, je prends ma poupée et je suis à toi.
--Elle n'est pas très-neuve, dit Armand en examinant la figure fanée et les vêtements modestes de la poupée.
ÉLISABETH.
Bah! elle m'amuse tout autant qu'une belle. Anna, voulez-vous venir, je vous en prie, nous sommes prêts. Adieu, chère maman, adieu, bonne mademoiselle, je suis bien fâchée que votre mal de tête vous empêche de venir avec nous aujourd'hui.»
Et les enfants, après avoir embrassé leur mère, se dirigèrent gaiement, suivis de leur bonne, vers les Tuileries.
«Ah! quel bonheur, voilà Irène, s'écria Élisabeth en arrivant. Je vais pouvoir jouer avec elle, au revoir, Armand.
Au revoir, Élisabeth, moi je vais rejoindre Julien que j'aperçois là-bas. Anna, asseyez-vous là, je vous en prie; je vous promets de ne pas jouer hors de l'allée de Diane.
ANNA.
Bien, monsieur Armand; j'y compte.»
Élisabeth avait couru vers Irène et lui avait tendu la main.
«Bonjour, chère amie, dit-elle, avec son bon sourire, me voilà guérie et prête à jouer. Voulez-vous de moi et de ma poupée?
IRÈNE, embarrassée.
Bonjour, Élisa... bonjour, mademoiselle, je vais demander à ces demoiselles si elles veulent bien vous laisser jouer avec elles.
CONSTANCE, à demi-voix.
Non, certainement. Voyez quelle toilette a cette petite! Quelle misérable robe de drap bleu, sans garnitures, et des brodequins pas vernis! Je ne veux pas d'elle, Irène.
HERMINIE, de même.
Ni moi non plus, Constance a raison; et puis, voyez, ma chère, comment pourriez-vous jouer convenablement avec elle! Sa poupée est si mal mise! renvoyez-la.
NOÉMI, de même.
Pourquoi? Elle-a l'air très-bon, gai et intelligent. Essayez de jouer avec elle, croyez-moi.