Читать книгу Les murs de Paris en avril 1873 - Onésime Monprofit - Страница 5
II
ОглавлениеLa publication de la circulaire que M. de Rémusat adressa aux électeurs du département de la Seine devança de deux jours la promulgation du décret. Un journal officieux accusa M. de Goulard, ministre de l’intérieur, d’avoir volontairement retardé l’insertion au Journal officiel.
La circulaire de M. de Rémusat, délibérée, dit-on, en conseil des ministres, rencontra immédiatement des adhérents parmi les députés du centre gauche, et dans les rangs des conseillers municipaux qui forment, depuis l’élection Hérold, une sorte de centre gauche au conseil municipal de Paris. Elle fut approuvée aussi par l’aristocratie industrielle et financière.
Le parti démocratique, se plaçant tout-à-fait sur le terrain des principes, ne se laissa nullement influencer par les manœuvres du pouvoir. Il maintint la candidature de M. Barodet, et se prépara à la soutenir avec énergie. Il savait d’ailleurs que le peuple de Paris ne se laisse pas prendre facilement aux intrigues gouvernementales et qu’il a l’habitude de marcher droit au but qu’il veut atteindre, sans tenir compte des promesses qu’on peut lui faire pour le pousser à marcher contre ses intérêts.
Devant cette attitude résolue, les patrons de M. de Rémusat comprirent qu’il ne leur fallait négliger aucun moyen s’ils voulaient arriver au succès. Dans les deux comités formés pour soutenir le ministre des affaires étrangères, il semble qu’on avait donné pour mot d’ordre de ne rien épargner. Depuis le 14 avril, les affiches des couleurs les plus diverses se succédèrent sur les murs de Paris. Chaque jour, on en placardait de nouvelles, De plus, les journaux officieux et les organes habituels des d’Orléans contenaient des listes d’adhésions où les noms les plus inconnus s’étalaient avec fracas.
Les députés du centre gauche envoyaient l’un après l’autre, non pas une simple adhésion, mais de véritables lettres-manifestes recueillies religieusement par les feuilles de la Présidence . Peu importait qu’on fût représentant ou seulement électeur du département de la Seine! Faire réussir la candidature du ministre des affaires étrangères, c’était le point important.
Après les députés, après les conseillers municipaux, vinrent les particuliers. L’Italien Cernuschi, récemment naturalisé Français, retour depuis peu du Japon, ouvrit la liste. On vit alors affluer les noms des préfets en disponibilité, gens vivant de l’équivoque, prêts à suivre le pouvoir dans les aventures, et nombre de ces personnalités remuantes qui cherchent à placer partout leurs initiales, enfants perdus du barreau ou de la littérature.
Mais cela ne suffisait point encore. On cherchait l’appui d’une personnalité éclatante, et on avait les yeux tournés, depuis quelques jours, du côté de la dernière victime de la droite, du côté de M. Grévy.
L’ex-Président de l’Assemblée de Versailles, entouré d’une sorte d’auréole de puritanisme, considéré par beaucoup comme le type du républicain vertueux et intègre par excellence, M. Grévy devait, dans l’esprit des patrons de M. de Rémusat, réunir à la fois l’aristocratie conservatrice de ses priviléges, la bourgeoisie à courte vue, et le clan des républicans sincères, mais timides.
On eut l’adhésion Grévy.
Elle fut annoncée bruyamment, à grand renfort d’affiches .
Pendant que les comités organisés pour soutenir la candidature de M. de Rémusat cherchaient ainsi des adhérents de tous les côtés, et faisaient tapage à chaque nouveau partisan qu’ils rencontraient, le parti démocratique poursuivait sa campagne avec une admirable discipline. Au premier moment, un seul journal républicain avait manqué à l’appel, le Siècle. Son hésitation cessa le jour où il comprit le but de la candidature de M. Barodet, et où il vit que la pensée du peuple de Paris était d’exprimer nettement sa volonté au pouvoir. Dès lors six journaux, les plus populaires de Paris: l’Avenir national, le Corsaire, l’Evénement, le Rappel, la République française et le Siècle marchèrent à l’unisson.
Le Congrès républicain démocratique, dans sa seconde séance, avait affirmé ce principe que les frais de l’élection devaient être couverts par les électeurs. Les dépenses furent évaluées à 20,000 francs. Chaque comité d’arrondissement dut s’occuper de fournir sa part de cette somme. Disons tout de suite que les dépenses sont restées au-dessous des prévisions, et que 18,000 francs à peine ont été dépensés. Sans abuser de l’affichage, comme le firent les comités soutenant M. de Rémusat, les choses nécessaires furent faites.
Dans toutes les réunions publiques, la candidature de M. Barodet fut soutenue énergiquement. Au gymnase Pascaud, à la rue d’Arras, au Casino-Cadet, à la salle Rivoli, etc., et dans la banlieue, à Puteaux, à Levallois-Perret, etc., les candidatures en présence furent discutées avec calme, avec liberté, et les électeurs purent s’éclairer pour se prononcer, le jour du scrutin, en connaissance de cause.
Les légitimistes et les bonapartistes n’étaient pas. plus satisfaits, on le comprend, de M. de Rémusat que de M. Barodet. Ils cherchèrent un candidat. Quelques journaux avaient mis en avant le nom de M. Libeman. M. Libeman était complétement inconnu. Ses titres à représenter Paris étaient singuliers. Il avait, disait-on, tenté de préserver le Corps législatif de l’envahissement populaire au 4 septembre. Ceci le recommandait aux bonapartistes. On ajoutait que, pendant la Commune, il avait réussi à protéger la chapelle expiatoire construite en mémoire de Louis XVI. Il y avait, dans ce second fait, de quoi se faire bien venir des légitimistes.
Cependant, au bout de quelques jours, les nouveaux coalisés furent forcés de convenir qu’ils avaient là un piètre candidat. Alors eut lieu la réunion de la salle Herz, où ne furent admis que des monarchistes purs ou des bonapartistes consommés. Dans ce conciliabule, où les partisans de l’ordre montrèrent ce dont ils étaient capables, un comité fut nommé pour trouver un candidat. Ce candidat fut M. le colonel Stoffel, militaire un peu plus intelligent que beaucoup d’autres, connu surtout par ses rapports sur la Prusse. Le colonel Stoffel était un bonapartiste convaincu: il n’en fut pas moins adopté par le parti légitimiste, qui s’est souillé en cette occasion par un attouchement qu’il regrettera un jour.
Quelques autres candidatures se produisirent, mais isolément. D’ailleurs, elles sont insignifiantes. Nous avons reproduit, à titre de documents et pour être complet, dans le cours du volume, les professions de foi de ces candidats excentriques .
Malgré les adhésions quotidiennes publiées par les journaux officieux, malgré les affiches posées coup sur coup sur tous les murs de Paris, la candidature de M. le ministre des. affaires étrangères ne faisait point des progrès bien rapides dans le public. La déclaration Grévy, attendue si impatiemment et autour de laquelle on avait fait tant de bruit, ne produisait pas l’effet désiré. C’est à ce moment que s’organisèrent, sur tous les points de la capitale, les comités d’arrondissement et les comités de quartiers. Ces comités d’adhésion à la candidature de M., de Rémusat furent formés, ainsi qu’on peut le voir dans ce volume, de tous les gros négociants,.de tous les industriels, en un mot, de tout le tiers état enrichi. Il faut vraiment connaître bien peu l’intelligence de Paris pour se figurer qu’en mettant au bas de quelques phrases banales et louangeuses des noms de notables, on arrivera à convertir les travailleurs.
Mais, du moins, ces notables étaient électeurs et avaient le droit de propager leur manière de voir. Peut-on en dire autant des députés et des conseillers municipaux? Non! les élus, dans aucun cas, n’ont le droit de donner des conseils à leurs électeurs. Ils sont mandataires du peuple; ils doivent accomplir leur mandat, et c’est l’outrepasser que conseiller à leurs mandants de voter pour tel ou tel. Les comités formés pour soutenir M. le comte de Rémusat n’avaient pas reculé devant cette anomalie. Les députés et les conseillers municipaux de l’extrême gauche reculèrent un instant. Ils comprirent, toutefois, qu’il était nécessaire de s’expliquer franchement, et, tout en protestant contre la pensée qu’on aurait pu leur prêter de renverser les .rôles, ils donnèrent leur avis et publièrent les déclarations qui furent affichées .