Читать книгу Les murs de Paris en avril 1873 - Onésime Monprofit - Страница 6
III
ОглавлениеLe 21 avril, les réunions publiques cessèrent: la candidature Barodet avait eu la grande majorité. La lutte se continua dans les journaux et sur les murs. Il n’y a pas d’exemple d’une semblable profusion d’affiches à propos d’une élection partielle Si nos renseignements sont exacts, un million deux cent mille affiches furent collées pendant la période électorale! Les derniers jours, les murs, les boutiques fermées, les monuments publics, ne suffisaient plus. On placardait sur les parapets des ponts, sur les candélabres des becs de gaz, sur les vespasiennes, sur les arbres .
Les journaux officieux combattaient avec acharnement. Pour toucher leurs adversaires, tous les moyens leur étaient bons. Malheureusement pour la cause qu’ils soutenaient, ils n’étaient pas d’accord avec leurs alliés du jour, les journaux orléanistes. Un point surtout les divisait: tandis qu’eux prenaient à la lettre la déclaration de M. de Rémusat et soutenaient qu’il voulait l’intégrité du suffrage universel, sans équivoquer sur le mot intégrité, les organes des d’Orléans prétendaient que le ministre des affaires étrangères voulait certainement conserver le principe du suffrage universel, mais qu’il voulait en réglementer l’exercice. De là, une polémique assez vive entre les alliés. Elle ne pouvait que faire du bien à la candidature de M. Barodet. Pour obtenir une solution, le 23 avril, dix journaux s’adressèrent à M. de Rémusat. Cette lettre n’obtint aucune réponse, et les journaux qui l’avaient signée, s’autorisant du proverbe: «Qui ne dit rien consent,» passèrent outre et continuèrent à soutenir M. de Rémusat comme candidat conservateur devant apporter des restrictions à l’exercice du suffrage universel.
Le Congrès républicain démocratique continuait son œuvre. Il provoquait des réunions privées sur différents points du département. Dans ces réunions furent prononcés des discours remarquables, notamment celui de M. Gambetta . La lettre de M. Louis Blanc, dont nous donnons aussi quelques extraits , fut lue dans une de ces réunions.
Le Congrès se décida, dans sa troisième séance, à faire |un Manifeste. Ce document, très important, fut publié par les journaux, mais trop tard pour qu’il pût être affiché .
Le 27 avril, Paris savait donc ce qu’il allait faire. La période électorale avait été longue. La lumière s’était faite complétement. Personné ne pouvait hésiter ou arguer de son ignorance. Aussi, les électeurs allèrent-ils au scrutin avec cet blenseme, ce calme, ce recueillement qui prouvent la force. Jamais élection n’eut un caractère plus simple et plus grand. Il y avait quelque chose de religieux dans la façon dont on se rendait au scrutin. Pas d’abstentions. Malgré une pluie battante, une pluie froide, les citoyens faisaient queue à la porte des sections de vote, et attendaient leur tour, sans se plaindre, avec la conscience d’accomplir un devoir sacré et d’exercer un droit indestructible. Dans les salles de vote, les attitudes étaient recueillies, et quand le président du bureau, un homme à cheveux blancs le plus souvent, prononçait la formule sacramentelle: «N... a voté,» un long frémissement parcourait l’assistance, et chacun comprenait qu’il n’y a rien d’aussi grand qu’un citoyen libre manifestant librement sa volonté.
Le soir, une foule calme aussi et presque recueillie se pressait aux abords des mairies, au Luxembourg, dans les rues Coq-Héron et de Mulhouse, attendant le résultat. Point de cris, point de discussions violentes. Chacun était ému: on causait presqu’à voix basse. Quand on annonçait un résultat, on répondait par le cri de: Vive la République! et on se recueillait de nouveau.
Vers minuit, le résultat définitif fut proclamé. Les cris répétés de: Vive la République! accueillirent la nouvelle de cette immense majorité donnée à M. Barodet. L’enthousiasme contenu jusqu’ici se manifesta alors, non pas bruyamment, mais par cette sorte de fraternité qu’on voit naître tout à coup entre les hommes dans les grands moments. Sans se connaître, on s’abordait, on se serrait les mains. L’émotion gagnait les plus fermes. On courait pour aller annoncer à ceux qui ne la savaient pas, la bonne nouvelle, et, chemin faisant, on la disait à tous les passants.
Le réveil d’une grande ville est un beau spectacle. Ceux qui ont été témoins de cette journée en garderont le souvenir.