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II

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Table des matières

Nous sommes déjà loin de l’aurore d’un bonheur qui ne devait pas avoir son midi. Napoléon-François-Charles-Joseph Bonaparte, né roi de Rome, héritier de toutes les gloires et des états immenses de Napoléon Ier, venait d’être salué par les acclamations de vingt peuples réunis en une seule nation, et déjà le malheur planait sur son royal berceau; déjà les intrigues se croisaient dans le sein même de la grande cité ; déjà l’esprit sacerdotal, si peu intelligent des devoirs de la vraie religion et des besoins de la société, s’agitait clandestinement pour former une opposition souterraine, et pour essayer de miner un trône à l’ombre duquel l’autel et le ministre s’étaient relevés de la fange des rues.

Je commence à me sentir un penchant pour les croyances et les préjugés populaires. Après la première chute des Bourbons, on crut retrouver l’indice des infortunes de cette famille dans les fêtes du mariage de Louis XVI, alors dauphin de France, avec Marie-Antoinette, fille de Marie-Thérèse d’Autriche. Après l’exécution des victimes royales, en 93, on se rappela que cet hymen fut célébré sous les plus funestes auspices, et coûta la vie à plusieurs milliers de personnes, qui furent culbutées et étouffées dans les fossés de la place Louis XV. Ce malheur était arrivé dans la soirée du 30 mai 1770, au moment où la foule trop nombreuse assistait au feu d’artifice, donné par la ville de Paris en l’honneur des nouveaux époux; et quelques années plus tard, sur cette même place, tombait la tête de Louis XVI et de Marie-Antoinette..... Le mois de mai devait être depuis lors une époque souvent fatale pour la France!.....

On retrouva les mêmes pronostics dans les dernières fêtes du mariage de Napoléon Ier. Au milieu des réjouissances publiques, le prince de Schwarzenberg voulut, au nom de l’Autriche, donner son bal diplomatique. C’était le 1er juillet: il avait réuni dans une salle, construite à la hâte pour cet effet, tout ce que Paris renfermait alors de plus brillant. A onze heures le feu avait pris à une gaze légère dont on avait décoré le passage qui réunissait au palais ce fragile édifice, et en quelques minutes l’incendie avait tout embrasé. Dans ce désastre périrent plusieurs personnes, parmi lesquelles la princesse Pauline de Schwarzenberg, morte victime de son dévouement maternel. Napoléon, dans cette nuit funeste, ne voulut pas confier à des mains étrangères le soin de sauver Marie-Louise; on le vit la saisir vivement et l’emporter lui-même loin du foyer de l’incendie. Et cette même femme, à laquelle il avait donné tant de preuves d’un amour sincère et ardent, cette même femme, la nuit de ses couches, doutait encore de son affection, et lui déchirait le cœur par ces mots adressés à Dubois, mais entendus par lui: «Suis-je abandonnée? Veut-il donc me sacrifier?» Dès cet instant il comprit la perte immense qu’il s’était imposée en répudiant Joséphine, et sembla entrevoir, même du sommet de sa puissance, la profondeur d’un abîme caché, mais déjà creusé sous ses pieds. Nous l’avons vu, sous l’influence de cette défiance de la mère et de l’impératrice, venir épancher ses doutes et ses regrets dans l’âme de celle qui fut toujours si dévouée à ses intérêts..... Et le lendemain du baptême du roi de Rome, les craintes de l’empereur étaient au comble. C’est que déjà il pouvait prévoir une rupture inévitable avec la Russie, devenue presque ostensiblement l’alliée de l’Angleterre.

Enfin la guerre éclata. Les ennemis acharnés de Napoléon ne manquèrent donc pas alors, comme toujours, d’en accuser son insatiable ambition. Mais ne serait-il pas plus juste de reconnaître encore une fois la haine des rois contre les peuples, l’envie et l’orgueil de la Grande-Bretagne, combinés avec la rancune et les projets de la puissance moscovite? L’avenir le prouvera.

L’empereur est déjà sur les bords de la Moscowa. On lui annonce que M. de Beausset lui est envoyé par Marie-Louise. Avec quel bonheur ne reçoit-il pas le portrait de son fils, qu’elle a fait peindre par Gérard, et qu’elle a voulu lui donner avant le début de la campagne! Quelle est la pensée intime de la fille de François II? Faut-il ici ajouter foi aux rapports de quelques affidés? L’indiscrétion avec laquelle elle livrait les secrets de l’état avait-elle été récompensée par une utile révélation? L’empereur d’Autriche, entraîné par le prince de Metternich dans la politique de contre-révolution, avait-il, par une voie obscure, éveillé la sollicitude de la mère et de l’épouse? et elle-même, sans oser ouvertement se prononcer, voulait-elle, par ce dernier souvenir, arrêter la dernière pensée de Napoléon sur ce fils, l’objet de ses plus chères affections? L’empereur des Français était encore si puissant! il était à la tête d’une armée si redoutable!..... Aurait-elle osé pressentir des revers, des trahisons, qui étaient encore peut-être dans les secrets de la Providence?

Toutefois Napoléon Ier ne voulut y voir qu’une preuve, un gage d’amour. La vue de ce portrait, dont les lignes lui retraçaient si fidèlement son fils bien-aimé, fut pour cet homme, tant de fois accusé de dureté, la source de douces jouissances et de tendres émotions. — «Quel admirable tableau!» — Après l’avoir montré aux personnes qui l’entouraient, il le remet à son secrétaire, en lui disant: «Tenez, retirez-le, serrez-le; c’est voir de trop bonne heure un champ de bataille...» — Ces paroles sont rapportées par un historien qui ne le flatte pas souvent; mais comme elles peignent l’âme du grand homme avec de trop favorables couleurs, un autre écrivain ( il suffirait d’écrire son nom pour le démentir) le fait descendre à une jonglerie tout au plus digne d’un saltimbanque.—«Napoléon, ose-t-il affirmer, s’est écrié à la vue de ce portrait: «Messieurs, si mon fils avait quinze ans, croyez qu’il serait ici au milieu de tant de braves autrement qu’en peinture.» — «Puis ( toujours selon le même auteur) il voulut qu’on le plaçât en dehors de sa tente, sur une chaise, afin que tous les officiers et les soldats de sa garde pussent le contempler, et y puiser de nouveaux motifs, de nouvelles inspirations de courage pour la grande affaire qui devait avoir lieu le lendemain.»

— Puisque vous connaissiez ce moyen, monsieur l’ex-ministre, vous auriez dû le conseiller au moment de la révolution de 1850. Dans votre zèle monarchique, vous auriez sans doute épargné bien de la honte et du sang inutilement versé alors et plus tard. Vous avez, à l’heure du danger, manqué de mémoire ou de dévouement.

Je ne raconterai pas l’immortelle campagne de 1812... Elle n’est pas du domaine de notre histoire. La fatalité avait poussé Napoléon au trône impérial: elle seule a encore conduit les événements qui devaient l’en précipiter. Plus tard on a porté bien haut — et ce sont des Français indignes de leur nom — la victoire de l’Europe coalisée. Que pouvait l’autocrate du Nord contre le colosse de l’Occident sans le concours de circonstances tout à fait en dehors de ses prévisions? A quoi servait même l’incendie de Moscow sans un bouleversement dans les saisons? Le trône impérial n’avait pas encore disparu sous ses ruines: Napoléon Ier aurait continué de dicter des lois à l’Europe, sans la trahison qui se montra d’abord à Leipsick......

Ici je ne puis m’empêcher de faire un rapprochement. Nous retrouvons ces mêmes Saxons qui causèrent tant de maux à Charlemagne par leur indomptable perfidie. Les premiers ils donnèrent le signal de la défection après les revers de Russie: seulement leur roi, seul resté fidèle à ses serments, n’avait imité ni l’audace ni la lâcheté de Witikind. Bientôt à la trahison étrangère était venue se joindre l’ingratitude de plusieurs généraux, créatures de l’empereur, qui ne se sentaient plus la force de suivre ses pas de géant. Par eux les merveilles des campagnes de 1813 et de 1814 sont rendues inutiles; par eux la coalition enhardie ose, au milieu de ses défaites, se glisser jusque sous les murs de la capitale. Est-ce à de nombreuses déroutes que la Sainte-Alliance doit la capitulation de Paris? Il me répugne de répéter ici les noms des traîtres; d’autres les ont assez livrés à la honte et à l’indignation des peuples. La longue suite des victoires de 1814 restera comme un monument de la gloire impériale. Le héros semble se multiplier pour frapper ses nombreux ennemis d’étonnement et de stupeur: partout où il se trouve avec les enfants du peuple, ces sublimes soldats que la faveur n’a pas énervés, corrompus, la victoire se range sous les drapeaux de notre armée, et l’étranger fuit épouvanté. Qui ne se rappelle encore la défaite de Champaubert? Qui pourrait oublier la consternation des bandes russes fuyant loin du champ de bataille? Le seul nom de Napoléon leur inspirait une terreur que nulle expression ne pourrait peindre.

Et pourtant, malgré cette gloire de chaque jour, malgré tant de batailles gagnées, l’empire d’Occident s’écroule sur ses bases colossales... C’est que jusqu’au dernier moment l’empereur a refusé de croire à la trahison de ceux qui lui devaient tout; c’est que Dieu, après avoir fait le génie du grand homme, allait encore montrer à l’univers comment il se sert parfois de hordes barbares pour accabler la civilisation, quand ceux qu’il voulait en gratifier, ceux auxquels il avait envoyé son prédestiné, se sont trouvés indignes de sa redoutable bienveillance, indignes surtout de comprendre toute la profondeur de la pensée appelée par lui à consolider le bonheur de l’Europe entièrement régénérée. — Encore de terribles épreuves!...

Applaudis-toi, Albion, jouis de ton sublime triomphe; car tu as tout fait, tout conduit. L’homme qui pouvait t’effacer du nombre des nations est tombé du sommet de sa puissance... Mais n’espère pas toujours obtenir l’impunité que ta politique hypocrite a trouvée jusqu’ici. Le jour marqué viendra pour toi... Quelle étrange anomalie! c’est la constitution de 1688 qui arme l’Europe absolue contre la démocratie de 1789! — Rois et potentats, cette alliance monstrueuse doit être un jour funeste à l’une des puissances coalisées... L’avenir vous instruira mieux que nous ne pourrions le faire dans le présent. Ne l’oubliez pourtant pas dès aujourd’hui, vos efforts sont insensés; vous répandez en vain le sang de vos sujets; la guerre propage ce que vous redoutez par-dessus tout.—La civilisation française serait-elle parvenue jusqu’aux glaces de la Baltique, si la tortueuse politique d’Alexandre n’avait pas obéi soit à la haine, soit aux conseils d’un gouvernement plus perfide que le sien? La Russie s’est précipitée dans une guerre commune avec l’Angleterre!!... — La Russie semblait combattre pour un principe; mais l’Angleterre n’en a jamais eu: elle prenait les armes pour une vieille jalousie qui remonte jusqu’à Charlemagne... — Alexandre, vous étiez dans le faux.

Au milieu du bouleversement européen, que devient le roi de Rome? Que fait pour lui ce sénat conservateur, qui était venu humblement apporter sa protestation de dévouement autour de son berceau? Écoutons les paroles adressées par son président à Napoléon Ier, le 22 mars 1811:

— «Sire, le sénat vient offrir à votre majesté ses vives

» et respectueuses félicitations sur le grand événement qui

» comble nos espérances et qui assure le bonheur de nos

» derniers neveux. Nous venons les premiers faire retentir

» jusqu’au pied du trône ces transports de ravissement et

» ces cris d’allégresse que la naissance du roi de Rome

» fait éclater dans tout l’empire. Vos peuples saluent par

» d’unanimes acclamations ce nouvel astre qui vient de se

» lever sur l’horizon de la France, et dont le premier

» rayon dissipe jusqu’aux dernières ombres des ténèbres

» de l’avenir. La Providence, sire, qui a si visiblement

» conduit vos hautes destinées, en nous donnant ce pre-

»mier-né de l’empire, veut apprendre au monde qu’il

» naîtra de vous une race de héros, non moins durable que

» la gloire de votre nom et les institutions de votre génie.

» Du haut de ce trône, où nous contemplons la majesté

» souveraine dans toute sa pompe, vous nous avez plus

» d’une fois fait entendre ces nobles et touchantes paroles:

» Que le bonheur de vos peuples est le premier besoin de votre

» cœur. Devenu époux et père, vos affections les plus in-

»térieures se confondent dans l’amour que vous portez

» à vos sujets. L’auguste impératrice, qui relève l’éclat du

» diadème par tant de grâces et de vertus, vous est plus

» chère encore comme mère du prince appelé à régner un

» jour sur les Français; et quand vos regards paternels

» s’attachent sur le roi de Rome, vous pensez aussitôt que,

» sur cette tête si précieuse reposent les destinées de ce

» peuple toujours présent à votre souvenir.

» Permettez, sire, que dans ce jour le sénat confonde

» aussi ses sentiments les plus chers avec les premiers de

» ses devoirs, et que nous ne séparions point notre ten-

»dresse respectueuse pour le fils du grand Napoléon d’avec

» les saintes obligations qui nous attachent à l’héritier de

» la monarchie; de même que dans l’hommage que nous

» venons présenter à votre majesté nous ne séparerons

» point l’humble offrande de notre amour pour votre per-

» sonne sacrée d’avec le tribut de notre profond respect

» et de notre inébranlable fidélité.....»

— Et cette même assemblée, dont la fidélité devait être inébranlable, oublieuse de tout sentiment de pudeur, prononce, le 2 avril 1814, la déchéance de Napoléon Ier et de sa race!...

Depuis quelques jours, contre l’avis presque unanime du conseil de régence, Marie-Louise a voulu quitter Paris. Cette résolution affligea beaucoup la reine Hortense: désolée de voir l’impératrice régente et son fils abandonner la capitale aux intrigants et aux conspirateurs, elle la pressa vivement de rester, et lui dit avec un accent prophétique: «Si vous quittez les Tuileries, vous ne les verrez plus.» Mais, par une terrible fatalité, ceux qui aimaient la patrie ne pouvaient plus faire entendre leur voix: tous leurs avis étaient repoussés!..... Dans cette circonstance, Marie-Louise semble accréditer les bruits répandus sur son indiscrétion, pour ne pas me servir d’une expression plus dure et plus juste peut-être. Tous les hommes influents dont elle se trouvait entourée alors ne songeaient plus qu’à se ménager un facile rapprochement avec la royauté, revenue en France sur les baïonnettes étrangères..... Eh quoi! dans le danger de la patrie, des Français marchandaient leur dévouement avec des chefs de hordes barbares!..... La conservation des places devait passer avant le salut de la gloire et du patriotisme!... Nous n’étions pas encore dignes de nobles institutions; nous méritions d’être soumis une fois encore aux épreuves d’un despotisme déguisé sous la forme d’une royauté constitutionnelle.

Dans cette lutte déloyale, où la perfidie, la trahison et l’égoïsme prêtaient secours à l’absolutisme coalisé, le peuple français fut grand et sublime: il n’avait en vue que la patrie. Celui qui, dans cette déplorable circonstance, montra la plus ferme énergie, ce fut peut-être ce même enfant-roi quelles adulations des courtisans avaient obsédé au moment de sa naissance. Il semblait qu’à cette heure extrême toute la force de la résistance nationale se fût réfugiée dans cette âme candide; on eût dit qu’une grande pensée se révélait d’en haut à cette faible créature, pour avertir les traîtres, et les rappeler au courage de leurs devoirs. Au moment fixé pour le départ, on vit le fils de Napoléon résister à l’autorité de sa mère. — «Je ne partirai pas, lui criait-il en se cramponnant aux meubles, aux draperies du palais: je ne partirai pas... Mon père m’a défendu de m’en aller...» — Et il paraissait implorer la fidèle amitié de la reine Hortense contre le dévouement douteux de l’impératrice Marie-Louise.— Il voulait rester avec ses cousins.

DÉPART DES TUILERIES.

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Cependant cette résistance émut sa mère: il lui fut impossible de continuer cette espèce de lutte avec son fils. Quand on vint le prendre pour le conduire à la voiture impériale, il fallut qu’un écuyer de l’impératrice prêtât son aide à madame de Montesquiou pour l’emporter loin des Tuileries..... C’étaient toujours les mêmes cris: — «Mon père l’a défendu...» — Ces protestations souvent répétées arrachaient des larmes aux spectateurs, attendris de cette opiniâtreté dans un enfant qui ne semblait pas devoir comprendre sa position.

Cette énergie extraordinaire aurait pu éclairer les aveugles, ou faire rougir les lâches de leur honte; mais le mal était sans remède: la voix désespérée de l’enfant allait s’éteindre inutile comme le génie et l’héroïsme de son père. La France manquait à ses grandes destinées par la trahison de quelques hauts fonctionnaires, indignes créatures du héros!.....

Il est parti malgré ses larmes, surtout malgré les efforts de la reine Hortense pour retenir la cour au sein de la capitale. Que le sort de la France eût changé, si l’autorité souveraine eût été confiée à cette femme courageuse, au lieu de tomber dans les mains de la faible archiduchesse d’Autriche! La fille de Joséphine restera dans Paris jusqu’au dernier moment: elle veut être témoin de la défense nationale et en partager tous les dangers... Mais elle ne verra que honte et trahison!..... Alors il faudra bien se résigner aux malheurs de la patrie vendue, livrée..... Ses deux fils ont compris, comme le roi de Rome, tout ce qu’ils perdent; mais leur douleur est silencieuse: ils ont déjà l’intelligence de la force brutale; ils savent que désormais toute résistance deviendrait inutile. Ils se soumettent avec résignation, à l’exemple de leur mère, qui avait depuis longtemps le pressentiment d’un douloureux avenir. Elle pleurait au départ de la cour, mais ce n’était pas seulement sur les malheurs de l’enfant-roi, sur ceux qui l’attendaient elle-même et sa famille: elle pleurait la gloire de Napoléon, et surtout les belles destinées dont la France était déjà privée par l’ingratitude de ceux qui lui devaient le sacrifice du plus pur de leur sang.

Dans notre orgueil, nous daignons à peine jeter un seul regard de pitié sur ce que nous appelons la barbarie des temps anciens. Avons-nous jamais eu la force et la vertu de Rome ou de Carthage? Les Romains n’avaient sans doute pas plus de bravoure que nous; mais auraient-ils conquis et conservé l’empire du monde pendant plusieurs siècles, avec un patriotisme chancelant et toujours soumis aux calculs de l’ambition, disons mieux, d’un stupide et inintelligent égoïsme?.....

Notre roi de Rome est à Vienne; et son père, qui s’est courbé devant la Nécessité, qui n’a pas voulu de guerre civile, son père est relégué dans une petite île de la Méditerranée. Les Bourbons, replacés sur le trône de leurs aïeux par la volonté des traîtres plutôt que par la force des baïonnettes alliées, les Bourbons, dès le début d’une restauration impopulaire, font murmurer ceux mêmes qui les ont aidés à ressaisir le beau sceptre de France..... Napoléon a tout compris: à peine établi sur la terre d’exil, il a voulu reconstruire la fortune nationale. Les lieutenants qui l’avaient d’abord abandonné dans leur aveuglement sont sans doute revenus d’une aberration momentanée; et l’aristocratie démocratique se souviendra désormais que sa mission était de combattre pour le trône et le chef de la démocratie. Napoléon Ier a touché le sol français: il rentre dans Paris en triomphateur, et la restauration s’est évanouie comme une ombre à son approche..... Son fils est toujours à Vienne, et l’indigne Marie-Louise a déjà refusé de venir le rejoindre dans sa capitale. Joséphine n’est plus!..... Joséphine, qu’il trouva toujours si aimante, si dévouée..... Elle n’avait pas beaucoup survécu à la chute de l’empereur. Le monstre politique, qui toujours immola tant de victimes, l’avait-il sacrifiée à une jalousie dynastique?... La postérité le saura..... Elle était morte presque subitement à la suite d’une promenade dans les jardins de la Malmaison. Il se rencontre des historiens assez niais, ou plutôt assez courageux, pour oser écrire que la fatigue de cette courte excursion l’a seule tuée!... Pourquoi ne pas dire tout simplement: L’impératrice, rentrée chez elle, demanda un verre d’eau, qui occasionna immédiatement l’horrible crise dont elle est morte peu de temps après? N’ajoutons aucun commentaire, et laissons à l’opinion publique le soin de toute recherche. Cette fin tragique affligea la France entière, et fit cesser la jalousie que lui attirait la respectueuse affection d’une majesté impériale dont on avait à redouter la puissante influence. A la vue de tant de noblesse et de malheurs, Alexandre ne pouvait-il pas se repentir d’avoir trahi une illustre amitié ?...

Un second exil était inévitable pour la famille des Bourbons... Le retour de l’empereur était accompli; sa marche triomphale est peut-être la plus grande merveille que l’histoire nous ait apportée; mais, hélas! n’était-elle point prématurée? Pourquoi, dans son impatience du retour, n’a-t-il pas laissé un an de plus aux Bourbons, pour se faire maudire des lâches eux-mêmes qui les avaient rappelés? Pourquoi n’a-t-il pas laissé aux rois absolus le temps de dissoudre le congrès de Vienne? Pourquoi est-il revenu les terrifier au moment où presse toute l’armée coalisée se trouvait encore sur notre frontière? Une fois anéantie, la coalition ne pouvait se reconstituer avant un an, et c’était plus qu’il ne fallait au génie, je ne dirai pas pour organiser la victoire, mais pour décourager, pour enchaîner la trahison, toujours prête à servir l’étranger aux dépens de la patrie. Il était poussé malgré lui dans des malheurs préparés par le destin pour combler la misère publique en France, sans diminuer la gloire du héros, qui en a reçu au contraire un nouveau lustre.

Le seul nom de Napoléon vient de donner une nouvelle secousse au monde..... — Nous sommes à Waterloo..... Vainqueur toute la journée, le grand capitaine voit la victoire lui échapper, et par l’impéritie de Wellington, et par la perfidie, la lâcheté de quelques Français..... Combien de fois l’Anglais, battu sur tous les points, ne voulut-il pas opérer une retraite rendue impossible par la mauvaise combinaison du général en chef?..... Mais cette faute énorme, qui le forçait à se laisser décimer par nos braves, a donné au vieux Blucher le temps d’arriver avec sa colonne prussienne, tandis que les troupes attendues par l’empereur n’approchaient pas!..... Telle est donc la victoire que Wellington ose s’attribuer!..... Il pourrait avec autant de justice se faire gloire des désastres qu’un froid excessif et des neiges prématurées causèrent à notre arméé victorieuse!..... C’est ainsi que nous avons été trahis par le caprice de la fortune à Crécy, quand l’armée anglaise, vaincue, aux abois, se repliait devant nous, et s’abritait derrière les forêts et les marais du Ponthieu; à Poitiers, quand, réduite à la dernière extrémité, elle offrait d’acheter la paix au poids de l’or. Serons-nous encore victimes de cette folle déesse, avant de nous être vengés de l’injustice des hommes et de la bizarrerie du destin?.....

Pour la seconde fois le sénat renie son bienfaiteur; il se couvre même d’une honte que l’histoire transmettra non sans douleur à la postérité..... Cette assemblée ne craignit pas de proposer sa fidélité, son dévouement à une nouvelle restauration, sous la condition que les traitements et les dignités de tous ses membres deviendraient désormais héréditaires. Qui ne rougirait pas de son père, si son nom avait ce jour-là figuré sur la liste du sénat?

Napoléon veut bien abdiquer; mais il demande que son fils soit proclamé empereur. La proposition est acceptée; et c’est à l’instigation d’un petit nombre d’ingrats ( d’autres historiens ont eu le courage de les nommer; leurs noms ne tacheront pas cette histoire ), c’est à leur instigation qu’un revirement de politique est bientôt opéré. Le sénat vote déjà contre Napoléon II, et la chambre des représentants a proclamé qu’il ne peut pas régner.

La démocratie était donc momentanément perdue en France; ceux qui auraient voulu son triomphe étaient aveuglés par la fatalité, puisqu’ils repoussaient le seul bras assez puissant pour asseoir la constitution sur des bases solides. Et c’est dans une chambre qui semblait lutter contre l’étranger pour nos libertés publiques, c’est dans cette chambre que le dernier coup fut porté ! On veut opposer de la résistance au parti de la prétendue légitimité, et l’on ne craint pas de briser l’épée qui seule pouvait encore refouler au delà du Rhin la coalition vaincue..... La sinistre influence de la Fayette compromettra-t-elle de nouveau les destinées. de notre belle patrie?

Ainsi Napoléon II restera dans l’exil, et Napoléon-le-Grand vient d’abdiquer une seconde lois, pour aller se livrer à la foi britannique. Il invoque le souvenir de Thémistocle: il aurait dû plutôt se rappeler Régulus et la foi punique. La France seulement devait être pour lui Athènes dans un avenir assez rapproché. Les bourreaux de Jeanne d’Arc auraient aussi brûlé le général Bonaparte, dans des temps plus reculés. Ils avaient marché avec la civilisation: Sainte-Hélène couronnait donc le bûcher de Rouen.

Des hommes pusillanimes et peu clairvoyants se sont appuyés sur l’accueil fait à Napoléon par la population anglaise en 1815, pour tenter depuis juillet 1850 un rapprochement avec les deux gouvernements. Toute nation livrée à ses instincts devait aimer celui qui avait assuré autrefois le triomphe de la cause populaire; mais ne confondons pas le peuple avec l’aristocratie, toujours dévouée à l’absolutisme divin, même dans les monarchies constitutionnelles. Nous ne sommes pas encore arrivés aux temps heureux d’une fusion générale: la haine qui dure depuis tant de siècles entre Lutèce et Albion est loin d’être éteinte. La colère de Rome ne doit finir qu’avec Carthage réduite en cendres. Notre Régulus s’était confié à la générosité britannique: on n’a pas eu honte de payer sa confiance par le plus injuste et le plus cruel des supplices... — Que dis-je Régulus? Napoléon n’a jamais été votre prisonnier, perfides ministres anglais: vous n’aviez pas le droit de lui imposer des fers... — Carthage ne fut pas généreuse: Albion s’est montrée lâche et infâme. Le temps, ce grand vengeur, lui apportera le châtiment qu’elle mérite. Tout citoyen français doit vouer une haine éternelle à ce gouvernement hypocrite, que nous retrouvons partout pour nous trahir. Nous devons recueillir l’héritage de Rome, et ne jamais nous donner de repos avant la juste punition réservée à la Carthage moderne. On paraît ne pas comprendre que là est la gloire et la prospérité de la liberté européenne. Un gouvernement français qui aurait le courage de s’appuyer sur toutes les vertus, au lieu d’exploiter la honte et la turpitude de quelques-uns, pourrait, dans un avenir prochain, réparer les maux des cruelles trahisons et des funestes mécomptes. L’absolutisme est assez énervé pour que notre mission de liberté et de civilisation devienne facile à notre dévouement. Les peuples nous contemplent; car ils n’ont pas tout à fait désespéré de nous.... Notre éducation politique n’est pas encore achevée; nous avons besoin de nous former aux mœurs civiques, sans lesquelles les plus belles théories gouvernementales ne seront jamais que mensonges..... —Des hommes sans foi, des partis antinationaux ont saisi l’importance de cette vérité et l’exercice des vertus est devenu difficile, presque impossible, au milieu de la démoralisation publique..... Et pourtant sans cette pureté de morale, sans la religion du civisme, point d’avenir. C’est à nous de nous tenir sur nos gardes.

Histoire de Napoléon II, né roi de Rome, mort duc de Reichstadt

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