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BIOGRAPHIE D’UN MERLE

Table des matières

C’était un aimable petit être qui ne fit jamais de mal à personne. Comme il passa l’une des deux années dont se composa sa vie enfermé dans une cage, il ne trouva guère l’occasion de se distinguer, si ce n’est en devenant le plus apprivoisé et le plus affectueux des oiseaux de son espèce. Tous, tant que vous êtes, vous connaissez bien les merles, ces jolis oiseaux au plumage noir, le bec et les pattes d’un jaune orangé, qui ont une tournure si svelte, des allures si vives, qui comptent parmi les plus remarquables de nos virtuoses ailés? Vous avez pu en voir plus d’une fois dans les jardins où vous alliez, se promenant le long des allées comme de petites poules et y picorant les vermisseaux sans s’inquiéter de votre présence, car ce ne sont point des oiseaux farouches. Ils nichent volontiers aux environs des habitations, sur des arbustes peu élevés ou dans les touffes du lierre. Toutefois, il ne faut pas regarder leur nid de trop près; cela suffirait souvent pour le leur faire abandonner.

Le nom français de merle vient tout directement du latin merula; mais d’où vient merula? Peut-être de merum (vin), parce que, comme les grives dont ils sont les proches parents, les merles auraient eu la réputation d’aimer le vin, ou du moins le fruit qui le produit. Nous n’insistons pas sur cette étymologie, et quant à l’imputation qu’elle impliquerait, nous ne nous sommes jamais aperçu qu’elle ait été justifiée par notre petit individu.

Pline, dans son Histoire naturelle, parle très brièvement des merles. «En vieillissant, dit-il, le merle de noir devient roux. Il chante en été. En hiver il ne fait entendre que quelques sons et se tait complètement à l’époque du solstice. Avec l’âge aussi la couleur de son bec se change par anneaux en celle de l’ivoire, mais cela n’a lieu que chez les mâles.» Et voilà tout. Dans un autre chapitre il nous apprend seulement que l’on trouve des merles blancs dans les environs de Cyllène en Arcadie et nulle part ailleurs. Nous doutons que, même en Arcadie, on en trouvât encore aujourd’hui. Ce serait plutôt en Sibérie qu’il faudrait en chercher, ou bien en Australie, dans ce pays où les cygnes sont noirs.

En anglais, le merle est appelé black bird (oiseau noir), de la couleur de sa robe. Dans le pays de Galles on le désigne par le nom de yellow bill (bec jaune), à cause de l’or dont son bec est orné.

Le nôtre, quand on nous l’apporta, n’avait ni robe noire, ni bec doré. Toute sa petite personne était couverte d’un duvet chiné et de taches brunes, comme est le plumage des grives.

Les merles ne sont en réalité que des grives en habit noir et en pantoufles jaunes, mais, pendant les premières semaines de leur existence, on serait bien embarrassé de dire si ce sont de jeunes grives ou de jeunes merles.

Notre oiseau s’accoutuma tout de suite à nous. Pendant le jour, sa cage se balançait parmi les arbres devant la maison, et, la nuit, on la rentrait dans la cuisine ou dans le vestibule. Malheureusement, il y avait alors parmi les hôtes du logis un terrible chat, habitué à chasser aux oiseaux tout autant qu’aux souris. Il accorda tout d’abord au petit merle une attention des plus inquiétantes, si bien qu’on ne vit plus d’abri pour mettre la cage en sûreté que dans une chambre à coucher dont Minet savait très bien que l’entrée lui était interdite sous les peines les plus sévères.

La personne qui habitait cette chambre fut, à partir de ce moment, tirée de son sommeil chaque matin aux premiers rayons du jour par une aubade de doux chants. Si la porte de la cage était restée entr’ouverte, un léger frôlement de plumes ne tardait pas à se faire sentir sur l’oreiller. Le merle, tète haute et laissant tomber ses jolies ailes noires, entonnait, tout frémissant du plaisir que lui donnait sa propre musique, une vive et fraîche chanson matinale; la chambre tout entière était remplie de la gaieté de ses accords. Impossible de les entendre sans en être soi-même réjoui.

Faisait-on semblant de dormir et gardait-on les yeux fermés, c’était un simulacre qui ne pouvait longtemps lui faire illusion. L’oiseau ne s’y trompait qu’à demi. Il suspendait un instant sa chanson pour donner deux ou trois coups de son bec doré sur la tête du dormeur. Dès que, par cette démonstration, il avait décidé les paupières à s’ouvrir et que le regard s’était enfin fixé sur lui, il reprenait son chant, gonflant son gosier, agitant ses ailes et vivifiant l’air par ses notes joyeuses et multipliées.

Ce ne fut toutefois qu’au second printemps de sa courte existence que se développa chez lui un pareil talent. Pendant toute la première année, il ne nous fit entendre que quelques notes qu’il répétait sans variations, comme un enfant qui s’apprend à parler. Il était évident qu’il étudiait beaucoup, avec suite et avec le plus grand soin. Ces quelques notes, claires et douces, n’offraient qu’un bien faible prélude des chants qu’il devait nous faire entendre l’été suivant.

Certainement ce cher petit oiseau n’était pas malheureux dans la condition qui lui était faite; mais il n’avait pas été créé pour passer sa vie dans une cage ou dans une chambre, et nous aurions trouvé cruel de lui imposer une telle contrainte à perpétuité. Aussi n’avions-nous pas dessein de le retenir quand il manifesterait le désir de reprendre sa liberté, et que nous le saurions capable de pourvoir par lui-même à ses besoins. Il était notre hôte et notre élève et non pas notre prisonnier.

Il eût été en danger de mourir de faim si nous lui avions donné la volée en hiver. Quand vint le printemps, il était tout à fait élevé; il avait appris à se servir de ses ailes en volant librement à travers les chambres. La cage fut alors suspendue au milieu des arbres avec la porte ouverte. Il ne s’aventura tout d’abord à en sortir qu’avec circonspection. Ce vaste espace qui se présentait tout autour de lui l’étonnait et l’effrayait visiblement; mais il s’y fit assez vite, et, dès lors, il sortit et rentra sans plus d’hésitation que lorsqu’il avait sa cage à l’intérieur de la maison. Aux premières clartés de l’aube, il allait s’installer dans les arbres et saluait le retour de la lumière des plus belles notes de sa voix, arrivée alors à l’apogée de sa puissance. Une fenêtre venait-elle à s’ouvrir, il s’y dirigeait aussitôt, se perchait sur le doigt de la personne qui se trouvait là, lui souhaitait le bonjour en musique et prenait tranquillement de sa main ce qu’elle lui offrait. Il agissait de même quand on l’appelait de la porte du vestibule. Jamais il ne témoigna la moindre défiance des personnes qui lui avaient donné leurs soins. Il savait bien qu’elles ne cherchaient pas à le prendre ni à le retenir plus longtemps qu’il ne lui convenait. L’eussent-elles fait d’ailleurs, il ne s’en serait probablement pas inquiété; il aurait pensé que c’était pour son bien.

Rien de plus charmant que d’avoir ainsi autour de soi des créatures de Dieu ramenées, par le bienfait, à ce sentiment de tranquillité et de confiance primitives et ne voyant plus dans l’homme un ennemi, mais un protecteur. Cela fait rêver de l’âge d’or et de l’Éden.

Le chat, cependant, n’avait pas renoncé à s’occuper sournoisement du merle. Plus d’une fois on l’avait aperçu guettant l’oiseau de dessous quelque buisson pendant que celui-ci picorait sur le gazon, ou bien grimpant derrière lui dans les arbres quand il croyait n’avoir pas de témoins. Tout agile qu’était Minet, on ne supposait pas que le merle, avec ses ailes, eût rien à redouter de lui. L’événement prouva qu’on avait tort. Du moins y eut-il à cet égard de très fortes présomptions.

Une nuit, comme le temps était à la pluie, on avait suspendu la cage prés de ma fenêtre, pour qu’elle fût abritée par la corniche de la maison. Le merle, ainsi qu’il en avait l’habitude, y était rentré à la brune, et sans doute, comme à l’ordinaire aussi, il en sortit au point du jour. Je me souviens de l’avoir entendu, au milieu du demi-sommeil du matin, chanter sous ma fenêtre, tout en cherchant sur le gazon son déjeuner de vers et de grains. Tout à coup, un cri aigu de frayeur m’éveilla complètement. Je connaissais cette étrange note métallique que jette un merle sous la menace d’un danger subit; mais, en me penchant à la fenêtre, je ne découvris aucun indice du malheur qui devait être arrivé. Tout était déjà fini. Je sortis bientôt après; il n’y avait point d’oiseau dans le gazon ni dans les arbres. J’eus beau l’appeler, il ne vint point, il ne répondit point à ma voix, et jamais plus nous n’entendîmes le frôlement soyeux de ses ailes, ni sa douce et joyeuse chanson.

Je ne saurais dire à quel point nous regrettâmes notre favori. Nous voulûmes cependant conserver quelque espoir de le retrouver, et, dans ce but, nous parcourûmes tous les bois aux environs; mais ce fut en vain, et quoique pas une de ses plumes n’eût été découverte, aucun doute ne nous resta sur sa mort. S’il avait été en vie, il serait revenu! Les preuves de la culpabilité de Minet n’étaient pas assez positives pour amener sa condamnation; toutefois, il ressortit clairement de l’enquête à laquelle on se livra qu’il avait été vu rôdant d’un air de tigre sur le devant de la maison et autour de la pelouse où le pauvre merle déjeunait en chantant. Ce n’était donc pas sans motif qu’on le soupçonnait. Aussi, depuis ce temps, personne ne lui fit plus la moindre amitié. Lui-même parut comprendre ce que cela signifiait. On ne le vit pour ainsi dire plus à la maison, et il finit par vivre entièrement dans le bois, comme un chat sauvage. Il est probable qu’il ajouta alors de nombreux méfaits à celui que nous étions fondés à lui reprocher, car beaucoup de poussins disparurent, sans qu’on sût comment, des habitations du voisinage.

Un jour on trouva dans un sombre sentier du bois voisin le terrible chat étranglé dans un collet qu’un braconnier avait tendu pour prendre des lapins. Les ravages dont on se plaignait cessèrent immédiatement, ce qui prouve qu’ils étaient bien de son fait, et que sa triste fin n’était qu’une juste punition de ses crimes.

Contes de l'oncle Jacques

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