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IV

Table des matières

LES CONTEURS

William savait fort bien que, s’il s’adressait de but en blanc aux enfants et leur demandait de conter chacun une histoire, il était à craindre qu’ils ne refusassent tous en disant qu’ils n’en savaient pas. Il crut faciliter la chose en fixant d’avance le sujet des récits. Il proposa donc que chacun racontât un accident ou un malheur dont il aurait été victime.

«Cherchez tous, leur dit-il, et voyez s’il ne vous est pas arrivé quelque malheur que vous puissiez nous raconter. Je vous dirai, moi, comment, une nuit, je me suis trouvé dans l’impossibilité de rentrer dans la maison de mon père, à New-York. Je vous détaillerai cela quand mon tour sera venu. Faites comme moi, interrogez vos souvenirs. C’est Madeleine qui commencera.»

William avait désigné Madeleine, parce qu’il croyait qu’étant sa sœur, elle aurait moins peur que les autres.

«Je ne me rappelle aucun accident, dit Madeleine, à moins que je ne vous raconte comment j’ai cassé mon petit vase à fleurs violet.

— Ce sera très bien, dit William, j’en suis sûr. Raconte-nous cela.

— Voilà : «Je l’avais attaché à mon fil de télégraphe; mais il s’est détaché en route, et s’est brisé par terre en mille morceaux.»

Et Madeleine s’arrêta, comme si son histoire était finie.

«Mais, dit William, il faut nous en conter bien plus long que cela; il faut nous expliquer ce que c’était que ton télégraphe, et ce que tu faisais avec ton vase. Il faut nous décrire l’endroit et nous raconter l’histoire du commencement jusqu’à la fin, comme dans un livre.

— Eh bien, reprit Madeleine, le télégraphe était un fil de fer que tu avais tendu de ma fenêtre au balcon d’Augusta. Ma fenêtre et son balcon sont tous deux à l’arrière de la maison, et sa maison est tout à côté de la nôtre; elle est couverte de vignes et de plantes qui grimpent jusque sur les cheminées. Le télégraphe était un fil de fer assez fort, dont tu avais attaché un bout à ma fenêtre et l’autre au balcon d’Augusta; par ce moyen, nous pouvions nous passer des objets l’une à l’autre.

— Et comment les faisiez-vous tenir? demanda Caroline.

— Mais nous avions un crochet, — une espèce de crochet double; un des côtés s’accrochait sur le fil de fer et l’autre pendait; c’est sur celui-ci que je mettais ce que je voulais envoyer à Augusta.

— Comment pouviez-vous faire monter les objets? dit Caroline.

— Oh! dit Madeleine, Augusta les hissait avec une ficelle dont un bout était attaché au crochet et l’autre à son balcon; cette ficelle était assez longue pour arriver jusqu’à ma fenêtre, et quand j’avais ôté du crochet ce qu’elle m’envoyait, je pouvais y mettre autre chose, et alors Augusta le hissait à elle.»

William sourit en entendant toute la description du télégraphe qu’il se rappelait si bien avoir installé.

«Nous avions un petit panier, ajouta Madeleine, que nous suspendions au crochet; et dans lequel nous mettions ce que nous voulions envoyer. Nous avions aussi un petit sac que nous appelions la boîte aux lettres.

— Votre fenêtre était-elle juste au-dessus du balcon? demanda Mary Bell.

— Non, un peu de côté, dit Madeleine; vous devriez bien en faire un dessin.

— Oh! mais je ne saurais pas, dit Mary Bell.

— Oh! si, Mary, faites-le, dirent tous les enfants, faites-le.

— Je vous en tracerai une première esquisse, dit William à Mary Bell, seulement pour vous montrer comment étaient les maisons et comment poussaient les vignes.»

William tira de sa poche un crayon et fit sur son calepin, en guise de pupitre, un petit croquis; Mary Bell, qui se trouvait à côté de lui, et autant de petites filles qu’il put s’en faufiler, se penchèrent pour voir sur son épaule. Tout en dessinant, William expliquait chaque chose, pour rendre son dessin plus clair:

«Voici un pan de mur qui fait saillie, voilà le commencement de l’autre maison; ceci, ce sont des vignes; voilà un treillage, etc., etc.»

William se rappelait si bien la forme des maisons, et la disposition en était si simple, que l’esquisse fut bientôt terminée, et que toutes les petites filles furent très désireuses que Mary Bell commençât le dessin tout de suite, pendant que l’on contait les histoires.

Mary ne se souciait pas beaucoup d’entreprendre ce travail; mais elle y consentit à condition qu’elle n’aurait pas à raconter d’histoire. Les petites ne voulurent pas d’abord admettre une chose semblable; mais, William leur ayant dit qu’il trouvait cela fort juste, elles acceptèrent la combinaison, et Mary Bell fut installée à la table. Personne ne devait s’approcher d’elle tant qu’elle n’aurait pas terminé le dessin. William alla dans sa chambre chercher du papier et des crayons, et Mary se mit à l’œuvre. Le reste de la compagnie reprit ses places, et chacun attendit la fin de l’histoire de Madeleine.

«Eh bien! Madeleine, dit Riquet, continue.»

«J’avais un joli petit vase, un vase pour mettre des fleurs; mon oncle me l’avait donné à la Noël, et je le gardais toujours sur la table dans ma chambre. Un jour, Augusta m’envoya du raisin; elle l’avait cueilli à la vigne qui croissait sur son balcon. Il y avait deux grappes: elle en mit une dans le panier, et l’autre à cheval sur la ficelle, puis elle me laissa glisser le tout.

«J’étais si contente d’avoir le raisin, que je me dis que j’enverrais en échange des fleurs à Augusta. J’en avais dans mon petit vase. J’attachai une ficelle autour du récipient, je la fixai au crochet, et je dis à Augusta de tirer. C’est ce qu’elle fit, et les fleurs et le pot marchèrent admirablement pendant un moment; mais à moitié chemin, la ficelle se cassa et le vase vint se briser en mille morceaux sur le pavé.»

A ce dénouement, quelques-unes des petites filles prirent un air contristé ; mais celles qui étaient le plus près de Mary Bell s’approchèrent tout de suite en disant:

«Où donc? Montrez-nous, Mary, nous voulons voir où c’était.»

Mais Mary couvrit son dessin avec la main et leur dit:

«Non, ce n’est pas encore fini; il faut que vous attendiez.»

Et chacune retourna à sa place.

William fit compliment à Madeleine de l’histoire qu’elle avait racontée.

«Je suis bien fâché, ajouta-t-il, que ton vase ait été cassé, d’autant plus que c’est un peu ma faute. J’aurais dû te prévenir, en établissant ton télégraphe, qu’il ne serait pas sûr de lui confier des choses précieuses, et surtout des choses fragiles.

— Fragile? Qu’est-ce que c’est que fragile? de manda Madeleine.

— Fragile veut dire: qui se casse facilement, répondit Caroline.

— Ah! bien, alors on peut dire, en effet, que mon vase était fragile, car il s’est brisé en dix mille morceaux, » soupira Madeleine.

William pria chacune des petites filles de raconter son histoire; elles firent leur possible pour décrire: quelque accident qui leur était arrivé, mais aucune ne réussit aussi bien que Madeleine; elles avaient peur de parler devant tant de monde, et, en général, leurs histoires étaient beaucoup trop courtes et pas très claires. Voici ce que raconta Sarah:

«Le seul accident que je puisse me rappeler, c’est qu’une fois j’ai voulu sauter un ruisseau, je n’ai pas sauté assez loin, et je suis tombée dans l’eau.

— Tout à fait dedans? s’informa Riquet.

— Oh! non! dit Sarah.

— Comment était le ruisseau? Était-il profond? poursuivit Riquet.

— Non, pas très profond.

— Profond comme ça? fit Riquet en mettant sa main à la hauteur de son menton.

— Oh non! dit Sarah.

— Comme ça, alors? et Riquet, plaçant cette fois sa main sur sa poitrine.

— Oh non! pas à beaucoup près.

— Enfin, combien était-il profond?

— Il n’était pas profond du tout, avoua Sarah, c’était un ruisseau que mon frère avait fait dans la cour avec une cruche d’eau.

— Oh! s’écria Riquet en riant, vous n’avez pas été en danger de vous noyer.

— Non, dit Sarah, mais j’ai gâté une paire de souliers neufs, j’ai été grondée, j’ai pleuré, et le malheur, petit au début, a fini par être bien grand.»

Une autre petite fille raconta comment elle avait mis le feu à un rideau. C’était au milieu de l’été, et elle avait pris une lampe pour aller chercher un livre; elle avait posé la lampe, à ce qu’elle croyait, assez loin de la fenêtre, car elle n’avait osé, disait-elle, la porter dans le cabinet où était la bibliothèque, par crainte de mettre le feu aux livres et aux papiers. De la chambre, la lampe éclairait suffisamment le cabinet.

Pendant qu’elle cherchait son livre, le rideau, soulevé par l’air du soir, flotta à l’intérieur, et un des bords alla se poser sur la lampe; il s’enflamma, puis retomba à sa place contre la fenêtre. La chambre fut bientôt tout illuminée, et la petite fille courut sur l’escalier en criant: «Au feu! au feu!» Son père arriva à temps, et arrachant le rideau avec les pincettes, il le jeta sur la marche du foyer et l’éteignit en versant beaucoup d’eau dessus.

«Mon père m’a dit que j’étais excusable, ajouta la petite, mais que cependant, si j’avais réfléchi, j’aurais pu prévoir que le courant d’air pouvait être un danger.»

Enfin ce fut le tour de Riquet, et il commença ainsi:

«Le seul accident qui me soit arrivé depuis bien longtemps, ç’a été de perdre la clef de ma malle. J’étais en voyage: au dernier endroit où je m’étais arrêté, j’avais fermé la serrures seulement, au lieu de mettre la clef dans ma poche, je l’avais posée sur le tapis, tandis que j’attachais les courroies. Là-dessus, l’homme de l’hôtel étant arrivé en très grande hâte prendre mon colis et me dire que j’étais en retard, j’ai oublié tout à fait la clef, et je l’ai laissée sur le tapis.»

Riquet s’arrêta, comme si son histoire était finie.

«Est-ce tout? demanda William.

— Oui, seulement, quand je suis arrivé à la maison je n’ai pas pu ouvrir ma malle.

— Et qu’avez-vous fait? demandèrent plusieurs enfants.

— Oh! c’est Lafaine qui a arrangé cela pour moi. Devinez comment il s’y est pris?

— Il a trouvé une autre clef, dit l’un.

— Non, répondit Riquet, nous avons essayé toutes les clefs de la maison, aucune n’allait.

— Il a fait sauter la serrure, alors?

— Non.

— Il l’a ouverte avec un instrument? dit Caroline.

— Pas davantage.

- Moi, je sais ce qu’il a fait, interrompit Madeleine.

— Oui, mais ne le dis pas, Madeleine, laisse-leur deviner.

— Il a soulevé le couvercle en ôtant les charnières? dit Sarah.

— Non il n’a pas pu faire cela, parce que les charnières étaient à l’intérieur.

— Eh bien, comment s’y est-il pris, alors? Nous donnons notre langue au chat.

— Voici: il a retourné la malle, et avec sa grande adresse il a ôté le fond, et c’est comme cela que j’ai retiré toutes mes affaires.»

La fin de cette histoire provoqua un rire général. Dès que le silence fut un peu rétabli, chacun se retourna vers William pour voir à qui il allait donner la parole.

— La morale de cette histoire, prononça William, c’est qu’en voyage il faut prendre le plus grand soin de la clef de sa malle.

— Oui, dit Madeleine, et nous en ferons notre profit.»

Mary Bell, William et Lafaine : La vie des enfants en Amérique

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