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I.—EXISTENCE DES DÉMONS

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«Il y en a plusieurs, dit Loys Guyon[1], tant incrédules de nostre temps, qui ne veulent croire qu'il y ait des demons ou malins esprits qui habitent en certaines maisons (qui sont cause que personne n'y peut fréquenter) ou par les deserts qui font fourvoyer les voyageurs. Et aussi en d'autres lieux… Ce qui m'a donné occasion d'escrire de ces demons, c'est que lisant le livre du voyage de Marc Paul, Venétien, des Indes Orientales, il escrit d'un desert, qu'il appelle Lop, qui est situé dans les limites de la grande Turquie qui est entre les villes de Lop et de Sanchion, qu'on ne sçauroit passer en vingt-cinq ou trente journées, et pour ce qu'il est nécessaire à aucuns, pour la négotiation qu'ont ceux de Lop avec ceux de Sanchion ou de la province du Tanguth, de passer par ces deserts, combien qu'ils s'en passeroyent bien, s'ils pouvoyent, veu les dangers et grandes difficultez qui s'y trouvent… C'est chose admirable qu'en ce desert l'on void et oid de jour, et le plus souvent de nuict, diverses illusions et fantosmes, de malins esprits, au moyen de quoy, ja n'est besoin à ceux qui y passent de s'eslongner à la trouppe, et s'escarter de la compagnie. Autrement, à cause des montagnes et costaux, ils perdroyent incontinent la veüe de leurs compagnons. Et les appellent par leurs propres noms, feignans la voix d'aucuns de la trouppe et par ce moyen les destournent et divertissent de leur vray chemin, et les meinent à perdition tellement qu'on ne sçait qu'ils deviennent. On oid aussi quelquefois en l'air des sons et accords d'instrumens de musique, et le plus souvent des bedons et tabourins, et pour ces causes ce desert est fort dangereux et perilleux à passer.

[Note 1: Diverses leçons. Lyon, 1610, 3 vol. in-12, t. II, p. 300 et suivantes.]

«Voilà ce qu'en a laissé par escrit, Marc Paul qui y a esté, qui vivoit l'an 1250, je pensoy que ce fussent choses fabuleuses (et controuvées à plaisir ou pour quelque autre raison). Mais ayant leu les oeuvres de Teuet, cosmographe, pour la plus grand part tesmoin oculaire de beaucoup de choses que plusieurs autheurs ont laissé par escrit, et entre autres de ce desert de Lop, je n'ay plus creu que ce fussent fables.

«Que semblables choses ne se voyant ailleurs, il se void en ce qu'on a escrit de plusieurs grands et illustres personnages qui s'estoyent retirez aux deserts d'Égypte, comme sainct Machaire, sainct Anthoine, sainct Paul l'hermite, lesquels ont trouvé tous les deserts lieux pleins de grande solitude, remplis de démons. Comme fit sainct Anthoine qui estant sorti de sa cellule, ayant envie de voir jour et Paul l'hermite, qui demeuroit en un desert plus haut que luy trois journées, trouva en chemin, une forme monstrueuse d'homme, qui estoit un cheval, et tel que ceux que les poëtes anciens ont appelé Hippocentaures. Auquel il demanda le chemin du lieu où demeuroit ledict Paul Hermite, lequel parla. Mais il ne peut estre entendu et monstra de l'une de ses mains le chemin et puis après il s'osta de devant luy, s'enfuyant d'une grande vitesse. Or si c'est homme estoit point quelque illusion du Diable, faite pour espouvanter le sainct homme ou si (comme les solitudes sont coustumieres de produire diverses formes d'animaux monstrueux) le desert avoit engendré cest homme ainsi difforme, nous n'en avons rien de certain.

«Sainct Anthoine donc s'esbahissant de ceste occurrence, et resvant, sur ce que desja il avoit veu, ne discontinua son voyage, et de passer outre. Mais il ne fut gueres avant, qu'estant en un vallon pierreux et plein de rochers, il vid un autre homme d'assez basse stature, mais laid, et difforme, ayant le nez crochu et deux cornes qui lui armoyent horriblement le front, et le bas du corps, lequel alloit en finissant ainsi que les cuisses et pieds d'un bouc. Le vieillard sans s'estonner de ceste forme si hideuse, ne s'esmouvant d'un tel spectacle, si effroyable, se fortifia, comme estant bon gendarme chrestien vestu des armes de Jésus-Christ,… et, voicy ce monstre susdit qui lui présenta des dattes et fruicts de palmier comme pour gage d'amitié et asseurance. Ceci encouragea ce bon hermite qui, apprivoisé du monstre, s'arresta un peu et s'enquit de son estre et que c'est qu'il faisoit en ceste solitude, auquel cest animal inconu respondit: Je suis mortel et un des citoyens et habitans de ce desert, que les gentils et idolatres aveugles et deçeus sous l'illusion diverse d'erreur, adorent et reverent sous le nom de faunes, pans, satyres et incubes. Je suis venu de la part de ceux de ma trouppe, et compagnie vers toy pour te requerir qu'il te plaise de prier le commun Dieu et Seigneur de nous tous, pour nous misérables, lequel sçavons estre venu au monde pour le salut et rachat de tous les hommes, et que le son de sa parole a esté semé et espandu par toute la terre. Ce monstre parlant ainsi, le voyager chargé d'ans et vénérable hermite Anthoine pleuroit à chaudes larmes, lesquelles couloyent le long de sa face honnorable, non de douleur, ains de joye.

«En Hirlande, il s'y void et entend des malins esprits parmi les montagnes, et combien qu'aucuns disent que ce ne sont que des fausses visions qui proviennent de ce que les habitans usent de viandes et breuvages vaporeux, comme de pain faict de chair de poisson seché. Et leur boire sont bieres fortes. Mais i'ay sceu (asseurement) des Anglois qui y ont demeuré quelques années, qui vivoyent civilement et delicatement, qu'il y avoit des esprits malins parmy les montagnes, lesquels molestent par leurs façons de faire et font peur aux voyageurs soit de jour et de nuict.

«Plusieurs autres démons luy ont donné de grandes fascheries en son desert, lui jettans sur son chemin des vaisselles d'or et d'argent, lesquelles choses il voyoit soudain s'esvanouir.»

«Les Arabes qui, communément voyagent par les deserts de leurs pays, y voyent des visions espouvantables et quelquefois des hommes qui s'esvanouissent incontinent, entre autres Teuet atteste avoir ouy dire à un truchement arabe qui le conduisoit par l'Arabie déserte nommée Geditel, qu'un jour conduisant une caravanne par les deserts du royaume de Saphavien, le sixiesme de juillet, à cinq heures du matin, luy Arabe et plusieurs de sa suite ouyrent une voix assez esclattante, et intelligible qui disoit en la mesme langue du pays: Nous avons longuement cheminé avec vous. Il fait beau temps, suivons la droitte voye. Avint qu'un folastre nommé Berstuth, qui conduisoit quelques trouppes de chameaux, qui toutesfois n'apercevoit homme vivant, la part d'où venoit ceste voix, respond: Mon compagnon, je ne sçay qui tu es, suy ton chemin. Lors ces paroles dites, l'esprit espouvanta si bien la trouppe composée de divers peuples barbares qu'un chascun estoit presque esperdu, et n'osoyent à grand peine passer outre.

«Jésus-Christ fut tenté au desert par le malin esprit.

«Et voilà comme l'on peut recueillir que ce ne sont fables (de dire) qu'il y a des esprits malins par les deserts; et qu'il semble que Dieu permet qu'ils habitent plus tost en ces lieux escartez que là où demeurent les hommes à fin qu'ils n'en soyent si communément offensez. Comme fit l'ange Raphael duquel est parlé en la saincte Escriture, au livre de Tobie, qui confina le demon qui avoit fait mourir sept maris à la fille de Raguel aux deserts de la haute Egypte.

«D'autres démons fréquentent la mer et les eaux douces, et dans icelles, et causent des naufrages aux navigeans et plusieurs autres maux, et y apparoissent des phantosmes. Et d'iceux esprits, comme escrit Torquemada, il s'en void journellement sur la rivière Noire, en Norvege, qui sonnent des instrumens musicaux et lors cest signe qu'il mourra bien tost quelque grand du pays. J'ay veu et fréquenté avec un Espagnol qui par tourmente de mer fut jetté jusques aux mers, qui sont environ les terres du grand Khan de Tartarie, qu'il a veu souvent en ces régions-là de ces phantosmes tant sur mer que sur terre, notamment aux grandes solitudes de Mangy et deserts de Camul, et choses si estranges que je ne les auseroy mettre par escrit, de peur qu'on ne les voulust croire.

«Quelqu'un pourra objecter qu'il n'est pas vraysemblable que les demons qui sont aux deserts de Lop, et d'ailleurs appellent les voyageans par leurs noms, d'autant qu'iceux n'ont organes pour pouvoir parler suivant ce que Jésus-Christ dit que les esprits n'ont ni chair ni os. Je respon, suivant en l'opinion de S. Augustin, S. Basile, Coelius Rodigin et Appulée, que les anges se peuvent former des corps aeriens, de la nature la plus terrestre, et par le moyen d'iceux parler comme firent ces trois anges qui apparurent à Abraham. Et l'ange Gabriel, qui annonça la conception de Jésus-Christ à la Vierge Marie. Et que les demons s'en peuvent aussi forger non pas d'une matiere si pure, mais plus abjecte.

«J'ay parlé d'un monstre chevre-pied qui apparut à sainct Anthoine, que je pense avoir esté engendré par le moyen de Satan, d'autre façon que les autres demons. Neantmoins il requit ce sainct personnage de prier Dieu pour luy et pour d'autres monstres habitans ce desert. Son corps n'estoit point aérien mais charnel, comme ceux des boucs. Il fut prins et mené tout vif en Alexandrie vingt ans après, au grand estonnement de tous ceux qui le virent, et combien qu'on le voulust nourrir curieusement quelques jours après sa prise il mourut, et son corps fut salé et embaumé et puis porté à Antioche et présenté à Constantin, fils du grand Constantin.

«Lycosthène escrit estre avenu à Rotwille en Alemagne, l'an de grâce 1545, que le diable fut veu en plein midi allant et se pourmenant par la place: cest ici que les citoyens s'effroyèrent, craignans qu'ainsi qu'il avoit fait ailleurs, il ne bruslast toute la ville. Mais chascun s'estant mis en devotion de prier Dieu, et ordonner des jeunes et aumosnes, ce malin esprit lors s'en alla, et jaçoit que le diable vienne peu souvent vers nous si est ce que Dieu le souffrant, il n'y vient point sans de bien grandes occasions, et pour estre l'executeur de la vengeance divine. Et ne nous faut point tourmenter sur ce que les demons sont si corporels, ainsi que vrayement tient la doctrine des chrestiens, veu que Dieu le veut ainsi.

«Ils se rendent sensibles et visibles par les moyens des corps empruntez ou formez en l'air ou en esblouissant le sens des personnes, et leur présentant des idées en l'âme, qu'ils pensent voir par la veüe extérieure ainsi que S. Augustin dit, qu'aucuns de son temps pensoyent estre transmuez par quelques sorcières en bestes à corne, là où le bon sainct ne voyoit autre cas que la figure de l'homme, mais le sens visible de ceux-cy estant ensorcelé et perverti par la force de l'imagination causoit l'opinion de leur changement où l'effect estoit tout au contraire. Suivant ces discours, il se void que par tout les demons ou diables s'efforcent de nuire à l'homme, encor qu'il se retire au plus hideux et inhabitable desert du monde, soit qu'il habite dans les plus populeuses villes, tousiours taschera-il de le faire tresbucher.»

Lavater[1], ministre calviniste, admet avec beaucoup de méfiance les faits surnaturels; son ouvrage est précédé de plusieurs chapitres où il raconte des faits merveilleux en apparence et qui pour lui ne sont que des supercheries; ils ont pour titres:

[Note 1: Trois livres Des apparitions des esprits, fantosmes, prodiges, etc. composez par Loys Lavater, plus trois questions proposées et résolues, par M. Pierre Martyr. Geneve, Fr. Perrin, 1571, in-12.]

«CH. I. Les mélancholiques et insensez s'impriment en la fantasie beaucoup de choses dont il n'est.

«CH. II. Gens craintifs se persuadent de voir et ouïr beaucoup de choses espouvantables dont il n'est rien.

«CH. III. Ceux qui ont mauvaise vue et ouïe imaginent beaucoup de choses qui ne sont pas.

«CH. IV. Beaucoup de gens se masquent, pour faire que ceux ausquels ils s'adressent, pensent avoir veu et ouï des esprits.

«CH. V. Les prestres et moines ont contrefait les esprits et forgé des illusions comme un nommé Mundus abusa de Paulina par ce moyen, et Tyrannus de beaucoup de nobles et honnestes femmes.

«CH. VI. Timothée Aelurus ayant contrefait l'ange, usurpe une couschée: quatre jacopins de Berne ont forgé beaucoup de visions et de ce qui s'en est ensuivi.

«CH. VII. L'histoire du faux esprit d'Orléans.

«CH. VIII. D'un curé de Clavenne qui apparut à une jeune fille et luy fit croire qu'il estoit la Vierge Marie et d'un autre qui contrefit l'esprit; ensemble du cordelier escossois et du jésuite qui contrefit le le diable à Ausbourg.»

Voici cette dernière histoire:

«Pendant que j'escrivois cet oeuvre, j'ay entendu par des gens dignes de foy, qu'en l'an 1569 il y avoit à Ausbourg, ville fort renommée d'Allemagne, une servante et quelques serviteurs d'une grande famille qui ne tenoyent pas grand compte de la secte des jésuites au moyen de quoy l'un de ceste secte promit au maistre qu'il feroit aisément changer d'opinion à ses serviteurs. Pour ce faire, après s'estre déguisé en diable, il se cacha en quelque lieu de la maison où la servante allant quérir quelque chose de son gré, ou y estant envoyée par son maître, trouva ce jésuite endiablé qui luy fit fort grand peur. Elle conta incontinent le tout à un de ses serviteurs, l'exhortant de n'aller en ce lieu-là. Toutefois peu après il y vint, et comme ce diable desguisé vouloit se ruer dessus, il desgaine son poignard et perce le diable de part en part, tellement qu'il demeure mort sur la place. Cette histoire a esté écrite et imprimée en vers allemans, et est maintenant entre les mains de tout le monde.

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