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II.—APPARITIONS DU DIABLE

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Le Loyer[1] prétend que les démons paraissent plus volontiers dans les carrefours, dans les forêts, dans les temples païens et dans les lieux infestés d'idolâtrie, dans les mines d'or et dans les endroits où se trouvent des trésors.

[Note 1: Discours et histoires des spectres, visions et apparitions, par P. Le Loyer. Paris, Nic. Buon, 1605, in-4°, p. 340.]

Nous lui empruntons l'histoire suivante:

«Un gendarme nommé Hugues avait été pendant sa vie un peu libertin et mesme soupçonné d'hérésie. Comme il étoit près de la mort, une grande trouppe d'hommes se présenta à luy et le plus apparent d'entre eux luy dit: Me connois-tu bien, Hugues?—Qui es-tu, répondit Hugues?—Je suis, dit-il, le puissant des puissants, et le riche des riches. Si tu crois que je te puis préserver du péril de mort, je te sauveray et ferai que tu vivras longuement. Afin que tu sçaches que je te dis vray, sçaches que l'empereur Conrad est à ceste heure paisible possesseur de son empire et a subjugué l'Allemagne et l'Italie en bien peu de temps. Il luy dit encore plusieurs autres choses qui se passoient par le monde. Quand Hugues l'eut bien escouté, il haussa la main dextre pour faire le signe de la croix, disant: J'atteste mon Dieu et Seigneur Jésus-Christ, que tu n'es autre qu'un diable menteur. Alors le diable lui dit: Ne hausse pas ton bras contre moy et tout aussitost ceste bande de diables disparut comme fumée. Et Hugues, le même jour de la vision, trespassa le soir.»

Le Loyer raconte aussi[1] cette autre apparition du diable:

[Note 1: Discours et histoires des spectres, etc., page 317.]

«En la ville de Fribourg, du temps de Frédéric, second du nom, un jeune homme bruslé par trop ardemment de l'amour d'une fille de la mesme ville, pratiqua un magicien auquel il promit argent, s'il pouvoit par son moyen jouir de l'amour de la fille. Le magicien le mene de belle nuit en un cellier escarté où il dresse son cercle, ses figures et ses caractères magiques, entre dans le cercle et y fait pareillement entrer l'escolier. Les esprits appelez se présentent mais en diverses formes, fantosmes et illusions… Enfin le plus meschant diable de tous se montre à l'escolier en la forme de la fille qu'il aymoit et en contenance fort joyeuse s'approche du cercle. L'escolier aveuglé et transporté d'amour, estend sa main hors le cercle pour penser prendre la fille, mais tout content, le diable lui saisit la main, l'arrache du cercle et le rouant ou tournant deux ou trois tours lui casse et brise la tête contre la muraille du celier, et jeta le corps tout mort sur le magicien, et ce fait luy et les autres esprits disparurent.

«Il ne faut pas demander si le magicien fut bien effrayé à ce piteux spectacle, se voyant en outre chargé du pesant fardeau de l'escolier. Il ne bougea de la nuit de l'enclos de son cercle, et le lendemain matin il se fit si bien ouïr criant et lamentant, qu'on accourt à son cry et est trouvé à demy mort avec le corps de l'escolier et est dégagé à toute peine.»

«Au surplus, dit Le Loyer[1], quant aux hérétiques et hérésiarques de nostre temps, ils ne se trouveront pas plus exempts d'associations avec le diable et de ses visions. Car Luther a eu un démon, et a esté si impudent que de le confesser bien souvent par ses écrits. Je ne le veux faire voir que par un traicté qu'il a faict de la messe angulaire, où il se descouvre ouvertement et dit qu'entre luy et le diable y avoit familiarité bien grande, et qu'ils avoient bien mangé un muy de sel ensemble. Que le diable le visitoit souvent, parloit à luy fort privément, le resveilloit de nuict, et le provocquoit d'escrire contre la messe, luy enseignant des arguments dont il se pourroit servir pour l'impugner.

[Note 1: Même ouvrage, p. 297.]

«Mais Luther est-il seul qui à sa confusion est contraint de confesser sa conférence avec le diable? Il y a aussi Zwingle, sacramentaire qui dit que resvant profondément une nuict sur le sens des paroles de Jésus-Christ: Cecy est mon corps, se présente à luy un esprit, qu'il est en doute s'il estoit blanc ou noir, qui lui enseigna d'interpreter le passage de l'Écriture sainte d'une autre façon que l'Église des catholiques ne l'interprétoit et dire que ces mots: Cecy est mon corps, valaient tout autant comme qui diroit: Cecy signifie mon corps…

«Alors que Bucere, disciple de Luther, estoit en l'agonie de la mort, un diable s'apparut en la chambre où il estoit et s'approchant peu-à-peu auprès de son lit, non sans essayer les présens poussa rudement Bucere et le fit tomber en la place où il trespassa à l'instant.

«C'est aussy chose qu'on tient pour toute véritable et ainsi l'affirme Érasme Albert, ministre de Basle, que trois jours devant que Carolostade trespassa, le diable fut veu près de luy en forme d'homme de haute et énorme stature, comme Carolostade preschoit. Ce fut un présage de la mort future de cet hérétique.»

Dans l'affaire des possédées de Louviers, suivant le Père Bosroger[1],

[Note 1: La Piété affligée, ou Discours historique et théologique de la possession des religieuses dictes de Saincte-Élisabeth de Louviers, etc., par le R.P. Esprit de Bosroger. Rouen, Jean Le Boulenger, 1652, in-4°, p. 137.]

«La soeur Marie de Saint-Nicholas apperceut deux formes effroyables, l'une représentait un vieil homme avec une grande barbe, lequel ressemblait à nostre faux spirituel; ce phantosme qu'elle apperceut à quatre heures du matin, environ le soleil levant s'assit sur les pieds de sa couche, et luy dit d'un ton d'homme désespéré: Je viens de voir Madelène Bauan, et la soeur du Saint-Sacrement; ah que Madelène est méchante! elle est entièrement à nous, mais l'autre nous ne la sçaurions gagner. Ce spectre obligea la soeur Marie de Saint-Nicholas de recourir à Dieu en faisant le signe de la croix, et aussitost elle fut délivrée de ce phantosme; l'autre estoit seulement comme une teste grosse et fort noire, que cette fille envisagea en plein jour à la fenestre d'un grenier, laquelle donnoit dans celui où elle travailloit; cette teste la regarda long-temps, et luy causa une grande frayeur, elle ne laissa pourtant de la considérer attentivement, jusqu'à ce qu'elle remarqua que cette teste commençoit à descendre de la fenestre; car pour lors elle fut saisie de peur, et se retira, puis aussitost ayant pris courage, elle alla dans le grenier où la forme avoit paru, mais elle n'y trouva plus rien, sinon quelque temps après qu'elle avisa dans le meme endroit des cordes qui se rouloient d'elles-memes et l'on voyoit tomber le linge dont elles étoient chargées; souvent on renversoit les meubles et on entendoit des bruits épouvantables.»

D'après le même auteur, dans la même affaire[1],

[Note 1: La Piété affligée, p. 421.]

«Un homme ayant apporté à Picard une lettre d'importance arriva à onze heures de nuit à son presbytère passant au travers de la cour close d'un mur, et entra dans la cuisine qui étoit ouverte, où il trouva Picard courbé sur la table, et un homme noir et inconnu vis-à-vis de luy. Picard luy feit sa réponse de bouche, passa de la cuisine dans une chambre basse, laquelle il trouva pareillement ouverte; aussitost le déposant entendit un cry effroyable dont il avoit eu grand peur: ce vilain homme noir et inconnu luy reprocha qu'il trembloit, et avoit peur.»

Crespet[1] cite d'autres apparitions du diable:

[Note 1: Deux livres de la hayne de Sathan et malins esprits contre l'homme et de l'homme contre eux, par P. P. Crespet, prieur des Célestins de Paris. 1590, in-12, p. 379.]

«Or le bon Père Cesarius dans ses exemples dit bien autrement d'une concubine de prestre, laquelle voyant que son paillard désespéré s'estoit tué soy-mesme, s'alla rendre nonnain où estant à cause qu'elle n'avoit entièrement confessé ses pechez, fut vexée d'un diable incube qui la tourmentoit toutes les nuicts, pour a quoy obvier, elle s'advisa de faire une confession générale de tous ses péchez. Ce qu'ayant faict, jamais le diable n'approcha d'elle depuis.

«Je ne puis omettre, ajoute-t-il, ce que à ce propos je trouve ès archives de ce monastère où je réside, qu'un bon religieux plein de foy (1504) voyant que le diable se meslant parmy les esclairs de tonnerre estoit entré en l'église où les religieux estoient assemblez pour prier Dieu, et qu'il vouloit tout renverser et prophaner les choses dédiées à Dieu, se vint constamment présenter armé du signe de la croix et commanda au nom de crucifix à Sathan de désister et sortir de la maison de Dieu, à la voix duquel il fut forcé d'obéir, et se retirer sans aucune offence.»

«Mais entre tous les contes, desquels j'aye jamais entendu parler, ou veu, dit Jean des Caurres[1], cestui-cy est digne de merveille, lequel est advenu depuis peu de temps à Rome. Un jeune homme, natif de Gabie, en une pauvre maison, et de parents fort pauvres, estant furieux, de mauvaise condition et de meschante conversation de vie, injuria son père, et luy fit plusieurs contumélies; puis estant agité de telle rage, il invoqua le diable, auquel il s'estoit voué: et incontinent se partit pour aller à Rome, et à celle fin entreprendre quelque plus grande meschanceté contre son père. Il rencontra le diable sur le chemin, lequel avoit la face d'un homme cruel, la barbe et les cheveux mal peignez, la robe usée et orde, lequel lui demanda en l'accompagnant la cause de sa fascherie et tristesse. Il lui respondit qu'il avoit eu quelques paroles avec son père, et qu'il avoit délibéré de luy faire un mauvais tour. Alors le diable luy fit réponse que tel inconvénient luy estoit advenu; et ainsi le pria-il de le prendre pour compagnon, et à celle fin que ensemble ils se vengeassent des torts qu'on leur avoit faicts. La nuit doncques estant venue, ils se retirèrent en une hostelerie, et se couchèrent ensemble. Mais le malheureux compagnon print à la gorge le pauvre jeune homme, qui dormoit profondément et l'eust estranglé, n'eust esté qu'en se réveillant il pria Dieu. Dont il advint que ce cruel et furieux se disparut, et en sortant estonna d'un tel brui et impétuosité toute la chambre que les solives, le toict et les thuilles en demeurèrent toutes brisées. Le jeune homme espouvanté de ce spectacle, et presque demy mort, se repentit de sa meschante vie et de ses meffaicts, et estant illuminé d'un meilleur esprit, fut ennemy des vices, passa sa vie loing des tumultes populaires et servit de bon exemple. Alexandre escrit toutes ces choses.»

[Note 1: Oeuvres morales et diversifiées en histoires, etc., par Jean des Caurres. Paris, Guill. Choudière, 1584, in-8°, p. 390.]

«Lorsque j'étudiais en droit en l'académie de Witemberg, dit Godelman[1], cité par Goulart[2], j'ay ouy souvent reciter à mes précepteurs qu'un jour, certain vestu d'un habit estrange vint heurter rudement à la porte d'un grand théologien, qui lors lisoit en icelle académie, et mourut l'an 1516. Le valet ouvre et demande qu'il vouloit? Parler à ton maistre, fit-il. Le théologien le fait entrer: et lors cest estranger propose quelques questions sur les controverses qui durent sur le fait de la religion. A quoi le théologien ayant donné prompte solution, l'estranger en mit en avant de plus difficiles, le théologien lui dit: Tu me donnes beaucoup de peine: car j'avois le présent autre chose à faire et la dessus se levant de sa chaire montre en un livre l'exposition de certain passage dont ils débatoyent. En cest estrif il aperçoit que l'estranger avoit au lieu de doigts des pattes et des griffes comme d'oyseau de proye. Lors il commence à lui dire: Est-ce toi donc? Escoute la sentence prononcée contre toi (lui monstrant le passage du troisième chapitre de Genese): La semence de la femme brisera la teste du serpent. Il adjousta: Tu ne nous engloutiras pas tous. Le malin esprit tout confus, despité et grondant, disparut avec grand bruit, laissant si puante odeur dedans le poisle qu'il s'en sentit quelques jours après, et versa de l'encre derrière le fourneau.»

[Note 1: Jean-George Godelman, docteur en droit à Rostoch, au traité De magis, veneficis, lamis, etc., livre 1, ch. III.]

[Note 2: Thrésor d'histoires admirables et mémorables de nostre temps, recueillies de divers autheurs, mémoires et avis de divers endroits. Paris, 1600, 2 vol. in-12.]

Le même auteur fournit encore cette autre histoire à Goulart:

«En la ville de Friberg en Misne, le diable se présente en forme humaine à un certain malade, lui monstrant un livre et l'exhortant de nombrer les péchez dont il se souviendroit, pour ce qu'il vouloit les marquer en ce livre. Du commencement le malade demeura comme muet: mais recouvrant et reprenant ses esprits, il respond. C'est bien dit, je vay te deschifrer par ordre mes péchez. Mais escri au dessus en grosses lettres: La semence de la femme brisera la teste du serpent. Le diable, oyant cette condamnation sienne s'enfuit, laissant la maison remplie d'une extrême puanteur.»

Goulart emprunte celle-ci à Job Fincel[1]:

[Note 1: Job Fincel, au premier livre Des Miracles.]

«L'an mil cinq cens trente quatre, M. Laurent Touer, pasteur en certaine ville de Saxe, voyant quelques jours devant Pasques à conférer avec aucuns du lieu, selon la coustume, des cas divers et scrupules de conscience, Satan en forme d'homme lui apparut et le pria de permettre qu'il communiquast avec lui; sur ce il commence à desgorger des horribles blasphèmes contre le Sauveur du monde. Touer lui résiste et le réfute par tesmoignages formels recueillis de l'Escriture sainte, que ce malheureux esprit tout confus, laissant la place infectée de puanteur insupportable s'esvanouit.»

«Un moine nommé Thomas, dit Alexandre d'Alexandrie[1], personnage digne de foy, et la preud'hommie duquel j'ay esprouvée en plusieurs afaires m'a raconté pour chose vraye, avec serment, qu'ayant eu debat de grosses paroles avec certains autres moines, après s'estre dit force injures de part et d'autre, il sortit tout bouillant de cholere d'avec eux et se promenant seul en un grand bois rencontra un homme laid, de terrible regard, ayant la barbe noire, et robe longue. Thomas lui demande où il alloit? J'ay perdu, respondit-il, ma monture, et vai la cercher en ces prochaines campagnes. Sur ce ils marchent de compagnie pour trouver ceste monture, et se rendent pres d'un ruisseau profond. Le moine commence à se deschausser pour traverser ce ruisseau: mais l'autre le presse de monter sur ses espaules, promettant le passer à l'aise. Thomas le croid, et chargé dessus l'embrasse par le col: mais baissant les yeux pour voir le gué, il descouvre que son portefaix avoit des pieds monstrueux et du tout estranges. Dont fort estonné, il commence à invoquer Dieu à son aide. A ceste voix, l'ennemi confus jette sa charge bas, et grondant de façon horrible disparoît avec tel bruit et de si extraordinaire roideur, qu'il arrache un grand chesne prochain et en fracasse toutes les branches. Thomas demeura quelque temps comme demy-mort, par terre, puis s'estant relevé, reconnut que peu s'en estoit falu que ce cruel adversaire ne l'eust fait perir de corps et d'ame.»

[Note 1: Au IVe livre, chap. XIX de ses Jours géniaux, cité par Goulart, Thrésor d'histoires admirables, t. Ier, p. 535.]

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