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V.—SIGNES DE LA POSSESSION DU DÉMON.

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Table des matières

«Combien qu'il y ait parfois quelques causes naturelles de la phrénésie ou manie, dit Mélanchthon en une de ses epistres[1], c'est toutes fois chose asseurée que les diables entrent en certaines personnes et y causent des fureurs et tourmens ou avec les causes naturelles ou sans icelles; veu que l'on void parfois les malades estre gueris par remedes qui ne sont point naturels. Souvent aussi tels spectacles sont tout autant de prodiges et prédictions de choses à venir. Il y a douze ans qu'une femme du pays de Saxe, laquelle ne sçavoit ni lire ni escrire, estant agitée du diable, le tourment cessé, parloit en grec et en latin des mots dont le sens estoit qu'il y auroit grande angoisse entre le peuple.»

[Note 1: Cité par Goulart, Thrésor des histoires admirables, t. I, p. 142.]

Le docteur Ese[1] donne comme marques conjecturales de la possession:

[Note 1: Traicté des marques des possédés et la preuve de la véritable possession des religieuses de Louvein, par P. M. Ese, docteur en médecine. Rouen, Ch. Osmont, 1644, in-4°.]

1° Avoir opinion d'être possédé;

2° Mener une mauvaise vie;

3° Vivre hors de toute société;

4° Les maladies longues, les symptômes peu ordinaires, un grand sommeil, les vomissements de choses estranges;

5° Blasphémer le nom de Dieu et avoir souvent le diable en bouche;

6° Faire pacte avec le diable;

7° Estre travaillé de quelques esprits;

8° Avoir dans le visage quelque chose d'affreux et d'horrible;

9° S'ennuyer de vivre et se désespérer;

10° Estre furieux, faire des violences;

11° Faire des cris et hurlemens comme les bestes.

Nous trouvons dans une histoire des possédées de Loudun[1] les questions proposées à l'université de Montpellier par Santerre, prêtre et promoteur de l'évêché et diocèse de Nîmes, touchant les signes de la possession, et les réponses judicieuses de cette université.

[Note 1: Histoire des diables de Loudun, ou de la possession des religieuses ursulines et de la condamnation et du supplice d'Urbain Grandier, curé de la même ville. Amsterdam, Abraham Wolfgang, 1694, in-12, p. 314.]

Question.

Si le pli, courbement et remuement du corps, la tête touchant quelque fois la plante des piés, avec autres contorsions et postures étranges sont un bon signe de possession?

Réponce.

Les mimes et sauteurs font des mouvements si étranges, et se plient, replient en tant de façons, qu'on doit croire qu'il n'y a sorte de posture, de laquelle les hommes et femmes ne se puissent rendre capables par une sérieuse étude, ou un long exercice, pouvant même faire des extensions extraordinaires et écarquillemens de jambes, de cuisses et autres parties du corps à cause de l'extension des nerfs, muscles et tendons, par longue expérience et habitude; partant telles opérations ne se font que par la force de la nature.

Question.

Si la vélocité du mouvement de la tête par devant et par derrière, se portant contre le dos et la poitrine est une marque infaillible de possession?

Réponce.

Ce mouvement est si naturel qu'il ne faut ajouter de raison à celles qui ont été dites sur le mouvement des parties du corps.

Question.

Si l'enflure subite de la langue, de la gorge et du visage, et le subit changement de couleur, sont des marques certaines de possession?

Réponce.

L'enflement et agitation de poitrine par interruption sont des effets de l'aspiration ou inspiration, actions ordinaires de la respiration, dont on ne peut inférer aucune possession. L'enflure de la gorge peut procéder du souffle retenu et celle des autres parties des vapeurs mélancoliques qu'on voit souvent vaguer par toutes les parties du corps. D'où s'ensuit que ce signe de possession n'est pas recevable.

Question.

Si le sentiment stupide et étourdi ou la privation de sentiment, jusques à être pincé et piqué sans se plaindre, sans remuer, et même sans changer de couleur, sont des marques certaines de possession?

Réponce.

Le jeune Lacédémonien qui se laissait ronger le foye par un renard qu'il avoit dérobé, sans faire semblant de le sentir et ceux qui se faisoient fustiger devant l'autel de Diane jusques à la mort sans froncer le sourcil, montrent que la résolution peut bien faire soufrir des piqûres d'épingle sans crier, étant d'ailleurs certain que dans le corps humain il se rencontre en quelques personnes de certaines petites parties de chair, qui sont sans sentiment, quoique les autres parties qui sont alentour, soient sensibles, ce qui arrive le plus souvent par quelque maladie qui a précédé. Partant tel effet est inutile pour la possession.

Question.

Si l'immobilité de tout le corps qui arrive à de prétendus possédés par le commandement de leurs exorcistes, pendant et au milieu de leurs plus fortes agitations est un signe univoque de vraie possession diabolique?

Réponce.

Le mouvement des parties du corps étant involontaire, il est naturel aux personnes bien disposées de se mouvoir ou de ne se mouvoir pas selon leur volonté, partant un tel effet, ou suspension de mouvements n'est pas considérable pour en inférer une possession diabolique, si en cette immobilité il n'y a privation entière du sentiment.

Question.

Si le japement ou clameur semblable à celui du chien, qui se fait dans la poitrine plutôt que dans la gorge est une marque de possession?

Réponce.

L'industrie humaine est si souple à contrefaire toute sorte de raisonnements, qu'on voit tous les jours des personnes façonnées à exprimer parfaitement le raisonnement, le cri et le chant de toutes sortes d'animaux, et à les contrefaire sans remuer les lèvres qu'imperceptiblement. Il s'en trouve même plusieurs qui forment des paroles et des voix dans l'estomac, qui semblent plutôt venir d'ailleurs que de la personne qui les forme de la sorte, et l'on appelle ces gens les engastronimes, ou engastriloques. Partant un tel effet est naturel, comme le remarque Pasquier au chap. 38 de ses Recherches par l'exemple d'un certain boufon nommé Constantin.

Question.

Si le regard fixe sur quelque objet sans mouvoir l'oeil d'aucun côté est une bonne marque de possession?

Réponce.

Le mouvement de l'oeil est volontaire comme celui des autres parties du corps et il est naturel de le mouvoir, ou de le tenir fixe, partant il n'y a rien en cela de considérable.

Question.

Si les réponces que de prétendues possédées font en françois, à quelques questions qui leur sont faites en latin, sont une marque de possession?

Réponce.

Nous disons qu'il est certain que d'entendre et de parler les langues qu'on n'a pas aprises sont choses surnaturelles, et qui pourroient faire supposer qu'elles se font par le ministère du Diable, ou de quelque autre cause supérieure; mais de répondre à quelques questions seulement, cela est entièrement suspect, un long exercice ou des personnes avec lesquelles on est d'intelligence pouvant contribuer à telles réponces, paroissant être un songe de dire que les diables entendent les questions qui leur sont faites en latin et répondent toujours en françois et dans le naturel langage de celui qu'on veut faire passer pour un énergumène. D'où il s'ensuit qu'un tel effet ne peut conclure la résidence d'un démon, principalement si les questions ne contiennent pas plusieurs paroles et plusieurs discours.

Question.

Si vomir les choses telles qu'on les a avalées est un signe de possession?

Réponce.

Delrio, Bodin et autres auteurs disent que par sortilège les sorciers font quelquefois vomir des clous, des épingles et autres choses étranges par l'oeuvre du diable. Ainsi dans les vrais possédés le diable peut faire de même. Mais de vomir les choses comme on les a avalées, cela est naturel, se trouvant des personnes qui ont l'estomac faible, et qui gardent pendant plusieurs heures ce qu'elles ont avalées, puis le rendent comme elles l'ont pris et la Lientérie rendant les aliments par le fondement, comme on les a pris par la bouche.

Question.

Si des piqûres de lancette dans diverses parties du corps, sans qu'il en sorte du sang, sont une marque certaine de possession?

Réponce.

Cela doit se rapporter à la composition du tempérament mélancolique, le sang duquel est si grossier qu'il ne peut en sortir par de si petites plaies, et c'est par cette raison que plusieurs étant piqués, même en leurs veines et vaisseaux naturels, par la lancette d'un chyrurgien, n'en rendent aucune goutte comme il se voit par expérience. Partant il n'y a rien d'extraordinaire.»

J. Bouloese[1] raconte comment vingt-six diables sortirent du corps de

Nicole, la possédée de Laon:

[Note 1: Le trésor et entière histoire de la triomphante victoire du corps de Dieu sur l'esprit malin de Beelzebub, obtenue à Laon l'an 1566, par J. Bouloese. Paris, Nic. Chesneau, 1578, in-4°.]

«A deux heures de l'après midy fut rapportée la dicte Nicole, estant possédée du diable, à la dicte église où furent faites par ledit de Motta les conjurations comme auparavant. Nonobstant toute conjuration le dit Beelzebub dit à haute voix qu'il n'en sortirait. Après dîner donc retournant le dit de Motta aux conjurations luy demanda combien ils en étoient sortis? Il répond 26. Il faut maintenant (ce disoit de Motta) que toy et tous tes adhérans sortiez comme les autres. Il répond: Non je ne sortiray pas icy; mais si tu me veux mener à sainte Restitute, nous sortirons là. Il te suffise s'ils sont sortis 26. Et puis le dit de Motta demande signe suffisant comment ils estoient sortis. Il dist pour tesmoignage que l'on regarde au petit jardin du trésorier qui est sur le portail; car ils ont prins et emporté trois houppes (c'est-à-dire branches) d'un verd may (d'un petit sapin) et trois escailles de dessus l'église de Liesse faicte en croix, comme les autres de France communément. Ce qui a été trouvé vray, comme a veu monsieur l'abbé de Saint-Vincent, monsieur de Velles, maistre Robert de May, chanoine de l'église Nostre-Dame de Laon, et autres.»

Le même auteur[1] rapporte les contorsions de la démoniaque de Laon:

[Note 1: Le trésor et entière histoire de la triomphante victoire du corps de Dieu sur l'esprit malin de Beelzebub, etc., p. 187.]

«Et autant, dit-il, que le révérend père évêque lui mettoit la saincte hostie devant les yeux, luy disant: Sors ennemy de Dieu: d'autant plus se jectoit-elle à revers de coté et d'autre, en se tordant la face devers les pieds et en muglant horriblement et les pieds à revers les orteils estant mis au talon, contre la force de huict ou dix hommes elle se roidissoit et eslançoit en l'air plus de six pieds, ou la hauteur d'un homme. De sorte que les gardes, voire mesme en l'air avec elle parfois élevés en suoient de travail. Et encore qu'ils s'appesantissent le plus qu'ils pouvoient, pour la retenir en bas: si ne la pouvoient-ils toutes fois maistriser que quasi elle ne leur eschapast, et fust arrachée des mains sans qu'elle se monstrast aucunement eschauffée.

«Le peuple voyant et oyant chose si horrible, monstrueuse, hydeuse et espouvantable crioient: Jésus, miséricorde! Les uns se cachoient ne l'osant regarder. Les autres cognoissant l'enragée cruauté de cet excessif indicible et incredible tourment pleuroient à grosses larmes piteusement redoublans: Jésus, miséricorde!»

«Après la patiente ainsi pis que morte dure, roide, contrefaite, courbée et diforme, estoit par la permission du révérend père évêque laissée à toucher et à manier à ceux qui vouloient. Mais principalement le fut-elle par les prétendus réformez, hommes très forts. Et nommeement Françoys Santerre, Christofle Pasquot, Gratian de la Roche, Marquette, Jean du Glas et autres très forts hommes assez remarqués entre eux de leur prétendue religion réformée, s'efforcèrent mais en vain de luy redresser les membres, de les poser en leur ordre, luy ouvrir les yeux et la bouche. Mais ils ne peurent en sorte que ce feust. Aussy eussiez vous plustost rompu que ployé quelque membre d'icelle, ou faict mouvoir ou le bout du nez ou des aureilles, ou autre membre d'icelle, tant elle estoit roide et dure. Et lors elle estoit tenue, comme elle parloit par après, déclarant qu'elle enduroit un mal incrédible. C'est à sçavoir le diable par le tourment de l'âme, faisant le corps devenir pierre ou marbre.»

Jean Le Breton rapporte les faits suivants sur les possédées de

Louviers[1]:

[Note 1: De la défense de la vérité touchant la possession des religieuses de Louviers, par M. Jean Le Breton, théologien. Evreux, Nic. Hamillon, 1643, in-4°, p. 8.]

«Le quatrième fait est que plusieurs fois le jour, elles témoignent de grands transports de fureur et de rage, durant lesquels elles se disent démons, sans offenser néantmoins personne, et sans blesser mesmes les doigts de la main des prestres, lorsqu'au plus fort de leurs rages, ils les mettent en leur bouche.»

«La cinquiesme est que durant ces fureurs et ces rages, elles font d'estranges convulsions et contorsions de leurs corps, et entr'autre se courbent en arrière, en forme d'arc, sans y employer leurs mains, et ce en sorte que tout leur corps est appuyé sur leur front autant et plus que sur leurs pieds, et tout le reste est en l'air et demeurent longtemps en cette posture et la réitèrent jusqu'à sept ou huict fois: et après tous ces efforts et mille autres, continuez quelquefois quatre heures durant, principalement, dans les exorcismes, et durant les plus chaudes après disnées des jours caniculaires, se sont au sortir de là trouvées aussi saines, aussi fraisches, aussi tempérées, et le poulx aussi haut et aussi esgal, que si rien ne leur fut arrivé.»

«Le sixième est qu'il y en a parmy elles qui se pasment et s'esvanouissent durant les exorcismes, comme à leur gré, et en telle sorte que leur pasmoison commence lorsqu'elles ont le visage le plus enflammé et le poulx le plus fort… Elles reviennent de cette pasmoison sans que l'on y emploie aucun remède et d'une manière plus merveilleuse que n'en a esté l'entrée; car c'est en remuant premièrement l'orteil, et puis le pied, et puis la jambe, et puis la cuisse, et puis le ventre, et puis la poitrine, et puis la gorge, mais ces trois derniers par un grand mouvement de dilatation… le visage demeurant cependant tousjours apparemment interdit de tous ses sens, les quels enfin il reprend tout à coup en grimaçant et hurlant et la religieuse retournant en même temps en ses agitations et contorsions précédentes.»

Le docteur Ese[1] raconte comme suit ce qu'éprouvait la soeur Marie du couvent des religieuses de Louviers:

[Note 1: Traicté des marques des possédés, p. 51.]

«La dernière qui étoit soeur Marie du Sainct-Esprit, prétendue possédée par Dagon, grande fille et de belle taille un peu plus maigre, mais sans mauvais teint ny aucune sorte de maladie entra dans le réfectoire… le visage droict sans arrester ses yeux, et les tournant d'un costé et d'autre, chantant, sautant, dansant, et frappant doucement, qui l'un, qui l'autre, et en suite en se pourmenant tousjours, parla en termes très élégants et significatifs du contentement qu'il avoit (parlant de la personne du diable) de sa condition et de l'excellence de sa nature… et disoit tout cela en marchant avec une contenance arrogante, et le geste semblable, ensuite il commença à entrer en furie et prononcer quantité de blasphèmes, puis se prit à parler de sa petite Magdelaine, sa bonne amie, sa mignonne, et sa première maistresse, et de là se lança dans un panneau de vitre la teste la première sans sauter et sans faire aucun effort, et y passa tout le corps se tenant à une barre de fer qui faisoit le milieu, et comme elle voulut repasser de l'autre costé de la vitre, on lui fit commandement en langage latin est in nomine Jesu rediret non per aliam sed per eadem viam, ce qu'après avoir longuement contesté et dit qu'il n'y rentreroit pas, elle le fit pourtant et rentra par le même passage, et aussitost qu'elle fut revenue, les médecins l'ayant considérée, touché le poulx et fait tirer la langue, ce qu'elle permit en raillant et parlant d'autre chose, ils ne luy trouvèrent ny esmotion telle qu'ils avoient cru devoir estre, ny autre disposition conforme à la violence de tout ce qu'elle avoit fait et dit; et sortir de cette sorte contant tousjours quelque bagatelle et la compagnie se retira.»

Un autre historien des possédées de Louviers[1] rapporte ce fait surprenant:

[Note 1: Histoire de madame Bavent, religieuse du monastère de Sainct-Louis de Louviers. Paris, 1652, in-4°.]

«Au milieu de la nef de cette chappelle estoit exposé un vase d'une espèce de marbre qui peut avoir près de deux pieds de diamètre et un peu moins d'un pied de profondeur, les bords sont espais de trois doigts ou environ, et si pesant que trois personnes des plus robustes auront peine de le souslever estant par terre, ceste fille qui paroist d'une constitution fort débile entrant dans la chapelle ne fit que prendre ce vase de l'extrémité de ses doigts et l'ayant arraché du pied d'estal sur lequel il estoit posé, le renversa sans dessus dessoubs et le jetta par terre avec autant de facilité qu'elle auroit fait un morceau de carte ou de papier. Ceste force prodigieuse en un sujet si foible surprit tous les assistans; cependant la fille paraissant furieuse et transportée couroit de part et d'autre avec des mouvements si brusques et si impétueux qu'il estoit malaisé de l'arrester. Un des ecclésiastiques présents l'ayant saisy par le bras fut estonné de voir que ce bras, comme s'il n'eust esté attaché à l'espaule que par un ressort, n'empeschoit pas le reste du corps de tourner par dessus et par dessoubs par un certain mouvement que la nature ne souffre pas, ce qu'elle fit sept ou huit fois avec une promptitude et une agilité si extraordinaire qu'il est difficile de se l'imaginer.»

La Relation des Ursulines possédées d'Auxonne[1] contient les faits suivants:

[Note 1: Manuscrit de la Bibliothèque de l'Arsenal, n° 90, in-4°.]

«Mons de Chalons ne fut pas plutost à l'autel (à minuit) que dans le jardin du monastère et tout à l'entour de la maison fut ouy dans l'air un bruit confus, accompagné de voix incognues et de certains sifflemens, quelquefois de grands crix, de sons estranges et non articulés comme de plusieurs personnes ensemble, tout cela avoit quelque chose d'affreux parmy les tenebres et dans la nuit. En même temps des pierres furent jettées de divers endroits contre les fenestres du choeur où l'on célébroit la sainte messe, quoique ces fenestres soient fort esloignées des murailles que font la closture du monastere, ce qui fait croire que ne pouvoient pas venir du dehors. La vitre en fut cassée en un endroit mais les pierres ne tomberent point dans le choeur. Ce bruit fut entendu de plusieurs personnes dedans et dehors, celuy qui estoit en sentinelle en la citadelle de la ville de ce costé là, comme il déclara le jour suivant, en prit l'alarme et mons l'evesque de Chalons à l'autel ne peut s'empescher d'en concevoir du soupçon de quelque chose de si extraordinaire qui se passoit en la maison, que les demons ou les sorciers faisoient quelques efforts dans ce moment qu'il repoussoit du lieu où il estoit par de secrettes imprécations et des exorcismes intérieurs.»

«Les religieuses cordelieres en la mesme ville entendirent ce bruit et en demeurèrent effrayées. Elles creurent que leur monastere trembloit soubs leurs pieds et dans ceste consternation et ce bruit confus qu'elles entendirent furent obligées d'avoir recours aux prières.»

«Dans ce mesme temps furent entendues dans le jardin quelques voix faibles comme de personnes qui se plaignoient et sembloient demander du secours. Il estoit près d'une heure après minuit et faisoit fort mauvais temps et fort obscur. Deux ecclésiastiques furent envoyés pour voir que c'estoit et trouvèrent dans le jardin du monastere Marguerite Constance et Denise Lamy, celle-là montée sur un arbre et l'autre couchée au pied du degré pour entrer dans le choeur; elles estoient libres et dans l'usage de leur raison, mais néantmoins comme esperdues, particulièrement la dernière, fort faible et sans couleur et le visage ensanglanté comme une personne effrayée et qui avoit peine à se rassurer; l'autre avoit aussy du sang sur le visage mais elle n'estoit point blessée, les portes de la maison estoient bien fermées et les murailles du jardin élevées de dix ou douze pieds.»

«Le mesme jour après midy mons l'esveque de Chalons ayant dessein d'exorciser Denise Lamy après l'avoir envoyée quérir et n'ayant pas esté rencontrée, il lui commanda intérieurement de le venir trouver en la chappelle de Saincte-Anne où il estoit. Ce fut une chose assez surprenante de voir la prompte obéissance du demon à ce commandement qui n'avoit esté conceu que dans le fonds de la pensée, car environ l'espace d'un quart d'heure après, on entendit frapper impétueusement à la porte de la chappelle, comme une personne extremement pressée, et la porte estant ouverte on vit entrer cette fille brusquement sautant et bondissant dans la chappelle, le visage tout changé et fort différent de son naturel, la couleur haute, les yeux estincelans, un visage effronté et dans une agitation si violente qu'on eut de la peine à l'arrester, ne voulant pas souffrir qu'on mist l'estole à l'entour du corps qu'elle arrachoit et jettait en l'air avec une extrême violence, malgré les efforts de quatre ou cinq ecclésiastiques qui employoient tout ce qu'ils avoient de force et d'industrie pour l'arrester, de sorte qu'il fut proposé de la lier: mais on le jugeoit difficile dans les transports où elle estoit.»

«Une autre fois estant dans le fort de ses agitations… on commanda au démon de faire cesser le poulx en l'un de ses bras, ce qu'il fit incontinent avec moins de résistance et de peine que l'autre fois. On lui commanda ensuite de le faire retourner, et cela fut exécuté à l'instant… Le commandement lui ayant esté fait de rendre la fille absolument insensible à la douleur, elle protesta qu'elle estoit en cet estat, présentant son bras hardiment pour estre percé et brulé comme on voudroit: en effet, l'exorciste rendu plus hardi par les expériences précédentes ayant pris une aiguille assez longue, la lui enfonça tout entière entre l'ongle et la chair dont elle se moquoit tout haut, déclarant qu'elle n'en sentoit rien du tout. Tantost elle faisoit couler le sang et tantost le faisoit cesser selon qu'il lui estoit ordonné, elle-mesme prenoit l'aiguille et le perçoit en divers endroits du bras et de la main. On fit encor davantage: l'un des assistans ayant pris une espingle et lui ayant tiré la peau du bras un peu au-dessus du poignet la lui perça de part en part, de sorte que l'on voyoit l'espingle toute cachée dans le bras en sortir seulement par les deux extrémités, et tout cela sans qu'il en sortist une goutte de sang, sinon après lui avoir commandé d'en donner, et sans monstrer la moindre apparence de sentiment ou de douleur.»

La même relation donne comme preuves de la possession des religieuses d'Auxonne:

«Les grandes agitations du corps qui ne se peuvent concevoir que par ceux qui en sont tesmoins. Ces grands coups de teste qu'elles se donnent de toute leur force tantost contre le pavé, tantost contre les murs, et cela si souvent et si durement qu'il n'est aucun des assistans qui ne frémisse en le voyant sans qu'elles tesmoignent de sentir aucune douleur ny qu'il paroisse ny sang, ny blessure, ny contusion.»

«L'estat du corps dans une posture extremement violente, se tenant droictes sur les genoux, pendant que la teste renversée en arrière penche à un pied près ou environ vers la terre, en sorte qu'il paroist comme tout rompu. Leur facilité de porter la teste estant plus basse par derrière que la ceinture du corps sans bransler des heures entières, leur facilité de respirer en cet estat, l'égalité du visage qui ne change presque point dans ces agitations, l'égalité du poulx, la froideur dans laquelle elles sont pendant ces mouvements, la tranquillité dans laquelle elles demeurent au mesme instant qu'elles en sont revenues subitement sans que la respiration soit plus forte que l'ordinaire, les renversements de la teste en arrière jusque contre terre avec une promptitude merveilleuse. Quelquefois les trente et quarante fois de suite devant et arrière, la fille demeurant à genoux et les bras croisés sur l'estomach quelquefois et dans le mesme estat, la teste renversée tournant à l'entour du corps et faisant comme un demy cercle avec des effets apparemment insupportables à la nature.»

«Les convulsions horribles et universelles par tous les membres accompagnées de hurlemens et de cris. Quelquefois la frayeur sur le visage à la veue de certains fantosmes ou spectres dont elles se disoient estre menacées dans un changement si extraordinaire et des traits si différents de leur naturel qu'elles imprimoient la crainte dans l'âme des assistans, quelquefois avec une abondance de larmes que l'on ne pouvoit arrester, accompagnées de plaintes et de cris aigus. D'autrefois la bouche extraordinairement ouverte, les yeux égarés et la prunelle renversée au point qu'il n'y paroissoit plus que le blanc, tout le reste demeurant caché soubz les paupières mais retournants à leur naturel au simple commandement de l'exorciste assisté du signe de la croix.»

«Souvent on les a veu ramper et se traîner par terre sans aucun secours ou des pieds ou des mains, quelquefois le derrière de la teste ou le devant du front a esté veu se joindre à la plante des pieds, quelques unes couchées par terre qu'elles ne touchent que de l'extrémité de l'estomach, tout le reste du corps, la teste, les pieds et les bras portés en l'air en assez long espace de temps, quelquefois renversées en arrière en sorte que touchans le pavé du haut de la teste ou de la plante des pieds, tout le reste demeuroit en l'air estendu comme une table, elles marchoient en cet estat sans le secours des mains. Il leur est ordinaire de baiser la terre demeurans à genoux, le visage renversé par derrière, en sorte que le sommet de la teste va joindre la plante des pieds, les bras croisés sur la poitrine et dans cette posture faire un signe de la croix avec la langue sur le pavé.»

«On remarque une estrange différence entre l'estat dans lequel elles sont estans libres et dans leur naturel et dans celuy qu'elles font paroistre quand elles sont agitées dans la chaleur du transport et de la fureur: telle qui est infirme tant par la délicatesse de sa complexion et de son sexe que par maladie quand le démon l'a saisie et que l'autorité de l'église l'a forcée de paroistre devient si furieuse dans de certains momens que quatre ou cinq hommes avec toute leur force, sont empeschés à l'arrester; leurs visages mesmes se monstrent si diformes et si différents de leur naturel qu'on ne les reconoist plus et ce qui est de plus estonnant est qu'après des transports et des violences de ceste nature quelquefois pendant trois ou quatre heures après des efforts dont les corps les plus robustes seroient lassés à demeurer au lit plusieurs jours, après des hurlements continuels et des cris capables de rompre un estomach, estans retournés en leur naturel, ce qui se fait en un instant, on les void sans lassitude et sans émotion, l'esprit aussy tranquille, le visage aussy composé, l'haleine aussy lente, le poulx aussy peu altéré que si elles n'avoient pas bougé d'un siege.»

«Mais on peut dire que parmy toutes les marques de possession qui ont paru dans ces filles, une des plus surprenantes et des plus communes aussy parmy elles, est l'intelligence de la pensée et des commandemens intérieurs qui leur sont faits tous les jours par les exorcistes et les prestres, sans que ceste pensée soit manifestée au dehors ou par le discours ou par aucun signe extérieur. Il suffit qu'elle leur soit adressée intérieurement ou mentalement pour leur estre congneue et cela s'est vérifié par tant d'expériences pendant le séjour de mons l'evesque de Chalons, par tous les ecclésiastiques qui ont voulu l'esprouver que l'on ne peut douter raisonnablement de toutes ces particularités et de plusieurs autres, qu'il est impossible de spécifier icy par le détail.»

Plusieurs archevêques ou évêques et docteurs en Sorbonne émirent, à propos de l'affaire d'Auxonne, l'avis suivant:

«Que de toutes ces filles qui sont de différentes conditions il y en a de séculieres, de novices, de postulantes, de professes; il y en a de jeunes; il y en a qui sont âgées; quelques unes sont de la ville, les autres n'en sont pas, quelques sont de bonne condition, d'autres de basse naissance; quelques unes riches, d'autres pauvres et de moindre condition; qu'il y a dix ans ou plus que cette affliction est commencée dans ce monastère; qu'il est malaisé que depuis un si long temps un dessein de fourberie et de friponnerie put conserver le secret parmi des filles en si grand nombre, de conditions et d'intérêts si différents; qu'après une recherche et une enquête plus exacte, le dit seigneur evesque de Chalons n'a trouvé personne, soit dans le monastere, soit dans la ville, qui n'ait parlé avantageusement de l'innocence et de la régularité, tant des filles que des ecclésiastiques qui ont travaillé devant lui aux exorcismes, et qu'il témoigne avoir reconnu de sa part en leurs déportements pour des personnes d'exemples de mérite et de probité, témoignage qu'il croit devoir à la justice et à la vérité.»

«Joint à ce que dessus le certificat du sieur Morel, médecin présent à tout, qui assure que toutes ces choses passent les termes de la nature, et ne peuvent partir que de l'ouvrage du démon; le tout bien considéré nous estimons que toutes ces accusations extraordinaires en des filles excèdent les forces de la nature humaine et ne peuvent partir que de l'opération du démon, possédant et obsédant ces corps.»

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