Читать книгу Dictionnaire étymologique, historique et anecdotique des proverbes et des locutions proverbiales - P.-M. Quitard - Страница 7
ОглавлениеEt le second, dans la treizième fable du deuxième livre, Les Voleurs et l’Ane:
Arrive un troisième larron
Qui saisit maître aliboron.
Sarazin et La Fontaine, en donnant un tel nom à cet animal, n’ont fait, à mon avis, que lui rendre ce qui lui appartient. Je crois qu’Aliboron est le mot patois aribourou, francisé avec le changement de r en l, si commun en lexicologie; et aribourou, composé de ari, va, et de bourou, baudet, c’est-à-dire, Va, baudet! est, dans les idiomes méridionaux dérivés de la langue romane, un cri dont les âniers se servent pour faire marcher leurs bêtes, et dont les mauvais plaisants font une espèce de macte animo ironique qu’ils adressent aux sots qui extravaguent.
ALLELUIA.—Enterrer l’alleluia.
On dit qu’on enterre l’alleluia, pour marquer le temps où l’on cesse de le chanter aux offices, c’est-à-dire le samedi veille du dimanche de la Septuagésime; et il est à remarquer qu’autrefois cette expression avait une signification littérale, comme le prouve un article intitulé Sepelitur alleluia, qui se trouve dans les statuts de l’église de Toul, rédigés au xve siècle. L’enterrement de l’alleluia se fesait très solennellement dans la cathédrale de cette ville, entre nones et vêpres, en présence de tout le chapitre. Les enfants de chœur officiaient et portaient une espèce de bière, qui représentait l’alleluia décédé, et qui était accompagnée des croix, des torches, de l’eau bénite et de l’encens. Il fallait que ces enfants et ceux qui suivaient le cercueil fissent entendre des plaintes et des lamentations jusqu’au cloître, où la fosse était préparée pour l’inhumation.
Fouetter l’alleluia.
Cette expression désignait autrefois une cérémonie qui se fesait aussi dans quelques diocèses, le samedi veille du dimanche de la Septuagésime. Un enfant de chœur lançait dans l’église une toupie autour de laquelle était écrit alleluia en lettres d’or, et, le fouet à la main, il la poussait le long du pavé, jusqu’à ce qu’elle fût tout à fait dehors. L’église alors, comme une mère complaisante, fesait dans sa liturgie la part de la récréation des jeunes clercs.
Alleluia d’automne.
Le peuple appelle ainsi, dans quelques endroits du midi de la France, une joie inconvenante et déplacée, comme le serait un alleluia chanté à l’office des morts qu’on fait en automne; ce qui revient au proverbe de l’Ecclésiastique (ch. 22, v. 6): Musica in luctu, importuna oratio: Un discours à contre-temps est comme une musique pendant le deuil.—Saint Grégoire-le-Grand avait ordonné que l’alleluia (terme hébreu, qui signifie louez Dieu) fût chanté toute l’année. Dès lors ce mot fut joint à toutes les prières, comme le Gloria Patri à tous les psaumes. Les rubricaires le placèrent même dans l’office des morts, d’où il fut ôté par décision expresse du onzième canon du quatrième concile de Tolède. De là l’expression Alleluia d’automne, qu’on pourrait regarder aussi comme une altération de Alleluia d’Othon, expliqué plus bas.
On dit encore: Alleluia de Carême, et c’est une superstition notée par Thiers (liv. iv, ch. 3), qu’il ne faut point chanter l’alleluia en Carême, de peur de faire pleurer la bonne Vierge.
Alleluia d’Othon.
L’empereur Othon II fit une irruption en France et s’avança, à la tête de soixante mille Allemands, jusqu’à Paris, qu’il assiégea, au mois d’octobre 978. Il s’approcha d’une des portes de la cité et la frappa de sa lance. Ensuite il monta sur le haut de Montmartre, et fit chanter alleluia en l’honneur d’une telle prouesse. Mais Lothaire, qui arriva sur ces entrefaites avec les troupes du comte Hugues-Capet et du duc de Bourgogne Henri, troubla la joie inconsidérée de ce fier conquérant, le mit en déroute, le poursuivit jusqu’à Soissons, et s’empara de tous ses bagages. L’alleluia d’Othon passa en proverbe, et servit autrefois à désigner une réjouissance intempestive ou une fanfaronnade suivie de quelque effet désagréable pour laefanfaron.
ALLEMAND.—Faire une querelle d’Allemand.
Faire une querelle sans sujet ou pour un très mince sujet. Ce que les Italiens appellent Pigliar la cagione del petrosello. Prendre la cause du persil.
Les Allemands, que Ronsard appelle la gent pronte au tabourin, c’est-à-dire prompte à faire du bruit, furent longtemps d’incommodes voisins pour la France, et se montrèrent toujours prêts à saisir le moindre prétexte pour faire des irruptions sur son territoire. De là est venue probablement notre expression proverbiale. Elle peut être venue aussi de ce que les seigneurs allemands, autrefois fort adonnés aux plaisirs de la table, se cherchaient dispute à tout propos, une fois qu’ils étaient échauffés par le vin.—On disait, au moyen âge: Li plus ireux (les plus enclins à l’ire ou à la colère) sont en Allemaingne.
C’est du haut allemand.
C’est inintelligible. Molière a dit (Dépit amour., act. II, sc. 7):
Mon père, quoiqu’il eût la tête des meilleures,
Ne m’a jamais rien fait apprendre que mes heures,
Qui, depuis cinquante ans, dites journellement,
Ne sont encor pour moi que du haut allemand.
On trouve dans plusieurs passages de Rabelais, notamment dans le prologue du livre 4: N’y entendre que le haut allemand.
Cette expression est fondée sur l’ignorance générale où étaient nos pères du langage des habitants de l’Allemagne supérieure, avec lesquels ils n’avaient presque point de commerce. Ce langage, au reste, n’était pas toujours bien compris des habitants de l’Allemagne inférieure, comme l’atteste l’aventure des trois Bavarois, de tribus Bavaris, rapportée par Bebelius, au livre 3e de ses Facéties. Le pur saxon, ou le haut allemand, ne commença à prévaloir sur les nombreux dialectes germaniques et à devenir familier que par suite du choix qu’en firent les premiers écrivains de la réforme.
ALLER.—On ne va jamais si loin que lorsqu’on ne sait pas où l’on va.
Ce proverbe est aussi anglais. Cromwell le répétait quelquefois, pour marquer qu’il faut avoir un but déterminé.
ALLOBROGE.—C’est un Allobroge.
C’est un original, un sot, un rustre.—On dit aussi: Agir, parler, raisonner, écrire comme un Allobroge. Voltaire a dit: De très mauvaises tragédies barbares, écrites dans un style d’Allobroge, ont réussi.
L’emploi de ce mot dans un sens de mépris n’est pas nouveau, car il se trouve dans plusieurs auteurs latins, notamment dans Juvénal, qui nous apprend qu’un certain Rufus, rhéteur gaulois établi à Rome, qualifiait Cicéron de la sorte:
Rufus qui toties Ciceronem allobroga dixit. (Sat. 7, v. 214.)
Les Allobroges étaient un ancien peuple établi dans la partie des Gaules qu’on appelle aujourd’hui le Dauphiné et la Savoie, pays montagneux, d’où dériva leur nom formé, suivant Boxhornius, des mots celtiques all, haut, et brog, pays; c’est-à-dire le haut pays ou la montagne. L’opinion désavantageuse qu’on se fait ordinairement de l’esprit et des manières des montagnards fut sans doute la cause du ridicule attaché au nom des Allobroges, et à celui de leurs descendants, car on dit aussi populairement, en parlant d’un homme grossier: C’est un Savoyard. Mais il y a une autre raison de cette dernière expression: c’est que la plupart des gens qui viennent de Savoie en France pour travailler n’exercent guère que des métiers méprisés, comme celui de ramoneur. Ceci soit dit sans blesser la susceptibilité des bons habitants de cette contrée, qui tiennent à être nommés Savoisiens.
ALMANACH.—Faire des almanachs.
Fleury de Bellingen donne cette explication: «Passer le temps, comme on dit, à compter les étoiles et tomber dans les misères en négligeant les affaires importantes, ainsi que cet astrologue qui, la vue fixée sur le ciel, ne prenait pas garde à la fosse qui était devant lui et y tomba.»
Faire des almanachs s’emploie aujourd’hui le plus souvent pour signifier faire des pronostics en l’air, se remplir la tête d’idées fausses, d’imaginations extravagantes. On dit aussi dans le même sens qu’un homme est un faiseur d’almanachs.
Prendre des almanachs de quelqu’un.
On dit à un homme qui a prédit juste ce qui devait arriver dans une affaire, qu’une autre fois on prendra de ses almanachs, pour signifier qu’on suivra ses conseils ou qu’on ajoutera foi à ses prédictions.
ALOUETTE.—Il attend que les alouettes lui tombent toutes rôties dans le bec.
Ce proverbe, qu’on applique à un fainéant qui ne veut se donner aucune peine pour gagner sa vie, n’est point venu, comme le pense l’abbé Tuet, d’une allusion à la manne qui tombait du ciel pour nourrir les Israélites: il est fondé sur une tradition de l’âge d’or qu’on a fait revivre dans celle du pays de Cocagne. Voyez l’article sur cette expression, et vous y trouverez un fragment d’un poète grec où il est dit que, pendant l’âge d’or, les grives toutes rôties volaient dans les bouches que l’appétit fesait ouvrir.
On trouve dans les prophéties de Nahum, ch. 3: Fici cadunt in os comedentis.
Si le ciel tombait il y aurait bien des alouettes prises.
Réponse proverbiale qu’on fait pour se moquer d’une supposition absurde par une autre plus absurde:
Si cælum caderet multæ caperentur alaudæ.
Les Grecs disaient dans le même sens: Que serait-ce, si le ciel tombait? Et notez que chez eux la possibilité de la chute du ciel n’était pas une supposition, mais une croyance entretenue par leurs poëtes qui le représentaient soutenu sur les épaules chancelantes d’Atlas, et par quelques physiciens qui le croyaient fait de pierres de taille. Les Gaulois croyaient aussi à la chute du ciel, comme le prouve la réponse de leurs envoyés auprès d’Alexandre-le-Grand, lorsqu’il allait soumettre les Gètes au delà du Danube. Ce prince, qui les reçut à sa table, leur ayant demandé ce qu’ils craignaient le plus au monde:—Rien, s’écrièrent-ils, si ce n’est que le ciel ne tombe et ne nous écrase. Paroles qui firent dire au conquérant: Αλαζόνίς Κἐλτοὶ εἰσίν. Ils sont fiers, les Gaulois.
ALPHABET.—La colère se passe en disant l’alphabet.
Les vers suivants de Molière (École des Femmes, act. II, sc. 4) expliquent très bien ce proverbe, qui se trouve parmi les six mille proverbes recueillis par Gomes de Trier, sous le titre de Jardin de récréation auquel croissent et fleurissent rameaux, fleurs et fruits. Amsterdam, 1611.
Un certain Grec disait à l’empereur Auguste,
Comme une instruction utile autant que juste,
Que, lorsqu’une aventure en colère nous met,
Nous devons, avant tout, dire notre alphabet,
Afin que, dans ce temps, notre ire se tempère,
Et qu’on ne fasse rien que l’on ne doive faire.
C’est Athénodore, philosophe originaire de Tharse, qui donna à l’empereur Auguste ce remède contre la colère. Il voulait lui faire entendre par là, dit Sénèque, que la réflexion est le meilleur moyen pour réprimer les premiers mouvements de cette passion impétueuse.
Interit ira mora. (Ovid.) La colère se passe quand on en retarde l’effet.
AMANDE.—Il faut casser le noyau pour en avoir l’amande.
Il faut prendre de la peine avant de retirer du profit de quelque chose. Les Latins disaient: Qui nucleum esse vult frangit nucem; qui veut manger la noix doit en casser la coque. Rabelais (Prologue du 1er livre) recommande de rompre l’os pour en sucer la moelle.
AMANDIER.—Il vaut mieux être mûrier qu’amandier.
Il y a plus de profit à être sage qu’à être fou.—L’amandier est considéré comme le symbole de l’imprudence, parce que sa floraison trop hâtive l’expose aux gelées du printemps; et le mûrier comme celui de la prudence, parce qu’il fleurit à une époque où il ne peut éprouver aucun dommage.
AMANT.—L’ame d’un amant vit dans un corps étranger.
Cet adage ingénieux, rapporté par Plutarque dans la vie de Marc-Antoine, signifie qu’un amant est tout entier à sa passion et ne s’appartient pas à lui-même. L’ame d’un amant vit plus dans ce qu’elle aime que dans ce qu’elle anime, Anima plus vivit ubi amat quam ubi animat, parce que, disent les philosophes, elle est par nécessité là où elle anime, tandis qu’elle est par choix et par inclination là où elle aime.
La bourse d’un amant est liée avec des feuilles de porreau.
C’est-à-dire qu’elle n’est pas liée, parce que les feuilles de porreau, qui se rompent aussitôt qu’on veut les nouer, ne peuvent servir de lien.
Ce proverbe, qui était usité chez les Grecs et chez les Latins, et qui est cité dans les Symposiaques de Plutarque (liv. I, quest. 5), s’emploie pour marquer la prodigalité des amants. Cette prodigalité, dont on pourrait citer des milliers d’exemples remarquables, ne s’est jamais manifestée par un trait plus charmant que celui qui a inspiré à Delille les vers suivants:
Que j’aime ce mortel qui, dans sa douce ivresse,
Plein d’amour pour les lieux où jouit sa tendresse,
De ses doigts que paraient des anneaux précieux
Détache un diamant, le jette et dit: «Je veux
Qu’un autre aime après moi cet asile que j’aime,
Et soit heureux aux lieux où je le fus moi-même!»
Cœur noble et délicat! dis-moi quel diamant
Égale un trait si pur, et vaut ton sentiment.
Cet amant était milord Albemarle, le même qui, voyant un soir mademoiselle Gaucher, sa maîtresse, occupée à regarder fixement une étoile, s’écria: Ne la regardez pas tant, ma chère, je ne pourrais pas vous la donner.
Le sentiment qui respire dans ce mot, où le cœur s’est exprimé avec tant d’esprit et de délicatesse, se retrouve sous une forme non moins naïve qu’originale dans ces vers d’une vieille ballade qui est insérée parmi les ballades de Villon, mais qui n’est pas de Villon:
Or elle a tort, car noise ne rancune
Onc n’eut de moi: tant lui fus gracieux
Que s’elle eût dit: donne-moi de la lune,
J’eusse entrepris de monter jusqu’aux cieux.
AME.—Être l’ame damnée de quelqu’un.
C’est être dévoué à toutes ses volontés, à tous ses désirs.
Cette façon de parler fait allusion à l’esprit familier, démon ou ame damnée, que tout sorcier est supposé avoir à ses ordres.
AMENDE.—Les battus paient l’amende.
Lorsqu’il s’élevait quelque différend chez nos aïeux, et que rien n’indiquait de quel côté la balance de la justice devait pencher, leur législation autorisait le juge à remettre la décision de l’affaire au sort des armes. Il prononçait qu’il échéait gage de bataille, et les deux parties, après avoir entendu la messe célébrée pour la circonstance, missa pro duello, allaient plaider leur cause en champ clos, sous les yeux des magistrats. Les nobles combattaient à cheval, armés de pied en cap, les vilains à pied, tenant un bâton d’une main et un bouclier de l’autre. La victoire était la preuve du droit, comme le combat en était la discussion, parce que l’on croyait que Dieu pris pour juge fesait toujours triompher celui qui avait raison. Lorsque la contestation avait lieu en matière criminelle, le vaincu, s’il ne succombait pas sous les coups de son adversaire, était livré au bourreau; lorsqu’elle avait lieu en matière civile, il n’était pas mis à mort, il était seulement obligé de faire satisfaction au vainqueur, et de payer une amende plus ou moins forte. De là le proverbe: Les battus paient l’amende.
On dit aussi: C’est la coutume de Lorris, les battus paient l’amende. Ce qui est venu de ce que, autrefois, à Lorris, en Orléanais, tout créancier qui réclamait une somme, sans pouvoir fournir la preuve de sa créance, avait droit de contraindre son débiteur à un duel judiciaire à coups de poings, dans lequel le vaincu avait toujours tort, et de plus était amendé au profit du seigneur du lieu.
Cette coutume, fondée, dit-on, sur un titre octroyé par Philippe-le-Bel à la châtellenie de Lorris, était suivie dans plusieurs autres endroits; elle paraît avoir existé également à Paris, dans le quartier nommé l’Apport ou la porte Baudoyer, comme le prouvent des lettres de rémission de 1374, où se trouve cette phrase: «Ce serait grief que le blessé fisse les frais de l’écot pour la réconciliation, et le droit de la porte Baudoyer, qui est battu, si l’amende.»
AMI.—Au besoin on connaît l’ami.
Proverbe tiré de ce passage de l’Ecclésiastique (ch. 12, v. 9): In bonis viri, immici illius in tristitia, in malitia illius amicus agnitus est: quand un homme est heureux, ses ennemis sont tristes, et quand il est malheureux, on connaît quel est son ami.
Amicus certus in re incertâ cernitur. (Ennius.)
La bonté du cheval se connaît à la guerre, et la fidélité de l’ami dans la mauvaise fortune. (Plutarque.)
Le faux ami ressemble à l’ombre d’un cadran.
Cette ombre se montre lorsque le soleil brille, et elle n’est plus visible quand il est voilé par les nuages.
Les anciens comparaient les faux amis aux hirondelles, qui paraissent dans la belle saison et disparaissent dans la mauvaise.
Donec eris felix, multos numerabis amicos Tempora si fuerent nubila, solus eris. (Ovide, élég. 5.)
(Tant que vous serez heureux, vous aurez des amis; mais si la fortune vous devient contraire, ils vous laisseront seul.)
Nous avons encore une comparaison proverbiale qui a inspiré cet ingénieux quatrain à Mermet, poëte du seizième siècle:
Les amis de l’heure présente
Ont le naturel du melon:
Il faut en essayer cinquante
Avant d’en trouver un de bon.
Rien de plus commun que le nom d’ami, rien de plus rare que la chose.
Vulgare amici nomen, sed rara est fides. (Phædr., lib. III, fab. 9.)
Heureux celui qui, dans sa vie, peut trouver l’ombre d’un ami! disait, dans une comédie de Ménandre, un jeune homme qui n’osait croire à la réalité d’un bien si précieux.
Aristote s’écriait: O mes amis, il n’y a plus d’amis! et Caton prétendait qu’il fallait tant de choses pour faire un ami, que cette rencontre n’arrivait pas en trois siècles.
L’amitié est bien bête de compagnie, disait Plutarque, mais non pas bête de troupeau. Remarque très vraie, car les amitiés célèbres n’ont jamais existé qu’entre deux personnes.
C’est un assez grand miracle de se doubler, a dit Montaigne; n’en connaissent pas la hauteur ceux qui parlent de se tripler.
On connaît cette boutade spirituelle de Chamfort: Dans le monde, vous avez trois sortes d’amis: vos amis qui vous aiment, vos amis qui ne se soucient pas de vous, et vos amis qui vous haïssent.
Hélas! pourquoi faut-il que ces chers amis à qui nous donnons notre confiance ne soient presque toujours que de chers ennemis!
Qui cesse d’être ami ne l’a jamais été.
Qui desinit esse amicus, amicus non fuit.
Ce bel adage se trouve en grec dans le troisième discours de Dion Chrysostôme, qui l’a développé, en disant que le caractère de l’amitié est de ne point changer, et que si quelqu’un est infidèle à une personne avec qui il était lié, il déclare par cette conduite qu’il ne l’aimait point véritablement, car s’il eût été son ami, il serait demeuré tel. C’est exactement la pensée que le père de Neuville a exprimée d’une manière si heureuse dans un de ses sermons, en parlant de la cour, où les heureux n’ont point d’amis, puisqu’il n’en reste point aux malheureux.
Un bon ami vaut mieux que cent parents.
Ce proverbe a sa raison dans cet autre: Beaucoup de parents et peu d’amis.
Delille a dit:
Le sort fait les parents, le choix fait les amis.
Dorat avait dit avant Delille:
C’est le hasard qui fait les frères
Et la vertu fait les amis.
Un ami est un autre nous-même.
Mot de Zénon, fondateur de la secte des stoïciens.
Qui n’est pas grand ennemi n’est pas grand ami.
C’est-à-dire, celui qui n’est pas capable de bien haïr, n’est pas capable de bien aimer; celui qui ne peut mettre beaucoup d’ardeur à se venger de ses ennemis, ne peut non plus en mettre beaucoup à servir ses amis.—L’auteur des Loisirs d’un Ministre d’état désapprouve très fort ce proverbe, qui mesure sur les degrés de la haine les degrés de l’amitié. «Distinguons, dit-il, entre les excès dans lesquels les passions peuvent nous entraîner et les suites d’une liaison sage et réfléchie. L’amitié ne doit être que de ce dernier genre. Si elle devenait passion, elle cesserait d’être aussi estimable et aussi respectable qu’elle l’est; elle aurait tous les dangers de l’amour, qui fait faire autant de fautes que la haine et la vengeance. Dieu nous garde de trop aimer aussi bien que de trop haïr! Cependant, il faut bien aimer jusqu’à un certain point: le cœur de l’homme a besoin de ce sentiment, et ce sentiment fait du bien à notre esprit, quand il ne l’aveugle point. Mais la haine et le désir de la vengeance ne peuvent jamais que nous tourmenter. On est heureux de ne point haïr; mais en aimant d’une manière sensée, ne peut-on pas servir ardemment ses amis, mettre de la vivacité, de la suite, même de la ténacité dans les affaires qui les intéressent? Eh! faut-il donc être cruel pour les uns parce que l’on est tendre pour les autres, persécuteur pour être serviable? non. Pour moi, je déclare que je suis un faible ennemi, non-seulement en force, mais en intention, quoique je sois ami très zélé et très essentiel.»
Ami jusqu’aux autels.
C’est-à-dire dans tout ce qui n’est pas contraire à la religion.
Ce proverbe, rapporté par Aulu-Gelle et par Plutarque, est une réponse de Périclès à un de ses amis qui l’engageait à faire un faux serment en sa faveur. Il est fondé sur l’usage antique de jurer, la main posée sur un autel.
François Ier en fit une noble application lorsque, en 1534, il écrivit au roi d’Angleterre, Henri VIII, qui lui conseillait de se séparer de l’église romaine comme il venait de le faire: Je suis votre ami, mais jusqu’aux autels.
On ne peut dire ami celui avec qui on n’a pas mangé quelques minots de sel.
Aristote et Plutarque se sont servis de ce proverbe, dont le sens est que l’amitié ne peut se former subitement, et qu’elle a besoin d’être confirmée par le temps. «Semblable aux vins généreux dont les années augmentent le prix, dit Cicéron, plus elle est vieille, plus elle est parfaite; et c’est avec raison qu’on pense qu’il faut manger ensemble plusieurs boisseaux de sel pour la consommer.»
L’amitié est aussi comparée au vin dans l’Ecclésiastique (ch. 9, v. 15): Vinum novum amicus novus: vetarescet et cum suavitate bibes illud. Le nouvel ami est comme un vin nouveau: il vieillira, et alors tu le boiras avec plaisir.
Amicitia pactum salis, amitié, pacte de sel, est un proverbe du moyen âge pour exprimer que l’amitié doit s’établir lentement et être toujours durable. Les mots pactum salis sont employés dans les livres saints, où ils signifient une alliance inviolable, par allusion à la nature du sel qui empêche la corruption. Num ignoratis quod Dominus Deus Israël dederit regnum David super Israël in sempiternum ipsi et filiis ejus in PACTUM SALIS. Il était recommandé dans le Lévitique d’offrir du sel dans tous les sacrifices, In omnii oblatione tuâ offeres sal (lib. II, cap. 13). Homère a donné au sel l’épithète de divin; Pythagore le regardait comme le symbole de la justice, et il voulait que la table en fût toujours pourvue. Vatable croit que les Francs admettaient le sel dans leurs pactes, pour montrer qu’ils dureraient toujours; et quelques auteurs ont pensé que le nom de loi salique a pu dériver de cet usage.
Il vaut mieux perdre un bon mot qu’un ami.
Ce proverbe doit être fort ancien. Quintilien a dit, dans ses Institutions oratoires, l. VI, ch. 3: Lædere numquam velimus, longe que absit propositum illud: potius amicum quam dictum perdidit.
Un ami en amène un autre.
Une personne invitée dans une maison y mène quelquefois une autre personne qu’on n’attendait pas, et la présentation se fait avec des excuses auxquelles on répond: Un ami en amène un autre.
Ami de Platon, mais plus ami de la vérité.
Amicus Plato sed magis amica veritas.
Ce proverbe est un mot d’Aristote attaquant quelques opinions philosophiques de son maître Platon.
Ami au prêter, ennemi au rendre.
Proverbe qui paraît pris de cette pensée de Plaute: Si vous redemandez l’argent que vous avez prêté, vous trouverez souvent que d’un ami votre bonté vous a fait un ennemi.
...... Si quis mutuum quid dederit, Cum repetit, inimicum amicum beneficio invenit suo.
(Trinum, act. IV, sc. 3.)
On trouve dans G. Meurier: Au prêter Dieu, au rendre diable.
Les Espagnols ont ce proverbe: Qui prête ne recouvre; s’il recouvre, non tout; si tout, non tel; si tel, ennemi mortel.
Les Anglais disent: Qui prête son argent à son ami perd au double. C’est-à-dire l’argent et l’ami.
Vieux amis et comptes nouveaux.
Pour dire que c’est un moyen de conserver ses amis que d’avoir ses comptes toujours bien réglés avec eux. Les vases neufs et les vieux amis sont les meilleurs, disaient les Grecs et les Latins, dans un sens analogue.
Les bons comptes font les bons amis.
Proverbe dont on fait ordinairement l’application pour s’excuser de revoir un compte ou un mémoire présenté par un ami.
Il ne faut pas compter avec ses amis.
Ce proverbe, en opposition avec les deux précédents, signifie qu’il faut se montrer plutôt généreux qu’intéressé dans les affaires qu’on peut avoir avec ses amis.
Les Turcs disent: L’amitié mesure par tonneaux et le commerce par grains.
Entre amis, tout doit être commun.
Ce proverbe est fort ancien. Épicure blâmait Pythagore de l’avoir appliqué littéralement en obligeant ses disciples à mettre en commun tout ce qu’ils possédaient.—«Si j’ai un véritable ami, disait-il, ne suis-je pas aussi maître de ses biens que s’il m’en eût fait le dépositaire? Y a-t-il moins de mérite à donner son cœur que ses richesses? Je ne dois pas abuser de la tendresse de cet ami; ce qu’il possède, je dois le ménager comme ma propre fortune: mais je lui fais un outrage si j’exige qu’il la confie à un tiers pour nos besoins communs.»
Il faut aimer ses amis avec leurs défauts.
C’est-à-dire qu’il faut être indulgent pour les défauts de ses amis, car l’indulgence augmente l’amitié, et la sévérité la diminue. Il ne s’agit ici que de ces petits défauts qui ne tirent point à conséquence. La complaisance pour les vices des amis serait contraire à la morale et même à l’amitié.
Pour les cœurs corrompus l’amitié n’est point faite. (Voltaire.)
Il faut éprouver les amis aux petites occasions et les employer aux grandes.
Il faut louer tout bas ses amis.
Madame Geoffrin établissait comme autant de règles, 1o qu’il faut rarement louer ses amis dans le monde; 2o qu’il ne faut les louer que généralement et jamais par tel ou tel fait, en citant telle ou telle action, parce qu’on ne manque jamais de jeter quelque doute sur le fait ou de chercher à l’action quelque motif qui en diminue le mérite; 3o qu’il ne faut pas même les défendre lorsqu’ils sont attaqués trop vivement, si ce n’est en termes généraux et en peu de paroles, parce que tout ce qu’on dit en pareil cas ne sert qu’à animer les détracteurs et à leur faire outrer la censure.
Ces conseils sont le développement de notre proverbe, qui est pris du passage suivant des Proverbes de Salomon (ch. 27, v. 14): Qui laudat amicum suum voce altâ erit illi loco maledictionis. Qui loue son ami à haute voix, attire sur lui la malédiction.
Les amis de nos amis sont nos amis.
C’est-à-dire qu’ils ne doivent pas nous être indifférents, et qu’ils ont des droits à nos égards.
Il est bon d’avoir des amis partout.
Ce proverbe a donné lieu à un vieux conte qui a été mis en rimes de la manière suivante par je ne sais quel auteur:
Une dévote, un jour, dans une église,
Offrit un cierge au bienheureux Michel,
Un autre au diable.—Oh! oh! quelle méprise!
Mais c’est au diable. Y pensez-vous? ô ciel!
—Laissez, dit-elle, il ne m’importe guères;
Il faut toujours penser à l’avenir.
On ne sait pas ce qu’on peut devenir,
Et les amis sont partout nécessaires.
L’abbé Tuet rapporte qu’un Visigoth arien, nommé Agilane, disait un jour sérieusement à Grégoire de Tours, qu’on peut choisir, sans crime, telle religion que l’on veut, et que c’était un proverbe de sa nation, qu’en passant devant un temple de païens et une église de chrétiens, il n’y a point de mal de faire la révérence devant l’un et devant l’autre. Ce Visigoth, faisant son offrande à saint Michel, n’aurait sûrement pas oublié l’estafier du bienheureux.
Il faut se dire beaucoup d’amis et s’en croire peu.
Parce que, en se disant beaucoup d’amis, on peut obtenir quelque considération, et, en se croyant peu d’amis, on est moins exposé à se laisser tromper par ceux qui abusent de ce titre.
Dieu me garde de mes amis! Je me garderai de mes ennemis.
On peut se garantir de la vengeance d’un ennemi déclaré, mais il n’y a point de préservatif contre la trahison qui se présente sous les couleurs de la bienveillance et de l’amitié.
Stobée rapporte (pag. 721) que le roi Antigone, sacrifiant aux dieux, les priait de le protéger contre ses amis, et qu’il répondait à ceux qui lui demandaient le motif de cette prière: C’est que connaissant mes ennemis, je puis m’en préserver.
On lit dans l’Ecclésiastique (ch. 6, v. 13): Ab inimicis tuis separare et ab amicis tuis attende. Séparez-vous de vos ennemis, et gardez-vous de vos amis.
Les Italiens disent comme nous:
Di chi mi fido quarda mi Dio! Degli altri mi guardaro io.
En visitant les pozzi du palais du doge, à Venise, j’ai trouvé ces deux vers sur un mur dans un de ces cachots où le conseil des Dix enfermait ses victimes; ils y avaient été tracés de la main d’un prêtre qui avait eu le bonheur d’échapper à son horrible captivité par une issue qu’il s’était ouverte en arrachant du pavé une large dalle posée sur un égout aboutissant au canal voisin.
Les Allemands ont le même proverbe, et Schiller l’a employé dans une de ses tragédies.
Le plus bel âge de l’amitié est la vieillesse.
Le temps qui flétrit tout embellit l’amitié.
Il faut découdre et non déchirer l’amitié.
Mot de Caton l’ancien, rapporté par Cicéron en ces termes: Amicitiæ sunt dissuendæ magis quām discindendæ.
C’est quelquefois un malheur nécessaire de renoncer à certains amis; alors il faut s’en éloigner insensiblement, sans aigreur et sans colère, et faire voir qu’en se détachant de l’amitié on ne veut pas la remplacer par l’inimitié; car il n’y a rien de plus honteux que d’être en guerre ouverte après une liaison intime.
«Il ne faut pas croire, dit très bien madame de Lambert, qu’après les ruptures vous n’ayez plus de devoirs à remplir; ce sont les devoirs les plus difficiles, et où l’honnêteté seule vous soutient. On doit du respect à l’ancienne amitié. Il ne faut point appeler le monde à vos querelles; n’en parlez jamais que quand vous y êtes forcé pour votre propre justification; évitez même de trop charger l’ami infidèle, etc.»
Il ne faut pas laisser croître l’herbe sur le chemin de l’amitié.
Il ne faut pas négliger ses amis. Les Celtes disaient: «Sachez que, si vous avez un ami, vous devez le visiter souvent. Le chemin se remplit d’herbes, et les arbres le couvrent bientôt si l’on n’y passe sans cesse.»
L’amitié rompue n’est jamais bien soudée.
Les Espagnols disent par la même métaphore: Amigo quebrado, soldado, mas nunca sano. Ami rompu peut bien être soudé, mais il n’est jamais sain.
Il n’y a guère de réconciliation tout à fait sincère; la défiance ou la trahison s’y mêlent presque toujours. Asmodée, parlant de sa dispute avec Paillardoc, a dit avec autant de vérité que de finesse: «On nous réconcilia, nous nous embrassâmes, et, depuis ce temps, nous sommes ennemis mortels.»
Il y a un proverbe patois fort ingénieux, dont voici la traduction littérale: L’amitié rompue ne se renoue point sans que le nœud paraisse ou se sente.
AMOUR.—Amour et mort, rien n’est plus fort.
Rien ne résiste à l’amour ni à la mort. C’est la belle pensée de l’Écriture sainte: Fortis ut mors dilectio; l’amour est fort comme la mort.
L’amour le plus parfait est le plus malheureux.
Les contrariétés auxquelles l’amour est soumis en prouvent la perfection. Tous les romans semblent faits pour confirmer la vérité de ce proverbe. On n’y voit que des amants poursuivis par une fatale destinée et dont la constance s’affermit sous les coups du malheur.
L’amour fait perdre le repas et le repos.
Ce proverbe est l’un des trente-un articles du Code d’amour qui se trouve dans l’ouvrage intitulé: Livre de l’art d’aimer et de la réprobation de l’amour, par maître André, chapelain de la Cour royale de France. Voici cet article: Minus dormit et edit quem amoris cogitatio vexat.
Le souci ronge ceux qui aiment, dit l’auteur de l’Imitation. Ovide a dit dans son Héroïde de Pénélope à Ulysse:
Res est solliciti plena timoris amor. L’amour est toujours plein d’un inquiet effroi.
Les Italiens ont ce proverbe: Chi ha l’amor nel petto ha sprone nei fianchi; qui a l’amour au cœur a l’éperon aux flancs.
L’amour sied bien aux jeunes gens et déshonore les vieillards.
Amare juveni fructus est, crimen seni. (Laberius.)
L’amour, disait Louis XII, est le roi des jeunes gens, et le tyran des vieillards.
Est in camtie ridiculosa Venus. (Ovide.)
Turpè senex miles. (Id.)
C’est une grande difformité dans la nature qu’un vieillard amoureux. (La Bruyère.)
Lorsqu’un vieux fait l’amour,
La mort court à l’entour.
L’amour hâte la fin de la vie d’un vieillard. L’amour chez le vieillard est comme le gui qui fleurit sur un arbre mort.
Qui se marie par amour
A bonnes nuits et mauvais jours.
Une femme d’esprit disait à son fils, pour le dissuader de faire un mariage d’amour, qui est ordinairement un mariage pauvre: Souvenez-vous, mon fils, qu’il n’y a qu’une chose qui revienne tous les jours dans le ménage: c’est le pot-au-feu.
Après l’amour le repentir.
Hélas! nous ne pouvons aimer toujours, et le repentir nous prend où l’amour nous laisse.
L’amour et la pauvreté font ensemble mauvais ménage.
Le ménage le plus uni cesse de l’être quand il est pauvre. La pauvreté tue l’amour. Les Anglais disent: When poverty comes in at the door, love flies out at the window; lorsque la pauvreté entre par la porte, l’amour s’envole par la fenêtre.
L’amour ne loge point sous le toit de l’avarice.
Le Code d’amour déjà cité dit: Amor semper ab avaritiæ consuevit domicitiis exulare.
L’amour apprend aux ânes à danser.
La légèreté et la souplesse singulières avec lesquelles les ânes, au mois de mai, bondissent et se trémoussent dans la prairie auprès des ânesses, ont donné lieu à ce proverbe, dont le sens est que l’amour polit le naturel le plus inculte.
L’amour porte la musique.
Les amants aiment à chanter leurs plaisirs et leurs peines. De là ce proverbe, qu’on trouve expliqué dans les Symposiaques de Plutarque (liv. I, quest. 5). Les Anglais disent: Love was the mother of poetry. Amour engendra poésie. Ce qui a été ingénieusement développé dans le Spectateur, no 377.
A battre faut l’amour.
Faut est ici la troisième personne du présent indicatif du verbe faillir, et ce proverbe, tiré du latin, Injuria solvit amorem, signifie que les mauvais traitements font cesser l’amour.—Cependant le cas n’est point sans exceptions. On sait que les femmes moscovites mesuraient l’amour qu’elles inspiraient sur la violence avec laquelle elles étaient battues, et qu’il n’y avait ni paix ni contentement pour elles avant d’avoir éprouvé la pesanteur du bras marital. Experientia testatur fœminas moscoviticas verberibus placari. (Drex., de Jejunio, lib. I, cap. 2.)
Une vieille chanson languedocienne attribue aux filles de Montpellier le même goût.
Lei castagnos aou brasié
Pétoun qan soun pas mourdudos;
Les fillos de Mounpelié
Plouroun qan soun pas batudos.
Ce qu’un ancien traducteur a rendu ainsi vers par vers.
Les châtaignes au brasier
Pètent de n’être mordues;
Les filles de Montpellier
Pleurent de n’être battues.
Il y a encore une exception très remarquable au proverbe, et ce sont les deux parfaits modèles des amants qui l’ont fournie. Le sensible Abeilard fustigeait quelquefois la sensible Héloïse, qui ne l’en aimait pas moins. Lui-même, parlant à elle-même, raconte la chose dans une de ses lettres, où il avoue d’un cœur contrit les scandaleux excès de sa passion immodérée: In ipsis diebus dominicæ passionis;.... te notentem ac dissuadentem sæpiùs minis ac flagellis ad consensum trahebam. Les jours mêmes de la passion de notre Seigneur,.... lorsque tu me refusais ce que je demandais ou que tu m’exhortais à m’en priver, ne t’ai-je pas trop souvent forcée par des menaces et par des coups de fouet à céder à mes désirs? Ausone avait deviné le cœur d’Héloïse, lorsqu’il disait en peignant les qualités d’une maîtresse accomplie (épig. 77): Je veux qu’elle sache recevoir des coups, et qu’après les avoir reçus, elle prodigue ses caresses à son amant.
On revient toujours à ses premières amours.
Parce qu’on espère y trouver un bonheur que ne donnent point les autres.
Ce premier sentiment de l’ame
Laisse un long souvenir que rien ne peut user,
Et c’est dans la première flamme
Qu’est tout le nectar du baiser. (Lebrun.)
Que la nuit me prenne là où sont mes amours!
Pour dire qu’on s’attarde volontiers dans un endroit où l’on se plaît, auprès des personnes qu’on aime.
Ce vœu tendre et délicat ne serait pas déplacé auprès du vœu de Léandre, dans l’Anthologie ou Choix de fleurs. C’est vraiment une fleur d’amour.
Il n’y a point de laides amours.
L’objet qu’on aime est toujours beau.
«Tout cœur passionné embellit dans son imagination l’objet de sa passion; il lui donne un éclat que la nature ne lui donne pas, et il est ébloui de ce faux éclat. La lumière du soleil, qui est la vraie joie des yeux, ne lui paraît pas aussi belle.»
(Bossuet.)
Quisquis amat ranam ranam putat esse Dianam.
Quiconque aime une grenouille prend cette grenouille pour Diane.
C’est Diane Limnatis, déesse des marais et des étangs.
Les habitants de l’île de Chypre avaient érigé des autels à Vénus barbue. Les Romains adoraient Vénus louche, comme on le voit dans le second livre de l’Art d’aimer d’Ovide, et dans le Festin de Trimalcion, par Pétrone. Ils disaient même proverbialement, en parlant d’une belle qui avait le rayon du regard faussé: Si pæta, est Veneri similis. Si elle est louche, elle ressemble à Vénus. Horace nous apprend qu’un certain Balbinus trouvait des grâces dans le polype d’Agna sa maîtresse.
Le meilleur développement du proverbe, Il n’y a pas de laides amours, est dans les vers suivants, tirés de la traduction libre que Molière avait faite de Lucrèce, et placés dans la cinquième scène du deuxième acte du Misanthrope.
.... L’on voit les amants vanter toujours leur choix;
Jamais leur passion n’y voit rien de blàmable,
Et dans l’objet aimé tout leur paraît aimable.
Ils comptent les défauts pour des perfections,
Et savent y donner de favorables noms:
La pâle est aux jasmins en blancheur comparable;
La noire à faire peur, une brune adorable;
La maigre a de la taille et de la liberté;
La grasse est, dans son port, pleine de majesté;
La malpropre, sur soi de peu d’attraits chargée,
Est mise sous le nom de beauté négligée;
La géante paraît une déesse aux yeux;
La naine, un abrégé des merveilles des cieux;
L’orgueilleuse a le cœur digne d’une couronne;
La fourbe a de l’esprit; la sotte est toute bonne;
La trop grande parleuse est d’agréable humeur,
Et la muette garde une honnête pudeur.
C’est ainsi qu’un amant, dont l’amour est extrême,
Aime jusqu’aux défauts des personnes qu’il aime.
AMOUREUX.—Amoureux transi.
Cette expression, dont on se sert pour désigner un amoureux timide, novice, froid, fait allusion à un ancien usage des justiciables volontaires des cours d’amour, espèce d’énergumènes qui avaient formé, sous le règne de Philippe V, une société ou confrérie nommée la Ligue des amants, dont l’objet était de prouver l’excès de leur passion par une opiniâtreté invincible à braver les ardeurs de l’été et les rigueurs de l’hiver. Dans les chaleurs extrêmes, ils allumaient de grands feux pour se chauffer, et ne sortaient de chez eux qu’enveloppés d’épaisses fourrures. Quand il gelait à pierre fendre, ils se couvraient très légèrement, et allaient, par le froid, par la neige ou par la pluie, soupirer à la porte de leurs maîtresses, où ils se tenaient jusqu’à ce qu’ils les eussent aperçues, étant parfois tellement morfondus et transis dans l’attente, dit un vieux auteur, qu’on entendait claquer leurs dents comme les becs des cigognes. Cette dévotion d’amour, poussée ainsi jusqu’au martyre, éclatait en outre par une foule de pratiques minutieuses et d’expressions alambiquées. Tel confrère élisait son domicile à l’enseigne de la Passion, rue du Sacrifice, paroisse de la Sincérité; tel autre demeurait sur la place de la Persévérance, hôtel de l’Assiduité, etc. Il existe un ouvrage rare et curieux, intitulé: l’Amoureux transy, par Jehan Boucher. Cet ouvrage, qui ne porte point de date, est une espèce de code galant de cette secte jadis si fameuse par ses extravagances et par ses niaiseries sentimentales.
AN.—Je m’en moque comme de l’an quarante.
On croyait beaucoup à la fin du monde, dans le commencement du onzième siècle. C’était une opinion alors universellement répandue que les mille ans et plus qu’on prétendait assignés par Jésus-Christ lui-même comme terme à son église et à la société entière, devaient expirer en l’an quarante de ce siècle. La peur avait gagné tous les esprits. Les pécheurs se convertissaient en foule, et chacun parlait de se faire ermite. Mais lorsque celle époque si redoutable fut passée, on changea de langage, et l’on dit Je m’en moque comme de l’an quarante, expression qui est encore usitée en parlant d’une chose qui ne doit inspirer aucune crainte.
ANE.—Un âne en gratte un autre.
Asinus asinum fricat.
On voit quelquefois deux ânes se mettre l’un contre l’autre et se frotter pour apaiser les démangeaisons de leur peau. De là ce proverbe qui s’emploie au figuré, en parlant de deux sots qui échangent entre eux des compliments ou des éloges.
L’âne de la communauté
Est toujours le plus mal bâté.
Pour dire qu’on néglige communément ce que l’on possède en commun: Communiter negligitur quod communiter possidetur.
L’âne de la montagne porte le vin et boit de l’eau.
Proverbe qu’on emploie en parlant d’un sot dupé qui a la peine sans avoir le profit.
On sait que les montagnards transportent à dos d’âne ou de mulet leur vin enfermé dans des outres, parce que la difficulté des chemins ne leur permet point de le transporter sur un chariot.
L’âne au milieu des singes.
On désigne ainsi un imbécile qui se trouve parmi des gens malins auxquels il sert de jouet.
Pour un point Martin perdit son âne.
Un ecclésiastique, nommé Martin, qui possédait l’abbaye d’Asello, en Italie, voulut faire inscrire sur la porte ce vers latin:
Porta patens esto. Nulli claudaris honesto. Porte reste ouverte. Ne sois fermée à aucun honnête homme.
C’était à une époque où la ponctuation, longtemps abandonnée, venait d’être remise en usage. Martin, étranger à cet art, s’adressa à un copiste qui n’en savait pas plus que lui. Le point, qui devait être après le mot esto, fut placé après le mot nulli, et changea le sens de cette manière:
Porta patens esto nulli. Claudaris honesto. Porte ne reste ouverte pour personne. Sois fermée à l’honnête homme.
Le pape, informé d’une inscription si mal séante, priva l’abbé Martin de son abbaye qu’il donna à un autre. Le nouveau titulaire corrigea la faute du malheureux vers, auquel il ajouta le suivant:
Uno pro puncto caruit Martinus asello. Martin, pour un seul point, perdit son asello.
Ce qui revenait à cette formule de l’antique jurisprudence des Romains: Qui cadit virgulà, caussâ cadit; et comme asello signifie également un âne, l’équivoque donna lieu au dicton: Pour un point Martin perdit son âne.
Quelques parémiographes, jugeant cette explication trop recherchée, prétendent qu’il faut dire: Pour un poil Martin perdit son âne, et ils fondent leur opinion sur celle de Nicot qui dit dans son Dictionnaire: L’âne d’un nommé Martin avait été perdu ou volé à la foire. Notre homme, en le cherchant, apprit qu’un particulier venait d’en trouver un, et, comme il ne douta point que ce ne fût le sien, il courut le réclamer; mais celui qui l’avait trouvé demanda: De quelle couleur est le poil de la bête?—Il est gris, répondit le réclamant.—Non, répliqua l’autre, il est noir. Et c’est ainsi que pour un poil Martin perdit son âne.
La véritable origine est la première que j’ai rapportée, et ce qui le prouve, c’est qu’en Italie, d’où nous est venu le dicton, on dit aussi: Per un punto Martin perse la cappa, pour un point Martin perdit la chape, c’est-à-dire la dignité abbatiale dont la chape était l’insigne.
On a tort de dire: Faute d’un point Martin perdit son âne, au lieu de pour un point, etc. Cette variante qui fausse l’explication que j’ai donnée, ne se trouve pas dans les vieux recueils. Évidemment elle est moderne.
Être comme l’âne de Buridan.
C’est être tout-à-fait indécis entre deux partis ou deux avantages offerts.
Jean de Buridan, né à Béthune en Artois, célèbre dialecticien du quatorzième siècle, voulant prouver que, si les bêtes ne sont point déterminées par quelque motif externe, elles n’ont pas la force de choisir entre deux objets égaux, avait imaginé un argument sophistique dans le genre du crocodile[8] des stoïciens, afin de soutenir sa thèse avec succès contre toutes les objections. Il supposait un âne également pressé de la soif et de la faim, entre un seau d’eau et une mesure d’avoine faisant la même impression sur ses organes. Ensuite il demandait: que fera cet animal? Si ceux qui voulaient bien discuter avec lui cette grave question répondaient: il demeurera immobile; le docteur répliquait: il mourra donc de soif et de faim entre l’eau et l’avoine. S’ils lui disaient, au contraire: il ne sera pas assez bête pour se laisser mourir; sa conclusion était: il se tournera donc d’un côté plutôt que d’un autre; il a donc le libre arbitre. Son raisonnement embarrassa tous les philosophes du temps, et son âne, devenu fameux parmi ceux des écoles, obtint les honneurs du proverbe.
Spinoza (Éthiq., part. 2, p. 89) parle de l’ânesse au lieu de l’âne de Buridan, et il avoue sans façon qu’un homme qui serait dans le cas de cette bête, mourrait de faim et de soif. Montaigne (Ess., liv. II, chap. 14) exprime la même opinion. «Qui nous logerait, dit-il, entre la bouteille et le jambon avec un égal appétit de boire et de manger, il n’y aurait sans doute remède que de mourir de soif et de faim, n’y ayant aucune raison qui nous incline à la préférence.»
Bayle trouve ce raisonnement absurde, et le réfute ainsi: «L’homme a deux moyens de se dégager des piéges de l’équilibre. L’équilibre ne le ferait pas demeurer dans l’inaction, comme Spinoza le prétend; il y a le remède de penser qu’il ne dépend pas des objets: 1º je veux préférer ceci à cela, parce qu’il me plaît d’en user ainsi; 2º il pourrait agir en tirant ce qu’il a à faire à la courte-paille.»
C’est le pont aux ânes.
On se sert de cette expression en parlant des choses qui sont connues des esprits vulgaires et ne peuvent embarrasser que des ignorants de la première espèce, justement assimilés aux baudets qu’on voit s’arrêter devant un pont de bois dont les planches mal jointes leur laissent entrevoir le cours de l’eau, car ces animaux ont ordinairement une si grande peur de se noyer, que, suivant la remarque de Pline le naturaliste (liv. VIII, ch. 4), ils se précipiteraient à travers les flammes pour éviter de se mouiller les pieds. La même expression s’emploie aussi pour signifier les lieux communs et les réponses banales à l’usage des ignorants, et, dans ce sens, elle est une allusion à ces vieux recueils de solutions ou de thèmes tout faits, auxquels on donnait autrefois le nom de pont aux ânes, à cause de l’interrogatif an qui figurait au commencement de toutes les questions énoncées en latin. C’est un véritable calembourg, où pont aux ânes a été substitué à pont aux an, qui signifie le moyen de passer sur ces an comme sur une rivière, c’est-à-dire de surmonter les difficultés.
On trouve dans le vingt-huitième chapitre du deuxième livre de Rabelais le passage suivant, qui confirme l’explication que je viens de donner: «O qui pourra maintenant racompter comment se porta Pantagruel contre les trois cents géants! O ma muse! ma Calliope! ma Thalie! inspire-moy à ceste heure! Restaure-moy mes esperits; car voici le pont aux ânes de logicque; voici le trébuchet, voici la difficulté de povoir exprimer l’horrible bataille qui feut faicte.»
Les ânes de Beaune.
L’animosité des Athéniens contre les Thébains n’est pas plus célèbre que celle des habitants de Dijon contre les habitants de Beaune. S’il faut en croire les Dijonais, l’air seul du pays de leurs adversaires est abrutissant, et c’est à qui racontera les simplicités beaunoises le plus ridicules. La querelle de Piron avec les Beaunois n’a pas peu contribué à fortifier le préjugé qui leur est défavorable. Tous les jeux de mots auxquels peut donner lieu la comparaison d’un sot avec un âne ont été employés d’une manière plus ou moins heureuse, et jusqu’à satiété. Mais de telles plaisanteries sont-elles fondées? Les habitants de Beaune ont-ils l’esprit plus lourd et la conception plus tardive que ceux de Dijon? Il n’y a rien qui le prouve, et le proverbe n’a pas été fait pour populariser le béotisme qu’on leur impute. Il est venu de ce que, dans le XIIIe siècle, il y avait à Beaune une famille de négociants distingués dont le nom était Asne. Lorsqu’on voulait parler d’un commerce bien établi, on citait les Asne de Beaune. Depuis, ce nom est passé aux habitants, et c’est sur cette misérable équivoque que roulent tous les quolibets qui sont faits sur leur compte.
La sépulture des ânes.
Au moyen âge, ceux qui mouraient déconfès ou excommuniés étaient jetés dans les champs ou à la voirie, comme des charognes. C’est ce qu’on appelait la sépulture des ânes. On lit dans une vieille charte: Extrà cimeterium sepulturâ asinorum sepulti. La même expression se trouve dans un passage de la bulle d’excommunication fulminée par le pape Grégoire V contre le roi Robert et la reine Berthe. Voici ce passage littéralement traduit du latin: «Qu’ils n’aient d’autre sépulture que celle des ânes, afin qu’ils soient aux nations futures un exemple d’opprobre et de malédiction.» Cette expression est prise de l’Écriture sainte, où l’on voit qu’il fut prédit par Jérémie que Joachim aurait la sépulture d’un âne; prophétie qui se vérifia lorsque Nabuchodonosor fit massacrer ce roi de Juda et jeter son corps hors de la ville, avec défense de l’inhumer.
ANGE.—Écrire comme un ange.
Ange Vergèce, célèbre calligraphe, venu de l’île de Candie, sa patrie, à Paris, vers 1540, donna lieu, dit-on, à cette expression proverbiale par la beauté de son écriture qui servit d’original aux graveurs des caractères de l’alphabet grec pour les impressions royales sous François Ier. La bibliothèque royale possède trois beaux manuscrits grecs de cet hellène, qui était attaché au collége royal en qualité d’écrivain du roi en lettres grecques.
Être aux anges.
C’est être transporté de joie.—Les Grecs et les Romains disaient dans le même sens: Être admis aux plus secrets mystères, par allusion aux jouissances que devaient éprouver les initiés aux mystères d’Eleusis, lorsqu’ils étaient admis par l’hiérophante, après de nombreuse épreuves, à la connaissance de ces mystères, si secrets, dit Tibulle (élég. 5, liv. III), qu’il n’était pas permis de les révéler même aux dieux.
Boire aux anges.
Saint Césaire, évêque d’Arles, dit, dans sa sixième homélie, que, de son temps, au commencement du VIe siècle, on poussait si loin la débauche de vin que, lorsqu’on ne pouvait presque plus boire, on adressait, pour s’y exciter encore, des santés aux saints et aux anges. Cette superstition d’ivrogne, renouvelée des Grecs qui, à la fin d’un repas, vidaient quelques coupes de plus en l’honneur des dieux, a donné naissance à l’expression boire aux anges, c’est-à-dire boire au delà de sa soif, ou, comme s’exprime Rabelais, boire pour la soif à venir.
Voir les anges violets.
On dit de quelqu’un qui a reçu un coup sur les yeux, qu’il a vu les anges violets, qu’on lui a fait voir les anges violets. C’est une allusion à l’éblouissement lumineux qui accompagne d’ordinaire ces sortes de coups, à la couleur violette de la partie contuse, à celle du costume épiscopal qui est aussi violette, et à l’usage où l’on était autrefois de désigner les évêques par le nom d’anges que saint Jean l’évangéliste leur a donné dans le deuxième chapitre de son Apocalypse.
L’Académie s’est bornée à dire que Voir les anges violets signifie avoir des visions creuses; mais il est certain que cette expression a toujours été employée dans le sens que j’ai donné et comme synonyme de cette autre plus usitée aujourd’hui: Voir trente-six chandelles.
ANGLAIS.—Être poursuivi par les Anglais.
C’est être poursuivi par des créanciers rigides.—Le mot Anglais, pris dans ce sens, fut introduit, suivant Borel, à l’époque de l’occupation de la France par les Anglais qui, s’étant emparés de tout l’argent du pays, prêtaient aux habitants à des conditions fort dures, et se conduisaient comme de vrais Arabes envers leurs malheureux débiteurs. D’autres étymologistes pensent qu’il fut employé à l’occasion des impôts extraordinaires établis pour la rançon du roi Jean, prisonnier à Londres. Estienne Pasquier le fait venir des réclamations des Anglais qui prétendaient que cette rançon, fixée à trois millions d’écus d’or, par le traité de Bretigny, n’avait pas été entièrement payée.
Oncques ne vys Anglois de vostre taille,
Car, à tout coup, vous criez: baille, baille. (Marot.)
ANGUILLE.—Il y a quelque anguille sous roche.
Pour signifier qu’il y a dans une affaire quelque chose de caché et de dangereux dont il faut se défier.
Le mot anguille, venu du latin anguilla, dont la racine est anguis, serpent, se prenait autrefois pour serpent, et il a gardé cette acception dans notre proverbe, qui correspond à celui des Grecs: Le scorpion dort sous la pierre; et à celui des Latins: Latet anguis in herba, le serpent est caché sous l’herbe.
On désigne encore les couleuvres, en certains endroits, sous le nom d’anguilles de haie.
Écorcher l’anguille par la queue.
C’est commencer par où il faudrait finir.
Rompre l’anguille au genou.
C’est tenter l’impossible, car une anguille, qui glisse toujours des mains, ne peut se rompre sur le genou comme un bâton. M. de Mennechet dit dans une annotation à la page 209 de l’Histoire de l’estat de France sous le règne de François II: «Rompre l’anguille au genou, signifie rompre une étoffe nouée à l’endroit du nœud.» Ce qui est un équivalent, et non une explication de l’expression proverbiale.
On trouve dans Rabelais, Rompre l’andouille au genou.
Les Espagnols disent: Soldar el azogue, souder le vif-argent; et les Italiens: Pigliar il vento con le reti, prendre le vent au filet.
Il ressemble aux anguilles de Melun, il crie avant qu’on l’écorche.
On représentait un jour à Melun le mystère de saint Barthélemy qui, suivant le martyrologe, fut écorché et mis en croix: un étudiant de cette ville, nommé Languille, chargé de faire le rôle du martyr, fut tellement épouvanté, au moment où les bourreaux le saisirent pour simuler le supplice, qu’il ne put s’empêcher de pousser des cris. Et de là vint la locution proverbiale qu’on applique à une personne qui s’effraie sans sujet, qui se plaint avant de sentir le mal. D’après cette explication, donnée par Fleury de Bellingen, il faudrait dire: Il ressemble à Languille, et non pas aux anguilles de Melun; mais la seconde version, quoique fautive, n’est pas moins usitée que la première, et le Dictionnaire de l’Académie l’a consacrée.
ANGOISSE.—Faire avaler à quelqu’un des poires d’angoisse.
C’est lui faire essuyer de mauvais traitements dont il ne peut se plaindre. Allusion à la poire d’angoisse, petite boule de fer qui, étant glissée pur les voleurs dans la bouche d’un homme qu’ils voulaient dépouiller, et s’y détendant par la pression d’un ressort secret, accroissait son volume au point de lui couper la parole et de ne pouvoir être retirée qu’avec l’aide d’un serrurier. Machine vraiment diabolique dont l’invention a été attribuée par quelques auteurs au capitaine Gaucher qui servait, du temps de la ligue, au pays de Luxembourg, et par quelques autres à un Toulousain nommé Palioly, chef d’une bande de filous établie à Paris. L’Académie semble croire que cette locution fait allusion à la poire d’Angoisse, fruit si âpre et si revéche au goût, dit-elle, qu’on a de la peine à l’avaler. Mais elle se trompe, car ce fruit est assez doux dans sa maturité, et les Parisiens, qui le trouvaient fort bon autrefois, devaient en faire une consommation assez considérable, puisque les colporteurs le criaient dans les rues. Témoin ce vers des Crieries de Paris, par Guillaume de la Villeneuve:
Poires d’Angoisse crier haut.
L’instrument de fer a été nommé poire d’angoisse, parce qu’il est en forme de poire et qu’il cause de l’angoisse ou de la douleur; le fruit a tiré son nom de celui d’Angoisse ou Angoissement (d’autres disent Angoisserent), village du Limousin où il fut primitivement connu et devint très abondant.
ANNÉE.—Les années de Pierre.
C’est-à-dire vingt-cinq années de pontificat, parce que saint Pierre fut à la tête de l’Église de Rome pendant vingt-cinq années. On dit à chaque nouveau pape qu’on élève sur la chaire de l’apôtre: Sancta pater, non videbis annos Petri; saint-père, vous ne verrez pas les années de Pierre. Et en effet, aucun pape ne les a vues. La raison en est toute simple: c’est que pour être un sujet papable, dit l’histoire des conclaves, il faut être cardinal d’un âge avancé et d’une complexion dont on ne puisse attendre ni un long règne ni de trop vigoureuses résolutions.
En examinant la liste des papes, on voit que le terme moyen de leur règne est d’environ huit ans. Pie VII est le pontife qui a gouverné le plus longtemps l’Église depuis saint Pierre. S’il eût vécu un an de plus, la prophétie proverbiale aurait été démentie, et Rome, alors, aurait été exposée aux plus grands malheurs et à la destruction, suivant l’opinion superstitieuse des habitants de cette ville.
ANTAN.—Parler des neiges d’antan.
C’est-à-dire de choses qui sont passées et dont on ne doit plus s’occuper. On trouve dans la dix-neuvième satire de Régnier: Discourir des neiges d’antan.
Antan est un vieux mot formé par contraction des deux mots latins ante annum, et signifiant l’autre année, l’année d’avant. L’expression des neiges d’antan, qu’on n’emploie guère aujourd’hui, a été pendant longtemps en grande vogue, à cause de la fameuse ballade de Villon sur les dames du temps jadis, dont voici quelques vers: