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RÉSULTATS GÉNÉRAUX DES MESURES GÉODÉSIQUES.
VARIATIONS OBSERVÉES DE LA PESANTEUR A LA SURFACE.

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En décidant l'adoption d'une unité de longueur fondée sur les dimensions du globe terrestre, la Convention nationale donna une impulsion puissante et durable aux études géodésiques. De cette époque datent les perfectionnements apportés par Gambey dans la division des cercles, par Borda dans l'emploi du théodolite et la mesure des bases par les règles bimétalliques. La méthode des moindres carrés, la théorie de la compensation des mesures surabondantes allaient bientôt aussi entrer dans la pratique à la suite des mémorables travaux de Gauss et de Bessel.

Des nécessités pratiques aisées à comprendre avaient fait reposer la valeur du mètre sur les mesures de Delambre et de Méchain, mesures un peu hâtives et n'embrassant pas encore toute l'étendue désirable en latitude. Mais, quand l'exemple donné par la France eut été suivi dans les pays étrangers avec un succès croissant, quand des chaînes de triangles eurent été tracées à travers les vastes plaines de la Russie et de l'Inde, il devint clair que la complexité du problème dépassait ce que l'on avait d'abord présumé.

Les méthodes de calcul fondées sur la comparaison de deux arcs seulement supposent en effet:

1º Que sur un même méridien l'arc d'un degré croît régulièrement de l'équateur au pôle;

2º Que sur deux méridiens différents les arcs d'un degré, pris à la même latitude, ont même longueur;

3º Que cette longueur est la même, à latitude égale, dans l'hémisphère boréal et dans l'hémisphère austral.

Or ces propriétés n'appartiennent qu'à une catégorie restreinte de surfaces. Elles ne peuvent être réalisées exactement pour la figure apparente de la Terre, hérissée d'inégalités et sujette à mille changements avec le temps. Le point de départ de la géodésie consiste à définir une surface idéale, assez simple pour se prêter au calcul, assez voisine de la surface réelle pour que l'on puisse rapporter sans erreur chaque point de la surface réelle à un point correspondant de la surface idéale ou surface géodésique.


On pourrait être tenté d'adopter une sphère, à cause de la simplicité qui en résulterait pour les calculs. Les raisonnements de Newton, confirmés par les mesures d'arc des académiciens français, font prévoir que la sphère choisie, quel qu'en soit le rayon, s'écartera trop de la surface réelle, et que la correspondance point par point ne pourra être établie avec certitude.

On se rapprochera davantage de la surface réelle si l'on adopte comme surface géodésique un ellipsoïde de révolution. On pourra prendre pour valeurs des demi-axes soit celles que suggère la dynamique dans l'hypothèse de l'homogénéité, soit celles qui mettent d'accord, dans la théorie de Clairaut, deux mesures de la pesanteur faites à des latitudes différentes, soit enfin celles qui mettent d'accord les valeurs linéaires du degré mesurées sous deux latitudes différentes.

Ce dernier choix, qui ne suppose rien sur la constitution intérieure, sera sans doute jugé le plus rationnel. Mais du moment que l'on dispose de plus de deux arcs de méridien ou de plus de deux mesures de pesanteur, il faut s'attendre à ce que les observations soient imparfaitement représentées, peut-être même à ce qu'on soit obligé de leur imputer des erreurs inadmissibles. En prenant pour surface géodésique un ellipsoïde à trois axes inégaux, on disposera de deux paramètres de plus, mais cet expédient entraînera dans les calculs une complication plus grande, et jusqu'à ce jour il n'a pas été trouvé avantageux d'y recourir.

La définition de la latitude, de la longitude, de l'altitude par rapport à l'ellipsoïde de révolution ne comporte aucune difficulté. Mais ces grandeurs ne sont pas directement mesurables: on peut au contraire définir les coordonnées géographiques d'un point de la surface réelle de telle manière qu'elles deviennent accessibles à l'observation. Ainsi l'on appelle latitude l'angle de la verticale avec l'équateur ou le complément de l'angle de la verticale avec l'axe du monde. Pour direction de l'axe du monde, on adopte le milieu des digressions d'une circumpolaire en hauteur et en azimut. On a ainsi, très sensiblement, l'axe instantané de rotation du globe terrestre. Cet axe n'est pas fixe par rapport aux étoiles, puisqu'il éprouve les mouvements de précession et de nutation. On ne peut affirmer qu'il soit fixe par rapport au globe terrestre, mais son excursion totale ne dépasse pas quelques mètres. Enfin la verticale elle-même peut changer de direction, dans une faible mesure, sous l'influence des variations météorologiques, de la dérive des glaces polaires, de la circulation du fluide interne. On ne peut donc pas compter, d'une manière absolue, sur l'invariabilité des latitudes géographiques.

De même, le méridien en un point étant défini par la direction de la verticale et par celle de l'axe instantané de rotation du globe terrestre, on ne doit pas se flatter que les différences de longitude soient invariables, ni que la variation de l'angle horaire d'une étoile soit rigoureusement proportionnelle au temps. Mais des opérations classiques et d'une exécution assez rapide permettront toujours d'installer un instrument dans le méridien et de comparer la marche d'une pendule à celle du Ciel. On s'est demandé s'il n'y aurait pas avantage, pour la définition des coordonnées géographiques et de l'heure, à remplacer l'axe instantané de rotation par l'axe principal d'inertie, qui s'en écarte toujours très peu et qui a plus de chances de demeurer fixe par rapport à des repères terrestres. Ce système, bien que soutenu avec talent par Folie, ancien directeur de l'Observatoire d'Uccle, n'a pas prévalu, et les astronomes sont demeurés fidèles aux définitions anciennes. La réforme, en effet, pourrait ne pas atteindre son but à cause des fluctuations de la verticale; et, ce qui est plus grave, la latitude et la longitude cesseraient d'être des points d'observation, toujours vérifiables et n'impliquant aucune hypothèse sur la constitution du globe, pour devenir des résultats de calcul. Rien n'indique, en effet, par rapport aux étoiles, la situation de l'axe principal d'inertie. Il faut la déduire de la théorie du mouvement de la Terre autour de son centre de gravité, théorie nécessairement imparfaite, en raison de l'ignorance où nous sommes de la constitution intérieure du globe et des changements qui peuvent s'y accomplir.


L'altitude est également susceptible de deux définitions différentes. On serait tenté d'appeler ainsi la longueur interceptée sur la verticale, à partir du lieu d'observation, par la surface géodésique, c'est-à-dire par l'ellipsoïde de révolution qui satisfait le mieux à l'ensemble des mesures d'arc. Malheureusement cet ellipsoïde est, lui aussi, un être fictif, un résultat de calcul, et l'on n'aperçoit pas à première vue la possibilité de s'y rattacher par des opérations physiques.


Le point de départ naturel pour la mesure des hauteurs est la surface moyenne des mers, obtenue en faisant abstraction des dénivellations accidentelles ou périodiques produites par les vents et les marées. Cette surface coïnciderait avec l'ellipsoïde de Newton si la Terre était homogène, avec l'ellipsoïde de Clairaut si la constitution intérieure du globe était régulière. Mais elle doit avant tout satisfaire à une exigence qui exclut toute possibilité de définition analytique. Elle doit être une surface de niveau pour l'ensemble des forces qui agissent sur le globe terrestre, y compris la force centrifuge, l'attraction des continents et des montagnes. Cette surface, appelée géoïde, peut être prolongée à travers les terres en vertu de sa définition mécanique. Les parties saillantes, surtout si elles sont formées de roches denses, dévient le fil à plomb et provoquent un renflement du géoïde, en sorte que celui-ci reproduit, dans une mesure atténuée, les inégalités de la surface réelle. Quand on exécute des nivellements de proche en proche à partir du rivage de la mer, c'est par rapport au géoïde que l'on détermine les altitudes des stations successives. La pesanteur au niveau de la mer étant variable, deux surfaces de niveau ne sont pas séparées partout par une même distance sur la normale commune. Il serait donc rationnel de prendre comme mesure de l'altitude finale non pas la somme des échelons verticaux franchis dans les divers nivellements, mais la somme des travaux négatifs accomplis par la pesanteur. A cette condition seulement, tous les points d'une surface de niveau quelconque auront des altitudes exprimées par le même chiffre. Mais, jusqu'à présent, cette distinction ne présente guère qu'un intérêt théorique.


Quand on exécute une chaîne de triangles, on réduit les angles à l'horizon et l'on ramène la valeur linéaire de la base au niveau de la mer. Cela revient à reporter sur le géoïde les constructions faites, avec la supposition tacite que la verticale de chaque station, prolongée jusqu'au géoïde, le rencontrerait encore normalement. Sauf peut-être l'arc du Pérou, aucune des triangulations exécutées jusqu'à ce jour ne traverse un pays assez montueux ou assez élevé pour mettre cette hypothèse en défaut. Tout cheminement exécuté avec le théodolite et le niveau donne, le long d'une ligne déterminée, l'écart de la surface réelle et du géoïde. Les observations astronomiques associées relient aux directions fixes fournies par les étoiles les verticales des diverses stations. Elles permettent, en conséquence, de construire une section soit de la surface réelle, soit du géoïde. Avec une série de sections parallèles, on peut établir un modèle en relief. Quand ce travail aura été fait pour la plus grande partie du globe terrestre, on pourra dire quelle est la surface géodésique, à définition simple, qu'il convient d'adopter comme se rapprochant le plus du géoïde.

Il s'en faut de beaucoup, à l'heure présente, que ce vaste programme soit réalisé. En laissant de côté les irrégularités locales, on ne trouve pas de difficulté insurmontable pour placer sur une même ellipse les différents arcs de méridien mesurés. La concordance, toutefois, est médiocre, et l'on ne doit pas espérer, dans la détermination de l'aplatissement, une précision très élevée. Delambre et Méchain l'évaluaient à 1/334 d'après l'ensemble des triangulations effectuées à la fin du XVIIIe siècle. Bessel, en 1837, a proposé 1/299,5; Clarke, en 1880, 1/(293,5 ± 1,1). L'erreur probable indiquée est sans doute trop faible, car deux seulement des arcs utilisés, de petite étendue, tombent dans l'hémisphère austral, et la symétrie par rapport à l'équateur n'est point démontrée ni même vraisemblable d'après la distribution des continents. Les valeurs correspondantes du demi petit axe et du demi grand axe sont respectivement, en kilomètres, 6356,607 et 6378,284. Le moment approche, à ce qu'il semble, où la discussion de Clarke pourrait être reprise avec avantage. Depuis, l'arc anglo-français a reçu une extension considérable par la jonction de l'Algérie et de l'Espagne. D'importantes triangulations ont été reprises ou inaugurées au Spitzberg, au Canada, au Pérou, dans l'Afrique australe. Ces travaux, dont une Association géodésique internationale encourage le développement, doivent être considérés comme ayant pour but de faire connaître les irrégularités du géoïde, plutôt qu'une valeur plus exacte de l'aplatissement. Alors même que tous les arcs de méridien mesurés seraient applicables sur une même ellipse, il resterait à démontrer que toutes ces ellipses ont même centre, que les lieux des points d'égale latitude sont plans et de courbure uniforme. Ce dernier point ne peut être élucidé que par des mesures suffisamment nombreuses d'arcs de parallèle, accompagnées de déterminations de longitudes très précises.

Le doute à ce sujet est d'autant plus permis que l'aplatissement proposé par Clarke, tenant le milieu entre les deux chiffres que suggèrent les recherches de Mécanique céleste d'une part, les mesures de la pesanteur de l'autre, ne concorde d'une manière vraiment satisfaisante ni avec l'un ni avec l'autre.


Les mesures de la pesanteur, fondées sur l'observation du pendule, offrent sur les opérations géodésiques l'avantage de pouvoir s'exécuter sur toute l'étendue des continents, dans les régions montagneuses les plus âpres, et jusque dans les îles semées au milieu des mers. Elles se prêtent donc à une répartition plus égale entre les deux hémisphères et entre les diverses latitudes. La troisième loi de Clairaut permettrait, à la rigueur, de déduire l'aplatissement superficiel de deux mesures de pesanteur seulement, exécutées l'une près de l'équateur, l'autre dans les régions polaires. Par la combinaison d'un plus grand nombre de résultats, on atténuera l'effet des erreurs d'observation et des anomalies locales. En suivant cette marche, de Freycinet a trouvé, pour l'inverse de l'aplatissement, 286,2; Sabine, 284,4; Foster, 289,5; Clarke, en 1880, 292,4. Tous ces aplatissements sont, on le voit, plus forts que ceux qui résultent des triangulations. Dans ces dernières années, on a trouvé le moyen d'effectuer des mesures suffisamment précises, même en pleine mer. Sans doute l'observation du pendule demeure impraticable à bord des navires, mais on y supplée par la lecture simultanée du point thermométrique d'ébullition de l'eau et de la colonne barométrique. La première lecture donne en effet, pour la pression atmosphérique, une évaluation indépendante de l'intensité de la pesanteur, au lieu que la seconde en est affectée d'une manière sensible.


L'observation du pendule présente encore sur les mesures d'arc l'avantage de se rapporter à une localité précise, et par suite se prête mieux à l'étude des irrégularités locales. En pays de plaine, la variation de la gravité avec la latitude suit assez bien les prévisions de la théorie. Mais le voisinage de la mer ou des montagnes donne ordinairement lieu à des surprises. Des hypothèses vraisemblables sur la densité des masses montagneuses avaient fait penser aux géodésiens que le niveau de la mer pourrait être relevé d'un millier de mètres, dans le voisinage des côtes, par l'attraction des continents. Les travaux récents de M. Helmert, fondés principalement sur l'observation du pendule dans les Alpes, montrent que cette estimation est exagérée. Entre le géoïde et l'ellipsoïde de révolution qui s'en rapproche le plus, l'écart ne doit nulle part dépasser 200m. C'est peu en comparaison des inégalités de la surface réelle, qui atteignent 9km de part et d'autre du niveau des mers, et sont par suite du même ordre de grandeur que la différence des rayons polaires et équatoriaux. Il y a donc une influence cachée qui diminue l'attraction des parties saillantes et augmente l'attraction des parties creuses. Cette remarque est importante, comme nous le verrons dans un des Chapitres suivants, pour l'étude de la structure interne. Mais, avant d'entrer dans ce sujet difficile, il est à propos de jeter un coup d'oeil d'ensemble sur le relief actuel et de résumer l'enseignement qu'il peut nous offrir.



La terre et la lune: forme extérieure et structure interne

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