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L'APLATISSEMENT DU GLOBE.
ESSAIS DE THÉORIE MATHÉMATIQUE DE LA FIGURE DE LA TERRE.
ОглавлениеTrois ans après l'apparition du Livre des Principes, Christian Huygens publiait, à Leyde, son Traité de la lumière, avec un discours sur la cause de la pesanteur. La première Partie de l'Ouvrage est mémorable comme posant les bases de la théorie ondulatoire de la lumière. Les idées de Huygens sur la cause de la pesanteur se rattachent à la théorie des tourbillons de Descartes et offrent aujourd'hui pour nous moins d'intérêt. Pour le savant hollandais, la gravité reste une puissance occulte inhérente au centre du globe. Cela revient à supposer toute la masse de la Terre réunie en un seul point. Même dans cette hypothèse erronée, l'aplatissement apparaît comme une conséquence de la fluidité primitive. Huygens formule ce principe fécond: «La surface des mers est, en chacun de ses points, normale à la direction de la pesanteur», et il en déduit pour l'aplatissement du globe le chiffre 1/578, pas même la moitié de ce que Newton avait trouvé dans l'hypothèse d'un globe homogène, soumis dans toutes ses parties à l'attraction universelle.
La réalité de l'aplatissement était mise en doute aussi bien que sa valeur. Thomas Burnet, théologien anglais, lui opposait des raisons qui nous semblent aujourd'hui n'avoir rien de scientifique. Eisenschmidt, mathématicien allemand, formulait une objection d'un caractère plus grave. Réunissant les mesures connues du degré terrestre, il trouvait que leur valeur linéaire va en croissant vers l'équateur, et il en déduisait, correctement du reste, que la Terre est allongée vers les pôles 1.
Note 1: (retour) Eisenschmidt, Dissertation de la figure de la Terre. Strasbourg, 1691.
Cassini, adoptant cette conclusion, entreprit de la vérifier. Il aurait fallu, pour le faire d'une façon probante, mesurer deux arcs de méridien séparés en latitude par un grand espace. On pensa qu'il suffirait de relier par une chaîne de triangles Dunkerque à Perpignan, et que la comparaison des degrés au nord et au sud de Paris trancherait la question. Cette opération importante est décrite dans l'Ouvrage intitulé: De la grandeur et de la figure de la Terre, Paris, 1720. Le degré moyen fut trouvé égal à 56960 toises au Nord, à 57097 toises au Sud, ce qui donne raison à Eisenschmidt contre Newton et indique un allongement de 1/95. Mais il est reconnu aujourd'hui que de graves erreurs s'étaient glissées dans la mesure de l'arc du Sud et que le chiffre final repose sur une base des plus fragiles.
Considérant ce résultat comme établi, Mairan entreprit de le justifier théoriquement 2. Il déploie beaucoup d'ingéniosité pour mettre en doute la fluidité primitive de la Terre. Ne peut-elle pas, dit-il, avoir été primitivement allongée? Alors la force centrifuge n'aurait fait que diminuer l'allongement sans le détruire. Reste à concilier la forme oblongue avec l'augmentation constatée de la pesanteur vers le pôle. Mairan forge dans ce but une loi compliquée, faisant varier la pesanteur en raison inverse du produit des rayons de courbure principaux en chaque point de la surface.
Note 2: (retour) Mairan, Recherches géométriques sur la diminution des degrés en allant de l'équateur vers les pôles. Paris, 1720.
Newton accordait, avec raison, peu de crédit aux chiffres de Cassini, comme aux raisonnements de Mairan. Dans la troisième édition de son Ouvrage, parue l'année qui précéda sa mort (1726), il maintient la position qu'il avait prise concernant la figure de la Terre. Mais, sous l'influence d'un amour-propre national mal placé, l'opinion publique en France se prononçait fortement pour Cassini. Celui-ci, d'ailleurs, annonçait de nouvelles vérifications. La mesure d'un arc de parallèle par Brest, Paris et Strasbourg, exécutée en collaboration avec Maraldi, de 1730 à 1734, lui semblait décisive. «Ces observations, disait le commissaire de l'Académie, se sont trouvées si favorables au sphéroïde allongé que M. Cassini a eu la modération de ne pas vouloir en tirer tout l'avantage qu'il eût pu à la rigueur et de s'en retrancher une partie.» En réalité, la démonstration est plus faible encore que celle qui se fonde sur l'arc de méridien.
Jean Bernoulli, qui s'était déjà trouvé en conflit avec Newton dans une controverse célèbre, concourait en 1734 pour un prix de l'Académie des Sciences de Paris. Pour cette double raison, il devait incliner vers l'opinion qui dominait en France. Aussi le voyons-nous s'écrier pour conclure: «Après cette heureuse conformité de notre théorie avec les observations célestes, peut-on plus longtemps refuser à la Terre la figure du sphéroïde oblong, fondée d'ailleurs sur la discussion des degrés de la méridienne, entreprise et exécutée par le même M. Cassini avec une exactitude inconcevable?» 3.
Note 3: (retour) Todhunter, A history of the mathematical theories of attraction and the figure of the earth, 1873.
A cela un disciple de Newton, Désaguliers, répondait qu'aucune loi d'attraction, aucune distribution de densité à l'intérieur ne pouvait se concilier avec l'ellipsoïde allongé. C'était aller trop loin. Clairaut montra depuis qu'avec un noyau solide d'une forme convenable l'ellipsoïde allongé pourrait être figure d'équilibre. D'autre part, l'Anglais Childrey estimait que la Terre devait être allongée parce qu'il tombe annuellement sur les pôles plus de neige que le Soleil n'en peut fondre. C'était méconnaître l'influence de la marche des glaciers et de la dérive des banquises.
La thèse de Newton trouvait d'ailleurs des partisans distingués, même en France. En 1720, un écrit anonyme parut sous le titre: Examen désintéressé des diverses opinions concernant la figure de la Terre. Sous couleur de rapporter impartialement les arguments pour et contre, il faisait bonne justice des prétentions de Cassini à une exactitude supérieure. L'auteur dissimulé de l'Ouvrage était Maupertuis, académicien et homme du monde, bien reçu chez les grands et en rivalité avec Cassini. En 1732, il publia, sous son nom cette fois, un Discours des différentes figures des astres. Il y commente et justifie avec intelligence les résultats de Newton. Il montre comment la mesure de deux arcs de méridien éloignés est nécessaire pour déduire des valeurs un peu sûres des demi-axes de l'ellipse.
Sous l'impression produite par le Livre de Maupertuis, l'Académie des Sciences résolut de procéder à une expérience décisive. Deux expéditions furent organisées. L'une devait se rendre au Pérou, l'autre en Laponie. En vue de la mesure des bases, on commanda au même artiste, Langlois, deux règles de fer aussi égales que possible, connues depuis sous les noms de toise du Pérou et de toise du Nord.
Maupertuis, désigné comme chef de l'expédition de Laponie, se mit en route en avril 1736. Il emmenait avec lui Clairaut, Camus, Lemonnier fils, l'abbé Outhier; Celsius, professeur d'Astronomie à Upsal, se joignit à eux. Deux relations nous sont parvenues, écrites, l'une par Maupertuis, l'autre par l'abbé Outhier. Elles se complètent utilement sur plus d'un point. Les triangulations et les visées astronomiques, contrariées par les marécages, les moustiques, la brume autour des sommets, la rigueur du climat, furent cependant menées à bien dans l'été et l'automne de 1736. On mesura une base de 7406 toises sur la glace d'un fleuve et l'on s'installa pour le reste de l'hiver dans le village de Tornea, enseveli sous la neige. Les calculs, mis au net, donnaient 57 422 toises au degré. La comparaison avec l'arc français portait l'aplatissement à 1/178, chiffre supérieur à celui que Newton avait prévu. En tout cas, aucun doute ne pouvait subsister sur sa réalité. «On tint la chose secrète, dit Maupertuis, tant pour se donner le loisir de la réflexion sur une chose peu attendue que pour avoir le plaisir d'en apporter à Paris la première nouvelle.»
Le départ eut lieu en juin 1737. Au moment de l'embarquement, un accident survint. Les instruments tombèrent à la mer et ne purent être repêchés que déjà endommagés par la rouille. On doit reconnaître aussi que toutes les vérifications désirables n'avaient pas été faites et leur omission donna lieu, de la part des amis de Cassini, à quelques critiques justifiées.
La mission du Pérou comprenait Godin, Bouguer, La Condamine, plusieurs auxiliaires. Elle s'adjoignit ultérieurement deux officiers espagnols, George Juan et Antonio de Ulloa. Godin, le plus ancien académicien, était le chef nominal.
Le départ eut lieu à La Rochelle, le 16 mai 1735, près d'un an avant celui des académiciens du Nord. Mais l'expédition devait durer bien davantage et les résultats ne furent élucidés que longtemps après. On n'avait pas encore mesuré un degré de latitude sur trois quand les nouvelles d'Europe apprirent le retour et le succès des académiciens du Nord, partis les derniers.
Ce retard tenait à bien des causes et n'avait pas été sans quelque profit pour la Science. On avait fait escale à la Martinique, à Saint-Domingue; on avait entrepris des recherches sur la réfraction, sur le pendule. C'est à Saint-Domingue que Bouguer imagina et fit réaliser le pendule invariable. On arriva à Quito le 13 juin 1736; mais à partir de ce moment des difficultés sans nombre surgirent, occasionnées par le climat inconstant du pays, son caractère montueux, l'impossibilité d'obtenir un concours efficace des autorités espagnoles et des indigènes et aussi, on doit le dire, par le défaut d'entente des observateurs. Chacun d'eux s'appliquait à garder le plus possible le secret de ses chiffres et à dissimuler dans ses opérations ce qui pouvait donner prise à la critique. Il fut fait, en réalité, deux triangulations distinctes et trois relations furent publiées, dues respectivement à Bouguer, à La Condamine et aux officiers espagnols. Nous devons à cette circonstance de connaître divers détails qu'un rapport fait en commun eût laissés dans l'ombre et qui sont utiles pour apprécier l'exactitude du résultat final. Cette critique a été faite d'une manière pénétrante par Delambre dans un travail demeuré longtemps inédit et que M. Bigourdan a eu le mérite de mettre en lumière 4.
Note 4: (retour) G. Bigourdan, Sur diverses mesures d'arc de méridien, faites dans la première moitié du XVIIIe siècle (Bulletin astronomique, t. XVIII, p. 320).
Bouguer et La Condamine s'étaient promis de ne point faire connaître au public les déterminations astronomiques exécutées en premier lieu, reconnues plus tard défectueuses, et qu'il avait été nécessaire de recommencer. Mais La Condamine, écrivain facile, causeur brillant et intarissable, était l'homme du monde le moins propre à tenir strictement un engagement de ce genre. Les trois académiciens, rentrés en France en 1744, 1745 et 1751, mirent le public au courant de leurs aventures et de leurs travaux. Bouguer publia en 1752 une Justification des Mémoires de l'Académie, pour se plaindre des indiscrétions de son collègue. Une vive polémique s'ouvrit et ne se termina que par la mort d'un des adversaires.
Ces querelles personnelles ont perdu de leur intérêt aujourd'hui, et ne doivent pas nous empêcher d'accorder, aux uns comme aux autres, le tribut d'éloges qui leur est dû. Les missionnaires du Pérou, pas plus que ceux de Laponie, n'ont dit le dernier mot sur la question ardue de la forme de la Terre. Ils ont, au prix d'efforts et de travaux méritoires, mis hors de doute la réalité de l'aplatissement. Pour la valeur du degré de latitude à l'équateur, Bouguer donne 56 736 toises, La Condamine 56 714 toises, les officiers espagnols trouvent 56 768 toises. Adoptons le premier résultat, qui tient le milieu entre les deux autres. Combiné avec le degré du Nord, il donne l'aplatissement 1/223, plus fort que celui de Newton. La correction aurait dû, nous ne pouvons en douter aujourd'hui, être faite en sens contraire. On arrive au chiffre plus vraisemblable 1/324 si l'on substitue aux données de Maupertuis celles d'une mission suédoise qui opéra sur le même terrain de 1801 à 1803 sous la direction de Svanberg. L'arc du Pérou fait aussi l'objet d'une revision qui s'exécute en ce moment par les soins du gouvernement français. Tant que les résultats n'en seront pas publiés, les travaux des académiciens du XVIIIe siècle resteront un élément essentiel dans notre connaissance des dimensions du globe terrestre. Il faut en dire autant d'un arc de méridien mesuré vers la même époque par Lacaille dans le voisinage du cap de Bonne-Espérance, repris au siècle suivant par Maclear et Airy, et que l'intervention du gouvernement anglais promet d'étendre bientôt à travers l'Afrique australe tout entière.
D'importantes recherches théoriques s'accomplissaient, vers la même époque, dans la voie ouverte par Newton. Mac Laurin, dans son Traité des fluxions, publié en 1742, résolut le problème de l'attraction d'un ellipsoïde homogène de révolution sur un point intérieur quelconque. Il démontra que l'ellipsoïde aplati est une figure d'équilibre pour une masse fluide homogène tournant autour du petit axe avec une vitesse convenable.
Les Mathematical dissertations de Thomas Simpson, parues en 1743, établissent l'existence d'une vitesse angulaire limite, au delà de laquelle l'équilibre relatif est impossible. Elles montrent que deux ellipsoïdes différents peuvent répondre à une même vitesse angulaire.
Tant que les recherches mathématiques n'avaient pour objet que des corps homogènes, on pouvait douter qu'elles fussent susceptibles d'une application utile aux planètes. Clairaut fut le premier à s'engager avec succès dans la voie difficile de l'attraction d'un ellipsoïde hétérogène. Sa Théorie de la figure de la Terre (1743), où se déploie un talent analytique de premier ordre, demeure sur bien des points un modèle qui n'a guère été dépassé. Clairaut suppose que les surfaces d'égale densité sont, aussi bien que la surface extérieure, des ellipsoïdes de révolution autour d'un même axe, mais il laisse arbitraire la loi de variation de densité, aussi bien que la loi de variation d'ellipticité d'une couche à l'autre. Il admet seulement (ce qui est d'ailleurs fort vraisemblable) que, d'une couche à l'autre, la densité augmente toujours quand on se rapproche du centre.
Partant de ces hypothèses, Clairaut démontre tout une série de lois remarquables. Appelons:
a, b les demi-axes d'une couche quelconque, ρ la densité correspondante;
e l'ellipticité (b-a)/a de cette même couche;
e1 l'ellipticité de la surface externe;
φ le rapport de la force centrifuge à la pesanteur équatoriale sur la surface externe;
ge la pesanteur à l'équateur;
g la pesanteur à la latitude Ψ. On trouve alors:
Première loi.--Les ellipticités vont toujours en croissant de la surface au centre.
Deuxième loi.--Le rapport e/a³ prend des valeurs croissantes de la surface au centre.
Troisième loi.--Si l'on pose n = (5/2)φ - e1, on peut écrire approximativement
g = ge(1 + n sin² Ψ).
Quatrième loi.--L'ellipticité e1 de la surface externe est toujours comprise entre φ/2 et 5φ/4.
Cinquième loi.--Si l'on regarde e et ρ comme des fonctions inconnues de a, on peut écrire une équation différentielle qui relie ces deux fonctions, et qui devient intégrable si l'on adopte pour ρ certaines formes simples en fonction de a 5.
Note 5: (retour) Nous renverrons, pour la démonstration de ces propriétés, au Traité de Mécanique céleste de Tisserand, t. II.
Les trois dernières lois sont précieuses en ce qu'elles ont lieu pour toute distribution des matériaux à l'intérieur, sous la réserve que cette distribution rentre dans les hypothèses, d'ailleurs passablement larges et souples, de Clairaut. Il n'est pas toutefois démontré, ni même probable que la constitution du globe terrestre s'y conforme rigoureusement. Une infraction à ces lois, établie par l'expérience, ne serait donc pas un paradoxe mathématique.
Ces mêmes lois sont approximatives, et s'obtiennent en négligeant la seconde puissance de l'ellipticité. On peut se permettre cette simplification pour la Terre et pour la Lune. Il est plus difficile de s'en contenter pour Jupiter ou Saturne. Dans un Mémoire inséré aux Annales de l'Observatoire de Paris, t. XIX, Callandreau a montré comment les énoncés des lois de Clairaut devraient être complétés pour ces deux planètes.
La troisième loi confirme et précise l'énoncé de Newton, concernant la variation de la pesanteur à la surface. Elle montre comment la forme du globe pourrait être connue exactement par les seules mesures du pendule, s'il ne fallait pas compter avec les anomalies locales.
La limite inférieure de l'ellipticité, donnée par la quatrième loi, correspond à l'aplatissement de Huygens et à la concentration de toute la masse en un seul point. La limite supérieure conduit à l'aplatissement de Newton et à l'homogénéité de toute la masse.
Cette quatrième loi se vérifie pour la Terre, Jupiter et Saturne, c'est-à-dire pour les astres où la durée de rotation et l'ellipticité sont l'une et l'autre mesurables. En ce qui concerne le Soleil, Mercure, Vénus, la Lune et Mars, les deux limites de Clairaut font seulement prévoir une ellipticité insensible, ce qui est encore conforme à l'observation. Il n'y a pas là, évidemment, une démonstration précise, mais une présomption sérieuse pour considérer la théorie de Clairaut comme exacte dans ses grandes lignes.