Читать книгу Une histoire d'Amour : George Sand et A. de Musset - Paul Mariéton - Страница 4

INTRODUCTION

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Table des matières

L'extraordinaire curiosité qui tout à coup ramène l'attention sur le roman d'amour de George Sand et de Musset porte son enseignement. Les dernières écoles littéraires achèvent de fatiguer le public. La vie dans l'art reprend ses droits. Les poètes de l'idéal et de la passion, même les romantiques, même les prêcheurs d'utopies, sont soudain relus et aimés par la génération qui s'avance. Lamartine a reconquis sa royauté sur les âmes. George Sand et Musset renaîtraient-ils d'un semblable abandon? Voilà deux incontestables génies. Leur éclat s'embrumait depuis un quart de siècle; mais pour les ressusciter à la gloire, «ce soleil des morts», veillait sur les deux ombres une histoire d'amour.

On la connaissait vaguement, cette histoire. Les deux amants avaient pris soin d'en entretenir le public dans leurs oeuvres. Encore que mystérieuse, elle constituait le plus clair de leur légende. Et en dehors même de l'art, on continuait de les aimer. Car, bien plus que pour le dernier siècle, l'énigmatique et fameux roman de Mme d'Houdetot et de Jean-Jacques (dont on ne saura rien de précis tant que la famille d'Arbouville refusera de publier les lettres de Rousseau), l'aventure d'amour de George Sand et de Musset sera le grand roman de notre siècle. La Confession et les Nuits, les contes passionnés de Lélia et le théâtre en liberté de Fantasio, ont troublé et séduit trois générations.

On disait du poète, du poète de la jeunesse, que l'amour d'une femme avait éveillé son génie, pour le faire mourir. On savait aussi que cette maîtresse «qui voulait être belle, et ne savait pas pardonner» avait auréolé la plus glorieuse carrière, d'une vieillesse entourée de vénération. On n'osait franchement plaindre l'un ni excuser l'autre.

Après la mort du poète, George Sand la première avait prétendu se justifier. Paul de Musset répondit pour son frère et d'autres témoins se mêlèrent de la querelle: accusation et défense parurent également suspectes. On attendait donc que le temps permît d'exhumer les papiers intimes. Après soixante-deux ans, le mystère s'est dévoilé.

Deux articles fort documentés ont paru cet été, qui jetaient des lueurs nouvelles sur ces misères de poètes: l'un de M. le vicomte de Spoëlberch de Lovenjoul, l'érudit bibliophile belge, tout sympathique à George Sand, l'autre de M. Maurice Clouard, un fervent de Musset, ce qui semblerait nous désigner ses préférences. Mais leurs conclusions s'accordent mal avec les dernières révélations.

Tout récemment, j'ai traduit et publié le journal intime du docteur Pagello, où il est d'abord conté comment George Sand lui déclara son amour, dans la chambre même de Musset gravement malade à Venise. La déclaration indirecte et encore indécise de la romancière au médecin1 était publiée à son tour par M. le docteur Cabanès, au cours d'une interview de Pagello lui-même, laquelle confirmait de tout point les assertions du journal, plus précis encore pour être à peine postérieur aux événements évoqués.

Ce journal m'avait été confié il y a six ans. Je ne l'ai fait connaître qu'après avoir acquis la preuve qu'il n'était pas absolument inédit. Si Pagello est discret sur son bonheur pendant la fin du séjour de Musset, il ne dissimule pas quelle sorte d'amour lui avait offert George Sand. On n'avait jusqu'ici que de vagues données sur ce point.

Note 1: (retour) J'en avais donné une phrase qui peut la résumer: «Je t'aime parce que tu me plais; peut-être bientôt te haïrai-je.

Pour éclairer ces demi-confidences, j'ai cru pouvoir, sans indélicatesse, citer aussi de longs fragments d'une lettre inédite de George Sand à Pagello, où elle ne dissimule rien de leurs relations. Cette lettre, dont j'avais pris copie sur l'autographe (ceci pour ceux qui ont semblé douter de l'authenticité de mes pièces), apportait le premier document décisif sur l'infortune de Musset avant son départ de Venise.

Plusieurs ont jugé bon de déclarer indiscrètes ces révélations, alors que Musset et George Sand ont commencé eux-mêmes à en faire confidence au public. J'ai cru inutile pourtant de donner certains passages plus intimes de la lettre citée, qui n'eussent plus laissé de doutes sur la nature de cette liaison. Le Don Juan féminin qu'était George Sand, sans se montrer impitoyable quand il cessait d'aimer, s'obstinait néanmoins, tout dépourvu qu'il était de scrupules, à dérouter la curiosité sur la légende de ses victimes. Pourquoi refuser à Musset d'être sorti en galant homme d'un amour qui fut également fatal à tous ceux qui en ont goûté?...

Peut-être y avait-il mauvaise grâce à s'attacher ainsi à la démonstration des torts d'une femme. Mais la vie de George Sand n'est-elle pas la raison même de son génie? Et ce génie, instinctif, abondant, romantique et déclamatoire, ne doit-il pas autant à son tempérament qu'à son atavisme et à son éducation? «Ce qu'il y a de meilleur en moi, c'est les autres», écrivait-elle (ou à peu près), à Flaubert. Et dernièrement, Mme Clésinger, justement froissée de ce soudain étalage d'intimités, qui est une des nécessités de la gloire, ne disait-elle pas à ce propos: «Pour moi, le sentiment qui a guidé ma mère et déterminé ses actes, c'est l'horreur de la solitude. Il lui fallait autour d'elle du mouvement, quelqu'un à qui parler, sur qui se reposer, et quelqu'un à protéger....»

Nul doute que la bonté sereine dont s'enveloppa la vieillesse de cette orageuse nature,—plus belle encore dans ses orages,—ne l'absolve aux yeux du moraliste, des inquiétudes de ses jeunes années. Ses erreurs du moins relèvent aujourd'hui de l'histoire littéraire: pourquoi ne pas les constater?

Un grand tumulte de presse accueillit ces révélations. Ce fut l'événement du jour, la question littéraire à la mode. Sandistes et Mussettistes épiloguèrent sur l'aventure de Venise, cependant que maints chroniqueurs, tout en y trouvant le plus rare profit de «copie», criaient au «scandale», et suppliaient qu'on n'apprît pas davantage au public que ses grands hommes avaient été aussi des hommes.

L'ombre de Lélia vit se lever pour elle une armée de paladins. Pendant quelques jours, la mémoire de son poète resta sans défenseurs. M. Émile Aucante, ancien secrétaire de George Sand (et légataire de ses lettres à Alfred de Musset), protesta dans les journaux contre la «légende de son infidélité». Il déclara formellement que la Correspondance donnerait la «preuve écrite de la main de Musset que George Sand ne l'avait pas trahi.»—Ces lettres pouvaient-elles apporter une telle preuve? Nous en connaissions déjà quelques fragments par une fine monographie de Musset, qu'avait publiée Mme Arvède Barine, tel cet étonnant passage d'Elle à Lui: «O cette nuit d'enthousiasme, où, malgré nous, tu joignis nos mains, en nous disant: «Vous vous aimez et vous m'aimez, pourtant. Vous m'avez sauvé âme et corps.»

Or M. Émile Aucante ne possédait que les lettres de George Sand, et Mme Lardin de Musset s'opposait énergiquement à la publication de celles de son frère.... D'ailleurs, qu'eussent prouvé, contre l'infidélité de son amie, les pages suppliantes, craintives, qu'arrachait à Musset, dans sa débilité devant l'amour, la subtile psychologie d'une maîtresse qui, sans perversité peut-être, mais toujours incapable de s'avouer une faiblesse, était parvenue à suggérer à sa victime des paroles de reconnaissance?... Car voilà le cas intéressant de cette banale aventure.

C'était un mal vulgaire et bien connu des hommes....

Et moi-même, racontant pour la première fois la «Véridique histoire des Amants de Venise», j'avais cru devoir tenir moins compte des fragments singuliers de ces lettres du malheureux poète, que de l'honnête mémorial de Pagello et des aveux intimes de George Sand.

La restitution de cette histoire, désormais précise quant aux faits, restait donc énigmatique quant aux psychologies tourmentées qui les avaient conduits. Les révélations continuèrent. La Revue de Paris publia les lettres de George Sand à Musset. On en mena grand bruit. Il n'est pas douteux qu'un retour de l'opinion ne se produisit alors en faveur de Lélia. La même revue donna ensuite ses lettres à Sainte-Beuve. Elles précisaient des expériences antérieures à la liaison avec Musset, qui permettaient la défiance. Cette fois l'opinion fut défavorable à George Sand.

Maintenant, qu'apporte ce livre? Une histoire, serrée d'aussi près que possible, de cette attachante aventure d'amour, un exposé synthétique de la vie des deux grands écrivains depuis leur rencontre jusqu'à leur séparation. Les lettres de Musset, jusqu'ici complètement inédites, m'ont été libéralement prêtées par la soeur du poète, Mme Lardin de Musset, qui garde le culte pieux de sa mémoire. Quelle reçoive ici l'hommage de ma respectueuse gratitude. Elle est convaincue que son frère Paul, autant dans sa Biographie d'Alfred de Musset que dans son roman, Lui et Elle, n'a pas une seule fois trahi la vérité. Nous la rechercherons aussi, aidé de tous les documents nouveaux que nous allons produire.

Y avait-il nécessité ou intérêt à exhumer dans ses détails un épisode intime vieux de soixante ans?—J'estime que sans encourir un reproche quelconque d'indiscrétion ou d'indélicatesse on a droit, pour les grandes oeuvres, à remonter aux sources secrètes de leur génération. Sainte-Beuve lui-même nous a appris à ne pas isoler l'oeuvre de la vie. Où s'arrête la biographie d'un grand homme? Là où elle cesse de nous intéresser, c'est-à-dire d'être nécessaire à l'explication de ses chefs-d'oeuvre.

Décembre 1896.

SOMMAIRE

I.—GEORGE SAND ET ALFRED DE MUSSET EN 1833.

II.—GEORGE SAND ET SES AMIS (janvier-juin 1833).

III.—LES PREMIÈRES AMOURS DE GEORGE SAND ET DE MUSSET (juin-décembre 1833).

IV.—LE ROMAN DE VENISE (19 janvier-30 mars 1834).

V.—LA VIE DE GEORGE SAND ET DU Dr PAGELLO A VENISE (avril-août 1834).

VI.—LE RETOUR DE MUSSET.—CORRESPONDANCE ENTRE PARIS ET VENISE (avril-août 1834).

VII.—GEORGE SAND, PAGELLO ET MUSSET A PARIS (août-octobre 1834).

VIII.—LE DRAME D'AMOUR (octobre 1834-mars 1835).

IX.—APRÈS LA RUPTURE.—LA LÉGENDE.


Une histoire d'Amour : George Sand et A. de Musset

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