Читать книгу Une histoire d'Amour : George Sand et A. de Musset - Paul Mariéton - Страница 8
ОглавлениеBuloz17 est sur la grève
Pâle et défiguré;
Il voit passer en rêve
Gerdès18 tout effaré.
La matière abonnable
Se meurt du choléra;
L'épreuve est détestable
Il faut un errata.
Il voit son typographe
Transposer ses placards.
Des fautes d'orthographe
Errent de toutes parts.
Des lettres retournées
Flottent en se heurtant;
Des lignes avinées
Dansent en tremblotant.
Note 17: (retour) François Buloz (1804-1877) prit on 1831 la direction de la Revue des Deux Mondes, journal des Voyages, pour en faire le recueil célèbre duquel son nom est inséparable. De 1835 à 1845 il dirigea en même temps la Revue de Paris.
Note 18: (retour) Caissier de la Revue.
De tous côtés aboient
Des contresens obscurs,
Et les marges se noient
Dans les déléaturs.
Il pleut des caractères;
Le B manque dans tous,
Et des pages entières
Boivent comme des trous.
Loewe19 a fait héritage
De quatre millions;
Dumas meurt en voyage
Faute d'Impressions.
Dans les filles de joie
Musset s'est abruti;
Ampère20, en bas de soie,
Pour l'Afrique est parti.
Note 19: (retour) Loewe-Veimars (1801-1854), humoriste romantique et diplomate, auteur du Népenthès.
Note 20: (retour) J.-J. Ampère, l'historien, l'ami de Mme Récamier.
Brizeux est à la Morgue,
Sainte-Beuve au lutrin;
Quinet est joueur d'orgue
A Quimper-Corentin.
Delécluse21 est modèle
A l'atelier de Gros;
Roulin22 est infidèle
A ses choux les plus beaux.
Note 21: (retour) Et.-Jean Delécluze(1781-1863), peintre et littérateur, historien, critique d'art, défenseur des doctrines classiques.
Note 22: (retour) Roulin avait fait dans la Revue des Deux Mondes plusieurs articles d'histoire naturelle où il était question de choux. (Note de M. de Lovenjoul.)
George Sand est abbesse
Dans un pays lointain;
Fontaney23 sert la messe
A Saint-Thomas-d'Aquin;
Fournier24 aux inodores
Présente le papier;
Et quatre métaphores
Ont étouffé Barbier.
Note 23: (retour) Écrivain romantique et poète, vaguement diplomate, mort en 1837. Il signa presque toutes ses oeuvres des pseudonymes de Lord Feeling et O'Donnoz.
Note 24: (retour) Imprimeur de la Revue.
Cette nuit Lacordaire
A tué de Vigny;
Lerminier25 veut se faire
Grotesque à Franconi;
Planche est gendarme en Chine;
Magnin26 vend de l'onguent;
Le monde est en ruine:
Bonnaire27 est sans argent!!
Note 25: (retour) Eug. Lerminier (1803-1851), philosophe et jurisconsulte.
Note 26: (retour) Charles Magnin, érudit et polygraphe.
Note 27: (retour) Le plus fort actionnaire de la Revue, à cette époque. (Note de M. de Lovenjoul.)
Nous retrouverons dans la suite plusieurs de ces noms diversement célèbres. L'un d'eux mérite de nous retenir encore. Depuis deux ans, avant comme après sa courte liaison avec Mérimée, George Sand, nous l'avons dit, avait pour grand ami Gustave Planche. Il avait succédé près d'elle à Henry de Latouche28, dans le rôle d'inspirateur, de conseiller littéraire. Nul doute qu'il n'en devint sincèrement amoureux; mais elle le maintint dans l'ordre platonique. Il avait du moins deviné son génie.
Note 28: (retour) H. Thabaut de Latouche (1786-1851), compatriote de George Sand et son parrain dans les lettres, eut un moment de célébrité, comme poète, romancier, dramaturge et journaliste. Il édita les oeuvres d'André Chénier en 1819.
Elle eut un guide précieux en ce bourru bienfaisant qui est resté comme le type du critique intraitable et brutal. Ses livres, qu'on ne lit plus, tiennent encore leur place dans l'évolution littéraire du siècle. Avec ses dons sérieux il eut la plus saine influence sur l'éducation du goût, dans son obstination réactionnaire contre les excès du Romantisme. Mais son rôle échoua par la confusion même que ses attaques laissaient dans l'opinion, de la personnalité et de l'oeuvre de ses victimes. Vingt ans après, George Sand a longuement parlé de lui: «Il me fut très utile, dit-elle, non seulement parce qu'il me força par ses moqueries franches à étudier un peu ma langue, que j'écrivais avec beaucoup trop de négligence, mais encore parce que sa conversation, peu variée mais très substantielle et d'une clarté remarquable, m'instruisit d'une quantité de choses que j'avais à apprendre pour entrer dans mon petit progrès relatif.
«Après quelques mois de relations très douces et très intéressantes pour moi, j'ai cessé de le voir pour des raisons personnelles, qui ne doivent rien faire préjuger contre son caractère privé, dont je n'ai jamais eu qu'à me louer en ce qui me concerne29.»
Note 29: (retour) Histoire de ma vie, 5e partie, ch. VI. Paris, Calmann Lévy.
Elle ajoute que son intimité avait pour elle de graves inconvénients, qu'elle l'entourait d'inimitiés violentes, la faisant passer pour solidaire de ses aversions et condamnations. Déjà de Latouche s'était brouillé avec elle à cause de lui.
Cette brouille était traduite par un article fameux, les Haines littéraires, qui signala l'entrée de Gustave Planche à la Revue des Deux Mondes30.
Note 30: (retour) 1831.
On a dit que l'ombre de George Sand, Hélène de la Troie romantique, avait passé entre lui et de Latouche.... C'est probable, malgré que celui-ci fût d'âge à se montrer plus respectueux que son rival. Mais rien n'autorise à penser que le conteur de Fragoletta ait jamais osé hasarder une déclaration.
Toujours est-il que la fréquentation de Lélia donna longtemps au «critique maudit» de tendres espérances. Elle affichait leur amitié avec ostentation. Elle emmena Planche à Nohant. Les contemporains en jasèrent. Dix ans plus tard, Balzac les représentait sous de transparents pseudonymes, dans son roman de Béatrix. On y voit Claude Vignon quitter le château de son amie Félicité Des Touches avec un profond désenchantement31. Planche lui-même avait laissé percer cette amertume dès le lendemain de sa déception. Cette passion fatale avait empoisonné son âme. Il s'abandonnait, dans ses jugements littéraires, à de cruels retours sur la vie. Sa critique devenait plus que jamais acerbe.
Note 31: (retour) Cf. le Critique maudit: Gustave Planche, par Adolphe Racot, dans le Livre du 10 août 1885.
Les lettres de George Sand à Sainte-Beuve, les dernières publiées, ne laissent plus de doute sur la mauvaise fortune de Planche. En juillet 1833, dans la crise de solitude qui la prépare à son nouvel amour, elle écrit: «Je sais qu'il vaut moins que vous qui l'excusez et mieux que la plupart de ceux qui le condamnent. On le regarde comme mon amant, on se trompe. Il ne l'est pas, ne l'a pas été et ne le sera pas32.» Mieux encore, à peine est-elle éprise de Musset que son ami Planche l'ennuie: «Planche a passé pour être mon amant, peu m'importe. Il ne l'est pas. Il m'importe beaucoup maintenant qu'on sache qu'il ne l'est pas, de même qu'il m'est parfaitement indifférent qu'on croie qu'il l'a été.... J'ai donc pris le parti très pénible pour moi, mais inévitable, d'éloigner Planche. Nous nous sommes expliqués franchement et affectueusement à cet égard, et nous nous sommes quittés en nous donnant la main, en nous aimant du fond du coeur et en nous promettant une éternelle estime33.»
Note 32: (retour) Revue de Paris, du 15 novembre 1896, p. 284.
Note 33: (retour) Revue de Paris, 15 novembre 1896, p. 289.
Ainsi l'existence de George Sand n'allait pas sans complications, quand elle rencontra Musset.