Читать книгу Une histoire d'Amour : George Sand et A. de Musset - Paul Mariéton - Страница 7
II
ОглавлениеLa liaison de George Sand avec Jules Sandeau vient de finir,—comme finiront tous les amours de Lélia. Elle n'est que désenchantée, quand Lui emporte une secrète blessure. Rarement il la dévoilera, au cours de sa longue carrière. C'est un silencieux. Mais s'il n'en veut pas donner confidence au public, chaque fois qu'il lui arrivera d'y faire allusion, ce sera d'un mot dont la cruauté brève suspend tout jugement sur l'être d'exception qu'a été George Sand.—«Le coeur de cette femme est comme un cimetière, a-t-il dit, on n'y rencontre que les croix de ceux qu'elle a aimés.»
Leur liaison a duré trois ans. Quant à elle, elle est rassasiée de l'amour. Ses amis, que la présence de Sandeau n'avait pas rebutés, se rapprochent. Ils ont tout crédit chez elle et plus d'autorité que jamais sur sa vie. Avec le fidèle Boucoiran, le précepteur intermittent de son fils, un être bon et faible qui est et restera toujours «son enfant», son meilleur ami est Gustave Planche.
Du jour où elle fut sans amant, il est à supposer qu'il espéra son tour. Il connaissait George Sand depuis ses débuts à Paris. De quatre ans plus jeune qu'elle, il prenait bientôt cependant, sur son ardent esprit, par un goût d'austère puriste et des connaissances qu'elle déclarait infinies, un de ces ascendants qu'elle rechercha toujours et dont si merveilleusement elle tira profit pour son oeuvre. Nous reviendrons plus loin sur leurs relations. Mais ce premier signalement de Gustave Planche dans les avatars de George Sand nous prépare à l'entrée en scène de Sainte-Beuve, chez qui le conseiller littéraire va se doubler d'un conseiller intime, d'un confident d'amour.
Il n'en a pas fait mystère: c'est à lui que nous devons de connaître quelques-unes des lettres qu'elle lui écrivit durant la période troublée où elle cherchait sa voie. Dans un des curieux appendices de ses Portraits Contemporains,—sortes de codicilles du testament littéraire que constituent ses derniers livres7, Sainte-Beuve a esquissé avec plus de charme que de discrétion,—George Sand vivait encore,—l'état d'âme de ce beau génie féminin pendant ces six mois critiques et décisifs. Et il a donné à l'appui les pages intimes «les plus vraies, les plus naïves et les plus modestes où elle s'ouvrait à lui de son coeur et de son talent».
Note 7: (retour) Portraits contemporains, 1868 (cinq volumes où sont réimprimés les plus anciens articles de Sainte-Beuve), t. I, p. 506-523. Paris, Calmann Lévy.
Ils avaient fait connaissance en janvier 1833. A la suite d'articles publiés par Sainte-Beuve sur Indiana et Valentine8, Gustave Planche lui avait dit que l'auteur désirait le voir pour le remercier. «Nous y allâmes un jour vers midi; elle habitait depuis peu, et seule, le logement du quai Malaquais. Je vis en entrant une jeune femme aux beaux yeux, au beau front, aux cheveux noirs un peu courts, vêtue d'une sorte de robe de chambre sombre des plus simples. Elle écouta, parla peu et m'engagea à revenir. Quand je ne revenais pas assez souvent, elle avait le soin de m'écrire et de me rappeler. En peu de mois, ou même en peu de semaines, une liaison étroite d'esprit à esprit se noua entre nous. J'étais garanti alors contre tout autre genre d'attrait et de séduction par la meilleure, la plus sûre et la plus intime des défenses. Ce préservatif contre un sentiment d'amour, en présence d'une jeune femme qui excitait l'admiration, fut précisément ce qui fit la solidité et le charme de notre amitié. George Sand voulut bien me prendre à ce moment délicat de sa vie, où elle arrivait à la célébrité, pour confident, pour conseiller, presque pour confesseur9.»
Note 8: (retour) Le National des 5 octobre et 31 décembre 1832.
Note 9: (retour) Portraits contemporains, I, p. 507.
George Sand écrivait alors Lelia, Sainte-Beuve Volupté. Tous deux se consultaient sur leurs romans. Des entretiens littéraires, ils passaient aux confidences intimes. Elle venait, de rompre avec Jules Sandeau, et à peine libre, «dans un véritable isolement moral, elle se demandait quels amis et quel ami elle se pourrait choisir parmi tous ces visages nouveaux de gens à réputation diverse qu'elle affrontait pour la première fois10». Sainte-Beuve s'offrit à lui présenter ceux qu'il fréquentait et jugeait dignes d'elle. Elle refusa de connaître Musset, mais elle eut la curiosité d'Alexandre Dumas (mars 1833). Ils se plurent médiocrement, semble-t-il. Vers la même date, elle écrit à Sainte-Beuve qu'elle «recevra Jouffroy de sa main», le priant de le prévenir de son extérieur sec et froid, de son attitude silencieuse. Cette rencontre fut encore passagère. Mais la même lettre nous éclaire singulièrement sur le pessimisme qu'apportait George Sand dans ses expériences: «Je crains un peu ces hommes vertueux de naissance. Je les apprécie bien comme de belles fleurs et de beaux fruits, mais je ne sympathise pas avec eux; ils m'inspirent une sorte de jalousie mauvaise et chagrine... Il n'y a pas de confiance entière possible à réaliser. Les gens qu'on estime, on les craint et on risque d'en être abandonné et méprisé en se montrant à eux tel qu'on est; les gens qu'on n'estime pas comprendraient mieux, mais ils trahissent.»
Note 10: (retour) Portraits contemporains, I, p. 511.
Le complément de ces lettres singulièrement captivantes vient de paraître11. L'ensemble constitue le document le plus sûr et à peu près unique d'ailleurs, que nous possédions sur l'état d'âme de George Sand pendant cette crise de sa vie. Sainte-Beuve fut-il touché lui-même par la grâce étrange et le charme de cette nouvelle amie? A certaines phrases de George Sand on pourrait le penser: «Vous m'avez dit que vous aviez peur de moi (lettre de mars).» Mais s'il en fut réellement ainsi, soit respect de l'intimité de Gustave Planche avec elle, soit crainte d'être rebuté dans une autre attitude que celle de confesseur, soit excessive timidité, il est hors de doute qu'il n'insista pas. Il avait pris soin, bientôt, de faire confidence à sa pénitente d'une affection profonde et jalousée, qui le détournait de tout autre désir,—celle dont il a rempli, sincèrement ou non, son fameux Livre d'amour, daté du même temps pour la plupart des pièces.
Note 11: (retour) George Sand, Lettres à Sainte-Beuve, Revue de Paris du 15 novembre 1896.
Dans ces lettres de George Sand à Sainte-Beuve, il y a une lacune d'un mois. La suite de la correspondance nous l'explique.
Une liaison avec Mérimée, courte et malheureuse, en avril 1833, y est définitivement révélée. On en avait chuchoté jadis, mais en somme on n'en savait rien. Le premier, M. Augustin Filon, dans son excellente monographie du maître de Colomba, avait recueilli ces rumeurs. Incidemment, à propos des années de dissipation de Mérimée, il nous expliquait la défiance de toute sa vie à l'égard des bas-bleus, par cette escarmouche rapide entre lui et le plus grand d'entre eux. «Le court passage de Mérimée dans les bonnes grâces de Mme Sand est un fait d'histoire littéraire, écrit-il, sur lequel s'est greffée une légende assez amusante. D'après cette légende, Sainte-Beuve, voyant que Mme Sand était seule et souffrait de cette solitude, lui aurait «donné» Mérimée, et, dès le lendemain, George Sand lui aurait écrit pour lui rendre et lui reprocher ce cadeau. Il n'est pas vrai que Sainte-Beuve ait joué ce rôle trop bienveillant et qu'il ait béni l'union civile de Mérimée et de Mme Sand. Mais il est exact qu'il reçut des confidence et des plaintes12.»
Note 12: (retour) AUGUSTIN FILON, Mérimée et ses amis, p. 64, in-16, Hachette, 1894.
La vérité est que cette liaison ne fut confessée à Sainte-Beuve que cinq mois après. Au ton dont George Sand la lui raconte dans ses lettres d'août et de septembre, quand elle a retrouvé l'amour avec Musset, on conçoit les raisons de femme et de psychologue qui la lui avaient fait dissimuler à son directeur. La rencontre fut brève et nette, digne de l'homme raffiné et précis qu'était Prosper Mérimée. Il paraît bien l'avoir traitée comme une aventure d'étudiants. Mais George Sand, qui était de son âge, ainsi que son égale en génie, resta froissée et plus étonnée encore de ce dédain de sa personne et de son âme. Écoutons ce ressouvenir:
....Un de ces jours d'ennui et de désespoir, je rencontrai un homme qui ne doutait de rien, un homme calme et fort, qui ne comprenait rien à ma nature et qui riait de mes chagrins. La puissance de son esprit me fascina entièrement; pendant huit jours je crus qu'il avait le secret du bonheur, qu'il me l'apprendrait, que sa dédaigneuse insouciance me guérirait de mes puériles susceptibilités. Je croyais qu'il avait souffert comme moi, et qu'il avait triomphé de sa sensibilité extérieure. Je ne sais pas encore si je me suis trompée, si cet homme est fort par sa grandeur ou par sa pauvreté.
....Je ne me convainquis pas assez d'une chose, c'est que j'étais absolument et complètement Lélia. Je voulus me persuader que non; j'espérais pouvoir et abjurer ce rôle froid et odieux. Je voyais à mes côtés une femme sans frein, et elle était sublime13; moi, austère et presque vierge, j'étais hideuse dans mon égoïsme et dans mon isolement. J'essayai de vaincre ma nature, d'oublier les mécomptes du passé. Cet homme qui ne voulait m'aimer qu'à une condition, et qui savait me faire désirer son amour, me persuadait qu'il pouvait exister pour moi une sorte d'amour supportable aux sens, enivrant à l'âme. Je l'avais compris comme cela jadis et je me disais que peut-être n'avais-je pas assez connu l'amour moral pour tolérer l'autre: j'étais atteinte de cette inquiétude romanesque, de cette fatigue qui donne des vertiges et qui fait qu'après avoir nié, on remet tout en question et l'on se met à adopter des erreurs beaucoup plus grandes que celles qu'on a abjurées.
Note 13: (retour) Mme Dorval.
....L'expérience manqua complètement. Je pleurai de souffrance, de dégoût et de découragement. Au lieu de trouver une affection capable de me plaindre et de me dédommager, je ne trouvai qu'une raillerie amère et frivole. Ce fut tout.
Si Prosper Mérimée m'avait comprise, il m'eût peut-être aimée, et s'il m'eût aimée il m'eût soumise, et si j'avais pu me soumettre à un homme, je serais sauvée, car ma liberté me ronge et me tue. Mais il ne me connut pas assez, et au lieu de lui en donner le temps, je me décourageai tout de suite et je rejetai la seule condition qui pût l'attirer à moi.
Après cette ânerie, je fus plus consternée que jamais, et vous m'avez vue en humeur de suicide très réelle. Mais s'il y a des jours de froid et de fièvre, il y a aussi des jours de soleil et d'espérance.
Puis, peu à peu, je me suis remise, et même cette malheureuse et ridicule campagne m'a fait faire un grand pas vers l'avenir de sérénité et de détachement que je me promets en mes bons jours. J'ai senti que l'amour ne me convenait pas plus désormais que des rosés sur un front de soixante ans, et depuis trois mois (les trois premiers mois de ma vie assurément!) je n'en ai pas senti la plus légère tentation14.
Note 14: (retour) Revue de Paris du 15 nov. 1896, p. 280. Cette lettre est (des premiers jours) de juillet 1833.
Ces trois mois sans passion n'ont pas été trois mois de calme. Ses confidences à Sainte-Beuve recommencent en mai; elle est grave et le sermonne à son tour. Mais la revoilà, en juin, dans un grand trouble: son ami lui devient un refuge. A la voir s'abandonner ainsi, on est tenté de s'étonner qu'elle n'ait pas rêvé un instant à changer sa vénération en tendresse. La liaison qui le garde d'elle l'aurait-elle agacée de quelque jalousie? Vraisemblablement, elle a reçu de son directeur une lettre amère. Peut-être déjà l'ennuie-t-elle. Mais elle ne se décourage pas. Sa plainte est longue, nerveuse et douloureuse. Elle se dit seule, désenchantée de tout: l'amitié même n'existe pas! Mais Sainte-Beuve l'a rassurée. Dans une lettre du 3 août, elle semble apaisée. Quelque chose de nouveau a surgi dans sa vie.—«Pour rien au monde, lui écrit-elle, je ne voudrais abuser de votre dévouement.» Et elle se fait protectrice à son tour.
Ce qui a surgi dans sa vie, c'est un nouvel amour, un amour inconnu, tout de fraîcheur, de poésie et de tendresse, qui lui rapporte tout à coup les illusions de la jeunesse et de l'espérance.
Tous les biographes de Musset ont écrit qu'il avait rencontré George Sand au printemps de 1833. En réalité leurs relations ne datent que de la fin de juin. Nous savons que Sainte-Beuve voulait dès le mois de mars présenter le poète à son amie, et qu'elle avait refusé, le trouvant trop... différent pour ses habitudes. «A propos, réflexion faite, écrivait-elle, je ne veux pas que vous m'ameniez Alfred de Musset. Il est trop dandy, nous ne nous conviendrions pas, et j'avais plus de curiosité que d'intérêt à le voir. Je pense qu'il est imprudent de satisfaire toutes ses curiosités, et meilleur d'obéir à ses sympathies15.» De son côté peut-être, Musset se défiait de la romancière sur sa légende déjà tapageuse. Mme Lardin de Musset me rapporte qu'il disait alors: «Elle n'a donc jamais rencontré un homme convenable? Comme tous ses héros me déplaisent!» Ces réserves expliqueraient le retard de leur rencontre. Mais leur rencontre était fatale. Et sans doute un instinct secret les avertissait-il de l'approche de la souffrance, ce vertige de l'abîme, où s'éveille le génie des poètes.
Note 15: (retour) Portraits contemporains, I, 510.
Tous deux collaboraient à la Revue des Deux Mondes et le groupe de Buloz fréquentait plus ou moins chez George Sand. La plus ancienne mention de son nom sous la plume de Musset est dans une pièce peu connue, encore qu'imprimée plusieurs fois: le Songe du Reviewer16. Elle nous renseigne sur la pléiade delà Revue, à son âge d'or:
Note 16: (retour) Intermédiaire des chercheurs et des curieux du 10 oct. et vicomte de Spoëlberch de Lovenjoul: les Lundis d'un chercheur, in-18, Calmann Lévy, 1894.