Читать книгу Études sur l'Islam et les tribus Maures: Les Brakna - Paul Marty - Страница 10
1.—Mohammed ould-Mokhtar (1766, † vers 1800).
ОглавлениеMohammed ould-Mokhtar, petit-fils d'Aghrich, peut être considéré comme le premier émir de la branche cadette des Oulad Abd Allah: les Oulad Siyed. Il apparaît dans la tradition comme le successeur d'Ahmeïada, fils ou petit-fils d'Ahomel Heïba, des Normach. C'est vers 1766 que se produisit cette substitution.
Depuis deux générations déjà, les Oulad Siyed étaient établis entre le lac d'Aleg et le fleuve. On sait par la tradition que Mokhtar, père de Mohammed, a été enterré à Oumm Djeljel, près de Regba, et que Aghrich, son grand-père, mort de maladie, a été enterré à Taboumlib, près d'Ouezzan. Quant à Seddoum, père d'Aghrich, il fut tué au cours d'un rezzou et fut enterré à Oumm Abboun, dans le Zemmour. Le tombeau de son père, Siyed, l'ancêtre éponyme, se trouve dans l'Agan.
Les Oulad Siyed et, à l'occasion, les Oulad Normach se signalaient par d'incessantes incursions dans le Fouta. Les Chroniques de Siré Abbas signalent une longue et cruelle guerre de sept ans que le Cheikh Souleïman Bal et les derniers souverains de la dynastie de Tenguella soutinrent contre les pillards Oulad Abd Allah, vers 1770.
Le document anglais précité, de 1767, donné par Golberry, relata qu'à cette date déjà les coutumes sont payées à Mohammed ould Mokhtar.
Un peu plus tard, en 1785, quand les Anglais ont dû vider les lieux, un document officiel français nous atteste à nouveau la présence de Mohammed ould Mokhtar à la tête de l'émirat brakna.
Le 10 mai 1785, Mohammed ould Mokhtar, «roi», dit le texte français, «sultan», dit le texte arabe, des Brakna, signait sous les auspices et protection du gouverneur, comte de Repentigny, avec le sieur Durand, directeur général de la Compagnie de Commerce du Sénégal, un traité d'amitié et de réglementation de la traite de la gomme.
Il était réglé en substance dans cet acte, où le texte français déforme toujours le nom de l'émir en «Ahmed Mokhtar»:
a) La Compagnie a le droit d'établir un comptoir à Podor et d'autres comptoirs dans tout autre point du territoire d'Ahmed avec liberté entière de traite sur toutes matières.
b) Ces établissements sont sous la sauvegarde spéciale de Mohammed Mokhtar.
c) Suppression de tout commerce direct ou indirect avec les Anglais, avec gratification à l'émir chaque fois qu'il arrêtera une caravane allant chez les Anglais de Portendik.
d) Promesses des bons offices de l'émir pour l'activité de la traite, la fixation du «kantar» au plus bas prix et à la plus haute mesure possible, l'aplanissement de toutes difficultés.
e) Versement d'une coutume annuelle: 1o à l'émir (400 pièces de Guinée, 100 fusils fins, 200 barils de poudre de 2 livres, etc., sans oublier une moustiquaire, plus une pièce de guinée par huit kantar mesures et conduits à bord; 2o à Sidi Eli, frère du roi (14 pièces de guinée, etc.); 3o à la femme du roi (8 pièces de guinée, etc.); 4o à Fatma, sœur aînée du roi (4 pièces de guinée, etc.); 5o à chacune des quatre jeunes sœurs de Mohammed Mokhtar et à sa fille (2 pièces de guinée); 6o au premier ministre (5 pièces de guinée, etc.); 7o pour les soupers de Sidi Ely et des marabouts qu'il loge chez lui (1 mouton et 2 bouteilles de mélasse); 8o pour sa suite (id). Tous ces objets payables un tiers au commencement de la traite, un tiers au milieu, et un tiers à la fin.
Le total des coutumes versées aux Brakna était évalué, en 1787, d'après le livre de comptes de la Compagnie, à 5.598 livres.
L'émir Mohammed ould Mokhtar, allié aux Id Ou Aïch, soutint une lutte implacable contre son voisin Eli Kouri du Trarza. Un combat violent, dit Mohammed Youra, s'engagea près du puits d'In Temadhi (un peu avant 1786, année de la mort d'Eli). Les Trarza vaincus durent prendre la fuite vers l'ouest. Après une course éperdue, ils arrivèrent à Kheroufa, célèbre alors par un grand arganier. Rejoints en ce point par Homeïada ben Ali, descendant d'Ahmed ben Dâmân, et par un parti de guerriers, ils firent face à l'ennemi. Le sort changea. Les Trarza reprirent le dessus et poursuivirent à leur tour les Brakna, qui se hâtèrent de tourner bride vers l'est. La tradition rapporte qu'au puits de Djefaïf les fugitifs rencontrèrent un campement de tolba qui abreuvaient leurs bœufs. Un des guerriers brakna, fatigué de cette course éperdue, sauta sur une vache pour continuer sa route, mais celle-ci fit un bond et jeta à terre l'homme qui tomba malencontreusement, montrant que, sous sa chemise, il n'y avait pas de culotte, ce qui fit rire tout le monde.
La lutte devait prendre des proportions plus grandes encore par l'entrée en scène des «Foulhas» (Toucouleurs sans doute), alliés des Brakna. «Nous fûmes, en 1786, décrit Golberry, les témoins oisifs et inutiles de l'explosion qui fermentait depuis plusieurs années.
En 1785, Hamet-Mokhtar, roi des Brachknaz, homme à la fois lâche, orgueilleux et insolent, parce qu'il était soutenu par le roi des Foulhas, enleva la femme favorite d'Eli-Kouri, et sut si bien s'attacher cette femme qu'elle fit déclarer à son premier maître, qu'elle se séparait à jamais de lui.
Les hostilités recommencèrent l'année suivante. Eli Kouri provoqua Mohammed ould Mokhtar. Le combat s'engagea, en octobre 1786, à 20 lieues de Saint-Louis. Eli Kouri fut vaincu et tué.
Le vainqueur Mohammed ould Mokhtar ne fut pas exempte de souci, car peu après le «Siratick-almami» attribuant la victoire à ses 400 guerriers» prétendit faire la loi, non seulement aux Trarshaz, mais aussi aux Brachknaz, aux Darmanko, aux rois nègres ses voisins, et même aux Français du Sénégal.
Golberry constate encore en 1785-1787 «que les Darmanko (= Ida Ou Al-Hadj, du Trarza), ont pour les Brakhknaz un attachement et une déférence qui ne se sont jamais démentis; que leur chef témoignait le plus grand respect pour Hamet-Mokhtar (Mohammed Mokhtar), chef des Brachknaz, qu'il le reconnaissait comme «roi, comme général de la nation, comme le père de la famille des Agrichys; que, dans toutes les circonstances, les intérêts de ces deux tribus sont toujours réunis, toujours compris dans les mêmes traités, et que le roi des Brachknaz discute, agit, conclut tout seul pour ces tribus germaines, sans que jamais il y ait aucune réclamation, aucune opposition de la part des Maures Darmanko.»
Golberry qui a vu à peu près juste l'immigration des hassanes (les Maures Oulad, comme il les appelle, oubliant le mot principal: Hassan) fait venir ensemble du Nord les Brakna et les «Ouled El-Hadj». Ces tribus, dit-il, «n'en formaient autrefois qu'une seule», ce qu'il faut entendre non au sens des origines ethniques, puisque les Brakna sont Arabes, et les Ida Ou Al-Hadj, Berbères, mais au sens de la confédération d'une tribu guerrière et d'une tribu maraboutique. Mieux encore, l'intérêt économique explique cette alliance du dix-huitième siècle, qui a disparu par la suite. Golberry signale avec justesse cette cause: «Ils s'attribuèrent la possession du territoire compris entre celui des Trarchaz et le Ludamar, l'exploitation des forêts (de gomme) d'Al-Fatack et d'El-Hiebar, ainsi que plusieurs mines de sel, situées dans ces déserts de sable.
Mohammed ould Mokhtar eut les honneurs de la correspondance qu'adressait régulièrement Boufflers à Mme de Sabran. Il est vrai que la relation de Boufflers est loin d'être flatteuse pour l'émir brakna et que si celui-ci avait pu se douter du jugement ironique du Gouverneur, il aurait été moins ravi de l'entrevue. Mais peut-être cette impression défavorable est-elle due à la chaleur de 50° Réaumur, à l'ombre, que Boufflers eut à supporter, ayant eu l'idée fâcheuse de faire son voyage au mois d'avril (1787). L'émir maure «lui parut misérable et rapace».
Il dit encore: «C'est un homme fort puissant, mais fort doux et en même temps fort dévot. Il n'aime que les femmes et les prêtres, et passe sa vie le plus qu'il peut à Podor pour être loin de son camp, loin de ses ennemis. Il habite une mauvaise chambre du fort avec une femme en titre et trois ou quatre dames d'honneur qui en manquent de temps en temps, livré aux conseils de ses marabouts qui lui laissent faire toutes ses sottises et toutes ses fredaines, pourvu qu'il porte une centaine de leurs petits scapulaires qu'ils appellent gris-gris, et qu'il fasse par jour environ huit à dix prières ridicules sur une peau de mouton qu'on étend à ses pieds. Le reste du temps, il converse—cela s'appelle palabrer—sur les intérêts de sa prétendue couronne et le résultat de tous ses palabres est de demander des présents et des secours qu'on ne lui donne que le moins qu'on peut, d'emprunter au tiers et au quart des étoffes, des fusils et d'autres marchandises, sous prétexte d'une guerre à soutenir, mais qu'il donne par le fait à tout ce qui l'entoure... Sa figure est assez belle; il ressemble à une sainte face dont la couleur aurait beaucoup poussé au noir. Il est plutôt drapé qu'habillé d'une manière très pittoresque, presque toujours en blanc. Du reste, il a absolument la dégaine d'un roi fainéant et, qui plus est, d'un roi mendiant.»
Les deux interlocuteurs échangèrent des cadeaux. Boufflers reçut pour sa part un cheval du fleuve. Après quoi, il confirma l'alliance traditionnelle et s'empressa de venir à Saint-Louis.
Le 29 mars 1793, an II de la République, un décret de la Convention nationale interdit toute relation avec l'émir. En voici le texte:
«La Convention nationale, voulant obtenir la réparation des vexations que Hamet Moktar, chef de la tribu des Maures braknas, s'est permises envers les Français qui sont allés dans ce pays pour faire la traite de la gomme, Décrète ce qui suit:
«Article premier.—Il sera signifié à Hamet Mokhtar, chef de la tribu des Maures Braknaz, que la Nation française ne lui paiera plus aucune coutume, et cessera toute relation de commerce avec lui jusqu'à ce qu'il ait réparé les vexations qu'il s'est permises envers les Français et qu'il ait donné des otages, qui répondent de sa conduite pour l'avenir.
«Art. II.—Il est défendu provisoirement à tout bâtiment français de faire aucune traite de gomme à l'escale qui est sous la domination d'Hamet Mokhtar; le conseil exécutif est autorisé à établir sur la rivière un bâtiment armé qui fera respecter cette défense.»
L'émir ne conçut aucune fierté de cette marque d'attention spéciale de notre Convention nationale. Les démarches qu'il se hâta de faire et les assurances qu'il donna pour l'avenir firent surseoir à ce décret, mais l'exécution allait en être décidée quelques années plus tard.
En 1799, en effet,—une délibération du 14 ventôse, an 7, nous l'atteste,—des envoyés d'Amar Koumba, émir des Trarza, se présentaient devant le Commandant (Blanchet) et les principaux habitants du Sénégal (Comié, Pellegrin, Pierre Dubois, Blandin fils, etc.), «assemblés en la maison du Gouvernement», et informaient les Français de la part de leur maître que l'émir Brakna se préparait à faire la guerre au Sénégal et qu'il avait député son fils Aghrich à Amar Koumba pour lui communiquer sa résolution et le presser de se joindre à lui. L'émir des Trarza avait refusé, et la rupture des bonnes relations avec les Brakna en était résultée.
Comme suite à cette délibération, Amar ould Koumba était remercié au nom du Gouvernement français et recevait un «présent extraordinaire», tandis que Mohammed Mokhtar voyait mettre à exécution contre lui les mesures hostiles prescrites par la Convention.
Mohammed Mokhtar disparaissait peu après (vers 1800).